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I
MÉMOIRES
DE L’ACADÉMIE NATIONALE
DE CAEN
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MEMOIRES
DE
L’ACADÉMIE NATIONALE
DES
SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES
DE CAEN
CAEN
IMPRIMERIE G. POISSON & Ci»
16, Rue Froide, 16
1915
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ÉTUDE CRITIQUE
SUR
DU DON DE SAINT-QUENTIN
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4f>21 p lvï ET0N UNIVERSITY
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ÉTUDE CRITIQUE
SUR
DUDON DE SAINT-QOENTIN
ET
Son Histoire des premiers Ducs Normands
Henri PRENTOUT
Professeur d'HIstoire de Normandie à l'Université de Caen
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PREFACE
Quand on publie, aujourd’hui, un livre étranger au
seul objet qui occupe nos esprits et nos cœurs, on
éprouve le besoin de s'excuser. Et pourtant, puisque
le Gouvernement n'a pas appelé à d'autres devoirs
les hommes de notre âge, puisqu'heureusement bien
des tâches crées par la guerre sont devenues inutiles,
celles du moins qui nous furent réservées, il faut que
nous remplissions cette triple fonction du professeur
de Faculté, qui aurait été ainsi définie par l'un des fon¬
dateurs des Universités françaises : enseigner, écrire,
faire progresser la science — ceci dans la mesure de
nos forces, évidemment.
Il ne nous reste plus qu'à exposer, comme en toute
préface, le sujet de notre livre, qui, sans la guerre,
eût sans doute paru plus tôt, et aussi à expliquer sa
méthode.
Le sujet, je l’ai suffisamment justifié dans l'Intro¬
duction du présent ouvrage. Dudon de Saint-Quentin
est le premier des historiens normands, le premier en
date ; il est aussi la source où tous les autres ont
puisé. Le problème de sa véracité se posait donc
pour celui qui fut nommé, en 1901, dans la chaire
nouvelle d’Histoire de Normandie à l'Université de
Caen ; il se posait, il s’imposait, puisqu’il était impos-
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VIII ÉTUDE CRITIQUE
sible de songer à écrire une Histoire de Normandie
sans l’avoir préalablement résolu. Nous l’abordâmes
donc dans la première année de notre enseignement,
dans une conférence aux étudiants sur les Invasions
des Normands et sur les états créés par eux. Nous
reprîmes la question par la suite, sous la forme
d’explications du texte de Dudon ; puis, en 191 1, en un
cours public, professé à l'occasion du Millénaire,
qui devint un livre de vulgarisation publié sous ce
titre : Essai sur les origines et la fondation du
duché de Normandie , et dédié à notre regretté maître,
M. G. Monod.
Mais nous sentions que nous n’avions pas encore
suffisamment approfondi cette question capitale et
nous ne cessions de remettre notre travail sur le
chantier. Après quinze ans d'efforts, nous avons cru
devoir rédiger ce mémoire. C'était un ouvrage néces¬
saire que réclamait la science française, par la plume
autorisée des rédacteurs des Annales Carolingiennes
qui tous proclamaient que l'introduction de M. Lair
au De Moribus de Dudon devait être entièrement
reprise.
Ajoutons que cette tâche nous tentait, puisqu'elle
était une étude critique de textes et qu'elle nous
offrait une occasion de mettre à l'épreuve et eu oeuvre
une méthode. Cette méthode, il nous est permis de
la louer hautement, car, naturellement, ce n’est pas
nous qui l’avons inventée. Étudiant en Sorbonne et
candidat à l'agrégation d'histoire, il y a plus de vingt-
cinq ans, nous connûmes l'époque où la plus grande
partie des conférences était consacrée à la critique
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN’ IX
minutieuse et fouillée des six auteurs du programme,
chaque année renouvelés : deux auteurs grecs, deux
auteurs latins, deux auteurs français. Des deux auteurs
latins, l'un était toujours pris dans le moyen âge.
Familiarisé avec l’étude de cette dernière époque, par
l’enseignement de M. Coville, à Caen, de M. Luchaire
et Ch.-V. Langlois, à Paris, nous nous appliquâmes
tout particulièrement à l’épreuve de l’explication, au¬
jourd’hui disparue des programmes de l’agrégation
et qui ne doit pas disparaître des programmes des
Facultés. Avec Gabriel Monod, aux Hautes Études,
avec Luchaire et Guiraud, à la Sorbonne, nous nous
donnâmes à ce travail pénible, souvent aride, mais
qui est la meilleure école de la critique, la meilleure
formation historique Rechercher toutes les sources
où un auteur a puisé, décomposer pour ainsi dire
les éléments de son information, et c’est ce que nous
avons ici essayé de faire pour Dudon, saisir toutes
les nuances du texte, tâcher d’en comprendre toute
la portée, d’en éclairer toutes les parties, » faire suer
le texte », comme disait énergiquement notre maître
Guiraud en une formule saisissante, c’est-à-dire en
exprimer tout ce qu'il peut donner, voilà les objets
de cette méthode. Guiraud, disciple de Fustel, et
d’ailleurs disciple original, apportait ici des principes
très nets ; il se refusait à admettre les corrections
nées de la fantaisie des scoliastes ou de l’érudition
trop imaginative des savants allemands ; quand nous
lui proposions ces corrections, au cours des explica¬
tions préparées par nous, il les rejetait d'un décisif :
« Ça m’est égal ». Il professait excellemment qu'il
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X
ETUDE CRITIQUE
ne fallait jamais corriger le texte, en vue de le faire
cadrer, par une substitution de mot ou de lettre, ou
par une addition, avec une théorie ou une hypothèse
préconçue. Et nous aussi, nous nous sommes re¬
fusé nettement aux corrections que M. Steenstrup et
M. Lair proposaient au texte de la Complainte latine
sur la mort de Guillaume Longue-Épée. Guiraud
professait qu'un texte, peu clair ou à première vue
surprenant, étudié, fouillé, avait toujours un sens
que, très souvent, on n’avait pas su distinguer, que
ce sens il fallait essayer de le dégager, non en se
plaçant à notre point de vue d'hommes du XIX' siècle,
mais en se remettant dans le milieu de l’auteur, à
son époque, dans la civilisation où il vivait, qu’il
fallait toujours envisager les circonstances où il écri¬
vait et c’est ce que nous n’avons cessé de faire pour
Dudon, écrivain du XI' siècle. 11 enseignait encore,
notre regretté maître Guiraud, je me le rappelle no¬
tamment à propos du Lycurgue de Plutarque, qu’il
ne faut jamais repousser une assertion, parce qu’elle
choque nos idées ou qu’elle nous parait étrange.
Si extraordinaire qu’elle puisse être à nos yeux, elle
peut s'expliquer parfaitement par les circonstances
sociales, économiques ou par les idées morales du
temps, et l'auteur pouvait avoir des renseignements
que nous n'avons pas, des sources peut-être que nous
avons perdues. C'est dans cet esprit que nous avons
étudié tout ce qui, dans Dudon, est relatif à la société
Scandinave, à Hasting, aux causes des invasions, à
l’établissement des vikings en Normandie, que nous
avons utilisé les Sagas.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
XI
Que l’on nous pardonne d'insister sur cette mé¬
thode ; c’est que nous avons été entraîné à la déve¬
lopper et à la louer par un sentiment de légitime
reconnaissance. Pour apprécier l'œuvre d'un maître
et qui enseigne, tel que Fustel de Coulanges, l'œuvre
d’un Gabriel Monod, d’un Guiraud, d'un Luchaire,
d’un Sorel, pour ne parler que des disparus (i), il
ne faut point seulement songer à leurs livres, mais
aux esprits qu'ils ont formés. Ces maîtres ont eu
une part considérable dans la renaissance de l'école
historique française et si jamais cette renaissance
subissait une éclipse, ce serait à leur méthode qu'il
faudrait revenir (2).
On s’étonnera peut-être, cette méthode étant ainsi
exposée, que nous n’ayons pas cru devoir donner
une nouvelle édition du De Moribus , accompagnée d’un
commentaire. C'est à cette tâche que nous conviaient,
lors de l’apparition de notre Essai, certains savants
( I ) U y faut aussi songer pourmesurer l’action d’un Lavisse,
par exemple.
(2) Qui aujourd'hui trouverait étrange ce rapprochement,
clans une même admiration, de Fustel de Coulanges et de
Gabriel Monod ? Eux-mêmes, avec la largeur d’esprit qui les
caractérisait, oublièrent très vite des critiques réciproques.
Gabriel Monod aimait à se souvenir que Fustel de Coulanges
l'avait appelé, en dépit de ces critiques, à succéder, à l'École
normale, à M. Lavisse et il a fait de Fustel un très bel éloge
dans la Revue Historique. Guiraud a montré, à la Sorbonne,
que la meilleure préparation de l’histoire, n'ayons garde de
l’oublier, est l étude des textes de l’antiquité, et Gabriel
Monod, aux Hautes Études, a formé les maîtres dont les œuvres
tiennent une si grande place dans notre bibliographie.
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XII
ÉTUDE CRITIQUE
anglais, notamment l’excellent érudit Sir Henry Ho-
worth. Expliquons, en quelques mots, pourquoi,
après y avoir un instant songé, nous avons cru cette
tâche inutile. Les manuscrits de Dudon, sans être
extrêmement nombreux, sont très dispersés ; il en est
en Angleterre, à Cambridge; en Hollande, à Leyde;
dans les pays occupés par l’ennemi, à Douai ; leur
étude était donc chose fort difficile et même impos¬
sible en ce moment. Et, au reste, était-ce œuvre utile?
Ce qui est à refaire dans l’édition de M. Lair, c'est
l’introduction où il a entrepris la tâche impossible de
justifier toutes les assertions de Dudon. Mais l’éta¬
blissement du texte a été fait avec conscience. M. Lair
avait eu soin d’indiquer toutes les variantes des ma¬
nuscrits. Au point de vue du texte, nous travaillons
donc avec sécurité. Sans doute, il m’est arrivé, en l'étu¬
diant de près, d'y relever quelques fautes probables,
de différer d’avis, avec M. Lair, sur une ponctuation.
Ces vétilles ne méritaient pas que l’on publiât une
nouvelle édition.
Au contraire, ayant de Dudon et des sources de cet
auteur une idée radicalement différente de celle de
M. Lair, puisqu’aux yeux de celui-ci Dudon consti¬
tuait une source originale et, qu’aux miens, il est, au
contraire, tout entier fait d’emprunts qu'il s’agissait de
retrouver, il importait tout à fait de publier une étude
critique. Était-il nécessaire de prendre pour base de
cette étude une réimpression du texte ? Que l’on me
permette de dire que ce qui m’a définitivement dé¬
tourné de cette idée, c’est l'apparition de la nouvelle
édition de Guillaume de Jumièges, de M. Marx. Cette
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
XIII
édition, nous autres Normands, nous l’attendions avec
impatience, nous l’attendions de M. Lair, puis de
M. Lot ; c’est M. Marx qui nous l'a enfin donnée.
Nous lui en sommes profondément reconnaissants,
si vives qu’aient été les critiques que nous avons
adressées à son annotation au cours de notre livre.
M. Marx nous a, en effet, rendu le grand service de
nous donner, en un format maniable, un texte de
Guillaume de Jumièges, débarrassé des interpolations
et précédé d'une bonne introduction sur les manus¬
crits (i). Quant aux notes, elles sont insuffisantes ;
empressons-nous d'ajouter qu’elles devaient l’être. 11
est tout à fait impossible, en effet, de faire, en marge
d’une oeuvre qui pose autant de problèmes que celle de
Dudon ou de Guillaume de Jumièges, la critique de
l’auteur. Matériellement, notre livre va dépasser la
longueur du texte de Dudon. Que l'on imagine en
note une telle masse de discussions critiques. Il ne
nous échappe pas qu’elles sont déjà fort ennuyeuses
à lire, sous la forme où nous les présentons. Eùt-il
donc fallu les jeter en d’interminables commentaires?
Je crois, d’ailleurs, que nous devrions en revenir, en
matière de publication de textes, à la méthode de nos
amis anglais : dans la collection du Maître des Rôles,
ils s’attachent uniquement à nous donner un texte
sûr, avec les variantes, le font précéder d’une subs¬
tantielle introduction sur l’auteur, son œuvre, les ma¬
nuscrits, leur filiation, la méthode d’établissement du
(1) Voir cependant quelques réserves de M. C.-H. Haskins,
dans son compte rendu de YEnglish Hisiorical Revieu'.
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XIV
ETUDE CRITIQUE
texte, mais se gardent résolument d’en faire la cri¬
tique ; ils pensent, avec raison, que c’est là une autre
entreprise (i). Ace titre, les nombreuses éditions que
Stubbs a données dans cette collection sont des
modèles. Si M. Marx avait supprimé les notes de son
livre, on n’y aurait rien perdu ; les seules utiles sont
celles où il a noté les rapprochements avec Dudon,
mais ceci n’est point de la critique.
Ainsi, nous avons été amené à faire entrer tout
notre travail sur le De Moribus dans le cadre d'une
étude critique. Nous savons mieux que personne que
cette discussion continue des assertions de Dudon
est très pénible à suivre ; on nous reprochera peut-
être de ne pas avoir rejeté en appendice certains
exposés un peu longs et, en apparence parfois (2), un
peu éloignés du texte de Dudon, tels que la disser¬
tation sur Guillaume et le Coronement Looïs. Nous
répondrons que c’est à dessein et de parti pris que
nous les avons laissés à leur place, ainsi que certains
historiques, tel que celui de la question de l'origine
de Rollon, par exemple. Nous avons tenté ainsi de
rompre la monotonie d’un exposé fait uniquement de
discussions qui eussent toutes été conçues sur ce
plan : que dit Dudon ? où a-t-il puisé ces renseigne¬
ments ? quelle est la part de vérité dans son récit ?
discussions qui, se répétant indéfiniment, eussent
(1) La même idée est exprimée par MM. Cii.-V. Langlois
et Seignobos, Introduction aux Etudes historiques , Paris, 1898,
in-8".
(2) En apparence seulement.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN XV
produit la satiété. Enfin, nous avons essayé parfois,
ce qui n'était peut-être pas absolument nécessaire,
mais devait nous tenter, de combler les lacunes de
Dudon. Tantôt nous avons eu recours à d’autres
documents, tantôt nous avons fait des rapproche¬
ments que l’on qualifiera d’hypothétiques.
Expliquons-nous sur l’emploi de l’hypothèse.
Trouvera-t-on que nous en avons abusé? Nous répon¬
drons, avec M. Imbart de la Tour : « L'histoire
observe des faits. Comme elle ne voit les faits qu'à
travers les témoignages, elle fera donc la critique des
documents. Mais, comme les faits ne sont que des
débris épars, elle est aussi Y induction qui les ras¬
semble, les compare et les interprète (i) ».
Nous répéterons aussi, avec Renan, que l’histoire
est une pauvre petite science conjecturale ; qu'elle vit
donc nécessairement d'hypothèses; que l'hypothèse,
pourvu qu'on la prenne pour telle et qu’on ne la
transforme pas en certitude, est parfaitement légitime,
qu'au reste, l'histoire, comme toute science, vit d'hy¬
pothèses et, qu'ici comme ailleurs, l'hypothèse est
féconde. Sur certains points, nous avons essayé de
graduer l’échelle des probabilités qui va du doute
absolu à la certitude. Nous n'avons jamais perdu
de vue les textes ; nous nous sommes tenu à mi-
chemin entre une méthode hypercritique, qui, ne vou¬
lant rien admettre que d’évident, se refusant à voir ce
que peuvent encore contenir de vrai des sources déjà
(1) Le Pangn'manisme et la philosophie de l'histoire, dans
la Revue des Deux-Mondes, du l« r décembre 1915, p. 507.
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XVI ÉTUDE CRITIQUE
lointaines des événements, Sagas ou Vies de Saints,
et à dégager la parcelle de vraisemblance qu’elles
peuvent avoir gardée de rédactions antérieures, rédui¬
rait l'histoire à la stérilité, et une autre méthode qui,
combinant les suggestions de l’imagination avec les
données de l’archéologie, de la philologie, de l’ethno¬
graphie, de l’histoire et de la préhistoire, pourra pro¬
duire, maniée par un maître, d’incomparables chefs-
d’œuvre, mais sera toujours un modèle difficile à
imiter. Cette méthode restera pourtant plus sédui¬
sante que l’autre. Ici, d’ailleurs, nous ne voulions pas
raconter l’histoire des ducs de Normandie, mais
seulement poser les bases de cette histoire. Plus
tard, quand, le terrain ainsi déblayé, des reconnais¬
sances auront été opérées, si notre invitation est
accueillie, sur les ferres vierges ou mal explorées de
l’archéologie, du droit coutumier, du folk-lore, de
l’ethnographie, nous pourrons peut-être tenter de faire
la synthèse et d’écrire l’histoire de la Normandie.
Dans cet ouvrage de pure critique, nous nous en
sommes tenu aux textes et aux principes que nous
ont enseignés nos maîtres de la Sorbonne et des
Hautes Études. Si cet ouvrage pouvait être jugé
comme n’étant pas trop indigne de leur enseignement,
ce nous serait une récompense.
Henri PRENTOUT.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
XVII
BIBLIOGRAPHIE MÉTHODIQUE
i
SOURCES
A. — Annales, Chroniques
1° Dans le Recueil des Historiens de France, par des religieux
bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, continué
par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris,
1738-1870, 23 vol. in-folio, H. F. (I).
Carmen Adalberonis ad Rotberlum regem, X, 65-72.
Chronicon de Gestis Northmannorum in Francia, VII, 91-97.
Annales Metteuses , VII, 184-203 et VIII, 61-71).
Chronicon Fontanellense , VII, 40.
Chronique de Saint-Bénigne de Dijon , VIII, 240-244.
Chronicon Besuense , IX, 19-20.
Chronique de Massai, VIII, 230-231.
Fragmentant Historiœ Francorum, VIII, 231.
Aubry de Trois-Fontaines, Chronicon, IX, 57.
Chronicon : S. Martini Turonensis, IX, 46.
Chronique de Saint-Florent de Saumur , IX, 55.
Obituaire de Jnmiéges, XXIII, 117.
2° Dans les Monumenla Germaniœ histonca , Scriptores,
Hannoveræ, 1826-1896, 30 vol. in-folio, M. G. SS.
(1) Nous indiquons ici les abréviations usuelles que nous
avons employées dans nos références.
Il
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XVIII
ÉTUDE CRITIQUE
Prudentii Trecensis Annales , I, 429-454.
Folcuin, Gesta abbatum Lobiensium, IV, 6G.
Hugues de Fleury, Libellus de modemis Francorum regibus,
IX, 317.
Sigebert de Gembloux, Chronographia, VI, 268-274.
Réginon, Chronicon , I, 613-629.
Widukind, Res gestœ saxonicœ, III, 408-467.
Adam de Brême, Descriptio insularum aquilonis, dans
Gesta Hammaburgensis ecclesiæ pontificum, VII, 1-99.
Helmold, Chronica Slavorum, XXI, 337.
Annales Fuldenses, I, 406-409.
Translatif) S. Wandregesili, XV, 406-409.
Historia ecclesiæ Remensis, XIII, 409.
Gesta pontificum Cameracensium , VII, 389-439.
Annales Cadomenses, Annales Rotomagenses et Annales
Gemeticenses , XXVI, 488-500.
Annales Lindifameuses, XIX, 507.
Annales Fiscannenses, XVI, 482.
Annales Sancti Quintini Viromandensis, XVI, 507-508.
Annales Einsidlenses, III, 142.
Annales Elnonenses minores, V, 19.
Annales Mellicenses, IX, 496.
Nous avons toujours préféré les éditions plus
maniables, plus modernes, généralement supérieures,
des collections suivantes :
3° La Société d’Histoire de France, Paris, in-8°: S. II. F.
Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique , éd. Aug. Le Prévost
et Léopold Delisle, 5 vol., 1855.
Annales Uticenses, à la suite de la même édition, t. V,
pp. 139-173.
Annales Vedastini, éd. Dehaisnes, 1871.
Eginhard, Annales Francorum, éd. Teulet, 1840, 2 vol.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN XIX
■V» La Société d'Histoire de Normandie, Paris et Rouen,
in-8° : S. H. N.
Guillaume de Jumièges, Gesta Nonnannoruin ducum, éd.
Marx, 191-1.
Robert de Torigni, Chronique , éd. L. Delisle, 2 vol., 1872-
1878.
Rosi Hi ynes, Histoire générale de l'abbaye du Mont-Saint-
Michel, 1872-1873, 2 vol.
Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges,
éd. Loth, 1882,3 vol.
Toustain de Billy, Histoire ecclésiastique du diocèse de
Coutances, éd. Doldet, 1874, 2 vol.
4» Collection de Textes pour servir a l’Étude et a
l’Enseignement de l’Histoire, chez Picard, in-8".
Flodoard, Annales, éd. Lauer, 1905, fasc. 39.
Raoul Glaber, Hisloriurum liliri V, éd. Prou, 1880, fasc. 1.
Adémar de Ciiabannes, Hisloriurum libri III, éd. Chavanon,
1897, fasc. 20.
Habille, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, éd. Lot,
1894, fasc. 17.
Chronique de Nantes, éd. Mf.rlf.t, 1896, fasc. 19.
Chroniques des Comtes d'Anjou et des Seigneurs d’Amboise,
éd. Halphen et Poupardin, 1913, fasc. 48.
5» SCR1PTORES RERUM GERMAN1CARUM IN USUM SCHOLARUM,
Hanovre, in-8°.
Annales Bertiniani, éd. Waitz, 1883.
Riciier, Historiarum libri quatuor, éd. Waitz, 1877.
Abbon, De bello Parisiaco, éd. Pertz, 1871.
Gesta abbatum Fontanellensium, éd. Lœwenfeld, 1886.
6» Collection du Maître des Rôles, Rolls Sériés, Londres,
in-Rv, R. S..
Anglo-Saxon Chroniclc, éd. Thorpe, 1861, 2 vol.
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XX
ETUDE CRITIQUE
Guillaume de Malmesbury, De gestis regum Anglomm ,
éd. Stubbs, 1887, 2 vol.
The Warofthe Gaedliill icith the Gaill , éd. H.-J. Todd, 1867.
Les chroniques Scandinaves se trouvent dans les
collections suivantes :
7* Langebeck, Scriptores remm Dunicarum medii œvi,
Copenhague, 1772-1792, 7 vol. in-folio.
8° Monumenta Historien Norvegiœ , Lntinske Tildenskrifler ,
éd. Storm, Kristiania, 1880, in-8°.
Je n’ai eu qu’une fois à me servir du recueil de
Krantz, on le trouvera cité en son lieu, j'ai volontaire¬
ment négligé celui de Kruse, Chronicon Nortlnnnn-
norum , Hamburget Gotha, 1851, in-K
Les chroniques normandes sont dans :
9° Duchesne, Historié p Nonnnnnorum scriptores nntiqui ,
Paris, 1019, in-folio, nous y avons consulté quelques
sources, telle qu’une généalogie des ducs, mais la
plupart des œuvres chroniques ou annales qui s’y
trouvent ont été, depuis, éditées dans de meilleurs
textes.
Citons enfin quelques
10° Editions diverses :
Saxo Grammaticus, G esta Danorum , éd. Hôlder, Strasbourg,
1886, in-8\
Gesta Willelmi ducis Nonnnnnorum, éd. Giles, Londres,
18-45, in-8°.
Asser, De rebus gestis Ælfrcdi et rhronicon fani Sancti Ncoti,
éd. Stevenson, 1904, in-8°.
Chronique de Sainte-Colombe de Sens , dans Duru, Biblio¬
thèque historique de l'Yonne , Auxerre, 1850, 2 vol. in-4°.
Aimé du Mont-Cassin, L'Ystoire de li Normant, éd. Cham-
pollion-Figeac, Paris, 1835, in-8°.
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SIR DUDON DE SAINT-QUENTIN
XXI
B. — Vies de Saints, Translations de Reliques,
Traités Ecclésiastiques
Translatif) S. Maglorii , dans Mabillon, Annales Ordinis
S. Benedicti , Paris, 1700, 6 vol. in-folio, t. III, appendix,
p. 719.
Translatif) S. Launumari, Mabillon, Acta, SS. Ordinis Bene¬
dicti, Paris, 1680,9 vol. in-folio, Saec. IV, pars. 2, p. 215.
De Translatione SS. Ebrulfi, abbatis Uticensis et Ansberti
monarchi in cœnobium Rasbacense, Saec. V, p. 220.
Translatif) SS. Wandregesili , Ansberti et Wulframni in
monasterium Blandiniense , 9ii, Mabillon, AA. SS. V.,
199-213.
Vit a S. Maioli , abbatis Cluniacensis , Ibid., Saec. V, p. 700-811.
Vita S. Willelmi abbatis Divionensis , Ibid., Saec. VI, pars
1, p. 320-355.
Translatif) corporum beat ara ni Hegnoberti et Zenonis , dans
Luc d’Achery, Spicilegium, Paris, 1075, 13 vol. in-8°,
XII, 000.
Translatif) corporis S. A adorai dans Migne, Patrologie
latine , Paris, 222 vol. gr. in-8% CXLII, 1153-1103.
Liber de revelatione, œdificatione et auctoritale monasterii
Fiscannensis , Ibid., CXLI, c. 702-721.
Airnoin, Miracula Sancti Benedicti , Ibid., CXXXIX, c. 801-
851.
Robert de Torigni, Traite sur les ordres monastiques et les
abbayes normandes, connu sous le nom de De iinmu-
talione , à la suite de la Chronique, éd. L. Delisle.
Introductio monachorum et miracula insigniora Sancti
Michaelis dans les Curieuses recherches de dom Le Roy,
(Mém. Soc. Antiq., XXIX, 1877).
Analrcta archiepiscoporum Botomagensium, dans Mabillon,
Analecta , éd. in-8«, t. II, i37.
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XXII
ETUDE CRITIQUE
Historia archiepiscoporum Rothomagensium dans dom
Martène, Veterum Scriptorum collectio, Paris, 1700,
in-8».
C. — Sagas
Nous avons utilisé surtout les trois recueils sui¬
vants :
Snorré Sturleson, Heimskringla, Copenhague, 1777-1820,
0 vol. iu-folio.
Corpus poeticum boreale, éd. Vigfusson et POWELL, Oxford,
1883, 2 vol. in-8».
Origines Islandicæ, éd. Vigfusson et Powell, 1905, 2 vol.
iu-8».
Pour la critique des Sagas voir l'introduction de M. Vig¬
fusson à la Sturlunga Saga, Oxford, 1878, 2 vol. in-8",
et l’article de M. Alexander Bugce, Origin and credi-
hility of lhe Icelandic Sagas, dans VAmerican Historical
Review, XIV, janv. 1909.
D. — Chroniques en vers
Wace, Roman deRou, éd. Andresen, Heilbronn, 1877-1879,
2 vol. in-8".
Benoit, Chronique des ducs de Normandie, éd. Francisque
Michel, Paris, 1836-1814, 3 vol. in-i».
Mousket (Philippe), éd. Reiffenrerg, 1.1, Bruxelles, 1836.
E. — Chansons de geste
Le Coronemenl Loois, éd. E. Langlois, Société des anciens
textes, Paris, 1888, in-8».
Raoul de Cambrai, éd. Meyer, Id., Paris, 1882, in-8*.
Guillaume d'Orange, éd. Jonckbloet, La Haye, 1851, 2 vol.
in-8».
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
XXIII
Fierabras, éd. Guessard, Les Anciens Poêles de la France,
Paris, 1860, 10 vol. in-16.
F. — Recueil de lettres
Nous n'avons aucun recueil de lettres du temps
intéressant directement la Normandie. Pour les
lettres pontificales, voir :
Jaffé-Lœwenfeld, Rcgcsta pontificum rotnanorum, 2 e éd.
Leipzig, 2 vol. in-8».
G. — Recueil de chartes et diplômes
Nous avons utilisé les quelques rares documents,
intéressant directement ou indirectement la Nor¬
mandie, qui se trouvent dans
Les Historiens de France, notamment au tome IX ; dans
Tardif, Monuments historiques, Paris, 1866, in-A°; dans
les Monumenta Germaniœ, Diplomata, Hanovre, 1879,
in-i°, t. I, et le Gallia Christiana, instrumenta, t. XI,
Paris, 1759, in-folio.
Le Recueil des diplômes de Charles le Simple n'a
pas encore été publié.
Le Recueil des Actes de Louis IV, de M. Lauer, Paris, 19U,
in-i». Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-
lettres, ne contient aucun acte intéressant la Nor¬
mandie.
Le Recueil des diplômes de Lothaire et de Louis V, de
M. Halphen, 1908, in-P, nous a été fort utile pour notre
dernier livre.
Nous n’avons pas de recueil des diplômes des
premiers ducs normands.
Les recueils de chartes d'abbayes ne nous ont
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XXIV
ETUDE CRITIQUE
fourni que bien peu de choses. Les cartulaires des
églises et abbayes normandes ne contiennent aucun
document du X» siècle (1). Seuls nous ont été utiles
quelques cartulaires d’abbayes chartraines :
Le Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres, éd.
Guérard, Paris, tM10, 2 vol. in-i», celui de
Notre-Dame de Chartres, éd. Merlet et de I.ÉPIN01S, 1863,
3 vol. in-i*.
ou d'abbayes bretonnes, le Cartulaire de Redon, éd.
M. DF. Codhson, Paris, 1863, in-1", etc.
II
OUVRAGES MODERNES
A. — Histoire des Normands
Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands
et de leur établissement en France, Paris, 2° édition,
1814, in-8».
Vogel, Die Normanneni und dos Frankische Reich, Heidel¬
berg, 1906,in-8».
Dozv, Recherches sur l'histoire et la littérature de l'Espagne,
Paris et Leyde, 1881, 2 vol. in-8».
C.-H. IIaskins, The Normans in European History, Bostou
et New-York, 1915, in-8».
Couingwood, Scanditwvian Britain, Londres, 1908, petit
in-8".
(1) Le Cartulaire de Louviers, éd. par M. Bonnin, Evreux,
1870, 6 vol. in-8°, t. I, p. 1, contient un acte de Richard I”,
pour l'abbaye de Saint-Taurin, extrait du Délit Cartulaire de
Saint-Taurin, pp. 29-30, et du Grand Cartulaire de Saint-
Taurin, f° 1 ; niais les termes mêmes de la rédaction indiquent
qu'il ne s'agit pas de la transcription d'un diplôme original.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
XXV
Du Chaillu, The Viking Age. Londres, 1889, 2 vol. in-8®.
Worsaae, De Danske Erobring af En gin ml og Nonnanniet ,
Copenhague, 1863, in-8°.
Johannes Steenstrup, Normannerne , Copenhague, 1876-
1880,4 vol. in-8» ; le premier volume, Imlledning i Nor-
mannertiden , a été traduit du danois et abrégé par
l'auteur pour la Société d'Histoire de Normandie , t. X
du Bulletin, B. S. A., X.
Gustav Storm, Kritiske Bidrag lit \’ikingetidens Historié,
Kristiania, 1878, in-8°.
Et Alexander Bugge, Gange-Rolc og erobringen av Nor¬
mandie, Extr. de VHist. Tidsskrift, Christiania, 1911,
iu-8°.
B. — Histoire de Normandie
Licquet, Histoire de Normandie , Rouen, 1835, 2 vol. in-8».
Lair, Etude sur la vie et la mort de Guillaume Longue-Epée ,
Paris, 1893, in-folio.
H. Prkntolt, La Normandie, Paris, Cerf, 1910, in-8* (Collec¬
tion des Régions de la Frajice ), qui donne la Biblio¬
graphie.
Compte rendu des travaux du Congrès du Millénaire, Rouen,
1911-1912, 2 vol. in-i».
C. — Histoire d’Angleterre
Lappenberg, G esc hic h te von England, Hambourg et Gotha,
1834-1898,11 vol. in-8», trad. par Thorpe pour la partie
qui nous intéresse: .4 History of England under tlic
Norman Rings, Oxford, 1857, in-8».
FREEMAN, Tue History of lhe Norman Conquest of England ,
Oxford, 1867-1876, 5 vol. in-8°.
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XXVF
ETUDE CRITIQUE
Palgrave, Histonj of Nonnandy and of England , Londres,
1883, 4 vol. in-8®.
Oman, England before thc Norman Conquest , Londres,
1910, in-8°. t. I.
D. — Histoire de France
Lavisse, Histoire de France, Hachette, 9 vol. in-8®, surtout
le tome II, l r * partie, les chapitres de M. Pfîster et la
2® partie de M. A. Luchaire.
Dans la Collection de la Bibliothèque des Hautes-Études
Paris, in-8® :
Favre, Eudes , comte de Paris et roi de France , 1893,
fasc. 88.
Eckel, Charles le Simple, 1899, fasc. 121.
Lauer, Robert P* et Raoul de Bourgogne, 1910, fasc. 188.
Lauer, Louis IV d’Outremer , 1900, fasc. 127.
Lot, Les derniers Carolingiens, Lothaire, Louis V, Charles
de Lorraine, 1891, fasc. 87.
Lot, Études sur le règne de Hugues Capet, 1902, fasc. 147.
Pfîster, Études sur le règne de Robert le Pieux, 1885, fasc. 64.
Kalckstein, Geschichle des franzôsischen Kônigtums tinter
den ersten Capetingern, Leipzig, 1877, in-8*. — Robert
der Tapfere, Berlin, 1871, in-8®.
E. — Histoire d’Allemagne
Karl Lamprecht, Deutsche Geschichle, Berlin, 1891-1906,
12 vol. in-8*.
Dummler, Geschichle des Ostfrdnkischen Reichcs, Leipzig,
1887-88, 3 vol. in-8®.
Kopke et Dummler, Kaiser Otto der Grosse, Leipzig, 1876,
in-8*.
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SCR DL'DON DE SAINT-QUENTIN XXVII
F. — Histoire de Belgique, Lorraine, Provence
PlRENNE, Histoire de Belgique, Bruxelles, 2« éd., 6 vol.
in-8", 1.1, 1902.
Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, Paris.
1898, in-8\
Pobpardin, Le royaume de Provence, Paris, 1901, in-8»,
B. H. E„ fasc. 131.
G. — Histoire des Pays Scandinaves
Allen, Histoire du Danemark, trad. Beauvois, Copenhague.
1878, 2 vol. in-8».
Mimcil, Del Norske Folks Historié, Christiania, 1852-1859,
fi vol. in-8".
Borges Historié, t Biiuls, anden del Tidsrummet ca SOO-tOttO,
af Alexander Bugge, Kristiania, 1910, in-8".
Konrad Mâcher, Die Bekehmng des Noricegischen Staminés
:um Christenlhum, München, 1855, 2 vol. in-8".
Biant. Les Scandinaves en Terre-Sainte, Paris, 1885, in-8».
H. — Histoires provinciales de la Bretagne, du
Poitou, du Maine, de la Champagne
Latocche, Histoire du comté du Haine pendant le A» cl le
A /'■ siècles, Paris, 1900, in-8», fasc. 183, B. 11. É.
Dom Morice, Histoire de Bretagne, Paris, 1750-1752,
2 vol. in-folio.
Et Preuves de l'Histoire de Bretagne, Paris, 1712,3 vol. in-folio.
A. de la Boroerie, Histoire de Bretagne, Rennes, I90fi,
6 vol. in-8», t. II.
Richard, Histoire des comtes du Poitou, Paris, 1903, 2 vol.
in-8".
D'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne,
Troyes, 1859, 7 vol. in-8*.
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XXVIII
ETUDE CRITIQUE
I. — Histoire littéraire
BÉdier, Les Légendes épiques , Paris, 1908-1913, 4 vol. in-8\
Léon Gautier, Les Épopées françaises. Paris, 1865-1866,
4 vol. in-8*.
Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1865,
in-8".
Pineau, Les vieux chants populaires Scandinaves , Paris,
1898, in-8 # .
Nombreux articles de MM. Lot, Lauer et Gaston Paris
dans la Romania.
J. — Histoire des Institutions sociales et politiques
1. En général
Meitzen, Siedelung und agraruesen der Weslgermancn und
Oslgermanen , Berlin, 1895, 3 vol. in-8°.
Brussel (Nicolas), Nouvel examen de l'usage général des
fiefs en France , Paris, 1727, 2 vol. in-8*.
Laferrière, Histoire du droit français , Paris, 1852-1858,
6 vol. in-8 # .
Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France ,
Paris, 1891, 7 vol. in-8*. — Histoire du droit et des insti¬
tutions de l'Angleterre, Paris, 1882-1883, 6 vol. in-8*.
Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de
l'ancienne France, Paris, 1875-1892, 7 vol. in-8*.
Flach, Les origines de l'ancienne France, Paris, 1886, 1894,
1904, 3 vol. in-8*.
Viollet (Paul), Histoire des institutions politiques et admi¬
nistratives delà France, Paris, 1890-1903, 3 vol. in-8*.
CiiÉNON, Étude sur l’histoire des alleux en France, Paris,
1888, in-8*.
Guilhiermoz (Paul), Essai sur l'origine de la noblesse en
France au moyen âge, Paris, 1902, in-8*.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN XXIX
Lot, Fidèles ou vassaux? Paris, 1904, in-8 tf .
Luchaire, Manuel des institutions françaises . Période des
Capétiens directs , Paris, 1892, in-8*.
2° En Normandie
Léopold Deusle, Études sur ta condition de la classe agri¬
cole et de l'état de l'agriculture en Normandie au moyen
âge , réirapr. Paris, 19011, in-8\
Siox, Ij>s Paysans de la Normandie orientale, Paris, 1908,
in-8*.
Lagouelle, Essai sur la conception féodale de la propriété
foncière dans le très ancien droit normand, Paris, 190-2,
in-8*.
Rabasse, Du régime des fiefs en Normandie an moyen tige ,
Paris, 1905, in-8\
Flach, La Normandie était-elle un grand fief de la couronne?
Extrait du Compte lientla de l’Académie des Sciences
morales et politiques , 191 i, in-8".
Gén estai., Le parage normand, Caen, 1911, in-8*.
Yalin, Le duc de Normandie et sa cour , Paris, 1909, in-8".
K. von Amira, Die anfange des Normannischen Redits,
(Historicité Zeitschrift, t. 39, pp. 240-208).
Bruxner, Die Enstehung der Schwurgerichte, Berlin, 1871,
in-8".
Pollock et Maitlaxd, Tltc History of English laie, Cam¬
bridge, 2 vol. in-8".
Voir l'introduction de Stapleton aux Magni Rotuli Nor-
manniœ sub regibus Anglitv , Londres, 1810, 2 vol. in-8".
K. — Histoire de l’Eglise
1. En général
Rohrbacfier, Histoire universelle de f Église, Paris, 1842-
1849, 29 vol. in-8", t. VI.
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XXX
ETUDE CRITIQUE
Gregorovius (Ferdinand), Geschichte der Stadt Rom von
V bis zum XVI lahrundert, Stuttgart, 1870, 8 vol. in-8\
Labre et Cossart, Sacrosancla Concilia, Paris, 1671,
17 vol. in-folio.
Héfélé, Histoire des Conciles , trad. Delarc, Paris, 1871,
18 vol. in-8% t. VI.
Imbart de la Tour, Les Elections Episcopales dans l'Eglise
de France , Paris, 1890, in-8\
Duchesne (abbé), Les Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule,
Paris, 1900, 2 vol. in-8°.
Sackur, Die Cluniacenser in ihrer kirchliclien und allge-
meinen geschichtlichen Wirksamkeit bis zur Mitte des XI
larhunderts , Halle, 1892-1894, 2 vol. in-8\
Et Mabillon, Annales Ordinis Benedicti, déjà cité.
2. En Normandie
Gallia Christiana , t. XI, déjà cité.
Du Moustier, Neuslria Pia , Houen, 1663, in-folio.
I)om Pommeraye, Sanctœ Rothomagensis ccclesiæ concilia ,
Rouen, 1677, in-8\
Uom Dessin, Concilia Rotomagensis provinciœ , Rouen,
1717, in-folio.
Tiugan, Histoire ecclésiastique de Normandie, Caen, 1759-
1760, 4 vol. iu-4\
Dôhmer, Kirche und Staat in England und in der Noimian-
die in XI und XII lahrundert , Leipzig, 1899, in-8°.
Dom Pommeraye, Histoire de l’abbaye de Saint-Ouen de
Rouen, Rouen, 1662, in-folio.
Leroux de Lincy, Essai historique sur l'abbaye de Fccamp ,
Rouen, 1840, in-8*.
Lot, Etudes critiques sur l'abbaye de Saint-Wandrille, Paris,
1913, in-8°.
Goût, L'abbaye du Mont-Saint-Michel , Paris, 1910, 2 vol.
in-8°.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
XXXI
L. Debidour, Essai sur l'histoire de l'abbaye bénédictine de
Saint-Taurin d'Evreux, Evreux, 1908, in-8*.
Fa R in, La Normandie chrétienne ou Histoire des archevêques
de Rouen, Rouen, 1659, in-4*.
Dom PommeraYE, Histoire des archevêques de Rouen , Rouen,
1677, in-folio.
Mr Fuzet et clianoine Jouen, Liste chronologique des
archevêques de Rouen , dans Comptes, devis et inventaires
du pianoir archiépiscopal de Rouen, Paris et Rouen,
1908, in-4*.
Vacandard, Vie de saint Ouen , évêque de Rouen , Paris,
1902, in-8*.
Hermant, Histoire du diocèse de Bayeux , Caen, 1705, in-4\
Abbé LaFFETAY, Histoire du diocèse de Bayeux, AT//*’ et
XVIII 8 siècles, 1855, in-8°.
H. de Formeville, Histoire de l'ancien évéché-comté de
Lisieux, Lisieux, 1875, 2 vol. in-8".
Abbé IIommey, Histoire générale du diocèse de Sêes, Alen¬
çon, 1899-1900, 5 vol. in-8".
Pigeon, Le diocèse d’Avranches , Coutances, 1888, 2 vol.
in-8°.
Desroches, Histoire du Mont-Saint-Michel et de l'ancien
diocèse d’Avranches, 1838, in-8*.
Le Brasseur, Histoire civile et ecclésiastique du comté
d’Evreux , Paris, 1722, in-4 8 .
Alline et Loisel, La cathédrale de Rouen avant l'incendie
de 1200, Rouen, 1904, in-8°.
Enlart, Rouen, 1904, in-4*.
Nous avons l’agréable devoir de remercier ici le très
obligeant M. D. Bonnet, bibliothécaire de l’Université de
Caen qui nous a fait venir les livres nécessaires, M. Aksel
Andersson, bibliothécaire en chef de l’Université d’Upsal,
qui nous a donné de précieux renseignements sur les
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XXXIf
ETUDE CRITIQUE
articles des Revues Scandinaves, M. Buisson, conservateur
de la Bibliothèque de Chartres, et M. R.-N. Sauvage,
conservateur de la Bibliothèque de Caen.
Nous n’avons pas la prétention d’indiquer tous les
ouvrages que nous avons consultés, nous avons laissé de
côté tous ceux qui ne nous ont été d'aucune utilité : ainsi
nous n'avons pas encombré notre bibliographie des
anciennes histoires des ducs de Normandie ou des histoires
générales de Normandie. On en trouvera l'indication dans
notre Normandie, Paris, Cerf, 1910, in-8".
Nous n’avons pas indiqué, à part ceux qui ont une
importance exceptionnelle, les articles des périodiques ;
on les trouvera en leur lieu et place, avec toutes les indi¬
cations désirables. De même nous n’avons pas reproduit
ici le titre des ouvrages qui n'ont été cités qu’une seule
fois au cours de notre livre, pour une recherche spéciale.
Enfin nous n’avons pas cru devoir donner une bibliogra¬
phie de l’étude critique de Dudon de Saint-Quentin, ni de
l’origine de Rollon, puisque nous avons fourni toutes les
indications nécessaires au cours de l’historique que nous
avons tracé de ces deux questions.
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INTRODUCTION
L’Œuvre de Dudon
Son importance. — La préface obligée de foule
élude relative ù l’histoire de la Normandie est une
étude critique de l'ouvrage de Dudon de Saint-
Quentin, auquel on a donné le titre de De morikus
et actis primorum Normannite ducum. Quoi que l’on
pense des mérites et des défauts de celte œuvre,
il faut convenir qu'elle constitue la source princi¬
pale, sinon unique, à laquelle ont puisé tous ceux
qui ont essayé d écrire l'histoire de l'état normand,
de sa fondation, de ses débuts. Dès le XI 8 siècle,
Guillaume de Jumièges lui-même a déclaré que
jusqu'au règne de Richard II, il a suivi le récit
de Dudon de Saint-Quentin. Le plus souvent, en
effet, il n’a fait que le résumer; une étude appro
fondie de Guillaume Calcul montre cependant qu’il
a parfois suivi d'autres traditions ; tantôt il a
essayé d'expliquer l’ouvrage qui lui servait de guide,
tantôt avec une certaine critique qui lui fait
1
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ETUDE CRITIQUE
2
honneur, il s’en est résolument écarté ; l’œuvre du
chanoine de Saint-Quentin n’en constitue pas moins
la base essentielle de son exposé. Wace dans le
Itoman de Hou (i), Benoit dans la Chronique des Ducs
de Normandie (2) ont amplifié en vers romans la
prose poétique latine du doyen ; très souvent, ils
essaient visiblement, au cours de leurs développe¬
ments, de l’expliquer, de l’interpréter; mais ils ne
constituent eu quoi que ce soit, des sources indé¬
pendantes.
Ainsi, pour l’bistoire de la Normandie au X« siè¬
cle, les écrivains normands les plus reculés ont été
tributaires de Dudon ; à vrai dire, nous n'avons pas
d’autre source normande que celle là. Et comme les
Aunales franques contemporaines ne parlent qu’in-
cidemmenl de la Normandie, qu’avec Flodoard elles
sont singulièrement laconiques et qu’elles sont
suspectes avec Kicher, il en résulte que l’on en
revient toujours à Dudon.
Editions. — Et pourtant, nous n'avons de cette
œuvre que deux éditions : celle de Duchesne, dans
les Historien normannorum seriplores antiqui parue
en 1(119 (3) et celle beaucoup plus récenle de M. J.
Lair dans les Mémoires de la Société des Antiquaires
de Normandie (4). Les Bénédictins refusèrent de
(1) Ed. Andresen, lleilbronn, 1877-79, 2 vol. in-8".
(2) Ed. Francisque Michel, Collection des Documents
Inédits, Paris, 1836-1844, 3 vol. in-4°.
(3) Paris, in-folio, pp. 49-160.
(4) T. XXIII, 1865.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 3
taire place à Dudon dans le Recueil des Historiens
de la France et si Waitz l’admit dans les Monumenla
Iiermanice (1), ce n’est pas qu’il eût en lui grande
confiance, encore qu’il eût trouvé excessive la
sévérité des Bénédictins. En réalité, les édilions de
Dudon de Saint Quentin ne se sont pas multipliées,
parce que la critique historique a toujours tenu
son ouvrage en suspicion. Ce n’est pas, d’ailleurs,
que l’étude critique de l'œuvre du chanoine de
Saint-Quentin ait jamais été poussée à fond. Seul,
M. Lair dans l’introduction de son édition a entre¬
pris une étude critique complète, mais il n'est pas
téméraire d’affirmer que son étude qui date aujour¬
d'hui de cinquante ans, qui est écrite dans un
sentiment d’apologie et sans que l’auteur ait eu
connaissance de l’étude contemporaine du Dümmler,
est aujourd’hui périmée ; elle marque même un
recul sur certains écrivains qui, n’étudiant qu’en
passant l’œuvre de Dudon de Saint Quentin, en
avaient déjà vu les tares fondamentales. Faisons
l’historique de cette critique.
La Critique. — Au XVIII e siècle, un écrivain
breton, Dom Morice, relève déjà avec sévérité les
erreurs de l’apologiste des ducs normands (2).
Licquet, sans faire de cette œuvre une étude
particulière, traite volontiers de fables sorties de
(I) Mais pour quelques extraits seulement. SS. IV,
p. 93-106.
(‘2) Histoire de Bretagne, Paris, 1750-52, 2 vol. in-folio,
I, 970.
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4
ETUDE CRITIQUE
l’imagination du doyen les assertions de Dudon (1).
En 1840, Aug. Le Prévost, l’un des esprits les plus
fins et les plus critiques qu’ait produits l’érudition
normande, dans les notes de son édition de l’His¬
toire ecclésiastique d’Orderic Vital, se montre extrê¬
mement sévère pour notre auteur (2). Parlant de
Guillaume de Jumièges, il dit que : « bien supé¬
rieur à Dudon de Saint-Quentin, il a eu pourtant le
tort de reproduire et d’adopter presque toutes les
fables plus ou moins monstrueuses émises par son
devancier » ; et ailleurs : « L’ouvrage de Dudon est,
en effet, beaucoup moins de l’histoire proprement
dite qu'un panégyrique verbeux, emphatique et le
plus souvent mensonger des trois premiers chefs
normands. L’auteur, qui était pourtant si heureuse¬
ment placé pour recueillir et décrire avec vérité les
événements puisqu’il avait vécu à la cour de
Richard 1 er et de Richard II, les a presque toujours
négligés, altérés ou dissimulés pour les remplacer
tantôt par les exagérations de la plus impudente
flatterie, tantôt par des souvenirs pris au hasard
dans la vie de personnages antérieurs ou par des
traditions purement fabuleuses. Il en résulte que
c’est moins la lumière que des ténèbres visibles
qu’il a projetées sur le premier siècle de nos
annales (3) ». Depping, en sa seconde édition,
(1) Histoire de Normandie , Rouen, 2 vol. in-8°, 1835, I,
p. 46, 49, 71, 80.
(2) S. H. F., t. II, p. 3.
(3) Ibid., p. 2.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 5
constate que « le travail de Dudon est dépourvu de
tout esprit critique « ce qui ne l'empéclie pas de le
suivre très souvent (1).
En Allemagne, Lappenberg, l’historien de l’An¬
gleterre, dont l’œuvre a été longtemps classique,
parce qu’unique (encore qu’elle manque parfois de
critique) fut plus indulgent pour Dudon, il trouve
qu’il ne mérite pas le dédain dont il a été l'objet de
la part des Bénédictins (2). Le premier, confrontant
les récits de Dudon avec les sources, il y retrouve
certains faits rapportés par lechaDoine et lui en fait
un mérite, malgré l’altération qu’ils ont subie. Au
moment où paraissait la traduction anglaise de la
grande histoire d’Angleterre de Lappenberg, Pal-
grave, dans son Histoire de Normandie et d’Angleterre,
exprimait une opinion qui, si singulière qu’elle
puisse paraître, est fort intéressante, car elle résume
assez bien l'opinion et aussi la manière de beau¬
coup d’historiens de ce temps. « Quelques imper¬
fections, dit-il, que l'on puisse trouver dans la
forme de la narration de Dudon, je ne vois pas de
juste raison pour nous méfier de son autorité en
général. Si nous n’acceptons pas Dudon tel qu’il est,
(1) Histoire des expéditions maritimes des Normands et de
leur établissement en France au X e siècle, Paris 1844, in-8°,
p. 387.
(2) Gcschichtc von England, Hambourg Gotha, 1834-1898,
il vol. in-8°. et trad. Tliorpe, sous le titre A Ilistorg of
England under lhe Norman Kings , Oxford, 1837, in-8°.
Thorpe, en quelques-unes de ses notes, a rectifié l’opinion de
Lappenberg et s’est écarté de Dudon, notamment sur la
question de l'origine de Rollon, p. 7.
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6
ETUDE CRITIQUE
nous devons abandonner l’histoire des premiers
souverains normands » (1).
C'est bien en effet pour cette raison que quelques
historiens ont fait foi à Dudon ; ne voulant pas
renoncer à écrire l’histoire des ducs de Normandie,
ils acceptaient en bloc les récits du chanoine ;
Palgrave déclare qu’il a incorporé Dudon aux
Annales franques et germaniques ; sans elles, point
de dates ; sans lui, point de faits (2), et il appuie son
étrange raisonnement sur l’autorité de Guizot.
« Les érudits, dit celui-ci, ont amèrement repro¬
ché à Guillaume, moine de l’abbaye de Jumièges,
d’avoir reproduit dans les premiers livres de son
histoire des Normands la plupart des fables dont
son prédécesseur Dudon, doyen de Saint Quentin,
avait déjà rempli la sienne. Si Guillaume n’eût
ainsi fait, cette portion de son ouvrage n'existerait
pas, car il n’aurait eu rien à y mettre ; il a recueilli
les traditions de son temps sur l’origine, les exploits,
les aventures des anciens Normands et de leurs
chefs. A voir la colère de Dom Rivet et de ses doctes
confrères, il semblerait que Guillaume et Dudon
aient eu le choix de nous raconter des miracles ou
des faits, une série de victoires romanesques ou
une suite d’événements réguliers, et que leur préfé¬
rence pour la fable soit uue insulte à notre raison,
comme si elle était obligée d’y croire. Il y a, à
(1) History of Normandj and of England, London, 1883,
4 vol. i 11 -8', t. I, p. 750.
(2) Ibid., t. II, p. 908.
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Sl’H DL'DON DE SAINT-QL'RNTIN
quereller de la sorte les vieux clirouiqueurs, une
ridicule pédanterie ; ils ont (ait ce qu'ils pouvaient
faire ; ils nous ont transmis ce qu’on disait, ce qu’on
croyait autour d’eux ; vaudrait il mieux qu’ils
n'eussent point écrit, qu’aucun souvenir des temps
fqbuleux ou héroïques de la vie des nations ne fût
parvenu jusqu'à nous, et que l'histoire n’ait com¬
mencé qu’au moment où la société aurait possédé
des érudits capables de la soumettre à leur critique
pour en assurer l’exactitude. A mon avis, il y a
souvent plus de vérités historiques à recueillir dans
ces récits où sc déploie l’imagination populaire que
dans beaucoup de savantes dissertations (I) ».
On irait loin avec une pareille méthode ! Mais
c’était bien l'esprit des historiens de la première
moitié du XIX e siècle d'employer indifféremment
toutes les sources pourvu qu’elles fournissent des
faits intéressants.
Freeman montra plus de critique, il reprocha à
Dudon son manque de chronologie, le caractère
apologétique de son œuvre et se rendit compte que
l’auteur n'était pas contemporain des faits qu’il
rapportait (2). En même temps, la critique alle¬
mande se montrait plus défiante que ne l’avait été
Lappenberg. Waitz, tout en constatant les erreurs
de date, de personne et les mensonges de Dudon,
(1) Préface à la traduction de VHistoire dos ducs de
Normandie de Guillaume de Jumiêges, Caen, 1826, in-8°, p. v.
(2) The history of the Norman Conqitesl of England, Oxford,
5 vol. in-8", 1. (1867) p. 165, n. 1.
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s
ÉTUDE CRITIQUE
lui faisait place dans les Monumenta Germaniœ.
Toutefois, lorsqu’il étudia lui-même directement cet
auteur dans les Nachrichten von (1er koniglichen
Gesellsclmft der Wissenschaften zu Gollingen (t), il
fut beaucoup plus sévère ; il ne vit plus dans le
l)c moribus qu’une fiction poétique sur un fond
historique. Dümmler, le grand historien des Caro
lingiens, qui, à la même date, consacrait une
étude critique à Dudon, remarquait son art insup¬
portable, guindé, boursouflé ; il considérait son
œuvre moins comme une histoire que comme une
épopée : « Nous voyons les héros se présenter et
agir devant nous; leurs dialogues, leurs mots nous
sont rapportés, comme si le narrateur les avait lui-
même écoutés (2). » Coïncidence remarquable, à la
même date, paraissait la nouvelle édition de Dudon
de Saint Quentin par M. Lair.
Le mémoire de M. Lair avait été couronné par la
Société des Antiquaires de Normandie en 1859;
la Société publiait, en 1865, son édiLion de Dudon
de Saint-Quentin, précédée d'une Elude sur la vie et
l’œuvre de Dudon. Il est très regrettable que M. Lair
n’ait pas eu connaissance des travaux de la critique
allemande, l’eut être l'auraient-ils amené à rétléchir
sur certains points. Son système, toutefois, est
ingénieux. 11 affirme sans preuves que le doyen n’a
pas connu les Annales du X e siècle, puis retrouvant
(1) 1866, pp. 69-96.
(2) Xur Kritik Dudos von Sairit-Quentin, dans les Fors-
chungcn ztir Deutschen Gcschichte, Gôtlingen, 1866, t. VI, 377.
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SUR Dl’DON DE SAINT-QUENTIN 9
dans son œuvre, et défigurés par lui, les faits qui
sont dans les Annales, il déclare qu’il y a là une
preuve de sa véracité. Mais comment un fait changé
de date, altéré, attribué à un autre personnage,
peut-il être confirmé par sa similitude avec un fait
indiqué dans une source antérieure indiscutable ?
11 est certain que c’est l’auteur postérieur qui a
puisé à la source antérieure et a arrangé, pour les
besoins de la cause, l'événement qu’il y trouvait.
La réhabilitation de Dudon fut acceptée en Dane¬
mark où elle favorisait la thèse danoise sur la part
prépondérante des Danois dans la fondation de la
Normandie. M. J. Steenstrup, le grand historien
danois, écrivait en 1882, dans le Bulletin de la
Société des Antiquaires de Normandie, à propos de
Dudon: « 11 n’y a pas longtemps, cet historien ne
jouissait que d’un crédit très médiocre ; mais il a
obtenu réparation d'honneur auprès de la critique
moderne (I) ». D’ailleurs, M. Steenstrup lui même
ne s’est pas livré à une élude du De moribus, il s'en
rapporte à M. Lair.
En 1878, l'historien norvégien Storm contesta
avec force la thèse danoise et aussi l'autorité de
Dudon (2) ; mais en Allemagne, Kalckstein (3) a
(1) Eludci préliminaires pour servir l'histoire des Normands
et de letirs invasions , trad. de YIndledning i Normannertiden
par l'auteur lui-même. Bulletin de la Société des Antiquaircs t
t. X, p. 263.
(2) Kritiske Bidrag lil Vikingctidens historié Kristiania.
1878, in-8°.
(3) Gcschichte des franzôsischen Kôniglums unter den ersten
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10
ETUDE CRITIQUE
volontiers utilisé Dudon. Karl von Amira dans le
compte rendu des Normannerne (1) lui était également
favorable, sous l’influence de Steenstrup ; cependant
en Angleterre la véracité de Dudon était niée de
la façon la plus véhémente par un savant anglais,
sir Henry H. Howorlh, dans l’Archœologia de 1880.
Ce savant, dans un vigoureux article, s’est efforcé
de démontrer qu’il n’y avait pas un mot à croiredu
récit de Dudon relatif à Rollon (2).
Depuis quelques années, les savants français qui
se sont chargés de la rédaction des Annales de l’His¬
toire de France à l'époque carolingienne, ont dû
faire la critique de l’œuvre de Dudon. Dans le Charles
le Simple, M. Eckel s’est montré hésitant, il accepte
et rejette tour à tour l’autorité du Doyen (3). M. Lot,
dans les Derniers Carolingiens, a été plus ferme ;
parlant d’un épisode du régne de Richard I er , il
écrit : « Le récit de Dudon présente un mélange de
fables, d’invraisemblances, d'exagérations de toutes
sortes ; il y prodigue des louanges hyperboliques en
faveur de ses bienfaiteurs, les ducs de Normandie.
Les discours qu'il prête à ses personnages sont ridi-
Capelingern. Leipzig, 1877, in-8°. L'ouvrage de Kalckstein a
été jugé à sa juste valeur, qui est mince, dans un compte
rendu de Y Histonsche Zeitschrift, t. XLIV (1880) p. 187.
(1) nistorische Zeitschrift, t. XXXIX (1878) p. 241.
(2) /I crilicistn of lhe life of ltollo, as told bij Dudo de
Saint-Quentin, dans YArchæohtgia, XLV, 1880, pp. 235-2Ô0.
(3) 11 attribue ses erreurs à ltaoul d’ivry, Charles le Simple,
Paris, 1809, in-8°, p. 9.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
il
cules et d’une fausseté criante. Nous avons donc
toutes sortes de raisons de nous méfier de Dudon de
Saint Quentin (1) ». M. Lauér, dans le Louis d’Outre-
mer, donne une opinion intéressante : « Dudon, dit-
il, semble s’être borné à mettre en latin assonancé,
entrecoupé de pièces de vers, une œuvre en langue
vulgaire formée presque spontanément par la juxta¬
position de t’outes les fables qui avaient cours à la
fin du X e siècle et au commencement du Xl° sur les
invasions normandes et sur les premiers ducs de
Normandie. Déclarer cette œuvre historique, c’est,
croyons-nous, aller trop loin » (2). M. René Merle! a
remarqué que Dudon dénaturait tout ce qui tou¬
chait aux rapports politiques des premiers nor¬
mands avec les Bretons (3).
( 1 ) Les derniers Carolingiens, Paris, 1891, in-8°, p. 3W>.
L'auteur termine d'une fa^on plus indulgente par un rappel à
l'autorité de Raoul d’ivri. Il est vrai, d'ailleurs, que pour la
période étudiée par M. Lot. Dudon est moins invraisemblable,
moins entaché d’erreurs.
(2) Le règne de Louis IV d'Qutremer, Paris, 1900, in-8",
p. XIII.
(3) Les origines du monastère de Saint Magloirc de Paris,
dans la Bibliothèque de l’Ecole des Charles , LVI, 260. Notons
encore un article de M. Monod dans la Becue Historique ,
t. XXVIII, p. 267 qui se borne à signaler le caractère apolo¬
gétique de l’oeuvre de Dudon. Citons pour mémoire l'article
«le M. Edward Montier: Les Moines Chroniqueurs normands
dans le Précis Analytique des Travaux de l'Académie de
Rouen, 1912, pp. iô6-46i. Remarquons encore que dans un
ouvrage tout récent qui a paru pendant l'impression du nôtre,
M. Charles-ll. IIaskins, un historien américain qui a publié
déjà de très nombreux et intéresants articles dans 1 American
Historical Revieiv et dans YEnglish Historical Review sur les
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12
ETUDE CRITIQUE
Il y a lieu de substituer aujourd’hui à tous ces
jugements fragmentaires une étude d’ensemble.
Quelques critiques ont aperçu l’un ou l’autre des
caractères de l'œuvre du chanoine. Aucun ne l’a
nettement définie. C’est que, sauf M. Lair aveuglé
par un parti pris apologétique d’éditeur, aucun n’a
étudié l’œuvre dans son entier ou à fond ; chacun l’a
vue sous un angle différent et n’a ainsi entrevu
qu’une partie de la vérité.
Il faut d’ailleurs un très long contact avec cette
œuvre quelque peu fastidieuse pour en saisir tous
les caractères. D’autre part on ne saurait la juger
saus une étude précise de toutes les sources contem¬
poraines et aussi du milieu littéraire et de la
société du temps pour dégager les circonstances
dans lesquelles elle s’est produite. 11 faut surtout,
et c’est là l’objet principal de notre étude, essayer
de se représenter quelles en purent être les sources.
Ce sera là le gros de notre travail et sa partie
originale que cette recherche critique des sources
de chaque paragraphe de cette œuvre, de chaque
assertion de notre auteur. Mais auparavant il est
nécessaire de refaire, après M. Lair, l’étude biogra¬
phique du personnage, l’étude du milieu littéraire
d’où elle est sortie. Ici, nous serons plus brefs,
n’ayant rien d’essentiel à ajouter à la préface de
institutions de la Normandie, fait siennes nos conclusions sur
Itudon de Saint-Quentin : « Seule, dit-il, la critique la plus
circonspecte peut tirer un petit nombre de faits de cette
rhétorique confuse et redondante ». (The Xormans in European
history, Boston and New-York, 1915, in-8°, p. 47).
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
13
notre prédécesseur, et les cinquante années écoulées
n'ayant apporté aucune révélation sur la vie de
Dudon.
L'auteur et le milieu
Vie de Dudon. — Comme beaucoup d’auteurs de
ce temps, il ne s’est guère soucié de nous renseigner
sur sa vie, son éducation et ses goûts. On l'a
quelquefois cru normand, c’est une erreur commise
par Vossius (1) et les auteurs de la G'allia Chris-
tiana (2). Deppingen a fait un moine de Jumièges (3).
Il le confondait avec son abréviateur Guillaume
Calcul, dit de Jumièges. Dudon de Saint-Quentin
dit lui-même qu'il n’était pas normand. On peut
supposer qu’il était originaire du Vermandois et
peut être de Saint-Quentin même. M. Lair suppose
qu’il était né vers 960 (4). Nous ne savons rien de sa
vie avant les premières aunées du règne de Hugues
Capet. Ce roi en querelle avec le comte Albert de
Vermandois s’apprêtait à marcher contre lui
lorsque celui ci sollicita l’intervention du duc de
Normandie, Richard l or , et lui adressa Dudon qui
fut bien accueilli. « Il visita les principaux monas¬
tères et il parait avoir aflectionné surtout celui de
(1) De Historicis lalinis , p. 356.
(2) Gallia Christiana. t. IX, c. 1045.
(3) Expéditions maritimes des Normands , Paris, 1844,
p. 359.
(4) P. 18.
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14 ÉTUDE CRITIQUE
Fécamp (1) ». Il avait su gagner les sympathies du
duc Richard I er qui lui donna deux bénéfices dans
le pays de Caux et l’appela fréquemment à sa cour.
Dudon dit qu'il y venait souvent dans les deux
années qui précédèrent la mort de ce prince (990).
Le chanoine était un lettré; deux ans avant de
mourir, Richard lui offrit d’écrire une histoire de
Normandie, ce que Dudon promit, après les résis¬
tances d’usage eu ce cas. Il revint encore en Nor¬
mandie sous Richard II ; en 1015, le duc, sans doute
sur sa demande, confirmait la donation que lui avait
faite son père et la transmettait aux chanoines de
Saint-Quentin, Dudon n’en conservant que l’usufruit.
M. I.air suppose que Dudon voulait ainsi gagner les
suffrages des chanoines de cette église ; il y réussit,
car, en tête de son ouvrage, il prend le titre de
doyen. On peut donc, avec assez de vraisemblance,
supposer qu’il a commencé à cette date la rédaction
de son ouvrage. Nous ne savons quand il l’a terminée,
mais c'est certainement avant 1026, car dans le
prologue de son œuvre, il dit qu'il écrit cette
histoire à la prière de Richard I 6r et de son fils
encore vivant (2), or le duc Richard II est mort
en 1026.
Nous ignorons quand le chanoine mourut. Eu
1043, il avait un successeur au doyenné de Saint-
Quentin. Ainsi on peut placer vers 994 la date du
(1) Ed. Laui, p. 19.
(2) Itl. p. 119.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 15
début de ses recherches, vers 1015, le début de sa
rédaction.
Le milieu littéraire. — Dudon de Saint-Quentin
n'est pas un normand. Si l'on veut comprendre
son œuvre, il ne faudra jamais perdre de vue cette
remarque ; il n'a pas été élevé dans le milieu
normand. Intelligent et lettré, il arrivera à se faire
de cette société, nouvelle pour lui, une idée assez
juste : mais il ne peut nous peindre, d'après ses
propres souvenirs, ce qu’a été cette société, si
curieuse évidemment née du contact et du mélange
des populations franques et des envahisseurs Scan¬
dinaves avec les colons appelés par Rollon. Ce qu'il
sait de la Normandie, il le sait par les livres, par la
tradition orale parfois, mais presque toujours par la
tradition orale recueillie à la cour des ducs ; enlin,
sans doute, par quelques séjours à l'abbaye de
Fécamp, abbaye de cour où les ducs étaient élevés,
baptisés, inhumés.
Si Dudon de Saint Quentin a été bien accueilli à
la cour de Richard I" r et de Richard 11, c’est préci¬
sément qu’il venait du dehors, d’un pays de lettrés,
d'un centre Iitléraire qui n’existait pas dans la
Normandie du X 8 siècle. Les invasions avaient
plongé ce pays dans la barbarie. Les plus célèbres
abbayes normandes avaientétédétruites, les moines
de Fontenelle s’étaient enfuis dans le nord de la
France (1), les moines et le clergé de l’ouest de la
(1) Lot, Etudes critiques sur l'Abbaye de Saint Wantlrille,
Paris. 1913, in-fp, p. XXXVI »</</.
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ETUDE CRITIQUE
Normandie avaient émigré tantôt vers la grande
ville de Rouen où se réfugièrent les évêques de
Coutances (I), tantôt vers l’ile de France, vers
Paris (2). Il n’y a plus de vie littéraire. Un
manuscrit de la loi wisigothique provenant de
l'abbaye des Deux-Jumeaux renferme un commen¬
taire en latin barbare (3). Le seul écrit sorti des
monastères de la Normandie en ce temps est la très
sèche et toute locale chronique de Fontenelle (4).
Le clergé normand est un clergé barbare dont les
mœurs sont mauvaises, brutales et débauchées.
L’œuvre de la réforme n’a été tentée que timidement
par Richard I or , elle ne sera poursuivie avec
quelque suite que par Richard II et surtout par
Guillaume le Conquérant.
Aussi, n’est-il pas étonnant que les ducs, voulant
faire écrire leur histoire, se soient adressés à ce
clerc du Vermandois que le hasard leur adressait.
Or, le chanoiue de Saint-Quentin vivait, tout au
contraire, dans un milieu très lettré, milieu très
particulier sans doute où on se préoccupait plus de
belle prose, de recherches de style, d’exercices dans
(1) Bôhmkr, Kirche und Staat in England und in der
Normandie in XI und Xli Jahrhunderl', Leipzig, 1899, in-8°,
p. 4.
(2) R. Merlet, op. cit., p. 238.
(3) Lair, p. 10.
(4) Imprimée dans le Spicilegium de d'AciiERY, au
tome III, pp. 185-270 et sous le dire de : Gcsla abbatum
Fonlanellemtium , par Lœwënfeld. Monumenta Germanise ,
in usum scholarum , Hanovre, 1886, in-8°.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
17
tous les mètres possibles, que de critique historique
et de recherches approfoudies. Il dédia sou œuvre à
l’évêque de Laon, Adalbéron. Celui-ci lut sans doute
son protecteur, peut-être son maître ; il semble
avoir été son modèle. Cet Adalbéron est un lettré
qu’il faut connaître pour comprendre Dudon.
Adalbéron. — Ne confondons pas ce personnage
avec l’archevêque de Reims du même nom : il
s’agit d’Adalbéron-Asselin qui est resté le type du
traître classique ; son nom a passé avec ce caractère
dans les récits populaires. Au moment des luttes
entre Hugues Capet et Charles de Basse-Lorraine, il
eut un pied dans les deux camps, attira Charles et
l’archevêque de Reims Arnoul dans sa ville épisco¬
pale ; il alla même jusqu’à prêter serment à Charles
pour endormir sa défiance, puis le fit prisonnier
dans la nuit du 29 au 30 mars 991, le livra à
Hugues et assura ainsi le triomphe des Capétiens (1).
Il mourut vers 1030, il était évêque depuis 977. 11
ne mérite guère les éloges dont le comble Dudon qui
le place au nombre des douze apôtres et trouve
toutes les vertus dans le chiffre 12. Ces éloges
ampoulés s’expliquent par ce fait qu’Adalbéron est
lui même un écrivain, un lettré, auteur d'un
Carmen Adalberonis ad Itotbertum regem (2), d’un
poème sur la Trinité que le roi Robert lui demanda
(1) Lot, Les Derniers Carolingiens , p. 274, et Hugues Capet ,
Paris, 1903, in-8°, p. 29.
(2) H. F. X M 65-72.
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ETUDE CRITIQUE
et enfin très vraisemblablement, vu la ressemblance
du style, la recherche et l'abus de l'érudition, d’un
Rythmus satiricus dirigé contre le comte de Nevers,
l.andri qui avait favorisé le mariage de Robert avec
Berthe, veuve d’Eudes de Chartres (1).
Or, Dudon est comme son rnaitre un poète, un
poète de cour, un érudit. Non seulement sa prose
est chargée d’expressions poétiques, mais elle est
constamment coupée de pièces de vers dédiées à
l’archevêque de Rouen, Robert, autre prélat de
cour, son protecteur, à Raoul d’Ivri, aux ducs, à la
ville de Rouen. Dans ces vers, M. I.air n’a pas
relevé moins de vingt mètres différents. C’est uu
amateur de poésie latine que Dudon. Sa langue est
poétique, chargée de réminiscences de Virgile et
aussi d’assonances.
Il faut reconnaître que Dudon est un vrai lettré.
Savait-il le grec? On l'a nié. Il connaît les noms
grecs des neuf muses, il intercale quelques mots
grecs dans sa prose. Comme ces mots sont souvent
défigurés, on a dit que sa connaissance de la langue
grecque devait être bien superficielle. Mais ce sont
là sans doute fautes de copistes. Une étude appro¬
fondie de Dudon montre que certaine connaissance
géographique ne peut venir jusqu’à plus ample
information que de sources grecques (2).
(1) Huckel, Les Poèmes satiriques d'Adalbéron dans La
Bib. de la Faculté des Lettres de Paris, et Lot, Hugues Capet,
app. XII.
(2) Voir l'examen critique du Livre I er .
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
(Q
Incontestablement, c’était, au milieu de la bar¬
barie du temps, un homme fort instruit.
11 ne s’ensuit pas que ce fut un historien. C’est un
poète, c'est aussi un rhéteur, toujours prêt à faire
parler les personnages qu’il met en scène et à placer
dans leur bouche de longs et insupportables discours.
II a d’ailleurs un très réel talent descriptif en prose
ou en vers ; notons révocation de Rouen, le tableau
des funérailles de Richard 1 er , le récit du combat de
Lèves.
Dudon appartient, M. Lair le remarque avec
beaucoup de justesse, à une école qui a commencé
au IX» siècle et qui ne serait pas mal caractérisée
par le nom d’école pittoresque. On sait ce qu’il faut
entendre par là : des tableaux, des discours, des
scènes dramatiques, des dialogues, des récits détail¬
lés d’événements dont en réalité on ne sait rien. On
fait vivant, mais on ne se soucie pas de faire vrai. Il
y a de tout cela dans Dudon, et personne n’eut
moins que lui le souci d’être exact. Et au reste,
encore qu’il y ait quelque talent littéraire, du
plus mauvais aloi, dans son œuvre, ce talent est
insupportable. Il est insupportable précisément à
cause de l’effort que nous sentons dans tout le récit,
des ellets de style, des recherches d’assonance. Si
l’on voulait guérir les historiens de la recherche
dans l’expression, on les engagerait à lire Dudon,
qui l’a poussée, son éditeur en convieut, jusqu’à
l’absurdité.
Caractères de l’œuvre. — Poète et rhéteur, ama-
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ETUDE CRITIQUE
teur de pittoresque, voilà trois défauts impardon¬
nables chez un historien; ajoutons-y le goût du
délayage, le besoin de raconter eu six pages ce qui
pouvait se dire en quelques lignes, la manie d'intro¬
duire dans sa narration des dialogues, des discours
par où, évidemment, il croit se rapprocher des
grands modèles de l’antiquité, de Tite Live, par
exemple.
Enfin c'est une œuvre apologétique. Dans sa com¬
position même, ce dessein s’annonce ; qu’elle ait
trois livres comme l'édition de Duchesne, quatre
comme celle de Lair, c’est toujours une série de
biographies : Hasting symbolise les invasions,
Rollon, l'établissement des Normands, Guillaume
Longue Epée, c’est le Normand christianisé,
Richard I er , le véritable fondateur de la Normandie.
Or, en tout temps, l'inconvénient de l’histoire par
biographies, c’est que l’auteur grossit démesurément
ses héros, cristallise tout autour d’eux quantité
d'événements auxquels ils n'ont pas toujours pris
part. Dudon a fait des invasions normandes un récit
incompréhensible, plein d’inexactitudes, de fantaisie
et de lacunes parce qu’il les a groupées autour
d’Hasting et de Rollon. Pour rendre la chose vrai¬
semblable, il a supprimé la chronologie. — Et ici,
nous prenons Dudon en flagrant délit d’erreur; car
Godfrid, Ragnar Lodbrok, Bioern, Siegfrid, ont
opéré successivement dans la vallée de la Seine, et
Rollon n’y apparaît avec certitude qu’après l’échec
de Chartres. Mais c'est là précisément le procédé de
Dudon : il cristallise autour d'un nom tous les évé-
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
21
nements de lui connus. Il y a là un artifice auquel
sont enclins tous ceux qui font de l’histoire par
biographies, en quelque siècle que ce soit.
Cette tendance à grossir démesurément son héros,
nul n’y a moins échappé que Dudon, car il était
payé pour cela : il faisait une histoire sur com¬
mande ; il avait reçu de beaux bénéfices dans le pays
de Caux, il lui fallait encore payer de retour les
ducs, ses protecteurs, et leur donner de la gloire
pour leur argent ; encore réclame-t-il son salaire à
la fin de son livre. Et, en effet, l’œuvre de Dudon
a bien ce caractère, qu’on n’a pas assez remarqué,
qu’elle est une œuvre commandée, payée et, par
conséquent , destinée à un certain effet.
C’est un écrit politique, rédigé à une certaine date
et pour certaines raisons. Il ne faut jamais perdre
de vue, en étudiant un ouvrage, la date et les
circonstances de sa composition. On a trop traité
l’œuvre de Dudon comme s’il s’agissait d’une chro¬
nique ou d’annales. C’est une composition litté¬
raire dont il faut rechercher les origines.
Entre 994 et 1015, régnent Richard I" et Richard II,
ce sont de puissants princes. Richard I° r est le véri¬
table fondateur de la Normandie; si la première
partie de son règne a été troublée de 942 à 965, d’une
part, par les tentatives de Louis d’Outremer pour
s’emparer du duché, d’autre part, par de nouvelles
invasions, de 965 à 996 il a restauré la Normandie,
l’a remise en valeur. Richard If, qui règne trente
ans, de 996 à 1026, a été également un prince très
puissant, l’allié du capétien Robert le Pieux. Les
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ÉTUDE CRITIQUE
ducs interviennent alors comme alliés du roi dans
les affaires de Bourgogne, dans celles de la maison
de Blois: Dudon de Saint Quentin devaitsa situation
auprès des ducs à son intervention dans les aflaires
du Vermandois. Enfin, la Bretagne a une grande
importance dans la politique des ducs de ce temps-
là. En 992, deux ans avant la date à laquelle
Bichard 1 er demande à Dudon d’écrire l’histoire des
princes normands, il a pris sous sa protection la
faible maison des comtes de Rennes ; des mariages
ont eu lieu : Geoflroi, fils de Conan le Tort, épouse
Havise, fille du duc Richard I"; sa sœur, Judith,
épouse le duc Richard II. Les ducs de Normandie
avaient un grand intérêt, appuyés sur de telles
alliances, à maintenir dans leur dépendance les
comtes de Rennes, à les considérer, à les voir consi¬
dérés comme des vassaux. On comprend alors que
Dudon, dans tout le cours de son histoire, depuis le
traité de Saint-Clairsur-Epte jusqu’à la fin du règne
de Richard I er , représente la Bretagne comme
dépendant de la Normandie. Selon lui, la Bretagne
a été abandonnée par Charles le Simple à Rollon à
titre de fief ; il y a à cela deux impossibilités, l'une
de droit, les Carolingiens ne possédant pas la Bre¬
tagne et ne pouvant pas la donner; l’autre de fait,
ce sont les Normands de la Loire qui, à partir de
919, sont maîtres de la Bretagne ; cela n’empêche
pas Dudon d’y installer les Normands, de repré¬
senter les chefs bretons comme prêtant serment de
fidélité au duc Guillaume et au duc Richard, toutes
choses qui ne sont affirmées que par lui. De toutes
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
23
les inventions du Doyen, la cession de la Bretagne à
Rollon est celle qu’il est le plus facile de percer à
jour dès qu'on veut la discuter ; c’est aussi celle qui
révèle le mieux les tendances et le but de l'auteur.
Mais il en est d’autres qui portent aussi leur date.
Si Dudon attache tant d’importance à affirmer la
parenté de Rollon avec les rois de Danemark, s’il
insiste, avec beaucoup d’exagérations et en dénatu¬
rant les faits, sur les rapports entre le Danemark et
la Normandie, c’est qu’il y a eu, à la date à laquelle
écrivait Dudon, un traité d’alliance, déterminé par
des circonstances très particulières, entre Richard If
et le roi de Danemark. Si Dudon appelle Rollon duc,
c’est encore un anachronisme; ce titre, les chefs de
l’Etat normand n’ont commencé à le porter qu’au
temps de Richard II qui semble l’avoir pris le pre¬
mier et qui l’emploie concurremment avec d’autres.
Chargée de légendes et de fictions poétiques,
pleine des développements verbeux d’un rhéteur du
temps, œuvre composée par biographies, apologie
sans mesure, l’histoire de Dudon n’est, en outre
qu’un écrit politique rédigé à une certaine date pour
une certaine cause, bien payé et portant en soi sa
marque pour qui veut l’y découvrir, plein d’erreurs
du fait d’un écrivain non normand d’origine et qui
juge le passé de la Normandie à la lumière du présent.
Néanmoins et à cause même de ces erreurs, cette
œuvre vaut la peine d’être étudiée avec soin, elle
vaut que l’on en cherche toutes les sources, que
l’on y fasse le départ exact entre l’inventioD, la
légende et le résidu historique.
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ETUDE CRITIQUE
Composition et sources de l’œuvre
Nous avons dit que Dudon délaye. Que délaye-t-il ?
C’est la question de l'origine de son œuvre et de ses
sources, et par là nous abordons la critique interne
de l’œuvre.
Raoul d’Ivri. — On a dit que Dudon de Saint-
Quentin n'avait fait que reproduire une histoire
écrite par Raoul d'Ivri. Ce Raoul d’Ivri est le fils
d'un noble normand et de Sprota, concubine de
Guillaume Longue Epée et mère du duc Richard ;
il est par conséquent le demi-frère de Richard I w .
Il vivait à la cour de Richard I er et de sou neveu
Richard II, il était comte d’Ivri et jouissait à la cour
d’une grande autorité.
Dudon a été particulièrement lié avec ce Raoul
d'Ivri. Celui ci a été son protecteur; il a, en 1015,
sollicité les faveurs du duc Richard II pour le
chanoine. Le Doyen, dans des vers qu’il adresse à
Raoul d’Ivri au commencement de son œuvre,
l’appelle relatnr hujus operis. Or on a soutenu que
Raoul avait lui-même composé auparavant une His¬
toire des Normands ; si cette histoire avait été écrite
en vers, on s’expliquerait que Dudon semble quel¬
quefois mettre en prose un poème épique. L’abbé
des Tuileries voyait une confirmation de cette thèse
dans un passage de Guillaume de Jumièges : celui-ci,
en terminant l'histoire de Richard I er , dit qu’il a
rassemblé tout ce qui a été écrit dans son livre
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
25
d’après les récits du comte Raoul, frère de ce duc.
De ces deux textes, l’abbé concluait que Raoul était
l'auteur d’une Histoire des Normands. Mais un autre
passage de Guillaume de Jumièges montre bien ce
que celui ci a voulu dire : « J'ai emprunté, dit-il
ailleurs, le commencement de mon récit jusqu’à
Richard II à l’histoire de Dudon, homme habile qui
a composé pour la postérité un manuscrit d’après
les renseignements du comte Raoul, frère du duc
Richard 1 er (1) ».
On a cru autrefois à l’existence d’une Histoire des
Normands indépendante de l’œuvre de Dudon. Mais
vérification faite, il s’agissait de deux manuscrits
dont l'un se trouvait à la Bibliothèque Cottonienne
et est aujourd’hui au British Muséum, dont l'autre
a passé de la Bibliothèque de l'abbaye de Saint-
Évroul à celle d’Alençon (2) ; tous deux contiennent
l’œuvre de Dudon, moins les vers. Il est donc dif¬
ficile d’admettre aujourd'hui qu’une Histoire des
Normands aurait été écrite par le comte Raoul
avant celle du Doyen. Sans doute, celui-ci, à la fin
de la poésie adressée au comte d’Ivri, en tête de son
ouvrage, s'écrie :
Cujus quæ constant libro hoc conscripta relatu,
Digessi attonitus, tremulus, hebes, anxius, anceps.
« C’est sous sa dictée que j’ai écrit tout ce qu'il
y a dans ce livre, étonné, tremblant, stupide,
(1) Ed. Marx, S. H. N. Paris et Rouen, 1914, in-8, p. 2.
(2) Ce manuscrit a disparu.
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ETUDE CRITIQUE
anxieux ». Pauvre chanoine en présence des récits
d’un grand prince! Mais cela même marque bien
qu’il ne s’agit que de renseignements oraux. Raoul
d'Ivri est sou inspirateur, son correcteur peut-être.
Et ici déjà se pose la question de savoir quelle est
la valeur de l’oeuvre de Dudon ? Considérable, dit
M. i.air. Il a été renseigné par Raoul d’Ivri, frère
du duc Richard et l'un des principaux barons, « dont
« la naissance et le caractère emportaient une
« grande idée de véracité (1) ». En quoi la naissance
de Raoul et son caractère, dont nous ignorons tout,
impliquent-ils une grande idée de véracité ? Veut
on dire qu’on est en présence d’une histoire offi¬
cielle? Mais ce serait précisément une raison de
nous en défier. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce
point. Veut-on dire que les récits de Raoul d'Ivri
font le caractère original de l’œuvre, que c’est à la
tradition orale qu’il a puisé, et non aux documents ?
Cela constituerait une originalité, soit! mais non
une supériorité.
En quoi a consisté l’apport de Raoul d’Ivri dans
l’œuvre de Dudon? Cela est bien difficile à dire.
Peut êlre lui a t il conté la tradition normande sur
l’origine de Rollon, la Saga, mais en l’arrangeant,
en la déformant, de la manière qui convenait aux
ducs, à moins que ce ne soit le chanoine lui-même
qui se soit chargé de cet arrangement. Peut-être
Raoul a-t il fourni quelques traditions locales,
quelques échos de chansons de geste aujourd'hui
(1) Ed. Laih, p. 28.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 27
perdues? Peut-être a-t-il été simplement le réviseur
de son œuvre, le censeur chargé de ne rien laisser
passer qui pût être désagréable aux ducs?
En tout cas, l’étude attentive de Dudon montre
que son œuvre n'a pas du tout l’originalité que lui
ont prêtée ceux qui comme M. Lair ne voulaient
voir dans le doyen que l’écho de Raoul d'Ivri.
Les Sources. — Dudon a eu d’autres sources, et
quand on les recherche, on les trouve. Lui-même,
faisant allusion à la bataille de Soissons dit qu’il ne
la racontera pas, parce qu'on en peut lire le récit
ailleurs (1) ; de son aveu formel il a donc lu les
Annales. Cette bataille a été en effet racontée par
Flodoard. Nous montrerons que pour tous les évé¬
nements des règnes de Rollon, Guillaume Longue-
Epée et Richard I", les Annales de Flodoard consti¬
tuent la base principale de son œuvre, les événe¬
ments étant d’ailleurs défigurés par l’apologiste
des ducs. Pour la période antérieure, pour les inva
sions normandes, il a eu recours aux Annales
carolingiennes.
Plus on étudie Dudon, plus on est convaincu
qu'il a lu les Annales de son temps, Flodoard, les
Annales de Saint-Berlin et de Saint Vaast, et aussi
les Annales germaniques, Réginon, les Annales de
Fulda, etc. et peut être même Widukind. Nous le
montrerons par une critique détaillée, mais arrêtons-
nous un instant sur Widukind.
(1) Ed. Lair, p. 173.
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ETUDE CRITIQUE
Une source possible de Dudon : Widukind. —
Il est très remarquable qu’en racontant l’invasion
allemande de 946, le chanoine de Saint-Quentin
parle longuement du siège de Rouen qu’il raconte
avec des détails légendaires. Or, ce siège de Rouen
ne se trouve pas dans Flodoard, son guide habituel.
Où donc a t il pris mention de cet événement, qu’il
a développé ensuite, suivant les procédés épiques
qui lui sont propres ?
L’expédition de 946 est racontée laconiquement
par Widukind, dans les Iles geslæ Sajronicœ (1).
Or, Widukind vivait au milieu du X® siècle ; on ne
peut dire exactement à quelle époque il a composé
son œuvre; mais M. Waitz établit que les derniers
événements cités par lui sont de 967 et du début
de 968 (2). Il y a des analogies assez curieuses entre
les deux œuvres, quoique leur sujet soit différent.
Les llerum gestarumsajonicarum libri 1res sont, sous
le titre d’histoire des Saxons, une œuvre écrite à la
plus grande gloire de la dynastie saxonne, des
fondateurs de l’empire. Le premier livre est consacré
aux origines du peuple saxon, d’après les historiens
anciens, et au roi Henri, fondateur de la dynastie ;
les deux livres suivants sont consacrés à Otton. De
même, dans le De Moribus et aclis primorum
Normanniat ducum, il y avait primitivement trois
livres : un livre consacré aux origines des Normands
(1) M. G. ss. III., p. 411.
(2) Singulière coïncidence, c’est aussi à peu près à cette
date, 966, que s’arrêtent les Annales de Flodoard.
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SOR DBDON DE SAINT-QUENTIN
29
et à Hasting et deux livres consacrés l'un à
Rollon, l'autre à Guillaume Longue Épée et à
Richard (1).
Est-il impossible que Dudon ait pu connaître
Widukind ? 11 ne faut pas oublier les facilités
qu’avaient les lettrés, les clercs du temps, pour
voyager. 11 n’est pas nécessaire d’ailleurs que
Dudon soit allé jusqu’à l’abbaye de Corvey où
Widukind écrivit son œuvre. Il se pourrait que les
manuscrits de cet ouvrage fussent déjà répandus.
Les Annales ilettenses ne contiennent elles pas un
abrégé du livre de Widukind? Enfin l’abbaye de
Corvey avait dû conserver des relations avec l’abbaye
de Corbie d’où étaient partis, sous Louis le Débon¬
naire, les moines qui l’avaient fondée ; Corbie est
bien près de Saint-Quentin. L’abbaye de Corbie a
été un centre historique comme Fécamp. On voit
donc qu’il n’y a aucune impossibilité à ce que
Dudon ait lu l’œuvre de Widukind et l’ait imitée.
Dudon n’a-t-il utilisé que les Annales franques
et germaniques, n'a-t il utilisé que les Sagas défi¬
gurées par Raoul d’Ivri ou par lui-même? N’a-t il
pas incorporé à son œuvre des traditions locales?
Racontant, dans le livre sur Rollon, les campagnes
des Normands sur les bords de la Seine, où Rollon,
d’ailleurs, n’a peut être joué aucun rôle, il semble
s’inspirer des données locales sur l’emplacement
(1) Duchesne a publié l’œuvre de Dudon en trois livres.
M. Lair, en quatre; pour plus de commodité, nous conser¬
verons cette dernière division comme base de notre étude
critique.
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ETUDE CRITIQUE
d’un combat livré aux Damps, près de Pont-de-
rArche ; de même les récits qu’il donne des inci¬
dents qui ont suivi la bataille de Chartres peuvent
être, en ce qui concerne le combat de Lèves,
empruntés à une tradition chartraine. Enfin, il
a raconté, avec l'émotion d’un témoin oculaire,
les funérailles de Richard I er , à Fécainp.
Dudon et Fécamp. — Il parait connaître cette
ville et son abbaye ; il lui a consacré, à la fin de
son œuvre, une pièce de vers curieuse :
0 Fiscanne, sanis semper fecunde favillis.
Or, dans cette pièce, Duden de Saint Quentin
montre qu’il connaît Fécamp et ses traditions.
Il parle de la tombe de saint Léger, et un « Estât
des sainctes reliques, reliquaires et autres pièces
notables, conservées dans le Tlirésor de l’église de
la royale abbaye de Fécamp, en l’an 1682, «contient
une description de la châsse de saint Léger, évêque
et martyr, qui renferme plusieurs os du saint et
aussi un bras d'argent, orné de quelques pier¬
reries (1). On sait que saint Léger, évêque d'Autun,
trouva la mort dans ses luttes contre Ebroïn, le
fameux maire du palais en 678. Il fut considéré
comme un martyr et, dès le début du VIII 0 siècle,
ses reliques furent répandues dans toute la Gaule (2) ;
Dudon connaît cette histoire.
(1) Leroux de Lincy, Essai historique sur l’Abbaye de
Fécamp , Rouen, 1840, in-8°, p. 196.
(2) Pfister, dans l 'Histoire de France de Lavisse, t. II,
p. 146.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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Fécamp, on le sait, a été plus tard, avec son
abbaye, un centre important d’élaboration de chan¬
sons de geste : elle avait une confrérie de jongleurs
au XII» siècle (1 ). Il a pu y avoir antérieurement
des jongleurs en ce lieu de pèlerinage renommé
pour la très précieuse relique qu’il contenait, le
Précieux Sang. Et, comme on l’a montré récem¬
ment, ces jongleurs s’établissaient généralement
auprès des moines des sanctuaires fréquentés dont
ils étaient les collaborateurs dans la fabrication
de pieuses légendes (2).
Dudon a pu recueillir là, peut être, plus d’une
chanson. Nous montrerons que son livre sur
Guillaume Longue Épée est visiblement inspiré par
une Complainte latine écrite à l’occasion de la mort
de ce duc. N’a t il pas recueilli, à Fécamp, d'autres
chants de ce genre? Nous en trouverons trace
ailleurs dans son oeuvre.
Mais nous ne saurions entrer ici dans le détail de
cette question, les sources de Dudon. Nous nous
bornons à indiquer quelles ont été les voies dans
lesquelles nous nous sommes engagés. L’étude
minutieuse de l’oeuvre de Dudon de Saint-Quentin,
paragraphe par paragraphe peut seule permettre
de porter un jugement définitif.
C’est ce travail de confrontation auquel nous
nous sommes livré. Partout nous résumerons les
(1) Charte de la fin du XII" siècle d’après un Vidimus du
XV' siècle, publiée par Leroux de Lincy, op. cil., p. 378.
(2) Bédier, Les Légendes épiques, Etude sur la formation
des Chansons de geste, Paris, 1908-1913, 4 vol. in-8°.
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ETUDE CRITIQUE
dires de Dudon, partout nous rechercherons à
quelles sources il a pu puiser ces renseignements,
nous verrons ensuite ce qu'il en a fait, et montrerons
comment il les a trop souvent défigurés pour les
besoins de son œuvre, qui est, répétons le, non
une œuvre d'histoire, mais uue œuvre apologétique.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
33
LE PREMIER LIVRE DE DUDON
LA GÉOGRAPHIE ET LES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Les deux premiers chapitres de l’œuvre de Dudon
sont consacrés à des considérations générales sur
les invasions normandes dont on peut définir
l’objet en disant que l'auteur se propose : 1° de
nous dépeindre sommairement le pays d’où sont
venus les envahisseurs ; 2° de nous expliquer, par
les mœurs et les croyances des habitants de ce pays,
les causes des invasions.
Ces deux chapitres, qui ne présentent aucun
intérêt au point de vue géographique ou historique,
car ils n’ajoutent rien à nos connaissances, en
présentent un très grand, au contraire, pour l'intel¬
ligence même de l’œuvre de Dudon, de sa documen¬
tation et de ses sources. Nous allons y constater, de
prime abord, tous les caractères de sa documen¬
tation, toutes les sources auxquelles il a puisé,
documentation livresque d’une part, traditions
orales de l’autre, et nous allons déterminer le
caractère de cette tradition.
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ETUDE CRITIQUE
En ce qui concerne la géographie, la documen¬
tation livresque est évidente. La géographie, au
moyen âge, ne fit aucun progrès avant les croisades ;
la géographie de Dudon c’est celle qui était en
usage, si l’on peut s’exprimer ainsi, à la fin des
invasions, au V e et au VI* siècles. Les sources de
Dudon ici, ce sont surtout Jornandès et Paul Orose.
La première phrase sur la division du monde :
Asie, Europe, Afrique, est empruntée textuellement
à l’ouvrage de Jornandès : De Getorum site Gotho-
rum origine et rebus geslis (1). Sa description du
Danube est encore empruntée, comme M. Lair l’a
déjà remarqué (2), au même Jornandès et à Pline.
Certaines expressions de Dudon sont exactement
celles de Jornandès : parlant des populations qui se
trouvent sur le Danube, il nousdit qu'elles viennent
de Causa, c'est la Scanzia insula de Jornandès ; de
cette lie, cet auteur, avant Dudon, avait déjà dit
que les populations partaient comme un essaim
d’abeilles, examen apum (3) et il avait déjà appelé
Scansa la matrice du monde, vagina (4).
Quant à la division de l'est de la Germanie en
trois parties : Alanie, Dacie et Gothie, Dudon l’em¬
prunte à Paul Orose, qui, en termes plus simples
que ceux de Dudon, écrit : « Ab oriente Alania est,
(1) Ch. I (Ed. Nisard, Paris, 1855).
(2) Ed. Dudon, p. 32.
(3) Ch. I.
(4) Id., ch. IV.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 35
in medio Dacia, ubi et Gothia.. deinde Germania «si (1) ».
Dudon dit ensuite que la Dacie est entourée par une
chaîne de montagnes qui lui fait comme une cou¬
ronne, corona. Cette expression est encore emprun¬
tée à Jornandès : « Dacia est ad corona spcciem
arctius Alpibus emunita (2) ». Dudon énumère enfin
les populations qui habitent ces contrées, les Gètes
ou Goths, les Sarmates, les Amaxobii, les Trago-
dites et les Alains.
L’identification des Gètes avec les Goths est égale¬
ment empruntée à Jornandès (3) ; les Sarmates se
retrouvent dans le même auteur (4) et dans Paul
Orose (5). Les Amaxobii nous embarrassent davan¬
tage; nous les avons trouvés dans Ptolémée (6), qui
les place parmi les Sarmates d’Europe, de sorte
qu’il faut admettre ou que Dudon savait vraiment le
grec et que sa connaissance de cette langue, dont il
cite quelques mots au cours de son œuvre, n'est pas
aussi superficielle qu'on voulait bien le dire, ou
bien qu’il a connu les Amaxobii par un intermé-
(1) Ed. Teubner, I, 2. 53. Dudon écrit avec plus de préten¬
tion : • Est namque ibi tractus quam plurimis Alaniæ, situs-
que nimium copiosus Daciæ atque ineatus multum profusus
Getiæ ».
(2) * Quorum Dacia extal mediomaxima, in modum corona,
instarque civitatis præmagnis alpibus emunita ».
(3) Ch. IX.
(4) Ch. XXXIV.
(5) VI, 21, 14 ; VU, 15, 8 ; 22, 7 ; 25, 12.
(6) Lib. UI, § 5.
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36
ÉTUDE CRITIQUE
diaire qui ne nous est pas connu (i). Les Tragodites
nous embarrassent également. Seraient-ce les
Troglodytes (2)? Quant aux Alani, on les retrouve
dans Jornandès (3) et dans Orose, qui les placent
près des Gotbs et aussi dans Ptolémée (4).
Après ces préliminaires géographiques Dudon
aborde les considérations historiques; il va indi¬
quer la cause de l'invasion normande : c’est la
polygamie. Evidemment, Dudon a vécu à la cour
normande, il a entendu parler des chefs Scandinaves
qui avaient plusieurs femmes; on cite le roi Harald,
avecquinze femmes légitimes, vingt cinq concubines
(1) Où Dudon aurait-il pris ce nom des Ap-aSoSfot, en
dehors de Ptolémée? On le trouve encore dans Porphyre.
De abstinentia, Ed. Teubner, III, 15 : « oùûè yàp toTç àua-
£o£toiç ZxûOxtç ((p^ato) oùûè rotç Ûeoiç ». Mais, ici, il s'agit
des Scythes montés sur des chars; c’est un qualificatif et non
un nom de peuple : c’est ainsi que l’a compris II. Estienne.
Thésaurus linguœ grccæ , éd. de 1839, t. I, p. 27 ; c’est aussi
ce qui explique que ce terme ne se trouve pas dans Pauly et
Wissova, Real Encyclopüdie der classischen alterthums
wissenschafl, Stuttgart, 1891. Je crois donc que Dudon aura
pris plutôt ce nom des Ajxa;o6t oi dans Ptolémée qui les
donne comme un peuple des Sarmates et les place à côté des
Àlains.
(2) Par une singulière rencontre, Adam de Brême, dans
sa Descriptio iruularum aquilonis, écrite un siècle après
Dudon, parle des Troglodytes qu’il cite à côté des Goths,
des Daces, des Sarmates, des Alains (M. G. SS. VII, 376).
Dudon et Adam de Brème n’auraient-ils pas eu, l’un et l’autre,
connaissance des Lapons qui sont, durant l’hiver, de vérita¬
bles Troglodytes ?
(3) Ch. XXXI.
(4) VII, 37, 3.
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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN
37
et vingt enfants (1) ; mais, en réalité, de la lecture
des Sagas, il résulte que la polygamie est un fait
exceptionnel, la lemme est très considérée dans
les pays Scandinaves, elle est traitée dans la civili¬
sation antérieure au christianisme sur le même
pied que l'homme; si le mariage n’est pas une céré¬
monie religieuse, c'est du moins un pacte familial.
Le père du jeune homme, ou un parent choisi, va
demander la jeune fille à son père ou à son tuteur.
Alors les parents prennent des arrangements pour
constituer le futur ménage, en lui donnant respec¬
tivement terres et troupeaux (2). C’est le pays des
longues fiançailles qui, en ce temps, pouvaient
durer plus d’un an, elles durent plus longtemps au¬
jourd’hui. Le mariage est entouré de respect.
M. Steenstrup, cependant, croit à la permanence
de la polygamie jusqu'en Normandie. Il croit aussi
que le père de famille jouissait d’une patria potestas
assez étendue pour disposer de son bien sans
limite et chasser ceux de ses fils qu’il ne voulait pas
voir hériterde ses biens. Karl von Amira se refuse
à admettre une palria potestas aussi étendue (3).
S'il est quelquefois question de partages de terres
entre certains fils, leurs frères quittant le pays, rien
(1) Heimskringla, I, 97 (Snorro Sturleson ; Havniæ. 1777-
1826), 6 vol. in-folio.
(2) Du Chaillu, The Viking âge , London, 1889, 2 vol. in-8*,
t. IL, p. 2, sqq.
(3) Hist. Zeitschrift, t. 39, p. 240-268.
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38
ETUDE CRITIQUE
ne dit que le partage n’ait pas été fait d’accord
entre tous.
En réalité, les familles sont, de tout temps,
nombreuses dans ce pays, même sans la polygamie;
la contrée est pauvre, il y a une propension natu¬
relle vers la mer; qui sait si le père ne donne pas
à certains des fils une barque, avec la possibilité
de faire fortune au-delà des mers, et à d’autres des
terres (1)?
Pour expliquer les émigrations normandes des
premiers temps, Steenstrup cite celles qui eurent
lieu après la conquête des Normands en Italie ;
particulièrement l’histoire de Tancrède de Haute-
ville, qui a douze fils. 11 en reste un pour hériter
du fief de son père, onze émigrent ; mais Orderic
Vital ditquele père les a engagés et non contraints
à émigrer (2). Il n’est pas besoin d’admettre une
exhérédation, ni de croire à la pratique ordinaire
de la polygamie, encore qu’elle ait pu exister chez
certains chefs, ni même à l’existence d’un prin¬
temps sacré.
Selon Dudon, la polygamie, en multipliant le
(t) « En Norvège encore, dit Depping, Histoire des Expédi-
lions maritimes des Normands, le fils aîné du paysan reçoit ses
terres. » 2« éd., Paris, 1844, in-8°. p. 11. Il est très remar¬
quable que dans le pays de Caux, le fils aîné avait aussi une
part prépondérante. (Houard, Dictionnaire de la Coutume
de Normandie, Rouen, 1780, 4 vol. in-folio, t, I, p. 215) ; ce qui
donne à penser que la bande normande établie dans le pays
de Caux, où tant de noms de lieux sont d’origine Scandinave,
était bien norvégienne.
(2) Lib. III, t. II, p. 88.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
39
nombre des enfants, a provoqué l’émigration et
cette émigration a été réglée par une sorte de prin¬
temps sacré. On réunissait une grande multitude
d’adolescents et, par un usage très ancien, veterrimo
ritu, on les envoyait dans d'autres contrées pour
acquérir des royaumes; c'est aiusi que les Gètes ou
Goths ont ravagé toute l’Europe.
Ce rappel de l'histoire des Goths nous avertit assez
de la source où Dudon a pris ce renseignement ; il
l’a emprunté aux historiens classiques des grandes
invasions, à l'Historia Langobanlorum de Paul
Diacre (1). La question est de savoir si cet usage a
réellement existé chez les Scandinaves. Il y en a,
sans doute, quelques exemples, mais dans des cas
très particuliers. Dans le Wermeland, province
suédoise, la population s’étant beaucoup accrue,
il y eut une disette et, par suite, une révolte contre le
roi Olaf. Les sages ordonnèrent une émigration (2).
Sous Knut, roi de Danemark, vers 880, on décida
que chaque troisième serf et le troisième enfant de
chaque homme du peuple s’expatrieraient; l'émi¬
gration eut lieu vers la Prusse, la Carélie, la
Samégithie (3). Le sort avait désigné les partants.
Saxo Grammaticus, enfin, raconte que, sous le
règne d'un petit prince du Jutland, Snio, qui rési¬
dait à Viborg, il y eut une disette. Pour ménager le
(1) L. I, c. I et II.
(2) Ynglinga Saga, ch. XLVII et VIII, dans Heimskringla,
I, p. 57.
(3) Chronique d’Olaüs, dans Script, rcr. Danicarum , de
La.ngebeck
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ÉTUDE CRITIQUE
grain, ce prince défendit de brasser de la bière. On
sait combien il est difficile de faire respecter de
telles défenses. La famine continua de ravager le
pays. L’Assemblée, (le tliing) fut alors convoquée ;
elle résolut qu'on tuerait les vieillards, les enfants,
tous les hommes qui ne seraient pas capables de
porter les armes ou de labourer la terre. Guuborg,
mère de plusieurs enfants, demanda que l’on eût
recours à l’émigration et que le sort désignât ceux
qui devraient s’expatrier. Le sort tomba sur les
plus âgés, mais les plus jeunes s'offrirent à leur
place (1).
Dudon a donc pu entendre parler de faits analo¬
gues. Ici, il nous apparaît comme un peintre assez
exact des mœurs des Scandinaves et comme un
narrateur judicieux des causes des invasions, mais
il se pourrait toutefois que ces renseignements
fussent encore ici plutôt d’origine livresque.
Au reste, l’auteur du De moribus est bien loin de
traiter d’une façon suffisante cette question capitale
des causes des invasions normandes. Si on voulait
rechercher l’origine des expéditions des vikings, on
en trouverait de beaucoup plus importantes que la
polygamie qui fut d’un usage restreint, ou que le
printemps sacré qui fut exceptionnel ; il y aurait
lieu évidemment de mettre au premier plan, après
la passion du pillage qui est le fond de l'existence
même du viking, la révolutiou politique qui
s'accomplit alors dans les pays Scandinaves, la
(1) Saxo Grammaticas, G est a Danorum, éd. Hôlder p. 284.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
41
destruction des petits états, que le morcellement
géographique du pays avait fait naitre dans les vastes
contrées, tout particulièrement en Norvège, l’établis
sement sur les ruines des états de chefs contraints
à l’exil, de monarchies puissantes qui fondèrent le
Danemark, avec Gorm le Vieux, la Norvège avec
Harald Harfagr ; enfin, la lutte entre le paganisme et
le christianisme, qui a duré plus de trois siècles,
avec des alternatives de progrès du christianisme,
de retour au paganisme, dont nous retrouverons
souvent le contre coup dans l’histoire des expé¬
ditions normandes et de la Normandie même.
Dudon a su et ne pouvait pas ne pas savoir que la
Scandinavie, du temps des invasions, était encore
païenne et cela était surtout vrai de la Norvège et
de la Suède, atteintes, naturellement plus tard, par
les missionnaires. Au paragraphe 2, il nous dépeint
les sacrifices à Tlior qui précédaient les départs ; ce
ne sont point seulement des sacrifices d'animaux
dont parle aussi Jornandès, ni des libations, mais
des sacrifices humains « sed sanguinem mactabant
humanum ». Or, le dépouillement des Sagas montre
bien que ces sacrifices humains avaient lieu chez
lesScandinaves, dans les temps de grande calamité,
de famine, pour éviter de grands périls ou enfin
pour obtenir la victoire. Parfois, on immola les
enfants d’un chef, telle, chez les Grecs, Iphigénie,
parfois aussi les captifs après la bataille, en parti¬
culier les chefs (1). Ils étaient tantôt égorgés comme
(1) Hervarar Saga, 9,10,11, 12.
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ETUDE CRITIQUE
des animaux, tantôt précipités des hautes falaises (1).
Il y avait des lieux spécialement disposés à cet
effet, des rings avec la pierre du sacrifice au mi¬
lieu (2). Les sacrifices se maintinrent jusqu’à
l’époque chrétienne. Les Islandais païens sacrifièrent
deux hommes de chaque quartier afin de ne pas
devenir chrétiens (3).
Ces sacrifices sont particulièrement offerts par les
Scandinaves à leur dieu Thor : TliorUcum suum, dit
Dudon. On sait quelle importance a eue le dieu
Thor le dieu du Tonnerre, le vieux dieu des popula¬
tions germaniques et Scandinaves. On sait que ce
culte a persisté, môme après la diffusion du chris¬
tianisme. Au XVIII e siècle, on lui rendait encore,
en certaines parties de la Suède et de la Norvège,
quelques restes d’hommage; le jeudi, jour qui lui
était consacré, Thorsdag, les vieilles femmes ne
filaient point et ne faisaient point de beurre, la
plupart des travaux étaient interdits, tous les
actes de magie avaient lieu le jeudi. Au XIX e siècle
encore, aucune des cérémonies chrétiennes, bap¬
tême, mariage, enterremeut ne se pratique le jeudi ;
c’est un jour païen pendant lequel on ne saurait
pratiquer les coutumes chrétiennes. A la fin du
XVIIl» siècle, certains paysans adoraient encore, le
jeudi, des pierres d’une forme ronde, qu'ils oignaient
(1) Christ ne Saga, dans Origines Islandicæ, éd. Vigfusson et
Powell, Oxford, 1905, 2 vol. in-8°, t. I, p. 401.
(2) Du Chaillu, op. cit., t. I, p. 369.
(3) Christne Saga , III, 1,
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
43
de beurre et plaçaient, dans de la paille fraîche, au
siège d’honneur, en haut de la table ; est-il étonnant
que, dix siècles auparavant, Tlior ait encore été
l’objet de sacrifices, des sacrifices du départ (1)?
Au dieu Tyr, les Suédois ofiraient des victimes
humaines, des prisonniers de guerre, qu’ils pen¬
daient aux arbres ou jetaient dans les fourrés
d'épines, les torturant de mille manières.
En Norvège, Imundur le Blanc lutte contre les
« Iomsvikinger », de la côte méridionale de la
Baltique, qui débarquent dans le pays; il envoie à
la déesse Gudrum Illgirdsfü un messager pour savoir
s’il sera victorieux ; elle promet la victoire « s’il
lui donne son jeune fils » ; alors, elle soulèvera une
grande tempête qui submergera les vikings. Au
retour du messager, le roi s’écrie :
Mieux il me vaut perdre un fils
Que toutes les terres de mon royaume.
et le chant raconte le sacrifice (2).
Maintenant, Dudon aurait tort d’affirmer que l’on
ne sacrifiait pas de bétail ; car de nombreux passages
des sagas montrent qu'à des dates précises, par
exemple à la Midwinter, le 12 janvier, en Norvège,
on sacrifiait des bœufs, des chevaux, des moutons,
des faucons (3). Sans doute, ce qui a le plus frappé
(1) Reclus, Géographie universelle, V, 138.
(2) Pineau, Les vieux Chants populaires Scandinaves , Paris,
1898, in-8°, p. 31.
(3) Du Chaillu, op. cit., I, 347.
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ÉTUDE CRITIQUE
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notre auteur, c’est l’usage des sacrifices humains
chez les ancêtres des Normands.
Dudon dit ensuite que le sang des victimes était
recueilli, exliauslo sanguine. Nous savons, en effet,
par les Sagas, qu'il était recueilli dans un bol de
cuivre (1). Le doyen ajoute que les vikings s’endui¬
saient les membres de ce sang avant de livrer au
vent les voiles de leurs navires (2). Saxo Gramma-
ticus nous dit de même que, pour se rendre les
vents favorables, un chef viking, Wicar, roi de
Norvège, longtemps retenu par la tempête, se les
concilie par des sacrifices humains (3). Que Dudon
ait retrouvé, dans la Normandie chrétienne de son
temps, quelque souvenir du dieu Tlior, on n’en sera
pas surpris, si on admet que le premier cri de guerre
des Normands, avant Dex aie, ait été Tlior aie? (4)
Après un développement sur les invasions, qui
n’est qu’un jeu d’esprit en prose rimée, Dudon
aborde, au paragraphes, l’origine des envahisseurs.
Les Daces, dit-il, s’appellent eux-mêmes Danai ou
Dani et se glorifient de descendre d’Anténor, qui
autrefois, lors de la chute de Troie, échappant aux
Grecs, pénétra, avec les siens, dans le pays d’Illyrie.
C’est le fameux rapprochement, Daces, Danois,
par l'intermédiaire des Danai, Aatvioi, rapprochement
(1) Kjalnesinga, c. 2.
(2) Sua suorumque capita linientes , librabant c eleriter na-
viurn carbasa venlis.
(3) Saxo Grammaticus, p. 184.
(1) Wace, Roman de Reu, v. 3916. Ed. Andresen, II, 187.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 45
auquel se plaît l’érudition de Dudon, par où il
imaginait, sans doute, qu’il flatterait l’orgueil des
ducs et des Normands en les rattachant aux Grecs.
Daci, c’est le peuple des plaines de l’est que lui
fournissaient les historiens par lui consultés, Paul
Orose et Jornandès, Dudon ne remarque pas que
l’ethnographie de l’Orieut s’est modifiée depuis le
temps où écrivaient ces auteurs. Aivioi, c’est l’in¬
termédiaire nécessaire et combien heureux à son
point de vue! pour faire le rapprochement étymolo¬
gique entre Dani et Daci. M. l,air (1) a rendu
Jornandès responsable de ce rapprochement. C'est
une erreur. Jornandès ne place pas les Daci dans
l’île Scanzia, mais bien les Dani. M. J,air ren¬
voie également à Isidore de Séville, mais c’est
encore une erreur. Celui-ci dit que les Danai ont été
appelés ainsi du roi Danaos: Danai a Danao rege
rocati (2).
Chose singulière, l’écrivain danois Saxo Gram-
maticus s'est moqué de cette origine donnée par
Dudon aux Danois, et il écrit dès le début de son
livre que Dan et Angul, dont les Danois tirent leurs
origines, ont eu pour père Humbel, a quoique
Dudon, écrivain aquitain (?), dise que les Danois
viennent des Danaoi (3) ».
(1) P. 32, n. 1.
(2) Originum, lib. IX, c. 2, Paris, 1580, p. 58.
(3) Dan igitnr et Angul, a quibus Danot'um cepit origo,
pâtre Humblo procreati, non solum auctores gentis nostræ,
quanquam verum etiarn redores fuere , Dudo rerum Aqui-
tanicarum scriptor, Danos a Danois ortos nuncupatosqxie
recenseat. Ed. Hôlder, p. 10.
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ÉTUDE CRITIQUE
Dudon, non content de faire descendre les Dani des
Aavioi, a voulu remonter jusqu’à Troie, il a fait
d’Anténor un roi Danois. M. Lair (1) a supposé que
cette légende d'Anténor, roi des Francs, que l’on
trouve dans Aimoin (2), a persisté en Normandie
où Dudon l'aurait prise. Mais Dudon, qui savait son
Virgile et qui ici le transcrit presque, comme le fait
remarquer M. Lair :
Anlenor potuil meiiis elapsus Achivis
lllyricospenclrare sinus,
connaissait aussi les Gesla regum Francorum ; on y
voit Anténor arriver sur les bords du Tanais, puis
en Germanie où il bâtit Sicambre, capitale des
Francs. Il a simplement et tranquillement transporté
aux Dauois cette noble origine que les écrivains des
Gaules, tourmentés comme lui de donner une lige
aussi antique que classique aux mérovingiens,
avaient inventée pour les rois Francs.
Beaucoup de savoir livresque, une idée assez
exacte de certaines coutumes des peuplades du
Nord, une étude tout à fait rapide et superficielle,
avec quelques vues justes pourtant sur les causes des
invasions des Viltings, voilà ce que nous trouvons
dans les deux premiers paragraphes de l'œuvre du
Chanoine de Saint-Quentin.
(1) P. 33.
(2) Paris, 1567, in-8°, p. 23.
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SUH DUDON DE SADTT-OUENTIN
*7
HASTING
En dehors de ces deux paragraphes qui, pour
l’histoire des sources et de la composition de l’œuvre
de Dudon, sont les plus intéressants du livre, le
reste, qui est fort court, a pour sujet Hasting,
Anstignus : un paragraphe sur l’origine d’Uasting
et une peinture du personnage représenté comme
le type du mal, une créature de l’enfer, dira
Worsaae (1), un paragraphe surles invasions dans la
vallée de l’Oise à Noyon, Saint-Quentin et Paris, un
développement sur l’expédition à Luna, d'un carac¬
tère purement légendaire, enfin un dernier para¬
graphe sur un traité d’ilasting avec le roi de
France : telles sont les divisions de ce livre.
11 y a là plutôt un prologue qu'un livre distinct.
Hasting, c’est le maître en tromperie, l’ennemi des
chrétiens, qui pourtant, un jour lui aussi, a traité
avec les Carolingiens ; Rollon sera le héros prédes¬
tiné, le fondateur d’Etat, le barbare civilisé, chris¬
tianisé, comme Guillaume Longue Epée sera le
martyr chrétien, et Richard I er le fondateur des
abbayes.
Le plan et le dessein de Dudon sont clairs. Ce qui
(1) Den Danske Erobring af England og Nomnuxndict,
Kjœbenhavn, 1863, in-8», p. 57.
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ÉTUDE CRITIQUE
l'est moins, c’est le problème des sources où il a
puisé la matière de ce récit et aussi la part de la
légende et celle de l’histoire. Nous étudierons suc¬
cessivement les trois parties du récit de Dudon :
1» Sources du paragraphe sur les invasions ; 2° Af¬
faire de Luna ; 3° Traité d’Hastingavec le roi Franc ;
puis nous relèverons les mentions relatives à Has-
ting dans les sources, particulièrement dans les
sources normandes, les annales angevines, touran¬
gelles et franques; nous essaierons de dégager les
faits authentiques ; enfin, nous rechercherons l'ori¬
gine d’Hasting et scruterons à cet égard les Sagas.
Nous verrons que la conclusion à tirer de ces rap¬
prochements est celle-ci : il n’y a dans l’Hasting de
Dudon presqu’aucune vérité quant aux faits et à la
chronologie, mais il y a une vérité probable du tj'pe
du personnage, qui pourrait être le fils d’un prêtre
païen, d’un adorateur du dieu Tlior, et un ennemi
farouche du christianisme.
L’étude des deux premiers points nous amènera
tout de suite à voir comment Dudon a composé son
œuvre: d’une part, pour les invasions, emprunts
faits aux Annales, mais sans aucun souci de la
chronologie ; d’autre part, l’affaire de Luna emprun¬
tée à la légende.
Hasting et les invasions dans Dudon. — Au pa¬
ragraphe 4 de ce livre premier, Dudon a entassé
pêle-mêle, nous l’allons voir, des détails sur les
ravages des Normands dans la vallée de l’Oise et
autour de Paris.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
VJ
C’esl de Saint Quentin qu'il nous parle d’abord (1)
il n’est pas étonnant que le Doyen de Saint-Quentin
commence son récit par la ville où il est chanoine:
ici, il a pu être l'écho de la tradition locale; eu tout
cas, il a pu trouver dans les Annales de Saint-Vaast,
à l’année 883, la mention suivante : « Nortmanni
monasticumel ecclesiam sancti Quintini incendunl » (2).
Puis il rapporte l’incendie de Saint-Denys : après
l’église du pays, l’abbaye royale (3). Mais il n’en
donne pas la date. On peut se demander, à étudier
les sources, si jamais Saint-Denis a été brûlé; en
858, l'abbé Louis a été emmené en captivité et les
moines ont payé son rachat (4) ; en 885-886, pendant
le siège de Paris, l’abbaye a peut-être été brûlée,
mais il n’y en a aucune preuve (5).
De là, Dudon passe à Noyon ; il rapporte en
quelques lignes la mort de l’évôque Immon, la
captivité de la population que les pirates emme¬
nèrent à leurs vaisseaux, la destruction des églises
de Saiut-Médard et de Saint-Éloi (6). Tous ces
(1) «r Quintini teslis, meritis super æt liera noti, ineendilur
delubrum... ceteræque omnes ccclesiæ in finibus Vermanden-
sium localæ ».
(2) Dans les Annales de Saint-Quentin. Ibid. XVI, 507, et
Sermo in tumul. SS. Quintini. Ibid. XV, 272.
(3) * Agonothetæ Christi Dionysii monaslerium Vulcano
superanle est favillatum. »
(4) Annales Bertiniani, éd. Waitz, Scriplores rerum germa-
nicarum in usum scholarum , Hanovre, 1883, in-8°, p. 49.
(5) Lot, La grande Invasiôn normanile de 856-862, dans
Bib. Ec. Chartres, 1908, p. 20, sqq.
(6) Dudon, p. 131.
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ETUDE CRITIQUE
faits sont exacts. A l’année 839, les Annales de
Saint-Berlin les rapportent dans des termes à peu
près identiques (1) ainsi que Prudent de Troyes (2)
et le Chronicon de Gestis Northmannorum in Fran¬
cia (3). On montre encore à quelque distance de
Noyon, sur la route de Ham, le petit monticule
connu sous le nom de Tombelle, où un certain nom¬
bre de clercs, de nobles ont été suppliciés (4). Chose
bizarre, Dudon ne donne pas la date de l’année de
la mort d’immon, qui est placée en 839 par les
autres sources, mais il donne la date du mois et du
jour, IV kal. maii (28 avril (3).
Quant ii la destruction des églises Saint-Médard et
Saint-Éloi, Dudon a pu recueillir ici, lui qui appar-
(1) Annales Berliniani , éd.WAlTZ, p. 52.
(2) Prudentii Trecensis Annales. M. G. SS., I, 453.
(3) II. F., VII, 153.
(4l Lefranc, Histoire de la tulle de Noyon et de scs insti¬
tutions, Paris, 1888, in-8°, p. 14.
(5) M. Lot, dans l’article précédemment cité, n’admet pas
cette date, parce que, d’après les Annales Berliniani , p. 52,
l’évôque de Beauvais, Ermenfroi, aurait été tué deux mois au¬
paravant : Qui etiam ante duos mentes Ermcnfridum Belva-
gorum in quadam villa intcrficerant ; or, un obituaire de la
cathédrale de Beauvais, conservé aujourd'hui dans une collec¬
tion particulière, met au 25 juin, VU kal julii, la mort de
l'évêque Ermenfroi, ce qui rejette à la lin d'août, deux mois
après, celle d'Immon. Il y a deux explications possibles: ou
Prudence s’est embrouillé et a mis deux mois après au lieu de
deux mois avant (ce que je serais porté à admettre avec
M. Lot), ou l’obit d'Immon n’était pas célébré le jour même
de la mort de l'évêque ; car il parait difficile d'admettre que
Dudon se soit trompé, lui, sur la date d’un office qu'il a célé¬
bré toute sa vie.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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lient au clergé du Vermandois, les traditions
locales (1).
Dudon nous raconte ensuite, toujours fort briève¬
ment, l’incendie de l’église de Sainte-Geneviève de
Paris ; ceci est encore confirmé à la date de 857, par
les Annales de Saint-Berlin (2). Donc, tous les faits
rapportés par Dudon sont exacts. Mais ils ne sont
pas rapportés dans un ordre strictement chronolo¬
gique ; car les uns sont de 859, les autres de 857 et
ceux-ci sont indiqués les derniers. Au reste, Dudon,
qui donne la date du jour et du mois de la mort de
l’évêque Immon, se garde bien de donner les dates
d'années. Il y a à cela une bonne raison: c'est que
si on retrouve dans les Annales contemporaines
trace des événements qu’il rapporte, on n'y trouve
pas la moindre mention d’Hasting, fi propos duquel
il raconte tous ces faits. Pour retrouver le nom
d’Hasting il faut descendre jusqu’aux années
890, 891, où on voit les Normands remontant de
la Seine dans l’Oise (3), établissant à Noyon leurs
(1) La cathédrale de Noyon, qui fut plus tard dédiée à Notre-
Dame, était d’abord placée sous le vocable de Saint-Médard
qui, suivant la tradition, avait fondé cette église au VI e siècle.
VlTET, Monographie de l’église Notre-Dame de Noyon (Doc.
In.). Paris, 1845, in-4". Les chanoines de l'église Notre-Dame
s’étaient d’abord appelés frères de Saint-Médard ILefranc,
op. cil ., p. 25). Quant au monastère de Saint-Eloi, il a été fondé
par le saint de ce nom, évêque de Noyon au VIP siècle,
d’abord placé sous le vocable de Saint-Loup, il prit ensuite
le nom de son fondateur. (Lrf., p. 8.}
(2) Ed. Waitz, p. 48.
(3) Annales Vedastini, éd. Deii., p. 336. M. Peigné-Dela-
court, Les Normans dans le Noyonnais, Noyon, 868, in-8
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ÉTUDE CRITIQUE
quartiers d’hiver. Le roi Eudes s’oppose en vain à
leurs tentatives et Hasting va camper à Argœuvre-
sur Somme, d'où, en l’année 891, il opère contre
l’abbaye de Saint Vaast. En rapprochant les Miracles
île Saint-Berlin et le Cartulairc de la même abbaye,
on peut fixer la date des séjours des Normands près
de Noyon, de la Toussaint au mois d’avril (1).
On saisit donc ici sur le vif le procédé de compo¬
sition de Dudon de Saint-Quentin dans sa biographie
des chefs vikings ; il rapporte des faits exacts, mais
il les confond sans souci de la chronologie et de la
vérité historique et il cristallise ainsi autour du nom
d’un chef quantité de hauts faits auxquels celui-ci
vraisemblablement n’a pas eu la moindre part.
Hasting est pour lui un type, celui du viking
féroce et dévastateur ; ainsi s’explique d’ailleurs le
développement suivant sur les malheurs de la
Francia à cette époque où il nous représente, avec
beaucoup de redondance, la France désolée, presque
déserte, manquant de blé dont elle avait été autrefois
si riche, la terre non cultivée, les Danois remontant
le cours des fleuves et attaquant les populations
riveraines, se livrant à des attaques de nuit,
tableau ou s’exerce sa verve de rhéteur et son
imagination (2).
p. 13, a prétendu qu'il Fallait traduire Noriomagtis parNimègue ;
ceci a été réfuté par M. l'abbé Dehaisnes, op, cil., p. 338 et par
M. Favre, Eudes , 1896, in-8°, p. 133.
(1) Annales Vedastini, année 891 et Favre, op. cil., p. 134,
n.l.
(2) Le tableau était facile à faire, le souvenir des invasions
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SLR DUDON DE SAINT-QUENTIN
53
Luna. — La France a été tellement ravagée qu’elle
n'ollre plus d'attraits à ses féroces envahisseurs. Ils
vont chercher d’autres proies ; et par cette transition
fort habile, Dudon amène le récit de l’aflaire de
Luna. Il la raconte longuement et, comme cette
histoire d'une ville italienne assiégée par les
Normands et prise par eux, grâce à la feinte du
baptême, de la mort et de l'enterrement simulé de
leur chef est fort connue, nous nous abstiendrons
de la rapporter (1).
n'était pas encore éteint au début du XP siècle, et Dudon en
retrouvait l’écho dans toutes les Annales contemporaines.
Toutefois, je me demande s’il n’y aurait pas lieu de rappro¬
cher le tableau de Dudon de celui, beaucoup plus précis, qui
a été tracé des mêmes faits par FoLCUIN, Gesta nbbalum
Lobiensium. M. G. SS. IV, p. 61.
(1) Le manuscrit de Rouen contient une glose marginale
intéressante. In vigilia Nat. (ivitatis contigit ead... puer
accepta... primant lectionem Icgere non potuit, sed prophe-
tizando dixit : ad portum Veneris ) calandre unde a... populus
miseront explorât ores... legerat... invenenml. ».
Cette histoire se retrouve avec plus de détails dans Wace,
Roman de Rou (v. 498-521, éd. Andiœsen, I, p. 27).
A l’iglise de l’evesquie,
Ki en la ville avait hait Me,
Ereut matines cumenciees
E tant esteient espleities
Que ne sai les queles lecuns
Est alez lire uns des clercuns,
Emmi la leçon s'arestut,
Altre chose dist qu’il ne dut.
« Ad portum. dist-il, Veneris
Vienent cent nés, ceo m’est avis. »
Li clerc demandent, « que dis-tu ?.
La môme histoire se retrouve encore dans Benoit de Saint-
More, Chronique des Ducs de Nofnnandie, éd. Fr. Michel,
Paris, 1836, vers 1307-1346, t. I, p. 50. Le développement de
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ETUDE CRITIQUE
On a depuis longtemps montré qu’il est fort
vraisemblable que les Normands ont fait une expé¬
dition de ce genre dans la Méditerranée. En rappro¬
chant les sources arabes et espagnoles, les sources
irlandaises et les sources franques beaucoup plus
laconiques, on arrive à faire un récit très vraisem¬
blable de ce périple. Les sources espagnoles, la
chronique d’Albelda et Sébastien de Salamanque
parlent de la seconde invasion normande sur les
côtes d’Espagne —, (la première se place en 844) —
invasion qui eut pour théâtre les côtes de la Galice
où les Normands furent taillés en pièces, puis
l’Espagne musulmane, ensuite la côte marocaine à
Nachor (Nécour, ville du Rif marocain) et enfin
les Baléares. Les sources arabes précisent, elles
nous donnent la date: l'année 245 de l’hégire
(8 avril 859-27 mars 860), les Masljous, — ainsi les
Arabes appellent les Normands, — paraissent sur
la côte ; deux de leurs navires sont capturés ; mais
ces auteurs est-il original ou bien est-il un développement de
la glose marginale du ms. de Ilouen ? M. Chêruel ainsi que
M. T.air croient que le manuscrit est du X 11 siècle : en ce cas
Wack et IIenoit qui écrivent au Ntt* siècle auront développé
la glose. M. Pert/. (Arc/iiu., t. Vil, p. 419), croit le ms du
XII" siècle, et cela parait plus probable, car si le ms de Rouen
était contemporain de Pudon, on ne comprend pas que ceci ne
se trouve pas dans les autres manuscrits. Très probablement
le ms. est du XII" siècle et l'auteur de la glose l’a ajoutée
d'après la lecture de Wace et de Benoit : 11 en résulte que
ceux-ci suivaient une tradition légèrement différente sur
certains points de celle de Dudon et cela est évident ; car
leur Hasting doit beaucoup à celui de Guillaume de Jumièges
assez différent de celui de Dudon, comme nous le verrons.
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SDH DUDON DE SAINT-QUENTIN
55
ils pénètrent jusqu'à Algésiras dont ils brûlent la
mosquée, puis passent en Afrique et enfin en
France (1).
Une source franque note leur passage à Nîmes et
à Arles en 859, leur séjour dans la Camargue en
l’année 860 (2), puis leur départ pour Pise. Est il
impossible qu’il soient allés à Luna ? Luna, dans le
golfe de la Spezzia n’est pas loin de Pise, c’est
l’ancien Portus Veneris. Mais ici nous ne pouvons
nous empêcher de remarquer que déjà en 849, Luna
avait été prise par les Maures et les Sarrazins (3)
et étant donnés les procédés de Dudon, mainte¬
nant connus de nous, nous nous demandons s’il
n’a pas transporté sans façon aux Normands la prise
de Luna qui est le fait des Maures et qu’il trouvait
dans des Annales à lui familières.
Nous sommes d’autant plus inclinés à cette hypo¬
thèse que le reste du récit est manifestement légen¬
daire. Le récit de l’enterrement simulé du chef pour
s’emparer d'une ville par surprise, est, comme l’a
depuis longtemps remarqué le grand historien
danois, J. Steenstrup, une de ces légendes qui se
transportent avec une étonnante facilité d'un pays
à l'autre (4). On la trouve racontée deux fois par
(1) Dozy, Becherches sur l’histoire et la littérature de
l'Espagne, Paris, et Leyde, 1881, 2 vol. in-8°, t. II, p. 279.
(2) Prudentii Trecensis Annales , M. G. SS. I. 454.
(3) « Maori et Saraceni Lunam, Italiæ civitatem adpredantes,
nullo obsistentc, maritima omnia usque ad Provinciam
dévastant. » Ann. Bert., éd. Waitz, p. 37.
(4) Etudes préliminaires , p. 210.
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56
ETUDE CRITIQUE
Saxo Grammaticus ; le roi Frode aurait ainsi conquis
la ville de Pleskow, en Russie (i), et aussi la ville
même de Londres (2) ; on la retrouve dans la Saga
de Harald Haardraad.un châtel de Sicile est conquis
de la même manière (3), et dans l'Italie méridionale,
Robert Guiscard s’empare, suivant Guillaume de la
Poule, par le même stratagème, d’une forteresse ;
Frédéric II se rend maître ainsi du Mont Cassin et
le roi de Sicile, Roger I er , s’empare, en Grèce, du
château Gurfol (4).
Sans doute, les « communiqués « n’étaient pas
alors transmis sur tout le continent européen et une
ruse qui avait réussi au siège d’une ville pouvait
être,surtout après un intervalle d’un siècle ou deux,
reprise par d’autres stratèges; n’en est-il pas ainsi
du stratagème des moineaux qui mettent le feu aux
toits d’une ville en y laissant tomber des éponges
allumées qu’on a attachées à leurs ailes? Mais nous
serons portés ü croire que les historiens se sont
copiés les uns les autres, ou, ce qui est encore bien
plus probable, qu’il y a eu transmission orale de la
légende. Comme l’a remarqué ingénieusement
M. Steenstrup, Saxo Grammaticus a pu transporter
à Londonia (Londres) ce que Dudon avait dit de
Luna ; une similitude très approximative des noms
de lieu a pu servir, ici, de véhicule à la légende qui,
(1) Saxo Grammaticus, éd. Hôlder, p. 4t.
(2) Ibid., p. 50.
(3) Heimskringla, lit, p. 65.
(4) Steenstrup, Etudes préliminaires, p. 210.
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SUR DI'DON' DE SAINT-QUENTIN
57
au reste, parait s’être promenée surtout en Italie
où, sans doute, les écrivains normands l’ont
apportée. Originairement, elle pourrait bien être le
fait de quelque chef normand ; les vikings n’étaient-
ils pas très experts en ruses de guerre?
Reste à discuter un dernier élément du récit de
Dudon : le nom du chef, auteur de ce stratagème.
Or, il est remarquable qu’Hasting ne figure en 859 et
860 ni dans les sources franques, ni dans les sources
espagnoles, ni dans les sources arabes, ni même
dans une source irlandaise qui raconte l’expé
dition des Normands en Espagne et les combats en
Mauritanie, mais les attribue à des chefs irlandais,
les fils de Raghnall des Orcades (1). Ainsi pour
l’affaire de Luna comme pour les expéditions
dans la vallée de la Seine et de l’Oise, nous sommes
obligés de conclure que ce récit de Dudon n’a rien
d’historique ; il cristallise autour d’Hasting des faits
avérés, mais nous devons remarquer que la présence
d’Hasting à Noyon, en 890, fait contraste avec tous
les autres événements rapportés par Dudon qui
semblent, au contraire, se placer entre 8o9 et 862.
Le traité de paix avec un roi de France. — Au
retour de l’expédition de Luna, Hasting quitte la
Méditerranée et revient en France. Dudon ne parle
pas de la tempête qui aurait assailli au retour la
flotte des Normands et que raconte Guillaume
(1) O Donovan, Three fragments copied from ancient sources,
p. 159-163, publiés par ïlrish Arc/iæological and Celtic
Society.
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58
ETUDE CRITIQUE
de Jumièges (1) : celui-ci suit une tradition diffé¬
rente comme nous le verrons.
Hasting, à son retour, trouve la France désolée, les
Normands inspirent toujours la plus grande ter¬
reur (2). Le roi des Francs — on ne nous dit point
son nom (3) — lient un conseil où il demande aux
(1) Ed. Marx, p. 17. M. Marx voit une confirmation du
récit de Guillaume de Jumièges dans l’historien arabe
Ibn Adhàri, cité par Dozy, op. cil., p. 280. Mais à lire ce texte
on voit qu’arrivés à la côte d’Espagne, les Madjous avaient
déjà perdu plus de quarante de leurs vaisseaux ; quand
ils eurent engagé un combat avec la (lotte de l'émir Moham¬
med, ils en perdirent encore deux. Ibn Adhâri ne dit pas que
ces vaisseaux aient été perdus dans une tempête. Mais Guil¬
laume de Jumièges représente les navires de Bjœrn comme
ayant été assaillis par la tempête avant de rentrer en Angle¬
terre, tandis qu’IIasting rentrait en France. Vogel, Die Nor-
mannon und das Frankische , Heidelrerg, 1900, in-8”, p. 178,
à qui renvoie M. Marx, a conjecturé que la destruction des
navires était le fait de la tempête ; suivant son procédé habi¬
tuel, il a additionné ce qui se trouve dans les sources diffé¬
rentes.
(2) Dudon, p. 136.
(3) Stor.m, Kritiske Bidrag, p. 147. a signalé, il y a long¬
temps, la singulière ignorance de Dudon, qui ne paraît pas
connaître la chronologie des rois de France. Est-ce bien igno¬
rance? Peut-être dédain de rhéteur pour de tels détails et
surtout procédé fort habile pour couvrir ses mensonges et
ses erreurs.
Hugues de Fleury ne sachant de quel roi il était question
dans ce traité, a transporté le fait au temps de Charles le
Chauve et, dans son récit, c’est après ce traité qu’Hasting
part pour l’Italie (M. G. SS., t. XI, 378). Ceci n’est intéressant
que pour montrer comment, au XII e siècle, on essayait de
comprendre et d’expliquer le récit de Dudon.
Dummler, art. cil., p. 307, dit que ce traité dans Dudon
représente sans doute tous les traités conclus par les Nor-
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
59
grands s'il ne vaudrait pas mieux, pour le salut du
royaume, (aire la paix avec le plus coquin des
coquins, Hasting. Les évêques sont favorables à cette
idée, les grands sont hostiles, le roi penche pour
l’avis des premiers, il envoie des ambassadeurs à
Hasting et achète la paix à prix d’argent. Dudon
termine ce paragraphe en moraliste chrétien de tous
les temps: si les Francs out subi tous ces malheurs,
c'est à cause de leurs crimes.
Quel est le traité dont parle Dudon ? On peut
hésiter, puisqu'il ne donne pas le nom du roi et que
les rois francs ont conclu bien des traités avec les
Normands, mais le plus vraisemblable est qu’il
s’agit de celui conclu en 882 par le roi Louis avec
Hasting et c’est encore aux Annales de Saint-Vaast
que Dudon a pris ce renseignement. Ludovicus mro
rex Ligerim fietHt, Nortmannos volens e regno suo
ejicere, algue Alstignum in amicitiam recipere, quod et
leeit. Qu’est ce que le récit de Dudon si ce n’est le
commentaire de ces lignes laconiques et ambiguës?
Le conseil du roi dans Dudon, c'est le roi lui-même
qui, dans les Annales, veut à la fois chasser les Nor¬
mands et faire la paix.
On voit combien Dudon a peu le souci de nous
donner une biographie complète et chronologique
d'Hasting. Les événements qu’il racontait d’abord
semblaient se placer entre 859 et 862 ; Hasting
n’y figure pas d'ailleurs, selon les autres sources
mands avec Charles le Chauve, Louis III, Carloman, l’empe-
reur Charles III et Charles le Simple.
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ETL'OE CRITIQIF.
00
(à moins que l'on ne descende jusqu’en 890) ; mainte¬
nant, on passe sans transition du retour d'Espagne,
, en 862, au traité avec Louis, en 882, et voilà une
lacune de vingt ans dans la vie de ce grand chef
qui, au dire de Dudon, a été la terreur de la France
et dont, pourtant, il trouve si peu de chose à nous
dire.
En réalité, Dudon n’a pas voulu nous raconter
l’histoire d’Hasting, il a voulu faire un portrait, le
portrait du viking païen, féroce et rusé, par
opposition à Kollon, le viking humanisé et chris¬
tianisé.
Essayons maintenant de rechercher dans les
textes tout ce qui concerne Hasting, d’en dégager
une biographie, puis après avoir arrêté dans les
mesures du possible le cadre chronologique de
cette biographie, nous étudierons le problème de
l’origine, de la personnalité du chef viking et nous
verrons alors quel portrait nous pourrons mettre
dans le cadre chronologique. Nous confronterons
enfin ce portrait avec celui que Dudon en a
tracé.
Hasting dans Guillaume de Jumièges. — 11 est très
remarquable que, d'après Dudon, le chef viking
conclut la paix avec le roi des Francs moyennant une
contributiou ; c'esL au reste ce que disent les Annales
franques contemporaines. Au contraire, Guillaume
de Jumièges veut que la paix faite avec le roi
Charles ait eu pour conséquence une cession de
territoire. Hasting aurait reçu le comté de Char-
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 61
très (1). Guillaume de Jumièges revient même plus
tard sur ce titre de comte de Chartres. 11 mêle,
comme Dudon d’ailleurs, Hasting aux luttes contre
Rollon, en qualité de fidèle du roi. Le chef viking
est suspect aux deux partis, mais le comte Thibaut
l’écarte de l’armée royale en lui disant que le roi a
résolu de se débarrasser de lui ; Hasting, efïrayé,
disparait subitement ; on n'entend plus jamais
parler du redoutable pirate (2). Qu'on ait attribué,
au XI* siècle, cette ruse à un comte Thibaut, c'est
fort naturel : on pensait sans doute au fameux
comte Thibaut, qui régna sur Blois et Chartres au
X» siècle, et à qui son manque de scrupules mérita
le surnom caractéristique de Tricheur. Mais d’où
(1) • Hasting us vero, Karolum Francorum regem adiens,
pacem peliil. Quam ailipisccns, urbem Camolensem siipendii
munereab ipso, accepit ». Ed. Marx, p. 17. La même histoire
est racontée par Aubri des Trois Fontaines, qui place cet
événement en 904. M. G. SS. XXIII, 752. Mais cette chronique
a été rédigée au XIII e siècle et a pris ce renseignement à
Guy de Bazoches, auteur d'une chronologie qui s’étendait
jusqu’à 1199, et qui la prise lui-méme à Guillaume de
Jumièges. M. WiLBUR Abbott, Hasting dans YEnglish Histo-
rical Review, XIII, pp. 454-455, a exploré les historiens char-
trains, il n'en a rapporté que des conjectures bizarres et des
assertions sans preuves. Sir II. Howorth, art. cil., Freeman
et Grosley, admettent qu’Hasting ait été comte de Chartres. —
M. Abbott dit que le plus qu'on peut admettre, c’est qu’IIas-
ting a été mêlé à quelque siège de Chartres et peut-être a
pu devenir comte de cette ville ; pour la date, il hésite entre
845, 853, 858 et 888-889. Mais il n'apporte pas la moindre
suggestion à l'appui de cette hypothèse ou de l’une ou
l'autre de ces dates.
(2) Lib. II, § 5, éd. Marx, p. 23.
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62
ETUDE CRITIQUE
vient le renseignement qu’Hasling aurait été comte
de Chartres? Aucune source sûre n’en a jamais parlé.
11 est toutefois à noter que le nom d’Hasting se
trouve encore rapproché de la ville de Chartres dans
une source du XI° siècle, le Carlubiire de Saint Pire
de Chartres (1). Le rédacteurdu prologue de ce cartu-
laire, dans un récit des moins clairs, raconte
qu’une bande de pirates vint attaquer Chartres sous
les ordres du chef Hasting, homme des plus rusés (2)
et pour nous donner une idée de sa ruse, on nous
raconte l’affaire de Luna et l’enterrement simulé.
A son retour, le chef aurait suhi une défaite près de
Dive. Les hommes d’Hasting prennent un bain
lorsqu’ils sont assaillis par les gens du pays, ils
sont taillés eu pièces et beaucoup sont réduits en
captivité (3). Il est certain que la flotte des Nor¬
mands, après être revenue de son expédition en
Espagne, reparut sur les bords de la Loire au prin¬
temps de 862(4). Des côtes de la Bretagne ou des
possessions bretonnes en Normandie, elle a pu venir
jusqu’à Dive (o). Mais il n’y a aucune preuve de la
H) Ed. GuÊnAtiD (D. I.), 1840. t. I, p. 5.
(2) Dux autem corum Ilaslingus vocabatur, qui quanta
dnlositalis vir fucril.
(3) llaquc cioti in finibus Mannonicanorum remigio pervc~
nisscl, apud pontcm Divæ fluminis aplicans taxa corpora
rccrearc a lantn laborc sine alla pavorc cœpit.
(4) Annales llerliniani, éd. Waitz, p. 57.
(5) Marmoricanorum pourrait être une altération de anrwri-
canantm, n'oublions pas que tes possessions bretonnes com¬
prenaient les diocèses de Coutances et d'Avranches et en fait
s’étendaient même au-delà, peut-être jusqu’à la Dive.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 63
présence d'Hasting dans la flotte normande qui fit
l’expédition de la Méditerranée (1).
En somme, il y avait une tradition qu’Hasting était
resté au service des rois de France, Dudon a connu
cette tradition, puisque Hasting figure dau.s l’armée
franque deRagnold qui vaattaquerRollon.Guillaume
de Jumièges l’a connue aussi puisqu'il fait du chef
viking un comte de Chartres, mais de cela il n’y a
aucune preuve, non plus que de sa participation à
une prise de Chartres.
(1) Le rédacteur du cartulaire de Saint-Père de Chartres ne
nous dit pas à quel moment il place cette bataille et on ne
comprendrait pas pourquoi une bataille livrée à Divc intéresse
les Chartrains, si ce récit, n’était repris plus loin (a) l’armée
normande, revenant de l’expédition de Luna, débarque en
Normandie, marche sur Chartres ; l évèque Frambold est tué,
une intervention de la Sainte-Vierge se produit et l’armée
normande est mise en déroute et repoussée jusqu’nu pont de
Dive. Mais la mort de Frambold, dont parle le Cartulaire, est
un événement bien connu ; elle a eu lieu le 12 juin 8Ô8 (b).
(a) Ibid. I, p. 45.
(b) Necroloyium ecclesiœ, béate Mariœ Carnutensis, Merlct et
Clerval, Un manuscrit chartrain du XV Siècle, p. 166. — Prudence
dk Trotes la place à tort en 857. M. G. SS., I, p. 451, par consé¬
quent avant lexpedition de Luna, 859 à 862 ; il est douteux qu'lias-
tint? y ait eu part.
Auguste Le Prévost, consulté par Renjamln Guérard, éditeur du
Cartulaire, sur la valeur de ce récit donnait un avis nettement
défavorable; il n'attachait aucune importance à cette tradition.
Depuis lors, M. Rioclt de Neuville, dans un article intitulé :
La bataille de Dire, s’est efforcé de montrer, par un examen
géographique, qu’il n'etait pas impossible qu'une bataille ait eu
lieu à Dive (Ilecue fies Questions historiques, t. XXVIII, p. 234 à
249) Son argumentation est très ingénieuse ; mais quelle fut la date
de celte bataille? M. It. de Neuville, qui croit à la participation
d'Hasting à l'expédition de Luna, place cette bataille en 858: or, si
elle eut lieu au retour de l'expédition de Luua, ce ne peut être
eu 858.
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64 ÉTUDE CRITIQUE
Remarquons encore que Guillaume de Jumièges
donne un récit plus détaillé des pillages d’Hasting.
Des bords de la Seine, il le mène sur les bords de la
Loire à Saint-Florent, puis à Nantes, à Angers, à
Poitiers, à Tours enfin, et le ramène en Neustrie (1).
M. Storm l’a depuis longtemps noté (2); tout ceci
est emprunté aux iliracula S. Uenedicti d’Adre-
vald (3). Or Adrevald raconte les invasions des
Normands de 8Ü3 à 864; il ne dit pas un mot
d’Hasting ni de Bjœrn Côte de Fer et c’est sans
aucune raison qu’ltasting et Bjœrn Côte de Fer ont
été gratifiés par Guillaume de Jumièges de tous ces
hauts faits (4).
Biographie critique d’Hasting. — Il était naturel
de rapprocher d’abord l’histoire d’Hasting dans
Dudon de celle de Guillaume de Jumièges, autre
historien normand. Nous allons continuer cette
étude critique en suivant à la fois un ordre chrono¬
logique et géographique ; c'est à-dire que nous
discuterons d’abord les plus anciennes mentions
relatives à Hasting, mais qu’en descendant le cours
du temps, nous nous efforcerons de grouper ces
mentions, nous rechercherons successivement, après
(1) Ed. Marx, p. i 1-13.
(2| Kriliskc Bidrag, p. 76.
(3) Acta Sanctorum, mars, lit, p. 310.
(4) Storm voit dans cette légende d'Hasting et de Bjœrn une
tradition locale particulière, un récit de moines. Nous discu¬
terons plus loin l’origine de la tradition qui unit Hasting
et Bjœrn.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
t>r>
avoir discuté les mentions les plus douteuses, ce que
peuvent nous apporter les sources bretonnes, puis
les chroniques angevines et tourangelles, les chro¬
niques bourguignonnes, pour arriver aux sources
les plus sûres, les chroniques franques et anglo-
saxonnes.
M. Abbott a relevé une mention d'Hasting en
831 (1), mais il s'appuie sur l'édition des (lista
Consulum Andegavcnsium de Dom Bouquet; aucune
mention d’Hasting, à cette date, ne figure dans
l'édition critique des mêmes (lesta de MM. Halphen
et Poupardin (2.) Qu’y a-t-il à tirer d'une meution
d'Hasting dans le Livre noir de l'évêché de Cou-
tances, rédigé au XI* siècle? (3) et des mentions
contenues dans le Tractatus de reversione B. S. Mar¬
tini a Burgundia (4) qui est un faux du XII 0 siècle (5) ?
Certains historiens, Depping, Worsaae nous mon¬
trent HastiDg commençant ses incursious dès
l’année 841. (6) Si on remonte aux sources, on ne
trouve, pour justifier cette très ancienne mention
(1) Art. cit p. 445.
(2) Chroniques des comtes d'Anjou et des seigneurs d’Am-
boise , Paris, 1913, in-8°.
(3) Gallia Christ, XI, lnstr. 217.
( 4 ) Migne, Patrologie Latitie, t. CXXXIII, c. 818.
(5) Molixier, Les Sources de l’Histoire de France , Paris,
1902, in-8°, I., p. 270, et Mabille, Les Invasions Normandes
dans la Loire et les Pérégrinations du Corps de saint Martin,
dans Bic. Ec. Chartes , XXX, p. 149.
(6) Laxgereck, Scriptores rerum Danicarum , t. 1, p. 548;
Depping, Expéditions maritimes des Normands , p. 114;
WüBSAAE, Den Danske Erobring, p. 57.
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66
ETUDE CRITIQUE
du renommé chef normand, qu’un Fragmentum
historiœ Francia provenant de manuscrits fort
récents qui ne présentent aucune valeur histo¬
rique (1). Hasting a été évidemment confondu ici
avec Oscar, le premier dont le nom soit connu des
chefs normands venus dans la vallée de la Seine,
et qui visita Rouen en mai 841 (2).
M. Vogel, dans son ouvrage sur les Invasions
normandes dans l'empire franc , dit qu’il est possible,
mais qu’il n’est pas sûr, que les fils de bodbrok
aient apparu avec Hasting en l'année 850, mais il ne
trouve à citer que Dudon, Guillaume de Jumièges
et la Chronique du Mont Saint-Michel (3) ; or, Dudon
ne donne pas de dates (et nous avons vu combien
son récit était vague); il en est de même de
Guillaume de Jumièges, au moins dans le texte
que nous donne aujourd’hui M. Marx (4). Quant à
(1) H. F., VII, 224.
(2) Vogel, Die Nor-mannen und das frankischc Reich,
p. 8t.
(3) ld., p. 129.
(4) Lib. I. ch. VI, p. 9 : « Cujus cruore libaminis unani-
mitcr polati, venlo liante secundo , Vctmandensem aggre-
diunlur porlum, salientesgue c navibus, totum illico Vulcatw
Iradunl comitatum ». Ainsi évidemment pas de date. Or,
p. 10 de la même édition, M. Marx s'exprime ainsi : « La date
de l’invasion normande prise d'ailleurs à Dudon est exacte,
mais, quoiqu'on dise Guillaume de Jumièges, Bjœrn n’était
pas à la tète de cette expédition » ; et plus loin, il ajoute,
p. 10, n. 2: « Tous les détails qui suivent sur la destruction
du monastère (Jumièges) qui aurait eu lieu en 851 ou 852 ne
sont pas dans Dudon ». Ainsi M. Marx aflirme une fois de
plus que Guillaume de Jumièges donne la date de la première
invasion d’Hasting. Par malheur, comme on l’a vu, si on se
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SUR DUDON DK SAINT-QUENTIN fïï
la Chronique du Mont Saint -Michel, où on lit, à la
date de 851 (t) : Venit Haslingus in regnum Franche;
ce renseignement ne serait-il pas en rapport avec
ce que dit le De reversione Beati Martini a Burgun-
dia (2), qui place la venue de Hasting trois lustres
avant celle de Rollon ?
Descendons le cours des temps. Les Annales de
Metz (3) et Réginon font jouer, à Hasting, un rôle
reporte au texte de Guillaume de Jumièges, p. 9, tel que l'a
édité M. Marx lui-même, il est impossible d'y retrouver cette
date. Il m’a fallu recourir au Guillaume de Jumièges de
Duchesne pour comprendre les notes de M. Marx. Dans cette
édition, p. 218, on lit: « Cujus cruore libaminis unau imiter
potati, venlo flante secundo, Vennandensem aggreddiuntur
portum, anno ab incamationc Domini DCCCLl. Exibentes... »
Très probablement d’ailleurs cette date est le résultat d’une
interpolation, c’est pourquoi elle a disparu dans le texte édité
par M. Marx. Mais cet éditeur ne met pas d’accord ses notes
et son texte! Ajoutons que M. Marx aflirme dans la même page
que la date de 851 a été prise par Guillaume de Jumièges a
Dudon. On la cherchera en vain dans Dudon ; la première date,
qui se trouve dans le De Moribus , (il y en a quatre en tout) est
celle de 876 pour l’arrivée de Rollon en Normandie. On voit ce
que valent les notes de l’édition de M. Marx, notes de cours
jetées à la hâte au bas d'un texte qui vaut davantage.
(1) H. F., VII, 272.
(2) Migne, Pair, lat., t. CXXXIII, c. 824.
(3) Annales Metteuses. H. F., VII, 194. « Erat aulcm in
eadem villa basilica pergrandis c.c lapide constructa, in qua
maxitna pars Norltnannortim inlroivit cutn Duce sua, nomine
Hastingo. » Admise par Deppino, et par tous les historiens
allemands, Dummler, Geschichle (les Ostfrünkischen Reiches ,
Leipzig, 1887-1888, 3 vol. in-8% t. Il, p. 150; Kalckstein, Robert
der Tapfere , Berlin, 1871, in-8°, p. 104 ; Vogel, op. cit ., p. 218,
la présence d’Hasting à Brissarthe a été contestée par
M. Lot, dans le Moyen Age (1902), (Une année du règne de
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68 ÉTUDE CRITIQUE
dans le fameux combat de Brissarthe (86G), où
Robert le Fort trouva la mort. On peut douter du
fait. Les Annales Metteuses et la Chronique de
Réginon, pour cette période, sont des suites qui ont
été rédigées postérieurement et qui ne méritent pas
une absolue confiance.
En 867, Charles le Chauve, privé, par le combat
de Brissarthe, de la valeur de Robert le Fort, com¬
prend qu’il ne peut continuer la lutte à la fois avec
les Normands et les Bretons; il traite avec les
Bretons et laisse è leur roi Salomon les diocèses
d'Avranches et de Coutances, par le traité de
Charles le Chauve, p. 428) ; « M. Lair, dit-il, a déjà relevé
dans son introduction à Dudon de Saint-Quentin, p. 38,
n. 5, que les chroniques signalant la présence d'Hasting dans
le Nord et dans la Méditerranée, de 831 à 880, sont sans
autorité. 11 faut aller plus loin et dire qu'aucun texte sûr ne
signale llasting avant 882. Il est plus probable que nous
sommes en présence d'un anachronisme qui s'explique aisé¬
ment par le fait que le récit de Réginon est postérieur de
quarante ans aux événements. Le chef du raid de 8G6 est
quelque Normand obscur dont le nom a péri au profit d'un
plus célèbre ». Qu'aucune source sûre ne signale llasting
avant 882, nous en tombons d’accord avec M. Lot, mais que
la mention d’Hasting en 866 soit un anachronisme, nous nous
garderons bien d’ôtre aussi affirmatif, llasting disparaît en
893, il peut parfaitement être venu en Gaule dès 866 ; ce
n’est qu'une carrière de 28 ans; un homme robuste peut
porter les armes pendant plus de temps. llasting,eût-il trente
ans en 866, pouvait fort bien paraître encore en Angleterre
en 894. Hugues de Fleury conserve la tradition d une grande
longévité « Per numérota annorum curricula ibidem deguit ».
(M. G., SS, XI. 378), mais il n’est pas besoin de cette tradition
pour admettre qu’Hasting ait pu être à Drissarthe en 866 et
en Angleterre en 894.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
69
Compiègne. L’anDée suivante, Salomon se charge
seul de contenir les Normands de la Loire (1).
M. de la Borderie met Salomou eu présence des
bandes d’Hasting, sur les bords de la Vilaine (869) ;
mais, remarquons-le, s’il y a bien dans le Carlulaire
de Redon , un acte du 25 mai 869, où il est question
d’un combat entre Salomon et les Normands (2),
Hasting n’y est pas nommé. C’est par conjecture,
en s’appuyant sur les Annales Metteuses, sujettes
à caution, que M. de la Borderie suppose qu’il était
le chef de ces bandes.
De même, en 873, les Normands entrent dans
Angers, s'installent dans la ville abandonnée et eu
font une véritable forteresse. Charles le Chauve veut
arrêter cette invasion, il appelle à lui Salomon.
Menacés par les machines de guerre de Charles le
Chauve, par les Bretons qui avaient détourné le
fleuve (3), les Normauds font la paix et s’établissent
dans une île de la Loire. La chronique de Saint Serge
raconte cet événement, les Annales de Metz (4), la
Chronique de Nantes (ü) reproduisent ce récit, ainsi
(1) de la Borderie, Histoire de Bretagne , Rennes, 6 vol.,
gr. in-8°, 1906, t. II, p. 89.
(2) Factum est hoc in pago Namnetico, in plebe Davizac ubi
Salomon cl omîtes Britones , contra Normandes in procinclu
belli erant, VIII Kal . junii, ferialll ,. anno ab Incarnalione
Domini DCCCLXV1III. (Cartulairc de Redon, publié par
A. de Coursox, Paris, 1863, in-4®, n° 242, p. 193.)
(3) Annales Berliniani , éd. Waitz, p. 123, et Chronique de
Saint-Serge, H. F. Vit, 53.
(4) H. F., VII, p. 200.
(5) Ibid., p. 220.
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70
ETUDE CRITIQUE
que la Chronique de Sigebert de Gembloux (1).
Aucune de ces sources ne nomme Hasting, pas
même la continuation de la Chronique de Réginon (2)
qui fait intervenir Hasting à Brissarthe, en 866.
C’est pourtant cette même Chronique qui nous
représente Hasting comme mêlé à la lutte entre
Pascwiten et Gurvant. Salomon était mort en 874.
La Bretagne fut alors partagée entre son gendre,
Pascwiten, comte de Bro Weroc, et Gurvant, qui eut
le comté de Rennes. La guerre ne tarda pas à éclater
entre eux. Les Normands d’Hasting y auraient pris
part dans l’armée de Pascwiten (3), mais, tout ceci,
reposant sur l’autorité des seules Annales de Metz
reste douteux (4). M. de la Borderie croit pouvoir
constater la présence d’Hasting en Bretagne dans
les années qui suivirent, il lui attribue, sur la foi
de la vie de saint Tudual, le pillage de la grande
abbaye du Val-Trécor et de la ville épiscopale de
Tréguier (o), mais M. Vogel fait justement remar¬
quer que la vie de saint Tudual a été écrite au
(1) M. G. SS, VI, 34t.
(2) ld., I, p. 585.
(3) M. DE la Bobdebie, dans son Histoire de Bretagne ,
(t. II, passim ), a accepté le témoignage de la Chronique de
Réginon ; partant il raconte d’après cette Chronique la
présence d Hasting à Brissarthe et à la bataille de Bennes,
qu'il place assez arbitrairement en 875.
(4) A l'année 874, II. F. VIII, 201 ; le récit a un caractère
légendaire.
(5) de la Bobdebie, Histoire de Bretagne, t. II, p. 326.
Barbarorum multitude genlilium, Ilasle/iinco duce piraticam
exercens A mwricam regionem in solitudinem pene redegit.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 71
milieu du XI e siècle, par conséquent après l’œuvre
de Dudon, qui a pu l’influencer. M. de la Borderie
croit encore retrouver Hasting à Dol où il aurait été
la cause du transfert des reliques de saint Turiau,
racontée par un ancien continuateur d'Aimoin ;
ce texte est, à la vérité, assez vague (1). M. de la
Borderie estime que cette translation ne peut être
postérieure à 882, parce qu’à cette date le traité
avec Hasting, fit cesser ses ravages en Bretagne;
mais on ne voit pas en quoi le traité de 882, conclu
avec le roi Louis, aurait pu mettre fin aux ravages
d’Hasting dans la Bretagne indépendante. La pré¬
sence d’Hasting en Bretagne reste douteuse et nous ne
pouvons être aussi affirmatif que M. de la Borderie,
quand il écrit : « Nul doute que, de 878 à 882, beau¬
coup de points du littoral breton n’aient eu à subir,
de la part d'Hastiug et de ses bandes, de semblables
violences (2) ».
(1) * Ea tempestate, Astingo cum Nortmannis usquc
sæviente , multa corpora sanctorum a proprii,s loris in Frau¬
dant dclata sunt. Tune etiam corpus S. Leutfrcdi, una
cum ossibus beati Goffrcdi fratris sut, neenon S. Thuriani
Dolensis archipræsulis apud monasterium S. Germani in
suburbium Parisiense translata sunt #. Les Bollandistes,
Acta SS., jul. III , p. 587 admettent que cette translation de
Saint Turiau au monastère de la Croix-Saint-Leufroi a pu
avoir lieu en 878. de la Borderie remarque lui-même que le
corps de S. Leufroi n'a été transféré à Saint-Germain-des-
Prés que très peu de temps avant 918, mais le corps de
Saint Turiau avait pu être transporté de Dol «à la Croix-
Saint-Leufroi bien auparavant, de la Borderie, op. rit.,
t. Il, p. 327, n. 2.
(2) Op. cit., p. 352, n. 1.
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72
ETUDE CRITIQUE
Hasting et les sources angevines et tourangelles.
— Hasting est, à diverses reprises, cité par les
sources angevines. Le Liber de compositione castri
Ambaziae nous dit qu’à la mort de Charles le
Chauve (877), les Danois restés païens ravagent la
Gaule avec le chef Huasten pendant trois aus (1)
et forcent les chanoines de Saint Martin à trans¬
férer le corps du saint à Auxerre. Les Gesta
Ambaziœ ajoutent une note générale et une
réflexion qui se retrouvent exactement dans le
Libellus de quodum S. Martini miraculo de Ratbode
(et aussi, sous une autre forme, dans Dudon de
Saint Quentin) : on ne peut énumérer les ravages
faits en Gaule, les incendies des villes et des
régions, mais l’auteur pense que tous ces maux
sont arrivés par la permission divine pour punir
les péchés des Gaulois. Les Gesta racontent ensuite
la destruction d’Amboise, d’après l’ouvrage de
Ratbode et les ravages entre Loir et Cher (2). Mais
ce petit livre a été écrit vers le milieu du XII" siècle,
comme l'ont moutré ses récents éditeurs. Il n'a
donc qu’une valeur bien relative et il se peut que
là encore ce soit la légende d’Hasting qui ait fourni
(1) • Dani, qui in infidelitatem rcmanserant , cum Huasten
duce suo Gallias tribus annis infestantes. » Ed. Halphen et
I'oupardin dans Chroniques des Comtes d'Anjou et des Sei¬
gneurs d'Amboise, p. 21.
(2) L’ouvrage de Ratbode a été imprimé par Salmon,
Supplément aux Chroniques de Toiu'aine , Tours, 1856,
in-8°. p. 9.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 73
ces renseignements à l'auteur. Toutefois, nous
devons constater que ces événements s'étant passés
après la mort de Charles le Chauve, c'est à dire
après 877, peuvent avoir précédé le traité de 882
entre Hasting et Louis III. Or, si Louis a traité avec
Hasliug, c’est qu’il avait intérêt à s’eu débarrasser,
c’est que celui-ci avait déjà donné en Gaule des
preuves de son activité dévastatrice.
Les mêmes renseignements se retrouvent dans
un manuscrit des Gesta consulum Andegavorum qui
nous dit que c’est par crainte d’Hasting et de
Hollon que le corps de Saint Martin de Tours fut
transféré (1). Mais les Gesta consulum ont été écrits
au XII» siècle (2). Ce manuscrit a pu, en outre, faire
des emprunts à d'autres sources, il contient ici un
très long extrait du De reversione beati Martini a
Burgundia, attribué à tort à Eudes de Cluny (3).
Un autre passage des mêmes Gesta place sous le
règne de Geoflroi à la grise tunique, Grisegouelle,
une invasiou des Danois. Iluasten ravage, pendant
trois ans, les Gaulesavec une armée de Danois et de
Saxons ; on nous parle même de Suèves et on
nous raconte les exploits du danois Hetbelulphe,
une sorte de Goliath qui, sous les murs de Paris,
vient provoquer les Francs; le défi est relevé par
Geoffroi Grisegouelle (4). Mais ici il ne saurait s’agir
(1) Ms. C. Ed. Halphen et Poupardin, p. 30, n. d.
(2) Ibid., p. XXlll-XLVI.
(3) Comme te font remarquer MM. Halphen et Poupardin,
toc. cit.
(4) Ibid-, p. 38.
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71
ETUDE CRITIQUE
d’Hasting: GeolTroi Grisegonelle vivait auX' siècle ;
il mourut le 21 juillet 987 (I).
Une autre tradition a rapproché Hasting de Gor-
mond. Hugues de Fleury représente Hasting comme
signant un traité avec Charles le Chauve ; c’est à la
suite de ce traité qu'il va à Luna. Il vit un très
grand nombre d'années et Hugues de Fleury nous
affirme qu’Hasting est appelé ordinairement Gur-
mundus (2) : il y a là encore un contre-sens résul¬
tant de l’introduction, dans l’histoire, de légendes
empruntées aux traditions monastiques et aux
chansons de gestes. Une chanson de gestes, née près
de l'abbaye de Saint-Riquier, a réuni Gormond, le
roi africain et païen et Isambart, le renégat (3).
(1) M. Lot a conjecturé que GeolTroi Grisegonelle était le
héros d’une chanson de gestes, que cette chanson avait eu pour
point de départ des exploits accomplis pendant le siège de
Paris par les Allemands en 978 (a). MM. Halphen et
Poupardin, ajoutent qu'il pourrait s’y retrouver aussi un écho
des expéditions normandes de 965, lors de la guerre contre
Thibault le Tricheur (b).
(a) Lot, Geoffroi Grisegonelle dans l’épopée dans la Romania
XIX. 377.
(b) Op. cit ., p. 38, n. i.
(2) Vci'um isle A Islagnus vulgo Gurmundus solet nominari :
M. G. SS. IX, 378. M. Lot, Gormond el Isembard , dans la
Romania, XIX, 594, admet que l’on peut s’appuyer sur ce
texte pour identifier Hasting et Gormond. Nous n'en croyons
rien. Il y joint un autre texte tiré de la Grande Chronique de
Tours du XIII 0 siècle qui n’a pas plus de valeur.
(3) Hariulf, Chronique de l’Abbaye de Saint-Riquier,
éd. Lot, Paris, 1894, in-8°. Cette Chronique a été écrite au
XII* siècle. Sur la chanson, voir Lot, Gormond et Isembard,
Recherches sur les fondements historiques de cette épopée ,
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SDR DUDON DE SAINT-QUENTIN
75
Hugues de Fleury trouvant dans la région de la
Somme la tradition relative au fameux roi païen
Gormond, et y constatant aussi, d'après les Annales
franques, la présence d'Hasting, a rapproché Hasting
de Gormond et les a arbitrairement identifiés. On
peut facilement débarrasser l'histoire de ces légendes
adventices dont le processus de formation est seul
amusant à suivre.
Hasting et les sources bourguignonnes. —
M. Wilbur-C. Abbott parait attacher quelque impor¬
tance aux sources qui représentent Hasting comme
ayant effectué un raid en Bourgogne pendant le
siège de Paris, en 866 867, et comme ayant été battu
par le duc Richard, en 888. « La principale auto¬
rité est la vie de saint Vivent de Vergy, apparem¬
ment du X 8 siècle, qui raconte comment les
Normands, sous Hasting, ravageaient la Bourgogne
et brûlèrent le monastère de Vergy, quelque temps
après 868, puis furent poursuivis dans le pays
dans la Romania, XXVI, p. 1, et Bédier, Les Légendes
épiques, t. IV. Storm, Kritiske Bidrag, a consacré un appen¬
dice intéressant à Gormond l’Africain, appendice qui a été
négligé par les écrivains français. Storm remarque que le
légendaire Gormond s’étant promené de pays en pays, il
n’est pas étonnant qu’il ait fini par changer de personnage,
Giraud de Barri l’a bien confondu avec le chef norvégien
Thorgisl, Hugues de Fleury a pu le confondre avec Hasting.
Mais il ne donne pas la seule explication possible de cette
dernière confusion : le rapprochement entre la chanson de
gestes et les données des Annales dans un même cadre
local.
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76
ÉIl'DE CRITIQUE
chartrain et défaits par Richard (1) ». Mais il est
difficile de donner, comme suite à une expédition
d’Hasting en Bourgogne, en 866, une bataille qui
eut lieu, au dire même de M. W.-C. Abbott, en 888;
M. W. Abbott s'en tire en admettant, avec les
Bollandistes, éditeurs de la Vita, une correction au
manuscrit en ce qui concerne l'invasion normande
et en la plaçant en 886. 11 voit en outre une pleine
confirmation de ces faits dans le Chronicon Dcsucnst,
qui place cet événement en 888, dans la Chronique
d’Adémar, qui ajoute que Raoul, roi de Bourgogne,
défit les Normands à Destrictios, en 888 et que
d'autres bandes dévastèrent la France sous Baret et
Hasting (2), dans le Liber de Diversis Casibus Cœnobii
Dcrvensis (3] qui dit que Hasting, un chef wisigoth,
brûla le monastère et ravagea la Bourgogne, et enfin
dans la Translatio S. Aijulfi. qui ajoute qu’un
Hasting dévasta la France et fut tué par le roi
Raoul en 931 (4).
(1) Art. cit., p. 455. La Vila S. Viventii se trouve dans les
AA. SS. Boll., 13 jan. II, 86 ; c’est au chapitre relatif à une
translation des reliques que sont rapportés les faits dont
parle M. W.-C. Abbott.
(2) Historia d’Adémar de Chabannes, éd. Lair, Paris, 1899,
in-folio, p. 128. Le passage relatif à Hasting ne se trouve que
dans le ms. C. Adémar écrivait au XI* siècle en Limousin.
(3) El miraculis S. Bercharii. MABILLON, AA. SS. ordinis
Ben., II, 845-6.
(4) AA. SS. Boll., 3 sept. I, 755, et Mabillon, AA. SS.
ordinis Ben. II. 666. — Les Bollandistes font remarquer que
Hasting était mort sans doute depuis longtemps, lors de
T avènement de Raoul en 923 et M. W.-C. Abbott fait mourir
Hasting en 910 (??).
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SUR DLTON DE SAINT-QUENTIN Tl
Nous avouons qu’il nous est impossible de suivre
M. W.-C. Abbott dans ses raisonnements. Le Liber
de Diversis Casibus Cœnobii Dervcnsis est du XI 0 siècle ;
il est si bien renseigné sur Hasting qu’il le prend
pour un chef wisigoth et les événements dont il est
question se placent sous Raoul, doue au X e siècle, et
bien après la dernière date sûre (894), à laquelle
Hasting apparaît dans l’histoire. II ne faut voir là
évidemment qu’une preuve de la persistance et
aussi de la déformation de la légende d'IIasting.
Adémar de Chabannes est également une source
fort lointaine des événements et, d’ailleurs, en ce
qui concerne Hasting, loin de confirmer son expé¬
dition en Bourgogne, il parle de ses expéditions
dons le nord de la France.
Autrement sérieuses sont les Annales Ilesuenses
(monastère de Bèze), mais si elles mentionnent bien
le ravage du monastère, en 888, le ravage de la
Bourgogne, en 891, elles ne parlent point d'Has-
ting (1). Ajoutons que la bataille d'Argenteuil
n’est point de 888, comme le dit M. W.-C. Abbott,
mais de 898, comme nous le verrons plus loin;
ainsi tombe la coïncidence sur laquelle s’appuie
M. W. Abbott.
Restent la Translatio S. digulfi, et la Vita S. Viventii.
Quand même ces sources seraient du X“ siècle, il
serait permis de se demander si leurs rédacteurs
n’ont pas été influencés par la légende d’Hasting ;
(1) 888, F(ms Besuensis per très (lies a Normannis depopulatus
est. 891. — Burgundia a Normannis vastatur. » M. G..SS. II, 248.
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ETUDE CRITIQUE
il semblerait que toutes les abbayes aient tenu à
honneur d’avoir été ravagées par le célèbre chef
viking. Faute de mention dans des Annales sûres, la
présence d’Hasting en Bourgogne reste douteuse ;
en tout cas, elle ne saurait être placée en 886,
mais en 888, date de la destruction du monastère
de Bèze, et il est bien improbable qu’Hasling ait
pris part à la bataille d’Argenteuil ; en 89i, il était
en Angleterre, nous le verrons et il n'y a aucune
preuve qu’il soit revenu ensuite sur le continent (1).
Faits authentiques de la vie d’Hasting. — Hasting
et les sources franques et anglo-saxonnes. — Que
savons-nous donc d’Hasting d’après les sources
franques les plus sûres (2)? En 882, il sort de la
I.oire. gagne la mer, sans doute après avoir signé
la paix avec Louis III. En 890, pendant qu’une
bande normande s'établit devant Noyon, Hasting est
campé avec les siens à Argota super Summam
(Argœuvessur-Somme) (3). En 891, il fait la paix
avec l’abbé de Saint-Vaast, puis il essaie d’attaquer
cette abbaye, mais d’après le Cartulaire de Saint
Ilerlin et le Itccueil des Miracles de cette abbaye,
il subit un échec le deuxième dimanche après Pâ-
(1) Ajoutons que la source la plus sûre de l'histoire de la
Bourgogne, La Chronique de Sainte Colombe de Sens, publiée
par Duru, Bibliothèque historique de l'Yonne, Auxerre, 1850,
2 vol. in-4°, ne parlent pas de la venue d'Hasting.
(2) Annales Bei'tiniani auclore Ilincmaro, éd. WAITZ,
p. 153.
(3) Annales Vedastini, éd. Dehaisxes, p. 337.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
79
ques (892) (1). Il finit par s’établir près d’Amiens (2),
il est vaincu par Arnult, le roi des Francs de l’Est ;
après son départ, l’armée normande se reconstitue,
le roi Eudes se met bien en marche vers Amiens,
mais ne fait rien d'heureux.
Hasting disparait ensuite du royaume de
l’Ouest (3) ; il est passé en Angleterre en 892 (4).
Suivant la Chronique Anglo Saxonne, une grande
armée de païens vient du pays des Francs orien¬
taux jusqu’à Boulogne et de là traverse le détroit
avec 230 navires. La même année, Hasting (Hæsten)
dont la bande doit être distinguée de la grande
armée, parait à l’embouchure de la Tamise avec
80 navires, il établit un camp très fort près de
Middleton (Milton), sur la rive orientale du fleuve,
puis, quelque temps après, à Beamlleote (Benfleet);
sur les ordres d’Alfred, il y est attaqué par le
comte de Mercie, Adhered, qui brise cet obstacle,
(1) Annales Vedaslini, p. 338, n. a.
(2| Ibid., 339 et 341.
(3) Favre, Eudes, comte de Paris et roi de France, Paris,
1893, in-8" p. 136.
(4) Los historiens anglais, Plummer, The Life and limes of
Alfred the Great, Oxford, 1902, in-8°, p. 112, suivi par
Collingwood, Scandinavian Britain , London, 1908, in-8°,
p. 97, paraissent lier trois choses : la victoire d’Arnulf à
Louvain (octobre 891), l'arrivée de la grande armée en Angle¬
terre et l’arrivée d'Hasting. M. Abbott ne va-t-il pas jusqu’à
représenter Hasting comme ayant été vaincu à Louvain. En
réalité, M. Parisot a bien montré que les Normands pillèrent
la Lorraine en 892. (Le royaume de Lorraine sous les Caro¬
lingiens, Paris, 1898, in-8°, p. 498.) Ce n’est qu’en 892-893 que
la grande armée passa en Angleterre par Boulogne.
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ÉTUDE CRITIQUE
KO
fait un innombrable butin et enlève la femme et les
deux fils d’Hasting qu’il amène à Londres. Le roi
Alfred ordonne qu’on les rende au chef païen,
parce qu’il avaient été baptisés auparavant, l’un des
fils était le filleul du roi, l'autre celui d’Adhered (1).
La Chronique de Saint-Néot ajoute quelques détails :
Hasting revient à Beamfleote, puis il se rend à
Sceobyrig (Sbcebury) et y élève une forteresse très
solide et là se joint à lui la grande armée qui était
à Apuldra (Appledore) (2). Au cours de la campagne,
bloqués par l'armée d'Adhered, les pirates sont
réduits à manger leurs chevaux, puis ils sont mis
en fuite. La Chronique de Sainl-Néot seule ajoute
qu’en 895, les Normands d’Hasting repassent la mer,
après avoir perdu beaucoup des leurs et se rendent
à l'embouchure de la Seine. M. Stevenson appuie
le dire de la Chronique de Saint Néot sur les Annales
Uticenses , vérification faite, il y a là une erreur. Si
l’on songe que la Chronique de Saint-Néot est une
œuvre du XII" siècle, on n’ajoutera guère foi à ce
renseignement (3). Au contraire les dires des Chro-
(1) Anglo-Saxon Chronicle , éd. Thorpe, 2 vol. in-8° (Rolls
sériésJ, London, 1861, I. 164.
(2) Ed. Stevenson, à la suite de la Vie d’Alfred d’AssER,
Oxford, 1904, in-8°, p. 140.
(3) Bien que M. Collingwood qui donne un récit très
intéressant de l’expédition d'Hasting en Angleterre ait admis
aussi qu’il revint sur le continent en 896 où il devint comte
de Chartres. ( Op . cil. p. 97-99) et que M. Green The conqnesl
of England, London, 1899, 2 vol. in-S 0 , t. I, p. 192, fasse
d’IIasting le chef du raid sur Chester et dise que ses soldats
repartirent pour le continent en 897 : ce que VAnglo-Saxon
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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niques Anglo-Saxonnes sont très précis ; ils cadrent
fort bien, en somme, avec ce que nous savons d’Has-
ting. Le fameux chef Normand disparait en 895 et
d’après les sources franques, la bande qui remonte
la Seine en 896 est sous les ordres d’Hundée (1).
Ainsi, il est très remarquable qu'il n’y a aucun
rapport eutre la biographie d'Hasting telle que la
donne Dudon et celle que nous pouvons établir
d’après des sources sûres ; chose plus remarquable
encore, il n’y a même pas concordance de date ; les
faits certains de la vie d'Hasting, s'étendent de
882 à 894, et la biographie que nous donne Dudon
ne renferme pas une seule date, mais s'il fallait
l’arrêter à une date déterminée, ce serait précisé¬
ment à la date de 882, où Hasting conclut un traité
de paix avec un roi dont Dudon ne donne même
pas le nom et qui semble bien être Louis 111.
La biographie d'Hasting, dans Dudon, parait
donc dénuée de valeur ; elle semble n'être placée
là que comme un prologue à l’histoire des ducs
de Normandie; elle sert de prétexte à grouper
autour d'Hasting les quelques notions que Dudon a
réunies au cours de ses lectures sur les invasions
normandes. L’auteur du De moribus cristallise
autour d'Hasting les invasions normandes au moins
jusque vers 880 ; celui ci cède alors la place à
Chronicle ne dit nullement. Dans cette chronique, la dernière
mention concernant le fameux pirate est de 891 : nous ne
savons quand il quitta l’Angleterre.
(1) Annales Vedastiui, p. 353.
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82
ETUDE CRITIQUE
Rollon. N’oublions pas que Dudon écrit deux cents
ans après le début des invasions normandes ; il n'a
trouvé à glaner que peu de choses dans les Annales
sur les invasions normandes dans la région de la
Seine et il a été obligé de délayer, d’allonger, par
des histoires et des légendes, le peu qu’il avait
recueilli.
L’Origine d’Hasting et les Sagas. — Il reste un
dernier problème à se poser, celui de l’origine du
célèbre viking. « Qu’llasting ait existé, disait, en
1806, M. Lair, c’est un point sur lequel tous les
historiens sont d’accord, mais où est-il né? Dès ce
moment, les divergences apparaissent. Les uns lui
donnent une origine scandiuave, les autres une
origine champenoise ; d’autres, enfin, une origine
neustrienne. Cette troisième opinion, qui n'a pour
elle aucuue autorité, ne mérite pas d’être réfu¬
tée (1) ».
Il n’y a, en etlet, en présence, semble-t-il au
premier abord, que deux textes (2) : celui de Raoul
(1) Eil. Dudon, p. 37.
(2) Je laisse de côté l'origine neustrienne qui ne s'appuie
sur aucun texte, et l'histoire qui fait d'Ilasting un duc de
Laland. (Eccahd, Chronique d’Herman Corner dans Corp.
Hist. Med. Œv., II, 41)4 ) : * Haslingus dux Lalandiœ regni
Danorum secundum Chronica Slavorum cum ris qui a Anglia
discesserant * et donne la Chronique d'Helmhold, comme
référence. (Helmhold Bosonensis dans Leibnitz. Scr. Ber.
Brumw. II, 537, 743). Cette Chronique est du XII* siècle et
doit sans doute ce renseignement à Dudon où elle l’a pris en
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SI'11 DL'DON DE SAINT-QUENTIN 83
Glaber, qui (ail d'IIasting un renégat du pays de
Troyes, et le récit de Dudon de Saint-Quentin, qui
en (ait un Dace, c’est-à dire un Danois (?).
L’origine champenoise repose sur un court texte
du moine Raoul le Glabre : un jeune homme, né
près de Troyes, à Tranquillus, dans la dernière
classe des paysans, (ort et robuste, d'esprit éveillé,
mais d’une ambition sans limites, s’engage parmi
les Normands, devient leur chef et ravage sa patrie
sous le nom d’IIasting (1).
Grosley, qui a consacré une note détaillée, mais
sans critique, à Hasling, dans les EphémérUies
troyennes (2), a longuement développé ce texte. Cette
opinion, admise, sans discussion, par Sisinondi,
par Augustin Thierry, (ut un instant classique, mais
Depping doutait de sa véracité (3), Licquel s’en
moquait (1), I.air n’osait s’y rallier, toutefois il ne
la croyait pas dénuée de tout fondement : « Le rené¬
gat de Troyes a pu exisler. L’histoire de ces temps
le défigurant. Encore moins doit-on attacher d'importance a
JUML’S, Hisl. Bntav., p. 342, qui fait vivre Hasling avant 7U0
et le dit velus Batavia: prosapia.
(1) » ïn processti quoque t emporia or lus est vie quidam in
pago Treeassino ex infnno ruslicorum generc, Aslingus nomine,
in vico videlicet qui Tranquillus dicilur, tribus a cidiale
dislans milibus. Qui juvenis valons mborc corpuvis, perverse:■
tamen indolis, superbiendo abiciens forlunam pauperum
parentum elegit exul fore, dominandi victus cupidine ». Ed.
Proit, Paris, 1886, in-4°, p. 18.
(2) Paris, 1811, t. II, p. 30.
(3) Op. cit., 2 e éd., p. 76.
(4) Histoire de Normandie , I, 58.
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ETUDE CRITIQUE
malheureux nous fournit plus d'un exemple de ces
abjurations de Dieu et du pays par des misérables
qui s’efforçaient d’oublier, à force de crimes, la
religion, la patrie, la civilisation foulées aux
pieds (1) ».
En Allemagne, la question ne fut pas posée. En
Scandinavie, on s’en tint à l'origine Scandinave
affirmée par Dudon. I.es historiens danois, les seuls
consultés par M. Lair (et c’est une tradition qui
malheureusement s’est conservée : qui n’entend
qu’une cloche n’entend qu’un son), ne résolurent
pas la question. Langebeck dans les Scriptores rerum
Danicarum y renonçait (2) ; Suhm voulut distinguer
deux Hastings et fit naître le premier dans la Gothie
occidentale (3) ; mais disait Lair, les preuves
manquent à son assertion. Worsaae, considéra Has-
ting comme danois, tout en reconnaissant que son
nom ne se trouvait dans aucune source danoise (4).
Les historiens norvégiens avaient fait cependant
une remarque intéressante. Munch (3) et après lui
Storm (6) avaient noté qu’Alstignus était sans doute
la traduction latine de Halstein, Haslein, mais ils
(1) Éd. de Dudon, p. 37. Isembard, le compagnon de Gor*
mond est le type du renégat.
(2) Copenhague, 8 vol. in-fol., 1772-1792, t. I, p. 496.
(3) Historié af Danmark , Copenhague, 1782-1824, 14 vol.
in-4», t. III, p. 891.
(4) Den Danske Erobring, p. 57.
(5) Det norske Folks Historié, Christiania, 1852-59, ti vol.
in-8“, I, pp. 427, n. 2 et 633, n. 2.
(6) Kritiske Bidrag , p. 63.
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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN
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ne s’étaient pas souciés de rechercher qui pouvait
être cet Hastein. Jadis, Suhm, puis, en 1898, Wilbur
C. Abbott (1) et récemment le professeur d’histoire
de l’Université de Christiania, M. Alexander Bugge,
ont cru trouver Hastein dans le Landnama-boc et
l’ont identifié avec le fils d’Atle, Hastein. Reprenons
le problème et retournons aux textes.
Avec toute la critique sérieuse, je crois qu’il faut
laisser de côté l’histoire de Raoul Glaber. Hasting
n’est pas un nom franc, c’est un nom norrois, c’est
le seul résultat incontestable sur lequel sont
d'accord Munch, Storm et M. Alex. Bugge. Hasting,
étant Scandinave, ne peut être Champenois. Et
voilà le problème déjà limité. Reste à expliquer la
légende de Raoul Glaber. On peut supposer que
Raoul Glaber a entendu parler de l’histoire de quel¬
que renégat de son pays qui a rejoint les Normands
et qu'il l’a identifié avec un chef pirate célèbre.
L’origine neustrienne et l’origine champenoise
écartées, il n’y a qu’à retenir l’origine Scandinave
d’Hasting. M. Wilbur Abbott rejette l'origine danoise
affirmée par Dudon ; le nom d’Hasting est danois, et
non norvégien, Suhm déjà admettait qu'il y avait eu
deux chefs du nom d’Hasting, ce qui résolvait la
difficulté, et il croyait que l’un de ces chefs était nor¬
végien, qu’il était venu du pays de Sogn, et il le
retrouvait dans l’un des fils d’Atle, confie de Gaular;
Allé (ut tué dans ses luttes contre le comte Hakon
(1| .-1 ri. cil. ; M. Bugge, ne paraît pas avoir connu cet
article.
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ETUDE CRITIQUE
Xfi
Griotgardsson et son fils Hasteinn, chassé de Sogn
par Harald Harfagr’ (similitude avec Rollon) s'en
alla en Irlan de avec sa femme Thora et ses deux fils,
Allé et OEhvi ; il s'établit à Stokksegri Hasteinn-
sund (I).
M. Abbott croit que cet Hasteinn est l’IIasting des
sources franques, anglo-saxonnes et normandes,
le seul et unique Hasting. Mais si intéressante que
soit son hypothèse, il ne l’appuie que sur deux
coïncidences: Hasteinn a deux fils dans la Chronique
anglo-saxonne, il en a deux également dans le Land-
nama-boc; d’autre part, l’arrière-petit-fils d’Hastein
aurait été baptisé en Islande vers l’an 1000 !2), et en
remontant en arrière et en comptant par générations,
Hasting, son arrière grand-père, a pu vivre au
IX e siècle et mourir vers 910. A vrai dire, ces
coïncidences sont, l’une et l’autre, assez faibles.
M. Bugge s’appuyant sur des manuscrits du
I.andnama-boc où on lit Hallstein, regarde comme
évident que le « nom du chef viliing Alstenius ou
Hastingus peut être regardé comme une traduction
latine de Hallsteiu (3) ». Un savant romaniste
suédois, favorable aux thèses danoises, M. Walberg,
s’est élevé avec vivacité contre la thèse de M. Bugge;
le professeur suédois ne voit là qu’une pure fan-
(1J Landnania-boc, I. 3. 2., êd. VlGFUSSON et Powell,
Origines Istaudicœ, Oxford, 1905, 2 vol., in-8°, I, p. 19.
(2) Corpus poeticum boréale, éd. VlGFUSSON et PoWELt,
Oxford, 1883, 2 vol., in-8", 11, 491.
(3J Gange-Hoir og crubringen ar Xonnamtic (Exü\ de VHist.
Titlsskr .), Christiania, 1911, in-8", p. 17.
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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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taisie : Hallstein n’est pas donné par tous les
manuscrits du Landnama-boc, ceux qui le donnent
sont sans valeur: avec ce système ou arriverait,
dit-il, îi donner autant de (ils à Allé qu'il y aurait
de fautes de copistes dans les manuscrits du Land-
nama-boc (1).
Eu admettant la critique de M. Walberg (2), il
reste toujours qu’Hallstein et llaastein qui se
retrouvent, et à bien des reprises, dans les Sagas,
ont pu donner Hastingus, Alstignus en latin, d'où
Hasting et qu’il est légitime de rechercher Hasling
dans les recueils de Sagas.
L’origine Scandinave d’Hasting a été affirmée par
Dudou dans le passage où il (ait d’Hasting, sans le
dire formellement, un Danois ; elle l'a été aussi par
Guillaume de Jumièges. Mais on ne l'a pas assez
remarqué, Guillaume Calcul, tout en déclarant qu’il
résume Dudon, suit assez souvent, et nous y revien¬
drons, une tradition indépendante de celle que
rapporte le chanoine de Saint-Quentin, si bien qu’on
(1) Conférence sur l'Origine de Itollon dans le Compte
rendu des Travaux du Congrès du Millénaire de la Normandie ,
Rouen, 1912, t. Il, p. 910. n. 1. M. Walberg parait ignorer
que Suhm, savant danois et M. Abbott, savant anglais, ont
déjà soutenu l’origine norvégienne d'Ilasting, lits d'Atlc.
(2| Et il n’y a pas lieu de l'admettre ; d'une part, M. York
Powell, le savant éditeur des Sagas, inclinait à croire qu’il
y avait bien quatre frères, tUs du comte AUe, Ha-, Hall-,
Her- et Holm-Steinn ; d'autre part, M. Wilbur C. Abbott,
qui nous donne cette opinion de M. Powell, art. cit ., p. 444,
n. 23, croit que Ha- et Hall-Steinn sont deux transcriptions du
même nom, et qu’Hasteinn ou Hallstein, fils d’Atle, est bien
le même personnage que le fameux Hasting.
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KTUDE CR1T1QPF
a conjecturé ingénieusement que Guillaume avait
peut-être sous les yeux un manuscrit de Dudon
différent de ceux qui nous sont parvenus (1),
hypothèse naturellement invérifiable, mais qui est
intéressante. Quoi qu'il en soit, il est certain que
Guillaume de Jumièges, même dans ses quatre
premiers livres, n'est pas seulement un simple
reflet de Dudon. Avait-il quelque esprit critique?
C'est possible. Avait il d’autres renseignements ?
C'est certain.
Il est tout à fait important de constater qu’il s’est
en particulier éloigné de Dudon en ce qui concerne
l’origine des chefs normands ; nous y reviendrons
à propos de Rollon et nous verrons combien cette
remarque pèse sur la solution du problème (encore
qu’on ne l'ait jamais noté) ; il en est de même en ce
qui concerne Hasting. Si Dudon laisse entendre
que ce chef est un danois, Guillaume de Jumièges,
lui, le présente à côté de Hier Costa; Ferrcee, Bjœrn
Jœrnside (Côte de Fer) et dit que ces deux chefs
et leurs bandes sont venus du Danemark et de la
Norvège (2).
Guillaume veut-il dire que ces bandes venaient
des deux pays? Je le crois. Veut il dire qu’il n'y a
pas lieu de distinguer Danois et Norvégiens? Ce
(Il Palgrave, Ilistory of England and Normandy, t. Il,
p. 908.
(2) Ed. Marx, p. 5. • Qtto tempore payant, cum Lotbroci
régis filin, nomine Hier Cosleæ tjuidem ferreæ , procurante
ejus ejcpedilionem Hastingo, omnium pagatwntm nctpiissinw,
a Noricis sait Danicis finibus eructuantes ».
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SUR DL’DON DE SAINT-QUENTIN 89
serait de la prudence, prudence normande. Peut-
être a-t il devant lui deux traditions : l'une, la
tradition fabriquée par le clerc lettré et stipendié,
Dudon, pour lequel les chefs normands de Nor¬
mandie sont danois, l'autre dont nous allons
rechercher l'origine et la teneur, suivant laquelle
les chefs normands sont norvégiens.
Remarquons maintenant que Guillaume de Ju-
mièges présente toujours Hasting à côté de Bjœrn ;
leurs noms sont pour lui inséparables, ce ne sont
pas Castor et Pollux, mais Mentor et Télémaque,
Hasting est le pœtlagogus de Bjœrn Côte de Fer.
Légende, dira-t-on, « tradition purement légen¬
daire », dit M. Marx dans son édition récente de
Guillaume de Juinièges (1). Légende si l'on veut,
mais d’où vient elle?
Ouvrons les recueils de Sagas, cherchons-y
Haslein ; nous ne le trouvons pas seulement dans
le Landnama-boc, nous le trouvons aussi dans
d’autres Sagas ; mais s’il en est une où nous le
retrouvions en connexion avec Bjœrn, ne serons
nous pas frappés de la coïncidence ? Or, lisons
l'Eyrbyggia Saga (2).
Pour comprendre tout l’intérêt de cette Saga, il
est nécessaire de l'analyser : Ketil Flatnefr est le
nom d'un noble seigneur de Norvège. 11 a pour fils
(1) P. 5., n. 1, M. Abbott la rejette aussi sans une dis¬
cussion sérieuse. Art. cil., p. 450. 11 ne parait pas avoir connu
le texte de l' Eyrbyggia Saga dont nous allons parler et que
personne d'ailleurs n'a utilisé.
(2) Origines lslandicæ, t. I, p. 252, sqg.
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90 ÉTUDE CRITIQUE
Bjœrn el Helge. Bjœrn est établi dans l'est, dans le
Iamtaland. Il arrive en ce temps que le roi Harald
Harfagr’ devient roi de Norvège. A cause de la
guerre civile, beaucoup de gens bien nés quittent
leurs héritages en Norvège, les uns s’en vont vers
l'est, traversant les Kicelen, les autres s’en vont vers
la mer; quelques-uns s’établissent dans les Suderœ
(les Hébrides) el les Orcades et au printemps ils
font une expédition en Norvège et commettent
beaucoup de ravages dans le royaume de Harald.
Les hommes libres (bœndr) portent la question
devant le roi el le prient de les délivrer de la guerre
civile. Le roi décide d’envoyer une armée pour
aller dans l’ouest sur la mereldésigue Kelil Flatnefr
pour en être le capitaine. Kelil s'excuse, mais le
roi lui dit de partir et quand Ketil voit que le roi
veut être obéi, il se tient prêt et s’en va avec sa femme
et tous ceux de ses enfants qui sont avec lui. Quand
Ketil arrive dans l'ouest, par mer, il a des batailles
à livrer, il conquiert les Hébrides et en devient le
chef. Il conclut des traités avec les plus grands
chefs à l'ouest de la mer et renvoie son armée vers
l’est. En revenant devant le roi Harald, ces hommes
disent que Ketil Flatnefr s'est rendu maître des
Hébrides et que le gouvernement d’Harald ne
s'étendra plus dorénavant à l’ouest de la mer.
Quand Harald entend cela, il confisque les biens
que Ketil avait en Norvège. Ketil donne en mariage
sa fille Aud à Olat le Blauc, le plus grand seigneur
de l’armée au delà de la mer.
Cependant Bjœrn, fils de Ketil, était dans le
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SIR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 91
Iamtaland. 11 vint de l'est, en traversant les Kiœlen,
à Trondlieim, et de là il alla vers le sud ; il prit
possession de la terre que son père avait eue et il
chassa les chefs (ar memr) que le roi Herald y
avait établis. Le roi Harald se Irouvait dans le
Viken ; quand il apprit ce fait, il marcha vers le
nord et se rendit à Trondlieim ; il y convoqua le
conseil des huit peuples, et à cette assemblée il
bannit Bjcern , fils de Ketil de Norvège, ordonnant
qu'on pourrait le tuer où on le trouverait. Quand
ils furent arrivés au sud de Staad (cap Slat), les
amis de Bjcern l’avertirent. Alors Iîjœrn gagna une
barque avec les siens et avec son bétail et se dirigea
vers le sud le long de la terre : car on était au cœur
de l’hiver et il n'osaitaller sur mer. Bjcern longea la
côte jusqu’à ce qu’il vint à une île appelée Mostr qui
se trouve au sud d’Hordaland et là un homme le reçut
dont le nom était Thor-Wolf. Bjœrn passa l'hiver
dans cette retraite. Thor-Wolf était un grand chef ; il
possédait un grand territoire, il gardait le temple du
Tonnerre, Tlior, dont il était l’ami. Au printemps
Thor-Wolf donna à Bjœrn un bon vaisseau de guerre
et un bon équipage; il lui donna son /ils Hallstein
pour être son compagnon (pour marcher avec lui) et
ils allèrent sur mer vers l'ouest pour rencontrer les
compagnons de Bjœrn. Et quand le roi Harald
entendit que Thor-Wolf avait reçu Bjcern, fils de
Ketil, le banni, l’out/air, il lui ordonna de s’exiler
comme Bjœrn au delà de la mer, à moins qu'il ne
voulût venir soumettre l’a lia ire au roi. Thor-Wolf
fit un grand sacrifice et consulta l'oracle de Thor
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92
ETUDE CRITIQUE
pour savoir s'il devait obéir au roi ou quitter la
contrée et chercher une autre carrière (1) L’oracle
envoya Thor-Wolf en Islande. Et après qu’il eut pris
un grand navire, il partit avec tous ses biens, il
emporta le temple et il s’établit à un endroit qui
devint Thor’ness.
Bjœrn alla aux Hébrides, mais sou père, Ketil,
était déjà mort, Bjœrn reçut un bon accueil de son
frère Helge et de ses sœurs. Il resta deux hivers aux
Hébrides et il fit un voyage en Islande. Avec lui était
Hall stein, fils de Thor-Wolf. Ils débarquent à Broad
Fryth. L’histoire s’arrête là (2).
Ce qui est tout à (ait digne d’attention dans cette
Saga, c’est son haut degré de vraisemblance, de
crédibilité, si j’ose m’exprimer ainsi. Nous verrons
qu'il en est de même du passage delà Sagad’Harald
Harfagr’, relatif à Hollon. Reprenons ce récit, sui-
vons-le, la carte à la main ; c’est un travail que n'ont
pas fait les éditeurs, uniquement soucieux — et
avec raison — de nous donner un bon texte. Bjœrn
est établi dans le Iamtalaude. C’est évidemment le
Jàmtland, pays norvégien à cette époque, aujour¬
d’hui suédois, au revers oriental des monts
Kiœlen. La Saga rappelle ensuite qu’au temps du
roi Harald Harfagr’, il y eut une vaste émigration
(1) Sur les sacrifices des vikings au moment du départ,
voir Pineau, Les vieux chants populaires Scandinaves, p. 101.
Sur le dieu Tlior, voir tout le développement précédent.
(2) Notons que l’histoire de Bjœrn Ketilson et de Hallstein
est racontée également par le Landnama-boc, 11, 9, 1,
Origines Islandicæ, I, p. 66.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 93
des gens bien nés ; nous avons noté déjà que ce lut
là une des causes principales, peut-être la cause
initiale, des expéditions des vikings ; l’émigration
des propriétaires, des seigneurs, fut le résultat de
la constitution même d’une monarchie puissante,
de l'organisation même des Etats Scandinaves, de
la Norvège en particulier. Beaucoup de ces petits
princes répandus de Trondlieim à la Baltique,
jusque là indépendants, préférèrent s’exiler, quand
le roi Harfagr’ voulut les soumettre. C’est la belle
époque des vikings ; les uns partent par la terre:
ils traversent les Kiœlen et vont dans ce pays alors
à peine connu, entre la Suède et la Norvège; les
autres vont vers la mer ; ils gagnent les Orcades,
les Hébrides, les îles du Sud (Suderoe). Mais c’est
un jeu pour eux que de revenir en Norvège; à la
belle saison ils font des expéditions sur la terre
ferme; les hommes libres (bœndr) si indépendants
en Norvège se plaignent au roi. Celui-ci désigne
Kelil pour châtier les pirates ; il conquiert les
Hébrides, mais il s’y rend indépendant, llarald en
est averti, se fâche, confisque ses biens. Oiaf le Blanc,
à qui Ketil donne sa fille, est un des chefs norvé¬
giens établis en Irlande (1).
Mais Bjcern est revenu du JUmtland pour re¬
prendre les biens de son père, il en chasse les
agents du roi. Celui-ci est alors dans le Viken ; c’est
la côte orientale des détroits du nord d’où sont
partis aussi beaucoup de pirates; il se met en
(1) Voir Munch, op. cil., p. 441 ; Alex. Bugge, op. cit.
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ETUDE CRITIQUE
Ht
marche par terre vers Trondheiin, les vallées du
Glommen et de l’OEsterdal forment là une route
toute indiquée. Il convoque le conseil, l'assemblée
des huit peuples (I), ce thing norvégien, que nous
savons avoir eu une grande importance (2). Bjœrn est
condamné au bannissement, c'est la peine ordinaire
prononcée contre les révoltés, et c’est une des causes
des expéditions des vikings. Comme c’est le cœur
de l’hiver, Bjœrn ne veut pas se lancer à travers
la mer du Nord (3> II se contente de longer la côte,
il va jusqu'à une ile appelée Mostr au sud de Ilorda-
Land. Or Mostr et IIorda-Land sont des points
qu’il est facile d’établir; ils se trouvent entre le cap
Lindesness et le cap Stat. Là il est accueilli par
Thor-Wolf, un grand du pays, un fervent du
culte du Tonnerre qui subsiste encore à ce
moment là, et c'est une nouvelle cause des expé¬
ditions des Normands païens; inquiétés par les
progrès du christianisme, pour se venger des
missionnaires, ils allaient porter la guerre dans
les pays chrétiens. Thor-Wolf, au printemps,
donne à Bjœrn un navire et envoie avec lui
|t) Sur cette assemblée, voir La Norvège, Kristiania, 1900,
in-8' 1 , p. 130.
(2) Sur le Tliing, voir Geffroy ; L'Islande avant te Chris¬
tianisme d'après te Gragas et les Sagas, Paris, 1898, in-12 ;
.1. TOUT AIN, Les Norlttmans en Islande au moyen fige, d’après
une publication récente, Kouen, 1898 ; Henri Prentout, Essai
sur les origines et la fondation du duché de Normandie,
p. 207.
(3) Il est en effet parfaitement exact que les vUtings évitaient
cette traversée en hiver.
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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN 95
son fils Hallstein. Ils s’en vont à l’est pour rencon¬
trer les parents de Bjœrn qui sont venus au sud du
cap Stat. Quant à Thor-Wolf, après les menaces du
roi et après consultation de l’oracle, il s’exile égale¬
ment et se rend en Islande. Bjœrn, lui, va rejoindre
Kelil aux Hébrides ou en Islande. Son père est mort
et il est accueilli par Helge et par ses sœurs, il passe
auprès d’eux deux hivers aux Hébrides et il s’en va
ensuite en Islande, avec Hallstein.
Tout cela est parfaitement vraisemblable. Ajou¬
tons que tout cela est parfaitement historique. Sans
doute l’Eyrbyggia Saga nous est parvenue par une
série de manuscrits dont le plus ancien est du
XIV» siècle. Mais M. Vigfusson, le a sagace » éditeur
leur des Sagas, comme l’appelle M. Steenstrup, et
M. Powell établissent, d’après l’étude des manus¬
crits que ceux ci proviennent d’autres manuscrits
plus anciens. Ils regardent comme bien antérieure
au XIV 8 siècle la composition de la Saga elle-même;
ils lui attribuent un fond de vérité historique incon
testable : c’est pour eux « la plus historique des
Sagas » (1 ). Nous avons même des poiuts de repère,
des dates qui manquaient à la thèse de Suhm,
d’Abbott et de M. Bugge. D’une part, celte histoire
commence au début du règne de Harald llarfagr’
qui monte sur le trône en 863 (2| et, d’autre part,
l’établissement de Bjœrn, eu Islande, est placé
(1) Origines Islandicte , t. II, p. 9-2.
|2) « Il arrive en ce temps qu'llarald Harfagr' devient roi de
Norvège. »
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96 ÉTUDE CRITIQUE
par MM. Vigfusson et Powell, vers l’an 900 (1).
Or, tout ce que nous savons de certain des hauts
faits d'ilasting sur le continent, tient précisément
entre deux dates à peu près semblables: 866, si on
admet qu'il ait été à Brissarthe, et 895, si on admet
le renseignement donné par la Chronique Anglo-
Saxonne, qui le meutionne encore à cette date
en Angleterre.
Il ne figure dans aucune autre source franque
sûre avant 866, et dans aucune autre source franque
ou anglo-saxonne après 895 (2). Sa disparition s'ex¬
plique s’il est allé avec Bjœrn se fixer en Islande.
Mais, me dira-t-on, et c’est la plus grosse objection
à ce rapprochement, la Saga ignore complètement
les expéditions de Bjœrn fils de Ketil et de Hallstein
sur le continent (3). Nous verrons, au contraire,
(1) ld., 1.1, p. 259.
(2) Suivant M. Collingwood, op. cil., pp. 99, 192, 208,
Hasting aurait été à la tête de l’armée Scandinave qui s’établit
à Chester, dans l'ancienne enceinte romaine, nu nord du
Pays de Galles. Sans doute les sources ne le mentionnent pas
expressément, mais il est possible qu’il soit venu jusque-là
au cours d’un raid à travers l'Angleterre, puis, que par l’île
de Man, les Hébrides, les Orcades, toutes colonies norvé¬
giennes, il ait gagné l’Islande que les Norvégiens commen¬
çaient à coloniser et où il serait arrivé, suivant la conjecture
de MM. Vigfusson et Powell, vers l’an 900. La coïncidence
des dates est vraiment remarquable.
(3) La même objection pourrait être faite à la thèse de
MM. Abbott et Bugge. Tout de même la Saga ignore la
participation de Ketil aux expéditions des Normands sur le
continent, et cependant Richer affirme la présence de Ketil,
Catillus dans les Gaules. Richcri hisloriarum libri quatuor,
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 97
que la Saga connaît les expéditions de Ganger
Rolf en Valland. Je comprends toute l’importance
de l’objection que je me formule à moi même.
Seule, elle m’empêche d’affirmer qu'Hasting est bien
Hallstein, fils de Thor-Wolf et Bjœrn, le fils de Ketil.
Mais si je ne veux pas l’affirmer, je n’en trouve
pas moins le rapprochement très vraisemblable,
extrêmement probable, car il reste deux choses
frappantes : les concordances absolues des dates et
celle surtout qui résulte de ce fait que Guillaume
de Jumièges connaît, lui aussi, une tradition relative
à Bjœrn et Hallstein, faisant en commun deux
expéditions ; or, comment Guillaume de Jumièges
a-t-il pu connaître ceci, qui n’est pas dans Dudon,
s’il n'a pas connu la tradition dont la Saga est
l’écho? et s’il a connu la tradition, c’est qu’elle était
répandue en Normandie, et alors c’est qu’Hasting
y est bien venu et alors aussi, pour la première
fois, on s'explique pourquoi Dudon fait figurer
Hasting dans son œuvre comme prédécesseur de
Rollon. Car de tous les faits relatifs à Hasting que
mentionnent les Annales franques, il ne s’en trouve
pas un qui concerne la Normandie.
Et si ignorant que soit Dudon de l’histoire de
Normandie avant Rollon, il est tout de même
extraordinaire qu’il ait l’idée d’y introduire Hasting
si celui-ci n’est jamais venu dans ce pays.
On dira et j’ai pensé moi-même que Dudon
éd. Waitz. (Scr. rerum germanicarum in usum scholarumj
Hanovre, 1877, in-8», p. 5.
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ETUDE CRITIQUE
avait pris Hasting comme type pour cristalliser
autour de lui l’histoire des expéditions des vikings
avant Rollon. Mais pourquoi raconter ses expédi¬
tions si elles n'intéressent pas la Normandie et
pourquoi prendre Hasting de préférence à Godfrid,
à Sigfrid, qui, lui, est venu en Normandie, ainsi
que Véland ?
Nous avons remarqué qu’Hallstein est le fils d’un
proscrit. Or, il semble que Dudon ait quelque
notion de cette légende. En parlant des Danois,
dont il est le chef, il dit qu’ils out été expulsés, a
suis erpulsi (1). Hallstein, dans la Saga, est le fils
d’un païen convaincu qui est un prêtre de Thor.
Or, Hasting nous est représenté parmi les chefs
normands comme le plus hostile au christianisme,
aux prêtres, aux églises ; il a été la terreur
des prêtres et le destructeur des sanctuaires.
« Tcmeracit sacerdotium, dit Dudon, coneulcacit sanc-
tuarium » (2). Dudon revient quelques lignes plus
loin sur cette idée. « Mulctatur clerus crudeli morte
puni lus. Comme d’autres envahisseurs célèbres,
Hallstein a la haine du clergé et se fait un jeu de
supplicier les prêtres. Sa bande se revêt de vête¬
ments sacrés, d’aubes arrachés aux autels. « Casulas
nefarii induunt quas altaribus sacris diripiunt. Ves-
tiuntur alba , officio missir dedicala ». Je ne veux
pas forcer ces rapprochements ; . ils sont des
plus intéressants cependant. Hasting, le tueur de
(1) Ed. Lair, p. 130.
(2) ld., p. 131.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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prêtres et le dévastateur des églises, ne serait il
pas identique à Hallstein, fils d'un ami du dieu
Thor ?
Comment pourtant se fait-il que la Saga ignore les
expéditions d’Hallstein sur le continent ? Remar¬
quons que nous ne sommes pas en présence d'une
Saga d'Hallstein, mais d'une Saga relative à des
établissements en Islande. Hallstein n’est pas ici le
personnage principal. Il s’agit de Ketil Flatnefr et
deThor-Wolf, l’un qui est venu aux Hébrides et a eu
des rapports avec les rois norvégiens d'Islande, et
l’autre qui est le fondateur d’une des colonies
islandaises, ou plus exactement, c’est l’Islande
même qui est le principal personnage, c’est sa
colonisation qu’il s’agit de raconter comme dans
le Landnama-boc. Des expéditions que ces chefs
ont pu faire sur le continent n’a nul souci le rédac¬
teur de la Saga, rédacteur tardif qui résume très
vraisemblablement, au point de vue islandais, une
légende jadis plus riche ; de même dans la Saga
d’Harald Harfagr’, l’expédition de Ganger Rolf dans
le Valland n’est notée que d'un mot laconique, si
importante qu’elle soit en conséquences historiques.
Il ne faut pas s’étonner de la sécheresse des Sagas
islandaises sur les expéditions des Norvégiens dans
l’empire franc ; elles n’intéressent pas ceux qui
les ont recueillies.
Il reste une autre difficulté que je ne veux point
celer. Guillaume de Jumiègesen parlant de Bjœrn,
le compagnon d’Hasting, l’appelle Bjœrn Côte de
Fer (Costa Ferrea ), ce qui est la traduction de
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100
ETUDE CRITIQUE
Iœrnside, et la Eyrbyggia Saga ignore ce surnom.
On ne manquera pas de dire que Bjœrn Côte de Fer
est le fils de Ragnar Lodbrok et que celui de
l’Eyrbyggia Saga est le (ils de Ketil. Mais il est
évident qu’il y a eu deux Bjœrn, que leurs légendes
sont venues toutes deux à la connaissance des
Normands et que Guillaume de Jumièges les a
confondues. Ce nom de Bjœrn était très fréquent
parmi les Scandinaves. N’est il pas bien naturel que
les écrivains normands, qui rédigent leurs œuvres
un siècle ou deux après les événements, fassent des
confusions entre des gens de même nom dont ils
ignorent l’exacte généalogie ? Il y a deux Bjœrn dont
la tradition est particulièrement parvenue dans la
Francia, l’un dont le nom est Bjœrn Côte de Fer,
l'autre dont le nom est toujours rapproché de celui
d'Hasting; un jour la confusion se fait.
Répondons maiutenant è une objection que
M. Walberg a faite à la thèse de M. Alex. Bugge et
qui pourrait être faite à celle-ci : « Vouloir faire un
norvégien d'Hasting, appelé constamment Dacus
par Dudon et dont l’histoire est intimement liée à
celle des fils de Ragnar Lodbrog, reconnus Danois
par tout le monde, cela est bien difficile à admet¬
tre » (1). Tout le monde, c’est beaucoup dire. Il n’y
a pas lieu de reprendre ici une question qui a été
bien des fois discutée (2) et qui n’a point de rapport
(1) L'Origine de ltollon , p. 6i0, n. 1.
(2) Voir Steenstrup, IndleAning, pp. 81-127 et Bulletin
Anliq. X, pp. 236-236, dont la discussion, si savante soit-elle,
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
101
immédiat avec notre sujet. Je ferai remarquer
seulement que le Landnama-boc, dont personne ue
peut contester la grande valeur historique,considère
Ragnar Lodbrok et Bjœrn Côte de Fer comme
norvégiens. Voici, en ellet, une généalogie qui se
trouve au livre III. « Tliord est le nom d’un noble
homme de Norvège ; il est le fils de Bjœrn Butter
Keg, le fils de llrod-wald Ryg, le fils d’Oslac, le fils
de Bjœrn Iœrnsida (Côte de Fer), le (ils de Ragnar
Lod-broc (1) ». Donc, suivant le Landnama boc,
Ragnar Lodbrok et ses fils sont norvégiens et cela
a quelque poids. Peu au reste nous importe, puisque
nous pensons que le Bjœrn, compagnon d’Hasting,
dont nous parle Guillaume de Jumièges est un
autre Bjœrn, norvégien lui aussi, d'ailleurs.
Sans vouloir nier absolument que Bjœrn fœrnside
soit venu en Normandie, nous faisons remarquer
cependant que Guillaume de Jumièges et ses dérivés
Wace, BenoltdeSaint Moredonnenlseulscesuruom
au chef Berno. Les Annales franques et la Chro¬
nique de Fontenelie parlent seulement de Berno
sans épithète (2) ; en 856, le 19 août, il arrive devant
n’est pas toujours convaincante ; il a bien montré les con¬
fusions de Saxo Grammaticus, niais a-t-il prouvé l'origine
danoise de Ragnar Lodbrok? Voir aussi G. STORM, Kritiske
Bidrag , pp. 35-129. Cette partie de son ouvrage a été vivement
critiquée par M. B EAU VOIS dans la Revue Historique, t. VIII,
p. 188.
(1) Landnama-boc, III, 11, 1. dans Origines Islandicæ, t. I,
p. 142.
(2) Berno dux, disent les Annales Bertiniani, éd. Waitz,
P- 39; Berno Nortmannus, dit le Chronicon Fontanellense,
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102
ETUDE CRITIQUE
le château de Pitres, où il rejoint Sydroc : les deux
troupes poussent leurs expéditions jusque dans le
Perche (1) où elles sont battues par Charles le
Chauve; elles semblent se maintenir ensuite sur
la Seine ; en 857, Bjœrn se fortifie dans Pile
d’Oissel (?) (2), en face de Jeufosse et y passe
l’hiver (3). En 838, il vient à Verberie prêter serment
de fidélité à Charles le Chauve, et pendant ce temps
une bande ravage l’abbaye de Saint-Denis et tâte
Saint-Germain-des-Prés, ce qui détermine Charles
le Chauve à entreprendre le siège de l’ile d’Oissel (4).
En avril 862, les bandes de Sydroc, Bjœrn et Weland
avaient repris le chemin de la Basse Seine. Que
M. Vogel (5), après M. Steenstrup (6), voie dans ce
Bjœrn, Bjœrn Iœrnside, le fils de Ragnar Lodbrok,
nous n’y voyons aucun inconvénient (7).
H. F., VII, p. 43, qui paraît opposer Berno Nortmannus, le
Norvégien (?) à Sydroc qui conduit une flotte de Danois,
maxima classis Danorum.
(1) Chronicon Fontancllense, loc. cit.
(2) Ce n’est pas le lieu de discuter l’emplacement d’Oscellus.
Voir H. Prentout, op. cit., p. 111, n. 2, et L. Coutil, Incur¬
sions des Normands dans la vallée de la Seine, Évreux, 1913,
in-8°, p. 12, n. 2.
(3) Ch. Fontancllense, loc. cit.
(4) Annales Bertiniani , p. 50, v. Lair, Les Normands dans
l'Ue d’Oscelle , et Lot, La grande invasion de 856-862 dans la
Bibl. Ec. Chartes, 1908, p. 38, qui rejette la date de 855 donnée
par le Chronicon Fontanellcnsc.
(5) Vogel, op. cit., p. 148, et passim.
(6) lndledning, p. 96 et B. S. A., t. X, p. 24-4.
(7) Nous n’en voyons pas non plus à envoyer Bjœrn Côte
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SUR DUD0N RE SAINT-QUENTIN
103
Il reste qu’ultérieurement Bjœrn, fils de Keti
a pu venir sur le continent avec Hasting. Guillaum
de Juuiièges a confondu ces deux chefs du mêtm
nom, qui peut-être se sont succédé sur le continent i
quelques années d’intervalle, si on admet qu’IIasliiq
et avec lui Bjœrn, fils de Ketil, aient été à Brissarthi
en 8GG ; mais quand ils ne seraient venus que
vingt-cinq ans plus tard, Guillaume de Jumièges,
écrivant au XI° siècle, deux siècles après les
événements, a pu faire facilement cette confusion.
Cette confusion, au reste, il la devait probable
ment, non à des Annales, qui ne l'eussent pas
commise, mais à la tradition exprimée peut-être en
quelque chanson. Sophus Bugge déjà, après lui
G. Storm (1), avaient remarqué le caractère légen¬
daire de l’histoire d’Hasting dans les écrivains
normands; ils conjecturaient qu'il y avait là des
emprunts faits à des traditions françaises, à des
romances, à des chansons en langue romane,
dirons nous. C’est à cette conclusion que nous
arrivons, de notre côté, en étudiant le livre de
de Fer faire l’expédition de la Méditerranée de 859 à 862, ni à
faire mourir Bjœrn Côte de Fer en Frise vers cette date, comme
le fait Vogel, op. cil., p. 410. Notons que ce n’est pas Guillaume
de Jumièges, comme le dit ici M. VoGEU qui fait mourir
Bjœrn en Frise. Au retour de Luna, Bjœrn, selon Guillaume
de Jumièges, serait allé en Angleterre : - Naufragium passas,
vix apud Anglos portum obtinuit ». (Ed. Marx, p. 17). C’est
Robert de Torigny, qui, dans une interpolation (Ibid.,
p. 202), a dit que « Bier volons redire Danemarcham apud
Frisiam obiit ».
(1) Kritiske Bidrag, p. 129.
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lOi
ETUDE CRITIQUE
Dudon, où Hasting apparaît, comme le disait très
bien Worsaae (1), comme un type, « le type de la
bravoure intrépide, mais aussi de la méchanceté, le
type de la vaillance qui triomphe du péril par les
armes, mais aussi de l’intelligence qui en triomphe
par la ruse ». Avant d'avoir lu ces lignes de G. Storm
et de Worsaae, nous étions frappés de ce caractère
de héros légendaire, symbolisant toute la puissance
du mal, tous les maux que les vikings ont déversés
sur la France, nous croyions à une chanson de geste
relative à Hasting. Nous ajouterons aujourd’hui que
cette chanson a dû emprunter à la Saga certains
traits, c’est ainsi qu’elle lui doit la connaissance du
lien qui unit Bjœrn à Hallstein, et c’est là que
Guillaume de Juinièges l’aura prise ; peut-être aussi
Dudon et Guillaume lui ont-ils emprunté ce trait
particulier du caractère d'Hasting, son inimitié
pour le clergé.
En résumé, nous pouvons aujourd’hui, dans la
biographie d’Hasting, distinguer ce qui est certain et
ce qui est plus ou moins vraisemblable :
1° Je crois qu’il faut écarter résolument tout ce
qui est antérieur à l’année 850; il n’y a pour tous
les faits antérieurs à cette année aucune source
certaine et si on se rend fort bien compte comment
des compilateurs sans critique ont introduit tar¬
divement Hasting dans des événements où il
n’avait eu aucune part ; il est regrettable qu’ils
aient été suivis par quelques historiens ; les
(1) Den Danske Erobring , p. 57.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
105
plus récents auraient pu être plus catégoriques à
cet égard ;
2° La participation d’Hasting à l’expédition de la
Méditerranée est possible , si on admet qu’il s’agit
d’Hasting, fils de Thor-Wolf, mais à condition de
faire l’hypothèse qu’au moment du départ de Bjœrn,
fils de Ketil, Thor-Wolf lui donne Hasting pour
guide, précisément parce que celui-ci est déjà allé
vers l’ouest ;
3° Bien plus vraisemblable est la participation
d’Hasting à la bataille de Brissarthe, en 866, puis¬
qu’elle se présente à la date où Hasting, fils de
Thor-Wolf, a quitté les pays Scandinaves avec Bjœrn ;
elle n’est pas absolument certaine cependant, parce
qu’elle ne repose que sur l’autorité peu sûre du
continuateur de la chronique de Régiuon et des
Annales de Metz (1).
(1) Munch, Del norske folks Historié, t. I, p. 524, admet
que le départ de Bjœrn Ketilson est contemporain de la
mort de Thorwolf ; il place ces événements en 877, date
où Harald vint de Viken à Trondhjem, et il admet que Bjœrn
arriva en Islande en 880. Mais on ne voit pas sur quoi reposent
ces dates. MM. Vigfusson et PowELL, les derniers éditeurs
des Origines Islandicæ et de Y Eyrbyggia Saga admettent au
contraire, nous l’avons vu, que la date de l'arrivée de Bjœrn
et d'Hallstein en Islande se place aux environs de 900. Us ne
donnent point la date du départ de Bjœrn et d’Hasting, mais
elle est indiquée par YEyrbyggia Saga elle-même, qui dit
que ces événements se produisirent au début du règne de
Harald Harfagr' : donc vers 863. Si on admet cette donnée qui
est historique, puisque la Saga aux yeux de ses éditeurs a la
plus haute valeur, il se peut fort bien qu’IIallstein et Bjœrn
soient venus sur le continent en 866. Munch d'ailleurs n’a pas
relevé le rapprochement possible entre Hallstein et Hasting
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106
ÉTUDE CRITIQUE
4° Vraisemblable encore est la participation
d’Hasting aux expéditions qui ont suivi en Bretagne
et dans la vallée de la Loire, siège d'Angers de 873
et expéditions sur la côte, mais non certaine, puis-
qu’aucune des sources sur lesquelles s’appuient ces
faits n'est absolument sûre ;
3° Il est de même possible qu’llasling, quelques
aunées après la mort de Charles le Chauve, se soit
emparé d’Amboise, comme le disait une chronique
locale ;
6° Purement légendaires, au contraire, sont les
exploits d’Hasting Elhelxvulf, contre Geolïroi Grise-
gonelle ;
7° Légendaire encore, le titre de comte de
Chartres donné à Hasting; possible néanmoins la
participation d'Hasting à une bataille de Dive, dont
la date nous reste absolument inconnue et qui, en
tout cas, ne saurait être placée en 858, comme le
proposait Rioultde Neuville;
8° Douteuse, la présence d’Hasting en Bourgogne ;
9° Certain, par contre, le traité de Louis III avec
Hasting;
10° Par cela même, il est très vraisemblable
qu'Hasting a été l’un des chefs des Normands de la
Loire ;
II» Certaine enfin, la présence d’Hasting en 890
auprès de Noyon et sa campagne en 891 et 892 dans
le Nord ;
et n’a pas songé par conséquent à la possibilité d’expéditions
d'Hallstein et de Bjœrn sur le continent.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
107
12° Certaine aussi sa présence en Angleterre, de
892 à 895 ;
Il disparait à cette date, ce qui ne nous surprend
nullement. M. Vigfusson admet que c’est vers 900
que Bjœrn, fils de Ketil et Hasting sont allés s’éta¬
blir en Islande, et ceci explique suffisamment que
toutes les sources franques et normandes n’aient
plus jamais entendu parler de ce chef fameux et
aient ignoré sa mort.
Mais tous ces renseignements établis avec leurs
degrés de crédibilité, il reste qu’il y a dans la vie
de tout chef viking une grande part d’inconnu pour
des raisons faciles à expliquer : les sources franques,
bretonnes, normandes ne se soucient guère de
donner le nom des chefs. En Normandie, nous
sommes encore moins renseignés qu’ailleurs, car il
n’y a pas d’annales pendant la période même des
invasions ; seuls nous sont parvenus quelques récits
de translations de reliques. Il se peut donc fort
bien qu’Hasting soit venu en Normandie (1). On le
trouve sur la Loire, on le trouve sur la Somme et
l'Oise, pourquoi ne serait il pas venu sur la Seine
qui était le chemin entre la Loire, l’Océan, la
Manche et l’Oise? S’il est venu en Normandie, il
(1) Je ne peux partager le scepticisme radical d’Auguste
Le Prévost quand il dit dans une note de l’édition d’ORDEmc
Vital, Hisloriæ ecclesiastica; libri tredecim (S. H. F.), t. III,
p. 106, n. 2. « Notre auteur a le tort, commun à tous les
historiens de la Normandie, de faire sans cesse intervenir le
nom d’Hasting dans une province où il n’a jamais mis le
pied ».
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108
ETUDE CRITIQUE
s’explique fort bien qu’une source normande ait
conservé la tradition Scandinave qui faisait de ce
chef le guide d’un Bjoern qu’on a pris à tort pour
Bjœrn lœrnside, fils de Hagnar Lodbrok.
Hasting serait donc norvégien. Par des voies
différentes de celles qu’ont suivies M. W. Abbott et
M. Al. Bugge, je suis arrivé à la même conclusion
qu'eux. Mais alors que pour ces savants Hasting est
le fils d’Alle, je croirais plutôt qu’Ifallstein, fils d’un
prêtre du dieu Thor, est le prototype du viking,
persécuteur des prêtres et terreur des sanctuaires
que nous a représenté Dudon.
Sans doute la source Scandinave ignore tout de
l’Hasting du continent, comme Dudon ignore tout
du passé norvégien d’Hasling. Il est tout naturel
que les Sagas rédigées en Islande ne se soient pas
souciées des aventures continentales de leur héros,
tout naturel aussi que les auteurs francs n'aient
rien su des origines des chefs vikings ; il est vrai¬
semblable aussi qu’un auteur normand, Dudon, ait
arrangé ce qu’il en pouvait savoir de la façon qui
convenait le mieux à ses desseins littéraires et poli¬
tiques.
Steenstrup a dit, dans une formule saisissante,
qu’il y avait entre le Ganger Rolf de la Saga et le
Rollon de Dudon un alibi double et réciproque.
Déjà nous avons essayé et nous essaierons encore
d’établir le contraire et de montrer l’identité de
Ganger Rolf et de Rollon et nous croyons de même
qu'on peut soutenir, avec un moindre degré de
certitude, qu’il y a des chances pour que le Hallstein
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SUR DtlDON DE SAINT-QUENTIN
10!l
de l'Eyrbyggia Saga et le Hasting des sources
franques soient identiques (i). L’Eyrbyggia Saga
nous donnerait les deux extrémités de la chaîne,
les origines d'Hasting et sa mort en Islande, et les
Annales franques et anglo saxonnes nous fourni¬
raient les mailles intermédiaires et rempliraient les
lacunes de l’Eyrbyggia. Les deux sortes de sources,
complètement indépendantes les unes des autres,
nous donnent peut être la vérité totale.
Je ne me flatte pas de voir ce rapprochement
s’imposer à toute la critique. Il sera repoussé par
ceux qui contestent la part très réelle que les Norvé¬
giens ont prise aux expéditions dans le Valland,
dans l’empire franc; elle le sera aussi par tous ceux
qui n'admettent comme vrai que ce qu’ils ont trouvé
eux mêmes, par tous ceux enfin qui n'admettent
que ce qui est évident. (Ceux-là seront sages s’ils
s’abstiennent de faire l’histoire de la Normandie
avant le XI” siècle). D'autres trouveront que mes
raisons sont spécieuses. Je crois qu’elles intéresse-
(1} La forme Alstignus, qui se trouve dans trois des manus-
crits de Dudon, est la meilleure traduction latine de Hallstein,
Palgrave, The history of Normandy and of England, t. I,
p. 489, suppose qu’il y a eu parmi les chefs qui envahirent
l’empire franc trois personnages du nom d'Hasting. Mais il
n’apporte pas la moindre preuve à l'appui de son hypothèse.
Pour mémoire, nous indiquerons une curieuse et amusante
hypothèse de Paillard de Saint-Aiglan, Fragments d’un
Mémoire sur les Invasions des Normands sur les bords et au
midi de la Loire, dans la II. Ec. Ch., t. I, p. 34-1, qui se
demande s’il ne faut pas voir dans Hasting « non un individu,
mais un titre de dignité » !
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no
ETUDE CRITIQUE
ront tous ceux qui n’apportent ici, comme moi-
même, aucun parti pris, et qui cherchent.
On dira que j’abuse des hypothèses ; je répondrai
que l’historien ne doit pas se les interdire ; « l’his¬
toire, suivant le mot de Renan, est une pauvre
petite science conjecturale », donc, elle vit de
conjectures, d’hypothèses. Il n’y a d’inconvénient
à user des hypothèses que si on les prend pour des
certitudes. Dès qu’on a soin de faire la part de la
certitude et du doute, l’hypothèse reste permise ;
j’ajoute qu’en histoire, comme dans toutes les autres
sciences, elle est féconde.
*•<
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Sim DUDON DE SAINT-QUENTIN
111
LE DEUXIÈME LIVRE
L'ORIGINE DE ROLLON
Au second livre, après une pièce de vers imitée
de Virgile et un développement où il expose de
nouveau les causes des invasions, Dudon aborde
l'bistoire de Rollon.
Si le second livre du De Moribus est le plus
important de l’œuvre de Dudon, puisque, sous le
nom de Rollon, il retrace l'établissement des
Normands, s’il est celui qui pose le plus de
questions, provoque le plus de débats, certes le
paragraphe relatif aux origines du fondateur de la
Normandie a donné lieu aux discussions les plus
vives, surtout quand le problème était traité par
les historiens Scandinaves.
Sans attacher la même importance que les Danois
et les Norvégiens à cette question de l’origine de
Rollon, parce que, nous l’avons dit ailleurs, la
solution de cette question ne saurait donner celle
du problème de la nationalité des colons de la
Normandie, nous croyons devoir encore une fois
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112
ÉTUDE CRITIQUE
reprendre le problème (1), nous l’étudierons en
essayant de le pousser à fond, et, est-il besoin de
le dire? avec la plus grande impartialité ; car, que
nous importe à nous, Normands, d'être Danois, Nor¬
végiens ou Suédois? Nous ferons l’historique des
débats auxquels cette question a donné lieu et nous
essaierons de la résoudre par une étude minutieuse
des sources, de toutes les sources.
Résumons aussi rapidement que possible le
second livre du De Moribus , en ne conservaut que
l’essentiel ; car ce récit aux allures épiques et
légendaires, encombré de rhétorique et d’effets
littéraires, est extrêmement long.
Il y a en ces temps, dans le pays de Dacie, un
homme extrêmement riche, ayant beaucoup de
terres, et qui n’a jamais prêté hommage à personne ;
il possède presque toute la contrée ; il a conquis les
pays voisins de la Dacie et de la terre des Alains.
C'est le plus puissant des princes de l'Orient. II
laisse en mourant deux fils, forts, beaux, robustes,
exercés aux armes. Ils s’appellent : l’ainé, Rollon ;
l’autre, Gurim (2). Beaucoup de jeunes gens chassés
(1) Nous l’avons déjà traité dans notre Essai sur les Origines
et la Fondation du duché de Normandie , pp. 153-179, et dans
une conférence faite au Congrès du Millénaire, qui a paru
dans le tome II des Comptes rendus , pp. 626-638.
(2) On ne s’est jamais demandé où Dudon avait pris le
personnage de Gurim ; serait-ce une réminiscence de la Saga
d’Harald Harfagr’ qui nous raconte précisément (c. 2) les
luttes du roi Harald et du duc Gutorm contre le roi Gandalfr?
( Heimskringla, I, p. 77). L’hypothèse est plausible si l'on
admet avec M. Lair (Ed. Dudon, p. 141, n. a) qu’ « il est
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Sun DUDON DE SAINT-QUENTIN
113
du pays par un ordre royal vont les trouver et leur
demandent humblement de les prendre sous leur
protection. Les deux frères s’y engagent et ils consti¬
tuent ainsi une troupe nombreuse. Le roi déclare la
guerre à Rollon et à Guriin. Au cours de cet'e guerre,
Gurim est tué. Rollon ne veut pas rester en Dacie,
il part pour l’ile Scanza et il est regretté par tous.
Pendant son séjour à Plie de Scanza, il a un songe
(nous sommes en pleine épopée): un chrétien lui
apparait, lui prédit qu'il sera baptisé un jour et
l’engage à aller en Angleterre. Rollon met immédia¬
tement à la voile, aborde en ce pays où il soutient de
nombreux combats; il se demande s’il ne va pas
partir pour la France; il a encore un songe qui lui
annonce son baptême et sa grandeur future. Il entre
également en rapport avec le roi très chrétien
Alstemus, qui lui donne des navires pour de nou¬
velles expéditions où nous le suivrons plus tard.
Quelle a été l'attitude de l’histoire devant ce récit ?
Elle ne pouvait lui accorder une confiance absolue,
car il est en contradiction avec les Sagas et notam¬
ment avec la Saga de Harald Harfagr’, qui s’exprime
ainsi :
« Il y avait un Jarl de Moêre nommé Ragnvald ;
facile de reconnaître dans ce nom une des formes du nom
de Gurm, Gurmond, Vurmond qui a été porté par plusieurs
Scandinaves de cette époque, bien que Wace, Roman de
Rou, I, 39, et Benoit, Ch. des ducs de Normandie, I, 90, le
traduisent par Garin et Guirins ». 11 y a lieu de remarquer
que le nom de Grim se rencontre aussi dans la Saga, et bien
plus fréquemment que celui de Guthorm. Voir les tables des
Origines Islandicæ, par exemple.
B
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tu
ETUDE CRITIQUE
c’était un ami très cher du roi Harald qui l’avait en
iiaute estime. Sa femme s'appelait Hilda, fille de
Hrolf au long nez, a Hrolfi dicti Nafja ». Ils avaient
deux fils légitimes, Hrolf et Thor. Hrolf était uu
pirate célèbre, d’une haute stature ; il était si grand
qu’aucun cheval ne pouvait le porter et qu'il était
forcé d’aller à pied : ou l’appelait Rolf Marche à
Pied, Ganger Rolf. Il se livra souvent à la piraterie
dans la mer Baltique. Certain été, il revint à Viken
eu expédition de pillage et il enleva des troupeaux
pour nourrir ses hommes. Le roi Harald se trouvait
alors à Viken ; il entra dans une grande colère
parce qu'il avait défendu de se livrer à la piraterie
sur les côtes du pays; et ayant réuni l’assemblée
(le thing), il ordonna que Rolf fût banni de toute
la Norvège. Sa mère essaya en vain d'intervenir en
sa faveur, Rolf s’en alla vers l’Occident ; il se rendit
aux Hébrides, et de là en Valland (la Gaule), puis,
s'étant emparé de l’autorité de Jarl sur le sol
normand, il reçut toute la contrée qui s’est, depuis,
appelée Normandie ». La Saga donue ensuite la
liste de ses descendants et successeurs, Guillaume,
Richard I er , Richard II, Robert, qu'elle appelle
Longue-Epée (1).
Des deux récits, lequel croire ?
Historique de la question. — Dès le XVI" siècle,
comme le montre M. Storm, la question fut débat-
(1) Haralds Saga em Uarfagva dans VHeimskringla t. I,
p. 100.
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SUR DUD0.N DE SAINT-QUENTIN 115
tue dans les pays Scandinaves. Comme en d'autres
contrées, la Renaissance y provoqua un réveil des
études historiques : « les premiers historiens
norvégiens, Absalon Pederscen et Peder Clausson
trouvèrent dans les Sagas royales l’histoire de
Ganger Rolf et y virent comment les Norvégiens
avaient conquis la Normandie. Mais les Danois
trouvèrent aussi dans des chroniques que Rollon
venait de la Dacia. Venusinus, Pontanus et Lys-
chander avaient le plus grand mépris pour les
vieilles Sagas norraines et ils se prononçaient pour
l’origine danoise. Ce mépris des Sagas ne leur
survécut pas. Torfæus plaça en bonne lumière les
traditions islandaises. Et il fut alors admis que la
Normandie était une colonie norvégienne (1) ».
Cette vérité s’imposa aux Danois eux-mêmes.
Sulim reconnaissait l'origine norvégienne de Rollon
et, dans un tableau généalogique, le rattachait aux
rois de Norvège d’abord, puis, par eux, au roi de
Danemark, Sigurd (2). Schceaing, historien de la
Norvège, qui donne aussi une généalogie du père
de Rollon, rejette les trois premières générations
de la table généalogique de Suhm et supprime ainsi
la lointaine origine danoise (3).
(1) Storm, Kriiiske Bidrag, p. 130. En Allemagne, Krantz,
rerum gemnanicarum historicus clarissimus, dans ses Hegno-
rum Aquilonarium Daniæ, Suæiœ , Norvegiœ chronica , Franc¬
fort i ad Mœnum, 1583, in-i°, place dans l'histoire de Norvège,
celle de Rollon ; il semble donc admettre l’origine norvé¬
gienne, mais il utilise aussi le récit de Dudon.
(2) Histoire critique du Danemark, t. III, p. 732.
(3) Histoire de Norvège , t. III.
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116 ÉTUDE CRITIQUE
Au XIX e siècle, lors de la renaissance des études
historiques en France et en Normandie, la tradition
norvégienne et les Sagas triomphent avec Depping,
qui, à vrai dire, ne discute pas scientifiquement la
question, mais, sur la foi des historiens norvégiens
et danois, accepte la vériLé des Sagas, dont il fait
un très large emploi (emploi qui n’est pas toujours
malheureux, d’ailleurs), il accepte, comme établie,
l’origine norvégienne de Rollon. « On sait positive¬
ment, dit il, qu'il était fils d’un des plus puissants
seigneurs de Norvège », et il remarque, avec une
certaine sagacité « qu’on est fondé à soupçonner
qu’il avait laissé lui-même, à dessein, son origine
dans l'obscurité, de peur que les Francs 11 e vinssent
à découvrir la cause peu honorable de sou exil (1) ».
Licquet, qui doit beaucoup à l’ouvrage de Depping,
déclare que les assertions de Dudon de Saint-Quentin
et autres auteurs normands « ne peuvent balancer
l’autorité des Sagas (2) ».
Sans que la question eût fait l’objet de discussions
profondes, l’origine norvégienne l’emportait encore
eu Allemagne ; on peut même dire qu’elle n'y était
guère contestée. Lappenberg, dans son histoire
d’Augleterre, l’admet d’abord (3), paraît ensuite
(1) Histoire des Expéditions maritimes des Normands et de
Unir établissement en France au X e siècle , t. II, p. 67. Il a
maintenu cette opinion dans sa seconde édition, p. 262 et
app. VIII.
(2) Histoire de Normandie , I, p. 46. Licquet n'a pas
remarqué que Guillaume de Jumièges s’écarte sur ce point de
Dudon, comme nous le montrerons plus loin.
(3) Geschiclile von England, t. 1, p. 326.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 117
hésiter entre les deux sources (1), mais son Iraduc-
teur anglais, Thorpe, rappelle en note la Saga (2).
De même, Zeuss tient le récit de Snorre Sturleson
pour le plus sûr (3) et encore Büdinger, qui ne
discute même pas la question. Pour lui, Kollou est
un norvégien (4), ainsi que pour Konrad Maurer.
Celui-ci croit que la légende populaire normande a
déformé l’histoire de Kollou, que Dudon a, en outre,
défiguré cette tradition par son propre savoir
livresque ; pourquoi, en ce qui concerne les
origines de Rollon, il faut retourner uniquement
aux sources du nord (5). Waitz refuse toute con¬
fiance à Dudon, dans les lignes principales, comme
dans le détail. Dümmler, qui est en général très
défiant à l’égard du roman épique de Dudon,
n'insiste pas sur la question de l'origine de Rollon ;
il remarque qu’il semble y avoir, dans le récit de
Dudon quelques réminiscences de la Saga, mais
que Dudon ne nomme pas le père de Rollon (6).
Au reste, il n'insiste pas sur ce point.
Le problème ne présente pas, en eflet, la même
importance pour les savants allemands que pour les
Scandinaves. Il n’offre qu’un trop grand intérêt aux
(1) T. II, p. 7.
(2) Trad. Thorpe, p. 7, n. 7.
(3) Die Deutschen, p. 538.
(4) Ucber die Normannen und ihre Staatengründungen .
dans Hist. Zeitschrift , IV, p. 357.
(5) Die Bekehrung des Norwegiscltcn Stammes , München,
1855, 2 vol. in-8°, t. I, p. 57-60.
(6) Zur Kritili Dudos von Saint-Quentin , p. 368, n. 1.
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118
ETUDE CRITIQUE
yeux de ceux-ci, car l'importance qu’ils attachent à
la solution du problème les empêche de l'examiner
en toute impartialité et avec tout le sang-froid
nécessaire. Le sentiment national, qui s'était mani¬
festé, au XVI e siècle, dans l'examen de ce problème,
reparut en Scandinavie avec le XIX e . Alors qu’au
XVIII e siècle, savants danois et norvégiens avaient
été d’accord pour admettre la vérité du récit des
Sagas et l’origine norvégienne de Rollon, il n’en fut
plus de même après 1814. Il est permis de se de
mander si la séparation de la Norvège et du Dane¬
mark, la réunion de la Norvège à la Suède n'ont
pas ravivé l'antagonisme des deux nationalités
danoise et norvégienne. En tout cas, â partir de
ce moment, l'union qui s'était faite sur la question
Rollon se rompt, si on peut dire, progressivement
Les Norvégiens restent fidèles aux Sagas, avec
Petersen. En 1852, parait le premier volume de la
grande histoire du peuple norvégien de Munch,
monument d’érudition des plus remarquables, trop
peu connu en France. Munch a étudié à peu près
toutes les sources ; il s’appuie donc sur les Sagas
pour faire honneur à Rollon de la conquête de la
Normandie. Il essaie même de tracer une vie de
Rollon, en utilisant ces sources, il note, avec beau¬
coup de raison, son passage en Ecosse. Malheureu¬
sement, par un procédé trop souvent employé de son
temps, il essaie de combiner toutes tes données :
celles de Dudon, dont il a fait une juste critique, avec
celles des Sagas, afin de donner ainsi une biographie
plus complète. Il termine par des remarques desti-
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
119
nées à montrer que la Normandie est une colonie
norvégienne (t).
Mais le Danemark se détournait de la thèse norvé¬
gienne. Ce fut d'abord et timidement Estrup, puis
Worsaae qui n'osait se prononcer (2). (( Worsaae,
dira plus tard Steenstrup, a décidément plus de foi
dans le récit de Dudon, mais il pense que l’origine
de Rollon sera toujours un problème ditlicile à
résoudre ». Or, Worsaae est l’auteur de la thèse
danoise de la répartition géographique des envahis¬
seurs normands : à l’est, les Suédois, sur les côtes
de la Baltique et en Russie; en Angleterre et dans
l'empire Franc, les Danois; à l’ouest, aux Orcades,
aux Hébrides, en Islande, les Norvégiens : thèse qui
fait la part belle aux Danois. Worsaae va-t-il se pro¬
noncer catégoriquement pour l’origine danoise de
Rollon? Non, le sens critique l’emporte ici sur
l'amour-propre national et l’amour-propre d'auteur.
Il devait être réservé à M. J. Steenstrup de porter
à son point de perfection la thèse danoise, de la
soutenir avec beaucoup d’érudition et aussi avec un
esprit de juriste rompu à toutes les discussions
subtiles. Mais il importe de remarquer que la
tentative hardie de l’illustre historien danois dans
son Indledning eu faveur de l’origine danoise de
Rollon a été grandement facilitée par la nouvelle
(1) Munch, Del norske folks historié, t. I, pp. 653, 683
(n. de la p. 682). L’ouvrage a été traduit en allemand, il a
passé malheureusement inaperçu en France.
(2) Op. cil., p. 141.
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120
ÉTUDE CRITIQUE
édition de Dudon. Sans doute, M. Lair, sur la
question de l’origine de Rollon ne se prononce pas.
« Si les preuves manquent, dit-il, au récit de Dudon,
elles ne sont pas beaucoup plus fortes en faveur de
celui de Snorre. Aussi, nous abstiendrons-nous de
choisir entre les deux, content d’avoir donné les
raisons de douter (1). » Mais, si M. Lair s’abstenait
sur ce point, la réhabilitation de Dudon, à laquelle
sa longue introduction était consacrée, allait servir
de base il la thèse de M. J. Steenstrup. Négligeant
Dümmler et Waitz, M. Steenstrup fonde sur la
réhabilitation de Dudon l’origine danoise de Rollon.
En 1876, sous le titre d’introduction aux temps
normands, Indledning i Normannertiden paraissait
le premier volume de la grande histoire des Inva¬
sions normandes, de M. J. Steenstrup, les Norman-
nerne. M. Steenstrup se prononçait catégoriquement
pour l’origine danoise de Rollon, il y avait, à ses
yeux, un alibi double et réciproque entre le Danois
Rollun, le véritable fondateur de la Normandie, et
le Ranger Rolf norvégien de la Saga. La thèse du
professeur de Copenhague présentait d'autant plus
d’intérêt que l’auteur en tirait parti pour faire, non
moins décidément, de la Normandie une colonie
danoise. Le chapitre : la Normandie comme colonie
danoise, Normandiel soin dansk Koloniland faisait
suite au chapitre : Rollon, le conquérant danois de
la Normandie : Itollo den danske Erober af Norman¬
diel , Déjà des relations étroites existaient entre les
(1) Ed. de Dudon, p. 51.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
121
savants danois et la Société des Antiquaires de
Normandie qui, depuis un demi-siècle, avait exercé
un rôle de direction dans les études normandes.
Fabricius était venu en notre pays, il y avait uoué
des relations avec les Normands, il avait même
publié dans les Mémoires de la célèbre Société des
Recherches sur les traces tles hommes du Nord dans la
Normandie (1). Inspiré par ces précédents M. Steens-
trup publia, en 1880, dans le Rulletin de la même
Société, non une traduction, mais une adaptation
abrégée de son Indledning qui y reçut l’accueil
auquel cette œuvre remarquable avait droit (2) ;
elle eut, naturellement, sur la science française
et sur les Normands, une très grande influence.
En Allemagne, Karl von Amira, juriste renommé,
qui a fait dans VHistoriclie Zeitschrift un compte
rendu des plus intéressants de l 'Indledning, et qui
a apporté plus d’une critique intéressante, sous¬
crivit sur la question Rollon qui, au reste, ne l’inté¬
ressait pas, aux conclusions de M. Steenstrup (3).
Mais en France, M. - Beauvois se montra plus
perspicace, tout en rendaut hommage dans la
Reçue historique, à la science de J. Steenstrup, il fit de
sa thèse sur l’origine danoise de Rollon une critique
(1) Mémoires de la Société des Antiquaires, XXII, pp. 1-10.
(2) Je ne sais pourquoi M. Favre (Eudes, comte de Paris et
roi de France, Paris, 1893, in-8°), a fait honneur à M. C. de
Beaurepaire de cette traduction dont M. Steenstrup est
l’auteur.
(3) Die Anfange des Normannischen Rechts ( Hisl . Zeilsch.
(1878), 241-268).
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ETUDE CRITIQUE
12i
aussi pénétrante que savante, en s’appuyant sur les
Sagas (I).
En Norvège, non plus, la thèse de M. Steenstrup
ne tut pas acceptée, M Storm, professeur d’histoire
de l’Université de Christiania entreprit de la réfuter
et ce fui l’un des Essais du Kriliske liidrag (2).
Une polémique s’engagea entre les historiens
Scandinaves. Elle passa inaperçue en France et
même eu Normandie où l’on vivait sur la foi de
l’ouvrage de Steenstrup, et où d'ailleurs les études
normandes sommeillaient. La même indifférence
régnait en Angleterre. Freeman entre les Sagas et
Dudon ne se prononce pas; il u’étudie pas cette
question qui présentait pourtant quelque intérêt
pour son sujet (3) Palgrave rejette les Sagas, admet
toutefois que Rollon est le fils d’un iarl norvégien,
mais suit le récit de Dudon et au reste ne discute
pas la question (4). On sait à quel point son ouvrage
manque de critique. Seul, sir Henry Howorth
critique avec vigueur dans 1 ’Ârchœologia la vie
de Rollon telle que Dudon l’a écrite ; mais son
remarquable article passe inaperçu (3). Green, dans
(1) Revue Historique, IV, 421-440. Kalckstkin, op. cil.
p. 485, a été frappé de son argumentation et tient pour vraie
l'origine norvégienne.
(2) Kriliske Bidrag til Vikingetidens historié (I, Ragnar
Lodbrok og Gange-Rolv).
(3) The Nornian Conquest, t. I, p. 187.
(4) The Hislorg of Normcindy and of England, l, 514-516.
(5) Mémoire lu à la séance de la Société des Antiquaires de
Londres de juin 1874, Archæologia, XLV, 1880, pp. 235-250.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
123
The Conquest of England, admet que les récits qui
(ont de Rollon un Norvégien sont probablement
exacts (1).
En France, les rédacteurs des Annales carolin¬
giennes portent à Dudon quelques coups assez
sensibles; ils ménagent cependant encore le client
de M. Lair et en tous cas ils n’abordent pas la
question de l'origine de Rollon. M. Eckel, chargé
du règne de Charles le Simple , et qui, à ce titre,
eût dû plus particulièrement s'intéresser à cette
question, se dérobe. Il oppose bien les Sagas
à Dudon, mais c'est pour déclarer que comme
« aucune de ces deux sources ne nous otïre de
garanties assez sûres, les Sagas étant une œuvre
d'un caractère essentiellement poétique et légen¬
daire et l’histoire de Dudon une composition à la
fois romanesque et apologétique, on en est réduit
à de simples conjectures sur les points les plus
intéressants tels que l’origine de Rollon et de ses
compagnons... « Il ajoute « que par suite de la
grande quantité de travaux publiés sur tel ou tel
point particulier, dont plusieurs obscurcissent les
questions plus qu’ils ne les éclairent, on en est
réduit à discuter souvent des opinions plutôt que
des faits (2) ». Quelle que soit la vérité de cette
assertion, elle ne dispensait peut-être pas l’auteur
de chercher à faire la lumière. Mais elle montre
bien quel était l’état d’esprit des historiens amenés
(1) London, 1899, 2 vol. in-8°, I, p. 272, il. 2.
(2) Op. cil., p. IX).
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ETUDE CRITIQUE
12i
à aborder ce redoutable problème. Un récent histo¬
rien allemand, M. Vogel, ne raisonne guère autre¬
ment : il adopte la thèse de M. J. Steenstrup, parce
que, dit-il, elle lui parait plus sûre ; au fond, il se
borne à invoquer l’autorité de Dudon qui écrit
d'après les renseignements de Raoul d’Ivry (1) ;
il jure par M. Steenstrup dont la grande autorité
l'influence vraisemblablement; attitude prudente,
normande, qui au reste, fut d'abord la nôtre dans
notre enseignement.
Mais survint le Millénaire de la Normandie, tout
ce qui intéressait l'événement de 911 allait être mis
en question. La discussion commença dans les Etats
Scandinaves bien avant même que les fêtes du Mil¬
lénaire ne se fussent ouvertes à Rouen. Les revues,
les journaux même retentirent de ces polémi¬
ques. MM. Bugge et Nansen Gustafson reprenaient
hautement la thèse norvégienne, mêlaient à d’excel¬
lentes raisons des arguments des plus contestables
et prêtaient ainsi le flanc à la critique acérée de
M. Steenstrup qui, dans des articles très clairs,
maintenait catégoriquement la thèse soutenue par
lui trente-cinq ans plus tôt dans ses Nnrmannerne (2).
Le Congrès du Millénaire ne fit que jeter de l’huile
sur le feu ; avec une bonhomie souriante, bien
normande et aussi une ignorance du débat qui
(t) Op. cil., p. 22-23.
(2) RoLlo og erobringcn af Normandie!, dans Politikens
Krontk , 28 mars 1911. Voir le Danemark , mars, avril,
mai 1911.
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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN
125
venait de s’ouvrir dans les pays Scandinaves et de
son acuité (ignorance bien française de tout ce qui
se passe au-delà de nos frontières), le Comité invi¬
tait les savants de tous les pays à venir discuter la
question Rollon au Congrès de Rouen, \1. J. Steens-
trup s’y refusa ; dans un esprit de concorde, le
professeur de Copenhague désirait que les Scandi¬
naves n’allassent pas porter au dehors l’écho de leurs
vives querelles. En Scandinavie, le débat avait été
courtois dans la forme, singulièrement âpre dans le
fond ; on s’y était jeté à la tête jusqu'à... des
baleines. Au lendeinaiu de la séparation de la Nor¬
vège et de la Suède qui laissait au cœur des Suédois
un ressentiment des plus vifs, les Suédois entraient
avec ardeur dans la lice et venaient soutenir la
thèse danoise ; on comprend donc la réserve de
M. J. Steenstrup.
C'est dans celte atmosphère de bataille que s’ou¬
vrit le congrès de Rouen. L’accueil cordial des
Rouennais, l’éclat des fêtes du Millénaire apaisèrent
la violence du conflit. Mais il fallut bien remplir
le programme. Trois champions se présentèrent.
M. Alexander Bugge, le savant professeur de l’Uni¬
versité de Christiania voulut bien venir résumer en
français le remarquable travail qu’il avait publié
dans la Itevue historique de son pays. M. Walberg.
uu romaniste distingué, professeur à l’Université de
Sund présenta la thèse danoise ; en l’absence voulue
des Danois, il était en effet très désirable que cette
thèse fût soutenue par un Suédois, pour que tous les
arguments fussent entendus. L’auteur de ces lignes,
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ISO
ETUDE CRITIQUE
présent au Congrès, ne crut pas devoir se dérober:
n’avait il pas déjà pris position dans son cours
public, dans son Essai sur les origines et la fondation
du Duché qui venait de paraître à la veille du
Congrès? Il aurait pu par déférence, s’abstenir en
présence de l'illustre savant danois Johannes Steens-
trup. Mais à l’égard de collègues plus jeunes que
lui, tels que M. Alexander Bugge et M. Walberg,
quelque sympathiques qu'ils lui fussent, et en
raison même de celte sympathie, il lui parut qu’il
ne devait pas se refuser à entrer en lice avec eux.
Et puis, il lui semblait, que sans renvoyer les par¬
ties dos à dos, solution prudente sans doute et qui
eût passé pour bien normande, mais qui ue pouvait
lui convenir, puisqu'il avait déjà adopté eu toute
sincérité la thèse norvégienne, il pouvait prendre
une attitude d’apaisement en montrant qu’à son
point de vue la question de la nationalité de Rollon
n’avait point toute l’importance qu’on lui attribuait,
car elle n’implique pas la nationalité de tous les
Normands (1).
L’illustre archéologue suédois Montélius, qui
avait assisté au Congrès — il y avait fait une confé¬
rence sur la civilisation des vikings qui en fut la
(1) Voir la conférence de M. Walberg et la mienne dans
le Compte rendu du Congrès du Millénaire , Rouen, 1912, 2 vol.,
t. II, pp. 626-646. Celle de M. Bugge était la traduction d’un
article intitulé Gange Rolv og erobringen av Normandie paru
dans YHistorisk Tidsskrift, Christiania, p. 160-196. Un résumé
intitulé Gange Rolv el la conquête de la Normandie a paru
dans la Revue Scandinave, 1911, pp. 326-340.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
127
grande attraction — termina spirituellement le
débat en formant le vœu que le II» Congrès du
Millénaire, en 2911, parvint à trancher la question
de l'origine de Rollon.
On comprendra qu’en dépit de la suggestion si
normande du très savant historien, nous n’ayons
pas cru devoir attendre jusque-li’i. Nous reprenons
d'autant plus volontiers l’examen du problème que
nous avons beaucoup ajouté à notre livre de 1911,
encore que, sur le fond, notre opinion soit restée la
même et se soit affermie.
Discussion de l'argumentation de M. J. Steenstrup.
— De ce long historique, il résulte que la thèse
de la véracité de Dudon n’a jamais eu de tenant
mieux informé que M. J. Steenstrup; tous les autres
sont pour les Sagas, pour l'origine norvégienne, ou
s'abstiennent et M. Vogel ne soutient la thèse
danoise que par l’autorité de M. Steenstrup.
Aussi devons-nous d’abord discuter l’argumenta¬
tion du savant professeur de Copenhague ; nous la
reprendrons point par point, comme l’avait fait,
avant nous, M. Beauvois dans la Retue Historique ;
et nous pousserons plus loin la critique.
I. M. Steenstrup commence par remarquer que
la tradition norvégienne n’a été recueillie qu’au
XII» siècle. « Que doit-on croire? dit-il ». La tradi¬
tion normande, ou les Sagas du Nord écrites deux
cents ou trois cents ans après la conquête ? » Mais,
répondons-nous, la date ne fait rien à l’affaire si
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ETUDE CRITIQUE
une tradition est vraisemblable et si l’autre ne l'est
point, si une tradition peut être justifiée par des
concordances et si l’autre ne s'appuie sur rien.
II. M. Steenstrup invoque les études de M. Gud-
brand Vigfusson, 1’ « Islandais si savant et si pers¬
picace », sur les dates des Sagas islandaises ; il
remarque que, suivant ce savant, Rolf n’a pu
être exilé, d'après la tradition norvégienne, avant
l’année 900 ; il est allé de là en Ecosse, puis à
Valland (France). M. Steenstrup eu conclut que
Roll n'est pas notre Itollon qui est arrivé eu
Normandie dès 876. Mais le récit de Dudon sur ce
point n’est rien moins que douteux; on ne trouve
aucune mention de Rollon dans les sources les
plus sûres à cette date ; Rollon ne semble être
arrivé en Normandie que peu de temps avant
l’entrevue de Saint Clair sur Epie. Ainsi, c'est la
tradition norvégienne qui cadre le mieux avec
les dates des sources franques et l’argument de
M. Steenstrup se retourne contre lui.
III. La tradition norvégienne appelle Rolf, Gange-
Rolv, Rolf le Marcheur. La tradition normande
ignore ce nom. Cela prouve-t-il sa fausseté? Non,
mais cela ne prouve aucunement sa véracité. Cela
prouve que Dudon a ignoré ou voulu ignorer la
tradition.
IV. La Saga représente Rollon comme un bomme
très grand. M. Steenstrup ajoute très gros, parce
qu’il ne peut monter à cheval, mais les chevaux
norvégiens étant trop petits, cela peut s’expliquer
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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autrement. Or, la tradition normande, dit M. Steen-
strup, ignore ce détail. Mais Dudon l'appelle le
plus bel homme du monde, corpore pulclierrimus
et dit que dans sa vieillesse il ne pouvait monter à
cheval, equitare non valais, et il me semble qu’il y
a là comme un double souvenir de la tradition.
M. Steenslrup invoque la statue de Rollon qui se
trouve à Rouen et qui ne le représente pas comme
un homme gros et grand (1). Mais quelle valeur a
comme représentation de Rollon cette statue qui
est du XIII* ou du XIV* siècle?
V. La parenté de Rollon, dit encore M. Steenslrup,
n'est pas la même dans les sources norvégiennes
que dans les sources normande et franque. Le
Landnama-boc dit qu’Helge, fils d’Ottar, en dévas¬
tant l’Ecosse entre 934 et 940, fit prisonnière
Nidjborg, fille de la fille de Ranger Rolf, Kadlin, et
du roi Biolan. M. Steenstrup suppose qu’il s’agit
d'un Biolan de Limerick (Irlande). M. Slorm a
montré que ce Biolan a dû être un de ces chefs
nommés O’Biolan, desquels descendent, suivant la
tradition écossaise, les comtes d’Applecross, partie
du sud du comté de Ross. Or, dit M. Steenstrup, la
tradition normande ne connaît pas d'enfant de
Rollon né avant son arrivée en France, elle ignorait
la parenté de Rollon avec les familles islandaises;
toute la famille de Rollon, c'est pour Dudon, son
(1) On a envoyé en 1911 la photographie de la statue aux
musées de Copenhague et de Christiania !
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ETUDE CRITIQUE
frère Gorm ; pour Orderic Vital, son oucle Mala-
hulc (1). Mais qu’est-ce que cela prouve ? Dudon a
voulu ignorer la tradition norvégienne, il donne
pour femme à Rollon une fille du comte Bérenger,
Poppa; il ne peut pas lui donner pour fille une
princesse née en Écosse. Et ne peut-on pas faire
remarquer à l'appui de la tradition norvégienne, ce
que dit la Complainte delà mort de Guillaume Longue-
lipée , fils de Rollon : que ce prince était né outre¬
mer, in orbe transmarino ? (2)
VI. M. Steenstrup s’efforce encore d’expliquer
comment est née la tradition norvégienne: « 11 y
avait une Saga relative à un Ganger Rolf, qui était
venu aux Orcades. Les populations franques appe¬
lant Normands tous les envahisseurs, alors que
pour les Norvégiens ce nom les désigne eux-mêmes,
les Norvégiens en ont conclu que c'était l’un d’eux
qui avait conquis la Normandie, et ils ont choisi
Ganger Rolf pour être ce héros >'. Cette hypothèse
est très ingénieuse, mais rien ne prouve qu’elle
soit fondée.
(1) Guillaume de Jumièges. Ed. Marx, Interpolations
d’Ordcrie Vital, p. 157.
(2) Lai h, Etude sur la vie et la mort de Guillaume Longue-
Epce , Paris, 1893, in-folio, p. 61. Mais M. Lair, op. cit ., p. 6,
a proposé de corriger * Aie in orbe transmarino natus » en
« bac in urbe, transmaritw nalus pâtre », ce qui fait dire à
la complainte que Rollon était né à Rouen d'un père d’outre¬
mer. M. Storm a protesté avec raison contre ce procédé de
correction des textes qui consiste à corriger un texte authen¬
tique pour le mettre d’accord avec le texte que l'on discute.
Voir J. Lair, op. cit. p. 71-74.
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SDK DUDON DE SAIXT-t)UENTlN
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VII. M. Steenstrup, sur la loi de M. Lair,
croit à la véracité de Dudon. Nous avous dit,
dans le chapitre précédent, ce que nous en
pensions.
« A qui est dû, disais-je en 1911, le revirement
qui s’est produit depuis trente ou quarante ans, eu
laveur de la thèse danoise ? A M. J. Lair d’abord, à
M. J. Steenstrup ensuite. Or, qu’on y prenne garde,
toute la thèse de l'origine danoise de Kollon repose
en somme sur le syllogisme suivant : « Üudou nous
représente Rollon comme ayant une origine danoise;
or, Dudon est un historien très bien informé et très
consciencieux, donc Rollon était danois ». Eh bien !
n'est-il pas remarquable que, des deux savants qui
ont soutenu la thèse de l’origine danoise de Rollon,
l’un, le normand Jules Lair, u’allirme pas catégori¬
quement la conclusion du syllogisme ; u il incline
en laveur de Dudon, mais ne veut pas se prononcer »,
dit justement M. Steenstrup ; que l’autre, le danois
Steenstrup, ne veut pas prendre à sou compte la
mineure, l’affirmation de la véracité générale de
Dudon ; il s’en rapporte sur ce point à M. Jules
Lair. Dudon, c'est le client de M. Lair ; M. Steens¬
trup ne se charge pas de le détendre, il n’a pas
étudié son dossier, il a cru pouvoir se borner à
accepter le plaidoyer de l’éditeur de Dudon, lui-même
n’entre pas dans le débat. Il n’a pas fait une élude
particulière et critique de Dudon. Et cela ne nous
donne-t-il pas à penser que le syllogisme sur
lequel repose pourtant toute la thèse danoise est
difficile à prononcer, puisque les deux auteurs les
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ETUDE CRITIQUE
plus intéressés à l'aflirmer hésitent ainsi à le
prendre eu entier à leur charge (1) ? »
Discussion des textes. — Maintenant que nous
avons débarrassé le terrain de l'argumentation de
M. J. SLeenstrup, abordons la discussion même des
textes. Nous démontrerons successivement : 1° que
le texte de Dudon n'a aucune vraisemblance,
aucune autorité ; 2° que le récit de la Saga est, au
contraire, très vraisemblable ; 3° que les sources de
provenances diverses confirment la Saga d’Harald
Harfngr’, et contredisent le récit de Dudon ; 4° que
le silence de certaines sources condamne le récit de
Dudon et le réduit à néant.
Le grand argument des derniers tenants de
l’autorité de Dudon, c’est que celui-ci a été ren¬
seigné par Raoul d'Ivry, oncle du duc Richard
et descendant de Rollon. Voilà ce que répètent
MM. Walberg et Jorel (2). Bornons-nous à cons
later que Raoul d’Ivry a dû fort mal renseigner
Dudon. En 1911, M. Walberg écrivait : « Que
dira-t-on d'une hypothèse qui pourrait faire croire
que feu le roi Oscar II de Suède n’aurait pas su
dire si son grand-père, le maréchal Bernadotte, était
originaire du Midi de la France ou de Suisse? » (3).
Eli bien ! il faut croire que Raoul d’Ivry était singu-
(1) Congrès du Millénaire de la Normandie, t. II, p. 629.
(2) Joret, Les noms de lieu germaniques en Normandie,
dans Congrès du Millénaire de la Normandie, t. II, pp. 97-160.
(3) Op. cil., p. 642.
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SUR Dl'DON DF. SAINT-QCENT1N
133
librement négligent, car il ne sait pas qui est son
grand-père ou, du moins, il ne l’a pas dit à Dudon.
Le père de Rollon et de Gorin est uu chef puis¬
sant qui possède une partie de la Dacie, on ne dit
pas au juste ce qu’il est, quel est son titre. Est ce
un roi? On ne le dit pas, on n’ose pas le dire; les
rnis de Danemark étaient connus dans l'empire
carolingien et Dudon ne risque pas une telle impos¬
ture. Est-ce un grand chef? Dudon n’emploie pas le
terme de iarfque donne la Saga, ni son équivalent
cornes. Où était la capitale de ses possessions? Où
vivait-il ? Dudon est muet sur ces points.
Chose remarquable, ce Dudon, que l’on prétend
avoir été renseigné de première main sur l’origine
des ducs par Raoul d’Ivry, oncle de l’un d’eux (1),
ne sait même pas le nom du père de Rollon, ou du
moins il ne le dit pas. On le chercherait en vain
dans son œuvre; et alors, ne sommes nous pas
autorisés à tenir ce raisonnement: ou il ne le sait
pas et alors il est fort mal renseigné, et cela est bien
extraordinaire pour un homme en rapport avec la
famille ducale, et parmi ces peuples Scandinaves si
(1) C’est le grand argument de tous ceux qui, depuis
M. Jules Lair jusqu'à M. Joret, ont voulu admettre la
véracité du récit de Dudon de Saint-Quentin relativement
à Kollon. Il est tout de même piquant que personne en France
n’ait jamais fait cette remarque que cet auteur si bien informé
par Raoul d’Ivry, n'a pas appris de lui le nom du père de
Rollon, tige de toute la famille ducale. M. Dummler, Zur
Kriiik, avait déjà remarqué cette ignorance surprenante,
p. 368, n. 1, de même M. Storm, Kritiske Bidrag, p. 157.
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134
ETUDE CRITIQUE
attentifs à recueillir les généalogies (1) ou bien il le
sait et il ne veut pas le dire? El alors quelle
confiance pouvons-nous avoir en lui ?
C’est qu’en réalité il se pourrait bien que Dudon
l’ait su, ce nom, qu’il ait connu la véritable origine
de Rollon, fils d’un banni, ce qui n’était pas
llatteur et ne pouvait cadrer avec l’histoire inventée
par lui. M. Steenstrup reconnaissait lui-même, il
y a quarante ans, qu’on pourrait supposer que
Dudon a inventé son histoire pour présenter les
aïeux de Rollon sous le jour le plus brillant
possible.
En réalité, Dudon a vraisemblablement connu la
tradition relative aux origines de Rollon, telle que
la Saga nous l’a transmise. M. Steenstrup affirme
que le Rollon de Dudon et le Ganger Rolf de la
Saga sont deux personnages différents : il dit, dans
une formule saisissante, une formule de juriste,
qu’il y a entre les deux Rollon un alibi double et
réciproque.. Le Ganger Rolf de la Saga est un chef
norvégien qui est allé aux Feroë, et c’est par une
confusion avec Rollon que les compilateurs islandais
de la Saga l’ont amené en Normandie. Il n’y a,
suivant lui, aucun point commun entre les deux
héros ; hypothèse extrêmement ingénieuse, mais
pure hypothèse, assertion qui ne repose sur aucun
fait.
Il me semble, au contraire, en y regardant de
près, qu'il y a quantité de rapprochements à faire
(i) Notons ta part considérable qu'elles ont dans les Sagas.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 135
entre le Ganger Rolf de la Saga et le Rollon de
Dudon.
Rollon est, comme Ganger Rolf, fils d'un riche
propriétaire, d'un homme puissant, dont Dudon ne
donne pas le nom ; ce qui s’explique, puisqu'il va
dénaturer la Saga. Rollon est parent du roi de
Danemark ; Ganger Rolf était parent du roi de
Norvège, ainsi que le montrent les Sagas. Rollon a
un frère Gorm, ou Gurim, Ganger Rolf a un frère
Thur ; Rollon est obligé de quitter la Dacie à la
suite d’une guerre contre le roi dans laquelle il a
entraîné une partie de la jeunesse de son pays,
Ganger Rolf est chassé de son pays par un ordre
royal. Ici il y a une légère différence : Rolf est un
banni ; Dudon ne le dit point. 11 nous parle néan¬
moins de l’habitude des rois de Danemark d’envoyer
au loin une partie de la jeunesse du pays. Rollon est
le plus bel homme qu’on puisse voir, corpore
pulcherrimus ; vieux, il ne peut monter à cheval,
equitare non valens. Ganger Rolf est si grand et si
gros qu’aucun cheval ne peut le porter. Qu’a fait
Dudon ? Il a en somme travesti toutes les données
de la Saga, comme il a travesti toutes celles des
Annales. Pourquoi les a-t il travesties ? Pour ne
pas donner un proscrit comme tige à la maison
ducale de Normandie, parce que, dans la France de
son temps, on connaît mieux le Danemark que la
Norvège, qu’il est plus facile, grâce aux rapproche
ments, Dani, Daci ; Dani, Axvioi, d’attribuer ainsi
une antique et classique origine aux ducs, et c’est
une chose dont ce lettré a le souci, enfin et surtout
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136
ÉTUDE CRITIQUE
piirce qu'il y a eu une alliance entre le Danemark
et la Normandie, entre Richard II et Svend Tvæskeg,
au temps même où écrivait Dudon, et qu'il faut
donner des raisons profondes à cette alliance. La
clef des énigmes de Dudon est toujours là ; pensons
à la date à laquelle il a écrit son œuvre, aux
circonstances et aux gens pour lesquels il l'a
écrite.
Et, en effet, l’œuvre de Dudon de Saint-Quentin
est avant tout un écrit politique, rédigé à une
certaine date, vers 1015, au temps de la puissance
et de la grande ambition de Richard II, pour de
certaines fins, pour légitimer l'ambition et le rôle
de ce duc et voilà pourquoi Dudon exalte et imagine
les origines danoises qui justifient l’alliance avec
Svend, et déjà peut-être préparent et légitiment la
conquête de l’Angleterre. C'est un chef-d’œuvre,
non de narration historique, mais d'habile politique.
Et voilà pourquoi cette œuvre de rhéteur adroit
et subventionné, cette épopée plus ou moins factice,
cette histoire officielle et tendancieuse ne mérite
presqu’aucune créance, pas plus sur les origines de
Rollon que sur tout autre point. Tout est travesti,
arrangé dans l'œuvre du Doyen! Pourquoi le pas¬
sage relatif aux origines de Rollon serait-il exact?
Examinons maintenant le récit de la Saga ; l'épi¬
sode relatif à Ganger Rolf est extrait de la Saga de
Harald Harfagr' ; ce roi est un personnage histo¬
rique, il a régné sur la Norvège de 863 à 930, il a
réuni toutes les petites principautés indépendantes
qui se trouvaient sur les côtes de ce pays, depuis la
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Sl'R DURON DE SAINT-OUENTIN
137
mer Blanche jusqu'au Skager Rack ; c’est lui qui a
fondé le royaume de Norvège (1). En faisant cette
unité, en défendant les pilleries sur la côte norvé¬
gienne, il a provoqué le départ de tous les petits
princes qui ne voulaient pas reconnaître son autorité
et aussi de tous ces chefs enclins à la piraterie qui
ne trouvaient plus à exercer leur industrie dans leur
pays. Donc, historiquement, le passage de la Saga
est très vraisemblable, si on y ajoute surtout que
les Hébrides, les Orcades reçurent des colonies
norvégiennes et que même elles appartinrent à cette
maison de Moère dont il est question dans la Saga :
le père de Rolf, Ragnvald, comte de Moêre, régnait
sur le pays près de Trondhiem.
Ajoutons encore que ce pays de Viken, où Ganger
Rolf aurait enlevé des bœufs, est bien connu. C'est
la région qui se trouve aux approches du golfe de
Christiania et tout spécialement la bande côtière au
nord de la rivière de Gotha; c’était jadis le royaume
de Raurike, c’est aujourd'hui le comté de Bohus en
Suède. M. Roos conjecture, vu le grand nombre de
pirates qui sont partis de ce pays, que Viken a donné
son nom aux vikings, aux chefs des pirates ; il
croit cette étymologie préférable à celle que l’on
donne généralement de rois des anses (2).
Ainsi, et on ne l’a point assez remarqué, toute la
(1) Riant. Les Scandinaves en Terre-Sainte, Paris, 1885,
in-8°, p. 23.
(2) The Seedish part in lhe viking expéditions dans l 'Engl,
hist. Revieu\ 1882, VU, 215.
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138
ETUDE CRITIQUE
tradition norvégienne est parfaitement admissible.
Nous n’aflirmons pas dès lors qu'elle soit vraie,
mais elle est vraisemblable ; elle cadre fort bien en
sa simplicité avec les données historiques.
Comme le disait justement M. Bugge, elle se
présente toute nue, sans ornements adventices, sans
être chargée de légendes, d’épisodes épiques, de
discours : c’est une raison de lui faire confiance.
Les autres textes. — En dehors de Dudon et de
la Saga d’Harald Harfagr’, y a t-il d’autres sources?
Voyons d’abord les sources franques. Flodoard,
l'annaliste précis de l’église de Reims, nomme
Rollon pour la première fois en 925; il l’appelle
princeps Nortlniannorum , mais ignore ses origines.
Richer appelle Rollon fils de Ketil (t). Il y a eu
aux Hébrides un chef de ce nom (2), mais les récits de
Richer sont souvent légendaires. En tous cas, le
renseignement de Richer, si on le prend au
sérieux, nous ramène à une origine norvégienne,
car les Orcades ont été colonisées par les Norvé¬
giens. Le mot Orcades même est un mot islan¬
dais, île des Phoques (3). Les Orcades étaient des
stations d’où les vikings allaient ravager les côtes
de l'Angleterre, de l’Ecosse, de l'Islande. L’église de
(1) Catilli filins, éd. S. H. F. I, 6*.
(2) Ketill Flatnefr dans le Landnama-boc (Origines Islan-
dicæ , I, p. 24, sqq/. Egrbyggia Saga (Ibid., t. Il, p. 253). Voir
aussi le livre 1 du présent ouvrage, p. 89. sqq.
(3) Reclus, Nouvelle Géographie Universelle, t. V, 696.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
130
Kirkwall, capitale des Orcades, ressemble à celle de
Trondjhem en Norvège. On peut admettre que
Richer a entendu parler de Bjœrn fils de Ketil
Fiatnefr et l’a rapproché arbitrairement deRollon(t).
Prenons les sources normandes: Guillaume de
Jumièges a une très singulière attitude ; il résume
le récit de Dudon, mais il en supprime tout ce qui a
trait à l’origine de Rollon, il regarde tout cela
comme flatteries « animadvertens ea penitus adula-
toria (2). Rollon n’apparaît ensuite dans son ouvrage
qu’au chapitre III du livre II. Il fait partie d’une
(1) « Un traducteur (de Richer), dit M. Lauer, op. cit.,
p. 268, n. 1, a cru que Catillus était le même mot que le latin
Catullus (ail. Hündchen, petit chien) et a émis l’opinion que
Catillus était la traduction de Hunedeus, qui se trouve être le
nom d'un chef normand mentionné par les Annales de Saint-
Vaast en 896 et en 897 ; Waitz (Ed. de Richer, p. 5, n. 1)
a d'autre part émis l’hypothèse que ce pourrait être la traduc¬
tion du nom allemand Hui/, Kalckstein hésite entre l’hypo¬
thèse de Poinsignon et une autre plus simple qu’il propose,
selon laquelle il faudrait voir dans Catillus le nom normand
« Ketil » latinisé .»
M. Lauer, lui, rapproche Catillus de Hasting. « Il est, en
effet, très possible que le nom de Catillus ne soit qu’une
graphie un peu singulière du nom Scandinave Hasting.
Phonétiquement, la transformation ne semble pas inadmis¬
sible, le c remplaçant une aspirée et II une mouillure. Catillus
au reste, est un nom latin qu’on trouve dans Horace ! Odes ,
livre I* r , ode XVI) c’est celui du fondateur de Tibur. Il se peut
que ce souvenir ait guidé Richer dans le choix de cette
notation. »
Laissant de côté toutes ces hypothèses, si ingénieuses et
parfois un peu bizarres, n’est-il pas préférable de voir tout
simplement dans Catillus la traduction de Ketil? Cette idée
s’impose à ceux qui ont lu les Sagas trop négligées.
(2) Ed. Marx, p. 2.
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uo
ETUDE CRITIQUE
bande de vikings auxquels Guillaume de Jumièges
attribue d'ailleurs les mêmes exploits que Dudon à
Rollon : voyage à Scanza en Angleterre, avec le roi
Athelstan, à Walcheren, en Hainaut, arrivée en
Normandie en 876. En somme, la critique de Guil¬
laume de Jumièges s’est appliquée au récit de Dudon
en ce qui concerne l’origine première de Rollon,
mais à ses yeux il est danois et il est devenu le chef
de la bande en 876: sorte eligentes quem sibi domimim
militiœque suæ principem, pacla ei fidelitate, prefi-
ciunt (1 ). Seuls, Wace, dans le Roman de Rou (2),
et Benoit, dans la Chronique des Dues de Normandie (3),
suivent Dudon, mais on sait qu’ils l'ont délayé sans
critique. La Chronique du XII* siècle donne une
confirmation indirecte à la Saga. lYorthmanniam eo
quod de Norlhwegia egressi sunt (4), de même une
généalogie des ducs (5).
Peut-on trouver ailleurs des renseignements ?
Puisque Rollon est, aux yeux de Dudon, un Danois,
il est tout naturel de demander à Saxo Gramma-
(1) Ed. Marx, p. 21.
(2) Ed. Andresen, t. I, p. 36.
(3) Ed. H. Michel, t. I, pp. 87-105. Benoit ajoute un rensei¬
gnement curieux : Rou à Fasges ses genz emmeinc ; Steenr-
trup, Indledning, p. 162, en a tiré parti pour justifier Dudon ;
mais Benoit a sans doute ajouté ce renseignement de son
crû, il connaissait Faxe, ville de Danemark (Ile Séeland), dont
la géographie pouvait être mieux connue de son temps qu'au
temps de Dudon.
(4) M. G. SS., I, 538.
(5) Duchesne, Historiæ Normannorum scriplores anligui ,
p. 213.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 141
ticus, historien des Danois, ce qu'il sait de Rollon.
Or, Saxo Grammaticus, qui connaît la Normandie et
Rouen, et nomme le duc Richard, ignore Rollon. Il
sait la conquête de l'Angleterre par les Normands (1)
et il n'a pas un instant l'idée de revendiquer la
Normandie comme colonie danoise, et pourtant il
connaît l’œuvre de Dudon, mais il n’en parle que
pour réfuter l’origine donnée par Dudon aux
Danois. On peut négliger le témoignage de la Chro¬
nique d’Eric de Poméranie, qui fait de Rollon un
duc danois ; cette chronique a été écrite par un
moine de Ry, dans le bailliage d'Aarhus, au
XIV* siècle; évidemment, l’auteur s’est inspiré de
Dudon (2).
Recherchons les sources islandaises. Le texte de
la Saga d’Harald Iiarfagr’ n'est pas isolé, il est
confirmé par le Landnama-boc rédigé par Ari, qui
vécut entre 1067 et 1148. et dont l’ouvrage est le
fondement de l’histoire islandaise (3). Le Landnama-
boc confirme de tous points le récit de la Saga
d’Harald Harfagr’ (4) ; il est confirmé aussi par la
Saga d’OIaf le Saint qui, à propos de la venue de
(1) Ed. Hôlder, Strasbourg, 1886, in-8", pp. 344, 316 et 359.
(2) Chronicon Erici, c. 57 dans Langebeck, Scnptores remm
danicanim, t. I.
(3) Sur Ari et sur les recueils de Sagas, voir l’introduction
de Vigfusson à la Slurlunga Saga , Orford, 1878, 2 vol. in*8".
Démarquons qu’Ari est plus près des événements dont nous
parlons que Snorre Sturfeson, et qu’il a recueilli, dit M. Vig¬
fusson, la tradition orale.
(4) Landnama-boc , IV, 14, 1, dans Origines Jslandicæ, 1,
187.
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ÉTUDE CRITIQUE
142
celui-ci en Normandie, donne une généalogie très
exacte des ducs et la rattache à Gauger Roli, fils de
Ragnvald, iarl de Moêre (1).
L ’Historia Norvegiæ composée aux Orcades entre
1180 et 1230, mentionne Rolf qu’elle appelle Rodul-
fus, elle connaît son surnom de Ganger Rolf ; il ne
pouvait aller à cheval à cause de l’énormité de sa
taille. Elle le fait partir de la Norvège avec ses com¬
pagnons, au temps du roi Harald le chevelu ; elle
sait qu’il est le fils de Ragnvald ; elle connaît les
exploits de sa bande en Angleterre, en Ecosse,
en Islande. Elle rapporte un récit intéressant sur un
combat livré près de Rouen, Itodam ciritatem, mais
elle fait épouser ù Rollon la veuve du comte de
cette ville, union d’où serait né Guillaume Longue-
Epée (2).
Une source anglo-normande, Guillaume de Mal-
mesbury, dit en parlant de Rollon, qu'il est
«nobili... prosapia Noricorum ortus, regis prmcepto
patria carens. » (3) C’est le résumé de la légende
norvégienne.
Examinons les sources italiennes. Aimé du Mont-
(1) Heimskringla , t. II, pp. 18-19. Dans Torf Einar Mètre
(Wicking Songs édités dans le Corpus poeticum boréale de
Vigfusson et Powell, Oxford, 2 vol. in-8°, 1883, 1, 372), il y a
un rappel de l'intervention dTiild, mère de Ganger Rolf, en
faveur de son fils.
(2) Monutnetila Historica Norvegiæ, Lalinske Tildenskrifler,
éd. Storm, Kristiania, 1880, in-8°, pp. 90-91.
(3) Gesta regurn Anglorum, lib. II, § 127, éd. Stubbs,
London, 1887, 2 vol. in-8°, t. I, p. 138.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
143
Cassin dit ea parlant des Normands : « Laque] gent
premérement habitèrent en une ysulle qui se cla-
moit Nora » (1). Nora, c’est la Norvège.
En résumé, il est très remarquable que Dudon ne
trouve aucune confirmation dans l’examen des
sources : Wace et Benoit le délaient sans critique ; les
Annales franques sont muettes ou donnent une autre
version et une des sources normandes, source
capitale, le contredit, puisque Guillaume de Jumièges
considère le récit du chanoine comme ailulalorium.
Les sources danoises elles-mêmes ne le confirment
pas. Les sources islandaises, norvégiennes, anglo-
normandes et normandes d’Italie confirment la
Saga d'Harald Harfagr’jà tout le moins nous pouvons
être certains que dans les trois siècles qui suivirent
la fondation de la Normandie, l'origine norvégienne
de son fondateur était acceptée par tous, sauf
toutefois par les auteurs dérivés de Dudon
Mais, surtout, on ne saurait trop insister sur cette
remarque que les Sagas trouvent uue confirmation
dans la source la plus proche des événements,
c’est-à-dire la Complainte de la mort de Guillaume
Longue-Epée. C’est le seul texte à peu près contem¬
porain (942), le seul qui puisse renfermer la tradition
exacte, le seul aussi qui puisse être accepté en toute
confiance, précisément parce qu’il est tout ce qu’il
y a de plus indirect. Il ne se propose pas de donner
un récit des origines de Rollon ou une généalogie ;
il ignore tout ce que diront plus tard les Sagas et
(1) Ed. Cuampollion-Figeac, Paris, 1835, in-S*’, p. 9.
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iii ÉTUDE CRITIQUE
Dudon. Or, la Complainte nous livre ces très pré¬
cieux renseignements en sa seconde strophe :
Hic in orbe transmarino natus pâtre
in errore paganorum permanente
maire guoque comignata aima fi de
sacra fuit lotus unda (1).
Donc, Guillaume Longue-Epée est né outre mer,
d’un père demeurant dans l'erreur des païens; mais
par les soins d’une mère confirmée dans la foi
chrétienne, il reçut l'onde du baptême : voilà trois
renseignements formels, indubitables, donnés par
un contemporain. Or, le Landnama-boc , cette œuvre
si précise, relative aux fondateurs de la colonie
islandaise, dit qu'Helge, fils d’Otlar, en dévastant
l’Ecosse, entre 934 et 940, fit prisonnière Nidjborg,
fille de la fille de Ganger Rolf, Kadlin et du roi
Biolan (2). Or, Kadlin, comme M. Munch l'a fait
justement remarquer (3) est un nom chrétien. C’est
la forme écossaise du nom chrétien de Catharina ;
donc Ganger Rolf a eu en Ecosse une fille chrétienne,
Kadlin, dont on retrouve la descendance moins d’un
demi-siècle plus tard. Ne sommes-nous pas fondés à
penser que Kadlin est la sœur de Guillaume Longue
Epée, née, elle aussi, outre-mer et baptisée par les
soins de sa mère ? Rolf est donc bien le Ganger
(1) Ed. Lauer, dans les pièces justificatives de Louis IV
tVOutremer , pp. 319-323.
(2) II. 9, 3, dans Origines Islandicæ t I, p. 66.
(3) Op. cil., I, 653.
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SCR DCDON DE SAINT-QUENTIN
145
Rolf qui alla aux Hébrides, de là, passa en Ecosse
où il connut une femme chrétienne : et de même
que nous retrouvions tout à l'heure dans le récit
de Dudon une réminiscence de la Saga, de même
le rêve fait par Rollon en Angleterre qui lui
annonça sa conversion future ne rappelle t-il pas
le souvenir de son séjour en Ecosse près d’une
femme chrétienne? Dudon savait qu’avant son
arrivée en Gaule, Rollon avait été touché une
première fois par le christianisme (1).
Ainsi, les données sûres, laconiques de la
Complainte confirment absolument celles des Sagas.
Or, il est évident qu’il y a indépendance complète
entre les deux sources. Et le récit de Dudon au
contraire, indirectement, est infirmé par le silence
de Saxo Grammalicus, l’historien danois, qui ne
sait rieu de l’origine danoise de ces ducs de Nor¬
mandie pourtant bien connus de lui ; il est infirmé
plus nettement encore par la réfutation deGuillaume
de Jumièges qui, d’habitude résumé fidèle du doyen,
refuse ici de suivre ses contes trop flatteurs sur
l’origine de Rollon. Avec plus de conviction encore
qu’en 1911 nous concluons que Rollon était
norvégien.
(1} Sur l’importance des colonies Scandinaves aux Hébrides
aux Orcades, en Ecosse, tout particulièrement sur les côtes
nord et ouest, voir l’excellent petit livre de Colungwood,
Scandinavian Britain que nous avons bien des fois cité, tout
particulièrement la carte ; ces colonies des Hébrides et
d’Ecosse sont norvégiennes. On sait assez d'autre part que le
christianisme a pénétré dès le VI* siècle en Ecosse par les
missionnaires venus d’Irlande et établis a Iona.
dO
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ETUDE CRITIQUE
UC
Toutefois nous devons discuter encore, pour
épuiser le débat, d’autres arguments qui ont été
employés pour ou contre la thèse danoise et aussi
quelques questions dépendantes.
Les autres sources islandaises. — On s’est
quelquefois servi, pour appuyer les Sagas d’Harald
lfarfagr' et le Landnama hoc qui donnent la thèse
norvégienne, de deux autres sources islandaises,
le Flateyjarboc et la Laxdœla Saga.
Pour ce qui est du Flateyjarboc, MM. Storm et
Steenstrup sont d’accord sur ce point que le
Flateyjarboc a copié le Landnama-boc ; donc ce
n’est pas une confirmation (1)
Quant à la Laxilœla Saga, il y est bien question
dans la généalogie d’Osvi, de Cathlin, fille de Ganger
Rolf, mais ici s’arrête la ressemblance avec le
Landnama-boc; cette généalogie fait en eflet de
Ganger Rolf un fils d’Oxen Thor qui était un chef
du Viken. File est donc en contradiction, comme le
remarque justement M. Steenstrup, avec les autres
données des Sagas qui font de Rollon un fils’ de
Ragnvald, comte de Moëre. En réalité cette généa¬
logie est sans valeur: M. Vigfusson l'a montré; elle
fait partie des généalogies qui ont été ajoutées aux
Sagà'\au XIII» ou au XIV 0 siècle par leur éditeur,
Snorro ^turleson. MM. Vigfusson et Powell ont
détaché ceï^® généalogie avec plusieurs autres de la
(1) Lair, ÉtiidS sur k* vie et la mort de Guillaume Longue-
Épée y 75. '
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN U7
Laxdæla Saga et l’ont éditée dans les Early généa¬
logies (1).
Les questions secondaires. — L’hypothèse de
l’origine suédoise. — Maintenant, qu’y a t il à dire
de la thèse de l’origine suédoise de Rollon ? M. Hoos
prenant le récit de Dudou remarque que Rollou
est battu au Danemark, il voit en lui un chef suédois
révolté contre les Danois qui se relire à Scanza in-
sula( 2) ; il imagine que ce chef part de la Scanie pour
se rendre dans le Smoland ou en West Gothie où il
recrute sa bande, donc il est originaire de la Suède
danoise, et ses compagnons sont des Dano-Suédois.
M. Roos traite üudon comme celui-ci traitait les
Annales ; il lui fait dire des choses que le chanoine
n’a pas dites. Dans la thèse de M. Roos, il n’y a que
des suppositions; par cela même que nous avons nié
la véracité de Dudon, nous avons écarté la thèse
suédoise. Mais ce que l'on peut retenir de son article,
qui est intéressant, et, en se gardant des exagéra¬
tions qu’il contient, c'est que des Suédois, peut-être
contrairement à la thèse danoise de la répartition
géographique des invasions normandes, ont pris
part aux expéditions des vikings vers l’Ouest.
Dani, Normanni : le texte de Widukind. — Au
cours de ces discussions sur la nationalité des
vikings, on s’est souvent servi comme argument à
l'appui de l’une ou l'autre théorie, de l’usage des
(1) Origines Islandicœ, I, 24ü.
(2) The Seedish part inlhe Viking expéditions, p. 21.
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H8
ETUDE CKITIQUE
mots Normanni ou Dani si fréquent dans les Annales
franques ou germaniques.
Aussi les Norvégiens sont-ils tentés de traduire
Normannus par Normand, Norvégien et de conclure
que partout où on trouve Normanni il faut lire
Norvégiens. Remarquons que les écrivains francs
n’ont pas eu la préoccupation de distinguer Dani
et Normanni. Comme le dit Steenstrup, le mot
Normanni. chez eux, a un sens vague, général :
il désigne tous les vikings, sans exception de natio¬
nalité (1). C’est bien ce que veut dire notre mot
français Normands, quand nous parlons, non des
Normands de Normandie, mais des Normands
envahisseurs de la Gaule, de l’empire franc au
IX» siècle. M. Steenstrup a traduit Normanni des
Annales franques par le mot qu’il a forgé : Nor-
mannerne, qu’il a donné pour titre à son grand
ouvrage (2).
Mais n'est-il pas singulier de voir les mêmes
savants qui, à juste titre, ont dénié aux Norvégiens
le droit de tirer argument du mot Normanni, bâtir
des théories sur l'emploi du mot Dani ? Il est
(1) Indledning, p. 51 sqq., et Bulletin de la Société des Anti¬
quaires, X, 215 sqq. Voir aussi Maurer, op. cil., p. 50 et n. 1.
(2) Budinger, Uéber die Normannen und ihre Staalen-
griïndungen dans Hist. Zeitschrift, t. IV (1860), p. 335, suppose
avec Mukch, que l'élément norvégien étant prépondérant
dans la bande de Godfried, la première qui entra en contact
avec l'empire franc, il en résulta que Normanni, Nord-
mannen devint l’appellation prédominante dans l'empire
franc pour désigner les Germains du Nord \Entendons, nous,
les Scandinaves).
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
119
évident que les annalistes francs n’ont dû faire
que tard, ou tout à fait exceptionnellement, la diffé
rence entre la nationalité des vikings : peut-on
demander à ces annalistes, qui n’étaient pas des
linguistes, de pouvoir distinguer des Danois et des
Norvégiens, qui ne se distinguaient ni par la race,
ni par la langue ? Car si la langue est encore aujour¬
d’hui commune et n'oflre que des différences peu
sensibles, la différenciation dans ces bandes, sans
doute composites, était encore moindre (1) et, pour
la percevoir, encore eût-il fallu savoir et bien savoir
la langue Scandinave. Nos annalistes l’ignoraient et
surtout, la plupart d'entre eux, pour ne pas dire
tous, n’avaient jamais vu ces Normands dont ils
parlaient.
Il est donc impossible d’alfirmer que, quand ils
disent Normanni , ils entendent gens venus de
Norvège ; il est non moins impossible d'affirmer
que, quand ils disent Dani, ils veulent dire gens
venus de Danemark ; au reste, que pouvaient-ils
savoir de la géographie politique, si imprécise, des
pays Scandinaves d’alors dont l’histoire est si
souvent commune (2) ? M. Roos remarque, avec
(1) Knut fonde à Rome un hôpital pour les hommes' de
langue norraine.
(2) Dudon cependant distingue les Dacigenæ et les North-
guegigenæ lors de l’invasion de 965; (p. 282), mais sa géogra¬
phie des pays Scandinaves est tellement imprécise, que l’on
peut se demander ce que vaut cette distinction. N’oublions
pas d'ailleurs que sa thèse, dont nous avons vu les raisons,
étant que Rollon est Danois, il y a quelque intérêt pour lui
à ne faire venir les Norvégiens en Normandie qu’en 965.
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150
ÉTUDE CRITIQUE
raison, que les Danois, convertis plus tôt au chris¬
tianisme et plus proches de la Germanie, ont été les
premiers connus et que ceci explique que leur nom
ait servi à désigner tous les vikings (1).
Or, M. Steenstrup (2), M. Walberg dans sa
conférence de Rouen (3) font encore état du texte
de Widukind qui parlant de Rouen l’appelle Rothun
Danorum (4) et ils concluent triomphalement que
Rouen était une ville danoise, partant que Rollon
était Danois. Remarquons que la ville de Rouen
aurait pu être au X« siècle peuplée de Danois, et
je suis pour ma part persuadé qu’elle en contenait
beaucoup, que cela ne prouverait aucunement que
Rollon personnellement fût danois. Mais encore
que vaut le texte de Widukind ? Je crois qu’il faut
faire là une étude attentive des textes pour chaque
auteur et examiner si l’auteur a distingué Dani de
Normanni , les Danois des Norvégiens. Presque
toujours la réponse est négative ; elle l’est aussi pour
Widukind. Qu'on lise attentivement cet écrivain:
on s’apercevra qu’il n'a pas fait de distinction nette
entre les Dani et les Norlhmanni , que pour lui le
mot Dani ne veut pas dire autre chose que North-
manni , qu’il n’entend pas par là les Danois à
l’exclusion des Norvégiens. Au début de ses Res
(1) Roos. op. ci i., p. 22f.
(2) La Normandie et les Danois, dans Le Danemark , n° 3,
mars 1011, p. 40.
(3) Op. cit., p. 647.
(4) Lib. IU, § 4, M. G. SS., III, 452.
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SUR DU DON DE SAINT-QUENTIN
151
gestee Saxonicœ, il cherche l’origine des Saxons,
il noie qu’il y a là-dessus des opinions divergentes ;
les uns veulent que les Saxons tirent leur origine
des Danois et des Normands, les autres des Grecs ;
il rapproche donc sans les distinguer les Dani et
les Northmanni : « Nam super liac re varia opinio
est , aliis arbitrantibus de Danis Northmannisque
origincm duiisse Saxones, aliis autem æslimantibus...
de Grœcis » (1). Il y a mieux ; dans un autre passage
il parle de Louis d'Outre-Mer emmené en capti¬
vité par les Normands « A Northmannis caplus »
et il ajoute que les Normands emmenèrent son fils
Karloman à Rouen où il mourut « Filium autem ejus
nalu majorent Karlomannum Northmanni secum
duxerunt Rothun » (2). Ainsi Widukind appelle
indidéremment Rouen la ville des Danois ou la
ville des Normands ; il ne lait donc aucune dis¬
tinction entre ces deux termes (3).
Concluous par trois textes d’écrivains anciens.
Adam de Rrême montre bien que les historiens
francs ont désigné par Normands, Northmanni, non
seulement les Danois, mais aussi tous les autres
peuples au delà du Danemark. « Dani et Sueones
et ceterique trans üaniam populi, ab hystoricis Fran-
(1) Ibid., «7.
(2) Ibid., U8.
(3) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que lorsque
M. Steenstrup et M. Walberg reprenaient l'argument tiré
du texte de Widukind, il y a longtemps que G. Storm en
avait fait justice. (Kritiske Bidrag, p. t32).
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152
ÉTUDE CRITIQUE
corum omnes vocantur Northmanni (1) ». Helmold,
dans la Chronica Slavorum, ajoute avec non moins
de sens que les armées normandes étaient formées
des plus vaillants des Danois, des Suédois, des Nor¬
végiens : « Porro Northmannorum exercitus collectives
fuit de forlissimis Danorum, Sueorum, Norveorum qui
tune forte sub uno principatu consliluli... » Il dit plus
loin que c’est à ces Normands que la Normandie
doit son nom « quir a Norlhmannis possessa North-
mandie nomen accepil (2). » On ne saurait mieux
dire. La Normandie a été colonisée par des bandes
de Danois, de Norvégiens, de Suédois, réunis sous
un même chef, mais ce chef était norvégien.
Quelques autres arguments : la pêche à la baleine,
les tombes de Groix, les noms de lieu. — Avant de
terminer cette étude, il faut dire quelques mots des
questions adventices qui ont été posées par les
savants Scandinaves. Au cours des polémiques
de 1911, on a affirmé, en Norvège, que des tombes,
situées dans l’tle de Groix, étaient les sépultures de
chefs norvégiens (3), on en a conclu que les chefs
des Normands dans la vallée de la Loire étaient
Norvégiens et qu’étant donnés les rapports qui
existaient entre les chefs des bandes de la vallée de
la Loire et ceux de la Seine, ceux-ci étaient Nor¬
végiens. Avec la haute compétence qui leur appar-
(1) Lib. IV, c. 12. M. G. VU, 373.
(2) M. G. SS. XXI, 14 et 16.
(3) A. Bugge, Gange Rôle , p. 8.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
153
tient en ces questions, M. Steenstrup d'abord (1),
M. Oscar Montelius ensuite (2), ont répondu que de
pareilles tombes se trouvaient en Suède et qu'il n'y
avait aucune conséquence à en tirer pour établir la
nationalité des chefs des vikings. Au reste, je me
demande, quand il eût été prouvé que ces tombes
fussent norvégiennes, en quoi elles auraient prouvé
la nationalité norvégienne de Uollon ?
De même, les savants norvégiens ont invoqué, en
faveur de la thèse norvégienne, la façon dont les
Normands pratiquaient la pêche à la baleine.
M. Steenstrup a justement fait remarquer les simi¬
litudes frappantes qui existent entre un récit du
moine Tortaire ou Le Tourlier et les documents
danois relatifs à cette pêche. Le moine Tortaire
visita la Normandie au Xll 9 siècle, sous Henri I er ;
il vint à Caen, longea le littoral du Calvados ; il
décrit, en termes très précis, une chasse à la baleine
exécutée par les habitants de la côte. Avec la
connaissance profonde qu'il a des documents d’ordre
juridique et économique de l'histoire danoise,
M. Steenstrup a montré, d'une façon convaincante,
que la pêche pratiquée sur les côtes du Bessin res¬
semblait à celle qui était pratiquée sur les côtes du
Danemark (3).
Reste la question plus ancienne, plus compliquée
(1) Le Millénaire Normand, dans Le Danemark , mai 1911,
p. 79.
(2) Congrès du Millénaire, t. II, p. 647.
(3) Art. cité dans Le Danemark, p. 80.
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154
ETUDE CRITIQUE
en apparence, plus sérieuse de la toponomastique.
11 y a longtemps que l’attention des savants français
normands ou Scandinaves s’est portée sur la parti¬
cularité que présente la topographie normande d’un
grand nombre de noms de lieu, non romains et non
celtiques. On a été tout naturellement porté à
admettre que ces noms provenaient des envahis¬
seurs Scandinaves (1). Mais une difficulté se pré¬
sente : la Normandie a connu, avant les envahisseurs
normands, d’autres envahisseurs venus par mer et
par terre, les Francs;.par mer surtout, peut être
quelquefois par terre, indirectement du moins, les
Saxons. Or, étant donnée l’étroite parenté des deux
langues germanique et Scandinave, il est bien
difficile de déterminer quel est l’apport des deux
races. Je faisais remarquer, en 19H, qu’il faudrait
trouver un suffixe absolument caractéristique de
l’un des deux établissements saxons ou norois, et
que cela est extrêmement difficile, vu la commu¬
nauté d’origine des deux langues (2). M. Joret, dans
sa nouvelle étude, si intéressante sur les noms de
lieu non romains de Normandie, ne me parait pas
avoir trouvé cette caractéristique (3). M. Lot, dans
ses récentes Etudes critiques sur l'abbaye de Sainl-
(1) Voir l'historique de la question dans Joret, Les noms de
lieu d’origine non romane el la colonisation gctmianique et
Scandinave en Normandie , dans Congrès du Millénaire, t. U,
p. 156.
(2) Essai, p. 252.
(3) Joret, op. cit.
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SUR DI DON DE SAINT-QUENTIN 155
Wandrille, va jusqu'à attribuer aux envahisseurs
saxons les noms de lieu non romains (1). La conclu¬
sion que M. Lot tire de la similitude des noms de
lieu germaniques ou Scandinaves est excessive. Pour
notre part, nous n'avons pas dit que cette étude ne
peut mener à aucun résultat, nous dirons seulement
qu'elle devra toujours être très prudente et qu’elle
ne peut donner de résultats qu’à la condition
d’être menée sans préoccupations nationales ; or,
tous ceux qui, en Scandinavie, se sont livrés à
cette étude, ont eu naturellement des arrière-pen¬
sées de ce genre ; ils travaillent pour une nationalité
ou pour une autre. Un savant normand aurait peut-
être pu apporter là un travail personnel. Mais il
laut bien convenir que le résumé donné par M. Joret
des travaux des philologues du Nord est très tendan¬
cieux. M. Joret est nettement pro-danois; il a cru
en Dudon, en Raoul d’Ivry, il admet toute la thèse
de M. J. Steenslrup, il ne veut pas changer d’opinion
et s’il tient compte de notre Essai pour modifier
ses opinions dans le détail, pour corriger des
erreurs ; s’il renonce à l’identification Liltus Saxo-
nicum , Bessin, il reste fidèle à la thèse danoise et la
délend àprement, sans ajouter d’ailleurs une seule
raison à toutes celles produites jadis et aujourd’hui
rélutées ; son opinion, sur ce point, a peu de poids.
Certaines critiques adressées par lui aux savants
norvégiens sont manilestement erronées. 11 reproche
à M. G. Storm d’avoir plutôt embrouillé la ques-
11) Paris, 1913, in-8», p. XL1X.
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i ne,
ETUDE CRITIQUE
tion des noms de lieu. Pourlant, M. G. Storm,
dans ses Kritiske Bülrag (1), avait relevé les diffi¬
cultés qu’il y avait à se prononcer sur l’origine
de ces noms de lieu non romains et dont on ne
pouvait savoir s’ils étaient saxons ou norois. Il
faisait aussi quelques remarques courtes, mais frap¬
pantes sur ces noms de lieu. C’est ainsi qu'il notait
que l’on ne retrouve pas aussi bien conservée, en
Normandie que dans le Danelag, la finale en by
(ville), si caractéristique des colonies danoises en
Angleterre, si fréquente dans le Danelag. En
Normandie, nous avons Hambye, Carquebus, Tour-
nebus, Bourguébus. Mais on trouve, au contraire,
très fréquemment des noms en fcea, devenus tardi¬
vement, et par contre sens, des noms en beuf.
Citons Criquebeuf, Daubeuf, Quillebeuf, Elbeuf ;
dans les anciennes chartes et dans la prononcia¬
tion, Criquebeu, Elbœu. Cette finale rappelle la
forme bô, qui existe en Norvège : Osterbô, et en
Suède : Folsterbô, et il suffit de considérer une carte
un peu détaillée de la Norvège pour y trouver ces
noms, tandis que les finales en by sout plus nom¬
breuses au Danemark. Les noms en lliivaUe, désignant
un champ en flanc d’une colline, sont regardés corn me
plus particulièrement norvégiens en Angleterre (2) et
;t) Pp. 131-133.
(2) Collingwood, op. cit-, p. 19-1 et passim. Il est vrai que
M. Joret, loc. cit., p. 151, considère les mots en thuit comme
dérivant du danois tved. D'ailleurs si j’indique ici cette ques¬
tion, ce n’est pas avec la prétention de la trancher (ce n’est
pas le lieu), mais avec la préoccupation d'indiquer à ceux qui
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SIR DUDON DE SAINT-QUENTIN
157
nous avons, en Normandie, Thuit-Hébert, Lanque-
tuit, Braquetuit... Je ne veux pas exagérer la
portée de ces remarques, mais elles montrent que
si l’on étudiait sans parti pris, la toponomastique ne
serait peut-être pas si défavorable que le disent les
Danois et M. Joret à la thèse norvégienne. Très
probablement, elle nous amènerait à cette conclu¬
sion qu’il y a eu, non une colonie danoise , comme l'a
écrit M. J. Steenstrup, mais une colonie Scandinave,
comme nous l’avons dit dans notre Essai et le vrai
mérite des Scandinaves établis en Normandie a
été d’amalgamer, comme nous avons essayé de le
montrer, il y a quatre ans, ce qui restait des
tendances résultant des conquêtes antérieures :
romaine, franque, saxonne et même bretonne.
Peut être plus tard, quand on aura fait les études
préliminaires que nous réclamions au congrès de
1911 sur l’archéologie, l’ethnographie, la linguis¬
tique, la toponymie, le droit coutumier, le folk lore
de la Normandie primitive et qu’on les aura com¬
parés avec l’archéologie, l’ethnographie, la linguis¬
tique, la toponymie, le droit coutumier, le folk¬
s'intéressent à cette question et tout spécialement à nos
Sociétés savantes de Normandie une nouvelle voie à suivre.
On a été en notre province trop ignorant des travaux
étrangers, on ne connaît que les travaux danois et sur la
question de la toponomastique, Joret qui les résume. Il y
aurait un grand profit à étudier les travaux anglais sur la
question de la pénétration Scandinave en Angleterre, ils
ont été plus poussés que les nôtres et ils sont plus impar¬
tiaux que les travaux Scandinaves.
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<58
ETUDE CRITIQUE
lore des pays Scandinaves (1), peut-être arrivera-t-on
à peser le plus ou moins de part de pénétration
scaudinaveen Normandie; peut-être même arrivera-
t-on à dire qui l'emporte de la danoise ou de la
norvégienne, peut être même arrivera-t-on à déter¬
miner des zones, des colonies distinctes, peut être
sera-t-on frappé des caractères tout particuliers
que présente le pays deCaux avec le type de ses habi¬
tants, ses noms de lieu d’origine germanique si
denses dans un rayon de plusieurs lieues autour du
Havre, et enfin son droit coutumier propre, son
droit d’ainesse qui se retrouve précisément en
Norvège ? (2).
Mais on ne dira jamais plus, nous le croyons, que
la Normandie fut une colonie danoise ; on ne dira
pas non plus, d’ailleurs, que la Normandie fut une
colonie norvégienne et c’est le grand mérite des
historiens norvégiens, M. G. Storm et M. Alex.
Bugge, de ne pas l’avoir dit, d’avoir été moins
tendancieux, moins systématiques, moins nationa¬
listes que leurs collègues danois ; d’avoir reconnu,
— M. Steenstrup lui même le remarquait et en
tirait argument en 1911 (3) — que la Normandie
(1) Il semble que ces études soient plus avancées en
Angleterre, grâce à certaines sociétés archéologiques, en
particulier au Viking-Club. M. COLLINGWOOD, oj >. cil., a pu
tracer une carte très vraisemblable des colonies danoises et
norvégiennes.
(2) Voir la note 1 de la p. 38 du présent ouvrage et
ajouter comme référence : GÉNESTAL, Le Parage Normand.
Caen, 1911, in 8°, passim, particulièrement, p. 9, n. 4.
(3) La Normandie et les Danois , dans Le Danemark, p. 41.
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SUR DUDON DF. SAINT-QUENTIN
159
contenait sans doute des éléments danois à côté de
l’élément norvégien (1). Nous pensons comme eux et
nous nous garderons bien de dire qui des deux
éléments l’a emporté (2), mais nous pensous avec
(1) MüNCH, op. cit. f I, 669, admettait que Rollon, viking
norvégien, était devenu le chef de la bande danoise de
Godfrid et de Sigfrid. Worsaae, sans se prononcer, ne paraît
pas absolument réfractaire à cette idée, mais il se refuse à
admettre l’hypothèse de Munch et de quelques autres savants
que toutes ces bandes seraient parties du Sœnderjyland,
Jutland méridional ou Sleswig, colonisé par les Norvégiens,
faisant remarquer qu’il est bien improbable que ce petit pays
ait pu donner naissance à des colonies aussi puissantes.
(Op. cit., p. 141, n. 1).
(2) Il se peut fort bien que ce soit numériquement l'élément
danois, comme M. Alexandre Bugge l’aurait lui-même reconnu.
M. W. G. Collingwood, Scandinavian Brilain , apporte une
suggestion intéressante. Lui qui admet (p. 59) que les
Normands de Normandie étaient pour la plupart d'origine
danoise — il n’a d'ailleurs pas spécialement étudié cette
question qui est en dehors de son sujet — reconnaît plus
loin (p. 72) qu’en Grande-Bretagne les établissements durables
ont été surtout fondés par les Norvégiens, et il en donne une
raison digne de remarque. Les Danois qui occupent un pays
riche, font surtout des expéditions de pillage ; les Norvégiens
cherchent des terres à coloniser et à cultiver ; si les rudes
Hébrides ou les Orcades leur parurent terres favorables à un
établissement, que dire de la Normandie?
Tirons encore de cet ouvrage une remarque intéressante :
M. COLLINGWOOD note que les noms d’hommes dans le sud
du Yorkshire sont plutôt norvégiens que danois, il fait remar¬
quer que la terminaison ketil qui a disparu au début du
XI* siècle chez les Suédois et les Danois s’est maintenue
encore parmi les Norvégiens et les Islandais, qu’elle donne
lieu à des noms comme Alfcetel, Arcetel, Ascetel, Thorcetel.
Or en Normandie nous avons Turquetil, Anquetil, peut-être
Coutil, dérivés évidemment de noms terminés en ketil, donc
plus probablement norvégiens.
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ETUDE CRITIQUE
eux qu’il y a eu plus d’éléments norvégiens qu’on
ne veut bien le concéder au Danemark et, en tout
cas, nous restituons à la Norvège Rollon, Ganger
Rolf, objet de ce trop long débat.
Les Campagnes de Rollon
Rollon en Angleterre. — Nous avons longuement
étudié la question de l’origine de Rollon à cause de
l’importance, à notre avis excessive, qu’y a attachée
la critique ; nous pouvons être évidemment plus
bref sur les paragraphes suivants qui nous racontent
les songes de Rollon ; songe (§ V) pendant son séjour
en Scanie, où il lui est ordonné de se rendre en
Angleterre; songe, en Angleterre qui lui prédit la
puissance et lui promet le baptême. On n’attendra
pas de nous que nous discutions longuement l’au¬
thenticité de ces songes. Nous nous bornerons à
faire remarquer combien on sent dans ces dévelop¬
pements l’inspiration livresque. Ces songes, Dudon
ne les a pris à aucune tradition, à aucune chronique,
cela va sans dire, mais ce sont des réminiscences
de ses auteurs favoris, Virgile et Lucain. Bornons-
nous à constater certaines invraisemblances qui
prouvent et l’ignorance de l’auteur et son imagina¬
tion ; Rollon communique le songe qu’il a eu en
Scanie à un chrétien, sapicnti viro et christicolœ. Or,
à la date à laquelle Dudon lui fait quitter la Scanie,
quelques années avant 876, Rollon eût été bien
embarrassé d’y trouver un chrétien. Remarquons
encore ici les sources auxquelles Dudon a puisé ;
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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le chrétien l’envoie « ad Anglos scilicet ad Angelos »
réminiscence évidente d’une lecture de Bède le
Vénérable (1). Dans les combats de Rollon en
Angleterre, nous pouvons voir aussi une défiguration
des combats que GangerRolf, venant des Hébrides,a
pu livrer en Ecosse (2).
Quant au très chrétien roi d’Angleterre : « rex
Anglorum christianissimus, nomme, Alstemus (§ 7), »
on pense tout de suite à l’identifier avec Athelstau,
roi de Wessex, qui succéda à Edouard en 924 et
régna jusqu’en 940. Comme cette époque est celle
de la plus grande puissance, de l’hégémonie du
Wessex, Athelstau peut parfaitement être qualifié
de roi des Anglais. Une charte de la cinquième
année de son règne l'appelle roi des Anglo-Saxons.
La seule difficulté qui nous arrête — et elle est
considérable — est d’ordrechronologique. Athelstau
régnait cinquante ans après l'époque où Dudon le
met en rapports avec Rollon, puisque, selon lui,
Rollon arrive dans l’estuaire de la Seine en 876.
Dom Morice se moque du récit du chanoine de
Saint-Quentin comme d’une fable grossière (3).
D’autres critiques, Trigan (4), Licquet (5) ont
(1) Hist. eccl. gent. Angl ., lib. II, c. 1.
(2) Le second songe de Rollon se retrouve dans la chroni¬
que de saint Néot, à la suite du De rébus gestis Ælfrcdi d’ Asser,
mais c’est là une interpolation. Ed. Stevenson, p. 134.
(3) Dom Morice, Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne ,
I, c. 970, n. XUI.
(4) Histoire ecclésiastique de Normandie , Caen, 1759-1700,
4 vol. in-4°, II, 251.
(5) Histoire de Normandie, I, 47.
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ETUDE CRITIQUE
supposé qu’Alstemus était Alfred le Grand. Il y a
peut être dans ce traité que Dudon suppose entre
Rollon et le roi anglais, un vague souvenir du
traité de Wedmore, de 878, par lequel Alfred
partagea l’Angleterre avec les Danois. Mais les
dates non plus ne concordent pas, puisque selon
Dudon, Rollon serait allé en Angleterre avant 876;
et Alfred ne saurait se traduire par Alstemus. Suhm
a suggéré un rapprochement avec le roi danois
Guthrum d’Estanglie qui, après avoir lutté contre
Alfred, fut battu par lui, puis baptisé, et prit le
nom d’Athelstan (1). Lappenberg (2), Worsaae (3),
et Lair (4) ont repris ce rapprochement. Mais il ne
nous paraît pas plus heureux que le rapprochement
avec Alfred, car la conversion de Guthrum est de
880 et parconséquent postérieure à la date à laquelle
Dudon place le séjour de Rollon en Angleterre. En
réalité, l’identification Alstemus Guthrum-Athelstan,
adoptée par Suhm, Lappenberg, Lair et Vogel,
par tous ceux qui veulent ajouter quelque foi aux
histoires de Dudon, ne résiste pas à la critique
et il est probable que ce sont les Bénédictins qui
avaient raison. Athelstan a été fourni à Dudon par
Flodoard, l'une de ses sources, sa source princi-
(1) Scrip. rerum. Danic., V, 58.
(2) Lappenberg, trad. Thorpe, England under lhe Anglo-
Saxons Kings, p. 8.
(3) Op. cit., p. 141.
(4) Ed. de Dudon, 53.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
163
pale (1), et Dudon, une fois de plus, s’est peu em¬
barrassé de chronologie. Ou bien, si on voulait à
tout prix attacher quelque importance b la donnée
Athelstan-Guthrum, il faudrait supprimer la date de
876 de l’œuvre de Dudon (2).
Rollon en Lotharingie. — Rollon quitte l’Angle¬
terre pour l’ile de Walcheren. En route, il est
assailli par la tempête et il promet de se convertir au
christianisme s’il est sauvé. La tempête s’apaise
immédiatement, réminiscence probable de l’histoire
de Clovis à Tolbiac.
A peine arrivé à Walcheren, Rollon reçoit des
navires d’Athelstan avec des hommes et des provi¬
sions. A tous ceux qui auront examiné les procédés
de composition de Dudon, cela paraîtra un transport
évident à Rollon de l’histoire de la flotte d’Athelstan
envoyée à Louis d’Outremer et rapportée par Flo-
doard (3); quant à la présence d’une flotte normande
à Walcheren, elle n’a évidemment rien que de très
vraisemblable. Les vikings ont bien des fois paru
aux bouches de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin.
Dès 831, un chef danois, Hériold, reçut de Lothaire I er
la ville de Dorstad, à laquelle il joignit l’île de
Walcheren (4) ; il fut remplacé par un de ses
frères, Horic.
(1) Annales, éd. Lauer, Paris, 1905, in-8°, pp. 63, 72, 73.
(2) Serait-elle le résultat d’une interpolation ?
(3) Ann., 936, p. 63.
(4) Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens »
p. 53.
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ETUDE CRITIQUE
164
Que faut-il penser de l’intervention de Régnier au
Long Col, duc de Hainaut et de Hesbaye, comme
l’appelle Dudon, et de Radbod, prince de Frise?
Régnier au Long Col est bien connu ; il règne, entre
la Meuse et l’Escaut, sur un pays moitié thiois,
moitié wallon ; il est, aux yeux des historiens mo¬
dernes « l’incarnation de la féodalité lotharingienne »
à cette époque (1). Mais, outre qu’aucune autre
source qu’Aubri des Trois Fontaines, — qui a pris
à Lludon cette histoire, — ne parle de ses rapports
avec Rollon, deux difficultés se présentent : le pre¬
mier diplôme de lui connu est de 877, c’est-à-dire
d’une époque postérieure à celle à laquelle Dudon fait
de lui un prince puissant; en outre, M. Parisot ne
croit pas que ce qualificatif de « au Long Col « con¬
vienne à Régnier 1" ; if pense qu’il y a là une confu¬
sion avec son petit fils et homonyme Régnier III, qui
vivaitau X e siècle.Ce nom n’a étédonnéà Régnier I» r
que par trois écrivains : Riclier qui écrivait en 99a,
Folcuin vers 985, Dudon après996 et ce ne sont pas,
tant s’en faut, quoi qu’en ait dit Dümmler, des
contemporains de Regnier I er (2). Sans doute, le
récit de Dudon a été accepté par Le Carpentier
dans son Histoire de Cambrai (3), par Leibniz (4),
par Depping, par le père Firmin Brabant, par
(1) Pirenne, Histoire de Belgique, 2 e édition, Bruxelles,
190-2, in-8», t. I", p. 42.
(2) Parisot, op. cil ., p. 510.
(3) I, p. 83.
(4) Annales imperiioccidentis, éditées par PeRTZ, Hanovre,
1813-46, 3 vol. in-8“, t. II, pp. 164-165.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
165
M. Lair, enfin ; mais il n’a pas été admis par
M. Parisot, qui rejette le récit de Dudon à cause de
la présence de Radbod.
Ce Radbod de Frise constitue en eflet une grosse
dilliculté. La critique a vu en lui un évêque
d'Utrecht, mais Radbod n’ayant pas été évêque
avant l’an 900, ne pouvait convenir au récit de
Dudon. M. J. Lair, dans la préface de son édition, a
affirmé qu'il avait déniché un Radbod « cornes in
Lake et Ysella en 875 » (1). Mais on peut conclure
avec M. Vogel que l’existence d’un comte Radbod
de Frise à la fin du IX e siècle est extrêmement
douteuse (2).
En réalité, si nous nous reportons aux sources,
c’est encore à un transfert d’événements que nous
assistons; les Annales de l’abbaye de Fulda rap¬
portent, en 881-882, la présence des Normands
dans la Hesbaye, le ravage du monastère de Prüm.
Ils s'avancent vers Coblentz et Trêves, avec les rois
Sigfrid et Godfrid, leurs chefs Vurin et Hais (3).
Sigfrid fait la paix avec l’empereur Charles et reçoit
le baptême. On voit comment Dudon a transporté
à Rollon l'histoire de Sigfrid, à moins que ce ne
{1) Ed. de Dudon, p. 55.
(2) M. Lair dit l'avoir trouvé dans Beka, De episcopis Ultra -
jectinis et dans Emmius, Uist. rer. Fris. ; « mais, dit M. Vogel,
op. cit ., p. 279, n. 3, il n’y a de Radbod de Frise en 875 ni dans
Beka, ni dans Emmius, ni ailleurs. L’éditeur de Beka,
Bachelius, a bien donné dans un arbre généalogique, un
Radbod cornes in Lake et Ysella, mais en l’an 975.
(3) Annales Fuldenses , M. G. SS. I, 396.
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Ififi
ETUDE CRITIQUE
soit celle de Godfrid, qui, en 883, conclut aussi la
paix avec l’empereur et reçut le baptême (1).
M. Lair propose, pour obtenir une coïncidence de
dates justificatrice de Dudon, de transporter dix
ans plus tard tous les événements rapportés par lui
et de les placer de 882 à 883 au lieu de 872 à 873 :
(pour être exact, il faudrait ajouter qu’il ne s'agit
pas de Rollon, mais de Sigfrid et de Godfrid).
Dudon, prosateur épique, nous rapporte aussi une
romanesque histoire, celle de Régnier fait prison¬
nier par les troupes de Rollon, racheté par sa femme
qui envoie au chef normand une somme considérable
en or et en argent et douze chefs normands. C'est
encore un transport d’événements, c’est l’histoire
du comte de Frise, Eberhard fait prisonnier en 880
et racheté par sa mère (2).
On voit que le procédé de Dudon se répète indéfi¬
niment et d’une façon un peu monotone. Cet écri
vain, en qui M. J. Lair ne voulait voir que l’écho
des traditions normandes, est tout en placages et
en démarquages.
Que dire de la scène invraisemblable où le puis¬
sant Régnier, embrassant les genoux du chef
normand, lui demande de faire alliance avec lui ?
C’est une belle imagination. C’est un des panneaux
du triptyque consacré à la gloire de Rollon qui
a traité successivement de pair à égal avec le roi
(1) Annales Fuldenses, ibid, 402.
(2) Réginon, 881 ; M. G. SS. I. 572. Voir Dummler, Fors-
chungen, p. 367 bis.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
167
d’Angleterre, Atbelstan, avec le tout puissant comte
lorrain Régnier et avec le roi des Francs occiden¬
taux. M. Lair tait valoir la véracité de Dudon parce
qu’au cours des campagnes de Rollon en Hesbaye,
Dudon nomme Condé, et qu’il est certain qu’en
881-882, Condé fut visité par les Normands, mais
outre que les dates ne concordent pas, il n’est pas
question de Rollon dans les Annales qui rapportent
ce fait (1). A la vérité, il n’y a pas de dates dans
Dudon ; la première que l’on trouve est celle de
876, date de l’arrivée de Rollon en Normandie.
Rollon en Normandie. — Ici, M. Lair, après
Aug. Le Prévost, a remarqué avec juste raison que
l’on avait eu tort d’attacher quelque importance à
cette date de 87G, que toutes les sources annalis-
tiques où on la retrouve sont, en réalité, postérieures
à Dudon et la lui ont empruntée, ou bien, comme la
Chronique anglo saxonne, ont été victimes d’une
interpolation (2), Mais alors, pourquoi veut-il
corriger le texte de Dudon, explication à laquelle il
a trop souvent recours, et substituer à la date de
876 celle de 886 ? En quoi cette date de 886 serait-
elle plus fondée? Rollon, suivant Dudon, aurait
pris part au siège de Paris en 881-882 ; alors ce ne
(1) Annales Vedastini, éd. Dehaines, p. 313.
(2) Ed. de Dudon, p. 52. M. Green, dit qu'aprés la paix
de Wedmore (878 et non 87Gj, la vallée de la Seine devint le
théâtre des exploits de Rolf (The Conquesl of England, I,
p. 270), mais c’est par une simple conjecture qui ne repose
sur aucun fait certain, qu’il lie ces deux choses.
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168 ÉTUDE CRITIQUE
serait pas en 886 qu’il a débarqué pour la première
fois en Normandie. Toutes les corrections que
l’on proposera ne montreront que l’impossibilité
d’accepter la date donnée par Dudon (1).
Après une jolie description de l’estuaire de la
Seine, Dudon mène Rollon à Jumièges et nous
rapporte encore une bien singulière histoire ; le
chef normand aurait arrêté ses navires à la chapelle
Saint-Vaast et aurait déposé sur l’autel de cette
chapelle, le corps de sainte Ameltrude, qu’il avait
apporté avec lui, d’où ce lieu aurait été ensuite
appelé Sainte Ameltrude. M. Lair, toujours en peine
de prouver la véracité de Dudon, déclare que ce
récit est suffisamment confirmé par le fait que Guil
faume de Jumièges, qui devait être mieux informé
que quiconque des faits relatifs à son abbaye, a
reproduit le récit du chanoine de Saint-Quentin (2).
Or, Guillaume de Jumièges ne dit pas que ces
reliques aient été apportées de Hainaut, mais bien
de Grande-Bretagne : « Quamdam sacram virginem,
(1) Steenstrup, Normanneme, II, 282, n. 3, propose 896.
Munch, op. cit., 634, n. 3, propose 897. Ces dernières dates
seraient plus vraisemblables, puisque M. Vigfusson admet
d’après l’examen de la Saga que Ganger Rolf vint dans le
Valland, la Gaule, vers 900. En réalité nous ne savons rien des
circonstances de l’arrivée de Rollon en Normandie.
(2) Ed. Laïc, p. 152, n. a. Dans son Mémoire préliminaire,
il voit dans sainte Ameltrude une sainte honorée dans les
environs de Murbod, près de Condé-en-Hainaut. Les Bollan-
distes nous donnent bien la vie d'une sainte Waldelrude , mais
ils indiquent une autre localité comme ayant reçu ses
reliques. A cia SS. 0 april. I, 827.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
16fl
nomme Ame/trudem, quam a Britannia asporta-
rerant it (1). Tout ce que l’on peut dire de certain,
c’est qu’il y avait bien en face de Jumièges une
chapelle Saint-Vaast qui, suivant une tradition
renfermait les reliques de sainte Ameltrude et qu’il
y eut ensuite, près de Jumièges, une église nommée
Sainte-Gertrude, où les reliques avaieut été trans¬
portées, mais on ne peut rien tirer de là pour
prouver la véracité de Dudon en ce qui concerne
les expéditions de Rollon.
On se heurte d’ailleurs, immédiatement après, à
des impossibilités. Si on peut admettre comme
vraisemblable ce que dit Dudon que les marchands
de Rouen, apprenant la venue des bandes de
Normands, engagent l’archevêque à négocier — les
marchands étaient évidemment une puissance dans
cette ville en relation avec l’Angleterre dès les temps
mérovingiens, sans doute même dès les temps
romains — il est tout à fait impossible que l’arche¬
vêque qui a envoyé des ambassadeurs à Rollon soit
Francon. Le nom de l’archevêque de Rouen en 876
est bien connu ; il s’appelle Jean (2) et on aurait
beau descendre le cours des temps et mettre la
venue de Rollon en 886 ou en 896, il ne se peut pas
que Francon, qui mourut en 939 (il est même dou¬
teux qu’il ait été archevêque de Rouen en 9H-912),
(1) Ed. Marx, p. 20.
(2) Fuzkt et Jouen, Liste chronologique des archevêques de
Rouen, dans Comptes, livres et inventaires du manoir archi¬
épiscopal de Rouen, Paris et Rouen, 1908 in-4°, p. CCXXIV.
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170
ETUDE CRITIQUE
ait joué, en 876, le rôle que lui prête Dudon. On
voit dès lors ce que l’on peut croire de l’entrée de
Rollon à Rouen, de son débarquement à la Porte
Saint-Martin (1). Dudon a pu sans doute recueillir
des légendes locales ; mais quel eu était le bien
fondé?
Rollon se rembarque après une visite de la ville,
il remonte le fleuve jusqu’à un endroit appelé As
Dans. Ici encore, Dudon utilise des traditions
locales d’ailleurs en partie fondées. Il s’agit évidem¬
ment d’un lieu dit des environs de Pont-de-l'Arche,
les Damps (2); remarquons, après Le Prévost, que
le bras de la Seine qui s'étend en aval de Pont-de-
l’Arche, entre la terre et l’ile Launi, s’appelait au
XII 0 siècle Maresdans, où il n’est pas difficile de
reconnaître Mare as Dans. C'est alors que s’avance
au devant de lui l’armée des Francs commandée par
Renaud, Regnoldus que Dudon appelle princeps
totius Francia. Ici nous allons encore saisir un
des procédés de composition de Dudon ; emprunts à
des traditions locales intéressantes, emprunts aux
Annales, emprunts à la légende ou invention roma¬
nesque. C'est dans cette dernière catégorie qu’il
faut faire rentrer le rôle que Dudon fait jouer à
Hasting. Nous avons vu comment Hasting disparait
de l’histoire en 89a, de la Francia quelques années
auparavant. Dans le livre consacré à Rollon, Dudon
(1) Kalckstein, op. cil., p. 129, a admis tout ceci comme
vrai, mais en te transportant à la date de 900 f ???).
(2) Lair, p. 151, n. a.
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SCR DODO!» DE SAINT-QUENTIN 171
lait d’Hasting un allié des Francs. Renaud l’envoie
en ambassade au devant de l’armée normande
accompagné de deux chevaliers qui savent le danois.
L’auteur nous raconte même le dialogue échangé
entre Hasting et les chefs normands ; nous n'en
retiendrons qu’un trait. Les éclaireurs demandent
aux Danois à quel seigneur ils obéissent. « Au/fi
quia œqualis potestalis sumus ; à personne, parce
que nous avons tous pouvoir égal. Le chanoine de
Saint-Quentin apparaît ici, comme toujours, peintre
assez exact des mœurs des envahisseurs ; les trop
rares traits par lesquels il essaie de les dépein¬
dre sont assez précis. Ce romancier épique qui
commet de si singuliers anachronismes quant aux
dates, n'en commet pas quant à la couleur locale,
les vikings en ellet étaient bien des gens jaloux de
leur égalité. Tout ce que nous savons de la société
Scandinave, de l’Islande en particulier, colonie
norvégienne, nous confirme dans ce sentiment.
Un autre écrivain franc que Dudon a très vrai¬
semblablement lu, Abbon, avait également bien
saisi ce point quand il dit de Sigfrid et de l’armée
normande : Solo rex verbo , sociis tamen imperi-
tabat (1).
Mais quant à l’épisode même de la rencontre
d’Hasting avec l’armée de Rollon, il parait ou
purement légendaire ou sorti de l’imagination de
Dudon. Nous avons déjà vu que Guillaume de
(1) Ed. Pertz, (Script . rerum germanicarum in usum
schoiarum). Hanovre, 1871, in-8°, p. 7.
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17»
ETUDE CRITIQUE
Jumièges, racontant les mêmes événements, faisait
de l'ancien chef viking un comte de Chartres, mais
nous avons montré que ceci n’avait aucun fonde¬
ment historique.
Le personnage de Renaud, chef de l’armée
franque, est, au contraire, pris aux Annales ; les
Annales de Saint Vaast racontent l’invasion nor
mande de 883 par la vallée de la Seine, donnent
pour chef à l’armée franque Ragnoldum ducem
Cinomannicum, Renaud, duc du Maine (1); il est
vrai qu’elles placent sous ses ordres tous les
contingents de la Neustrie et de la Bourgogne, ce
qui explique, en somme, le titre de princeps tolius
Francité que lui donne Dudon et montre aussi où il
a puisé ce récit.
Reste le récit du combat qui est ici intéressant,
parce qu’il contient évidemment des renseignements
empruntés aux traditions locales.
L’armée normande s’est arrêtée aux Damps (.4s
Danos), près de Pont-de-l’Arche. Dudon rapporte que
l’armée franque vient à l’église Saint Germain et y
entend la messe. Or, nous savons qu'il y a une église
Saint Germain à Louviers, ville que M. Lot a iden¬
tifiée d’une façon absolument probante avec Veteres
domus (2). L’armée franque, qui se trouve sur la
(1) Annales Vedastini, p. 321. M. Latouche se demande s’il
existait au IX e siècle un grand gouvernement militaire qui
aurait eu Le Mans pour chef-lieu et comme une sorte de
marche, mais il n’ose rien affirmer (Histoire du comté du
Maine pendant le X e et le XI « siècles , Paris, 1900, in-8°, p. 10).
(2) Lot, Veteres Domus dans Moyen Age , 1904, pp. 65-477, et
aussi Le Pont de Pitres, ibid., 1905, p. 22.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
173
rive gauche de la Seine, marche donc vers les
Damps. L’armée normande s’y est concentrée ; elle
s’est entourée d’un retranchement, suivant son
habitude ; l’exactitude de Dudon, quant à la peinture
des mœurs, se montre encore. L'armée a laissé à
dessein un espace découvert où s’engage l’armée
franque et où le porte-étendard Rolland trouve la
mort (1). Il est remarquable que VHistoria Norvegiœ
raconte une ruse assez semblable dont l’armée de
Rollon aurait usé près de Rouen ; les Rouennais
ici seraient tombés dans des fosses cachées et les
Norvégiens les auraient égorgés, à la suite de ce
combat Rollon se serait emparé de la ville (2). 11 est
évident que Dudon ici connaît les lieux ; au cours
d’un voyage en Normandie, il sera allé de Rouen
à Pont-de-l’Arche ; peut-être aura-t il poussé jusqu’à
Louviers ; en tout cas, il a recueilli la tradition
locale qui avait trait à un combat livré par les Nor¬
mands aux Francs, lors de l’invasion de juillet 885.
Mais quelle preuve avons-nous que Rollon ait figuré
dans cette armée ? Aucune.
Cependant la mort de Rolland a jeté le désarroi
dans l’armée franque : Hasting, Renaud et leurs
soldats s’enfuient (3).
(1) Cet épisode, noas apprend M. Lot, Veteres Domus, p. 469,
n. 3, n’aurait pas été sans influence sur ta formation de la
Chanson de Roland, selon Bartoli Foggion, Le invasioni di
Normanni in Francia e la Chanson de Roland, 1902, in-4°, br.
de 12 p. extrait de la Revue II Saggialore. Cette hypothèse
paraît à M. Lot fort peu vraisemblable.
(2) Ed. Storm, pp. 90-91.
(3) Tcrga vertentes fugam eæ petiverunt hilares, ils tournent
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174
ETUDE CRITIQUE
L’armée normande poursuit l’armée franque
jusqu’à Meulan. Dans un dernier combat, Renaud
est mis à mort par un pêcheur de la Seine. Tous ces
détails, plus ou moins légendaires, se rapportent
évidemment à la campagne de 885. Les Annales de
Saint-Vaast ne nous disent pas où Renaud trouva la
mort, mais il n’est pas impossible que ce soit près
de Meulan, car l’armée normande en remontant la
Seine passa naturellement par cette ville.
Dudon nous mène ensuite au siège de Paris, mais
il ne s’y arrête pas ; il a sans doute quelque hésita¬
tion ànousraconterlonguement ce grand événement
historique qui était bien connu de son temps par le
poème d'Ahhon, poème dans lequel le chef de
l’armée normande est Sigfrid et non Rollon. Pru¬
demment, il s’éloigne de Paris pour nous raconter
des incursions de l’armée normande.
Bayeux et Évreux. — La première de ces expé¬
ditions est dirigée contre Bayeux, les Normands
ravagent le Bessin, les habitants résistent, s'empa¬
rent d'un chef normand nommé Bothon. Des négo¬
ciations s'engagent. Bothon est mis en liberté
moyennant une trêve d’un an. Au bout de cette
année, Rollon s’empare de Bayeux, la détruit de
fond en comble et fait un grand nombre de captifs
au nombre desquels la Pille du puissant comte
Bérenger ; il épouse sa captive et il en a un fils nommé
le dos et s’enfuient joyeux ! Voilà à quelles sottises le besoin
de faire de la prose rimée entraîne notre rhétoriqueur I
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
175
Guillaume. Ce qu'il y a d’important, c’est le mariage,
origine du second duc de Normandie ; il ne nous
en faut pas moins discuter tout le récit de Dudon.
Notons d’abord que Guillaume de Jumièges au lieu
de deux expéditions à Bayeux n’en conte qu'une (t).
Les Normands ont ils fait des incursions en
France pendant le long siège de Paris ? Du récit
d’Abbon, il résulte que le 3 février 886, Sigfrid lève
le siège et se rend dans l'est (2). Foulques, arche¬
vêque de Reims, mande à l’empereur que de Paris à
Reims rien n’est à l’abri des païens (3); mais Reims
n’est pas dans la direction de Bayeux. M. Favre et
avec lui M. Vogel (4) admettent que l’expédition de
Bayeux peut être justifiée par un vers d’Abbou qui
parle d’une captive amenée du comté de Bayeux (5).
11 se peut en effet que ce soit là le départ de
l'histoire de Dudon.
Il est certain que Bayeux a été pris par les
Normands en 858 ; l’évêque Beaufroi fut tué ; il
résulte du récit de la Translalio Saneti Philiberti que
la prise de Bayeux a eu lieu entre 847 et 867 (6). La
Chronique de Saint Bénigne de Dijon nous parle aussi
(1) Ed. Marx, p. 24.
(2) Lib. I, v. 439, éd. Pertz, p. 20.
(3) Flodoard, Hist. eccl. Rem. ; M. G. SS., XIII, 563.
(4) Favre, Eudes, comte de Paris, Paris, 1893, in-8°, p. 53,
n. 4, et Vogel, op. cit., p. 336, n. 2.
(5) Abbon, v. 355, éd. Pertz, p. 38.
(6) M. Lot, La grande invasion Normande de 856-862, dans
la Bib. Éc. Chartes, 1908, p. 13, n. 3, p. 18, n. 4, p. 33, n. 3,
a fixé la date de cette prise de Bayeux à 858.
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ETUDE CRITIQUE
de la destruction de Bayeux lors de la première
invasion des Normands (1). Mais cetle destruction
est, on le voit, bien antérieure au siège de Paris ; ou
faut-il admettre que Dudon a fait allusion à l’expé¬
dition des Normands sur les confins des posses¬
sions bretonnes lorsqu'ils s’emparèrent de Saint Lô
en 890? Ils semblent alors avoir remonté la Vire (2);
auront-ils de là poussé jusqu’à Bayeux ? Ces deux
invasions normandes à Bayeux, l’une en 858,
l’autre en 890, sont séparées par trente deux années
d’intervalle, dans Dudon par une seule. En tout cas
aucune source ne nous parle de Rollon, ni d’ailleurs
de tous les autres personnages que Dudon mêle
à cette histoire, à savoir Bothon, Bérenger et Popa.
Bntlion, le chef normand, se retrouve bien dans
Dudon au livre suivant, mais ce n’est pas un nom
Scandinave ; je l’ai cherché en vain aux tables des
Origines Islandicœ ou de l 'Ueimskringla (3). C’est,
au contraire, un nom franc. Admettons que Bérenger
soit un comte de Rennes (4); qu’il ait pu étendre
sa domination jusqu’à Bayeux, les comtés de Cou-
tances et d’Avranches ayant été cédés à Salomon
en 867, nous aurons fait à Dudon toutes les con¬
cessions possibles. Mais alors loin d’avoir été vaincu
(1) H. F., VIII, 241.
(2) Ch. de Réginon, M. G. SS., I, 601.
(3) Aux tables de l’Heimskringla, je trouve Ivar Boddi. La
ressemblance est bien vague. Boson est le nom d’un roi
de Bourgogne.
(4) Comme le dit Le Baud. Voir de la Bouderie, Histoire
de Bretagne , t. II, p. 334.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
177
par les Normands, Bérenger aura été, au contraire,
vainqueur en 889 (t). Notons qu’un diplôme de
Charles le Chauve de 863 pro ecclesia Rothomagensi
est souscrit par un comte Bérenger (2) ; en 86a il est
question d’un Bérenger qui ne fait rien contre les
Normands (3). On trouve un Bérenger, comte du
Mans, en 892 (4). Kalckstein, se fondant sur ce que
Dudon appelle Bernard de Senlis l'oncle maternel de
Rollon, amnculus, a supposé que Bernard était frère
dePopa, mère de Guillaume et qu’il était le fils deBé
renger, fils de Pépin, fils de Bernard, roi d'Italie (5).
Mais c'est justifier Dudon par Dudon, mauvaise mé¬
thode, et il faudrait d'abord savoir ce qu'est Popa. En
résumé, des sources franques connaissent un comte
Bérenger (c’est là sans doute que Dudon a pris son
personnage) mais non un Bérenger comte de Bayeux
et les sources normandes seules connaissent Popa.
On la trouve dans Orderic Vital (6), Wace, Benoît
de Saint More et dans un écrivain flamand, Philippe
Mousket, qui fait assister Bérenger, comte de
Bretagne, au baptême de Rollon. Wace en fait une
(1) Ann. Ved. , éd. Dehaisnes, p. 335.
(2| H. F., VIII, 589.
(3) Ann. Ved-, ëd. Dehaisnes, p. 152.
(4) Favre, Eudes, p. 242.
(5) Kalckstein, p.128, n. 1. M.Lauer, Louis IVd’outre-mer,
p. 5, n. 2, trouve cette hypothèse conjecturale. Il en envisage
une autre : la femme de Rollon serait la fille de Guitton, comte
de Senlis. « Mais, il le dit lui-même, ce ne sont là que des indi¬
cations sans vérification possible ». Lajr, Étude sur la vie de
Guillaume, p. 3, semble souscrire à l’hypothèse de Kalckstein.
(6) Ed. Le Prévost, II, 7.
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ETUDE CRITIQUE
jeune fille non nubile que le chef normand aurait
épousée plus tard :
N’avait encore et sein ne triant ne mamele (I).
Quel est le caractère de cette union? Un mariage,
connubium, dit Dudon. Guillaume de Jumièges,
toujours plus sincère, ne croyant pas à la possibilité
d’un mariage entre le païen Rollon et une chré¬
tienne, fille du comte Bérenger, dit que Rollon l'a
épousée à la danoise, more danico :
Itou en a fait s’amie,
dit Wace (2).
Quelle est la date de cette union ? Dudon ne le dit
pas. Guillaume dit: « Non multopost ». Wace dit que
Rollon « mult l’a désirée ». Mais toutes ces sources
normandes n’ont aucune valeur: ce sont toujours
des interprétations, des arrangements de Dudon.
Sur la mère de Guillaume Longue-Epée nous n’avons
qu’un renseignement, certain celui là, donné par la
Complainte de la mort de Guillaume Longue-Epée : la
mère de ce prince était chrétienne (cela n’exclut pas
la fille du comte Bérenger) ; la Complainte dit aussi
que c’est cette mère chrétienne qui a fait baptiser
Guillaume, mais si Popa est la toute jeune fille que
nous représentent les sources normandes, elle n’aura
pu avoir l'autorité nécessaire pour faire baptiser son
enfant. La fille du comte Bérenger est d'ailleurs
(1) Ed. Andresen, t. I, v. 593.
(2) Ibid., t. I, p. 60, v. 595.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
179
exclue par le Hic in orbe transmarino natus pâtre.
Guillaume Longue-Epée est né outre mer et alors il
est bien difficile d'admettre que sa mère soit la fille
du comte Bérenger, à moins d’accepter l'hypothèse
(que j’ai faite moi même) que Rollon ayant enlevé
la fille d’un comte franc, l’a emmenée en Angle¬
terre où serait né Guillaume. Pour que tout cela
soit vrai, il faut qu’il y ait eu un Bérenger, comte
de Bayeux, première hypothèse; que Rollon ait
pris Bayeux, seconde hypothèse ; qu’ensuite il soit
retourné en Angleterre, troisième hypothèse. En
réalité, la Complainte ne sait qu’une chose, c’est que
la mère de Guillaume était chrétienne et que le
prince était né outre mer, et la Saga connaît, nous
l’avons vu, une fille de Ganger Rolf, Kadlin, Cata-
rina, qui était chrétienne et écossaise. Voilà la vraie
famille de Rollon. Quant à Gerloc, la sœur de Guil¬
laume Longue Epée, qui épousa le comte de Poitiers,
elle peut, elle aussi, être la fille d’une Ecossaise,
rien ne s’y oppose. Gerloc peut aussi être la demi-
sœur de Guillaume ; elle peut être la fille d’une autre
femme de Rollon.
Dudon mène ensuite les Normands de Rollon à
Evreux. La Translatio S. Wamtregesili dit que les
Normands assiégèrent Chartres le 16 février 886 ;
mais de ce qu'ils sont allés à Chartres, il ne s’ensuit
pas nécessairement qu’ils soient allés également à
Evreux (1). Dudon nous dit que l’évêque Sebar
(i) M. G. SS., XV, 409, M. Favre, Eudes, p. 47, n. 4, voit là
une preuve de la prise d’Évreux.
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ETUDE CRITIQUE
réussit à s'enfuir. Cet évéque est connu. Il assista le
25 juin 870 au concile d’Attigny (1). La Chronique
de Saint-Etienne de Caen place cet événement
en 898 (2), ainsi que les Annales de l'abbaye
d’Ouche (3) ; celles de Rouen, la Chronique Saint-
Néot, en 893 (4). M. Vogel trouve plus vraisemblable
la date de 886 (5) probablement parce qu’il attache
quelque importance au renseignement de Dudon
qui place cet événement pendant le siège de Paris.
La raison me parait bien peu sûre ; il n’y a aucune
preuve, en tout cas, que Rollon ait pris part à cette
expédition.
Rollon et Athelstan. — Après la prise de Paris,
Dudon ramène Rollon en Angleterre où le roi
Athelstan a besoin de son secours contre ses sujets
rebelles. Rollon lève le siège de Paris pour aller au
secours de son allié et les deux rois triomphent des
Anglais. Quelles ont été les sources de cette histoire
si étrange du retour de Rollon auprès d’Athelstan,
de l’amitié de Rollon avec Athelstan ?
M. Lair s’est borné à suggérer un rapproche¬
ment avec Allielstan-Gutlirum ; nous avons vu à
(1) Duchesne, Les Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule,
Paris, 1900, 2 vol. in-8°, t. Il, pp. 224 et 229.
(2) Ch. S. Cadom., Duchesne, H. Noms. Scr. f p. 1016.
(3) Annales Uticcnses dans l’édition d’Orderic Vital (S.,
H. F.), V, 154.
(4) Ed. Stevenson, p. 141.
(5) Op. cil., p. 330, n. 3.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
181
quelles difficultés chronologiques se heurte cette
hypothèse. Mais personne n’a jamais expliqué les
rapports entre Athelstan et Rollon après le siège
de Paris. Je suis persuadé que cet Athelstan est
Athelstan roi d’Angleterre de 924 à 940, car il est
incontestable que ce roi a entretenu des rapports
avec les chefs Scandinaves. Il a eu des entrevues à
Tamworlh, capitale de la Mercie, avec le roi danois
de Northumbrie Sithric qui obtint même la main
de sa sœur et probablement embrassa le christia¬
nisme, mais mourut peu après (1). Athelstan soumit
alors le royaume danois, il expulsa Gotfrid et réu¬
nit tous les royaumes sous sa domination. Mais une
coalition se forma contre lui, qui comprit Cons¬
tantin, roi d’Ecosse ; Houel, roi des Gallois de
l’ouest ; Owen, roi de Gwent, et Olaf Gulhfrisson,
roi de Dublin ou, comme l’appelle la Chronique
d’Egil, Olaf le Rouge, roi des Scots. Peut-être y
a-t-il une réminiscence de cette coalition dans les
difficultés que dépeint Dudon ? Angli cœperunt arro¬
gantes insolescere.
Athelstan défit ses adversaires dans la fameuse
bataille de Brunanburh (937), qui a donné lieu à une
ballade que la Chronique anglo-saxonne a conser¬
vée (2). Les Scaldes n'auraient ils point porté cette
ballade en Normandie? Ainsi Dudon en aurait eu
connaissance et aurait fait de Rollon un allié
(IJ Anglo-Saxon Chronicle, éd. Thorpe, I, 199 et II, p. 85.
(2) Ibid, II, p. 86 et I, p. 200. Sur l’emplacement de cette
bataille, voir Collingwood, op. cit., p. 181.
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182
ETUDE CRITIQUE
d’Athelstan (1). Dudon a pu aussi trouver dans la
Saga d’Harald Harfagr’ la tradition relative aux
rapports d’Athelstan avec les Scandinaves.
« En Angleterre, dit cette Saga, il y avait un roi
Alhelstan, Adalstein, appelé leVictorieux.il envoya
un ambassadeur au roi Harald, chargé de lui
remettre une épée dont la gaine était tout entière
ornée d’or et d'argentet même de pierres précieuses.
L'ambassadeur tendit au roi cette épée (gladii capu
lum ) en disant : « Voici l'épée que le roi Athelstan
(1) On pourrait se demander si l'alliance d'Athelstan avec
Rollon, l'appui donné par le chef normand au roi anglo-saxon,
n'aurait pas eu lieu après l’établissement de Rollon en Nor¬
mandie, comme l’affirme Fleury, Histoire d’Angleterre ,
4 e éd., Paris, 1879, in-8°, 20. « Rollon, duc des Normands, fixés
depuis 912 dans la partie de la Neustrie comprise entre l’Epte
et la Manche, lui envoya aussi des secours. Mais Athelstan
n’avait pas réuni toutes ses forces, lorsque Aulaf, fils de
Sigtrygg, entra dans l’Humber avec six cent quinze vais¬
seaux, c'est-à-dire à la tète d’au moins quarante mille
combattants. La rencontre eut lieu près de Brunanburgh dans
le Northumberland (937) ». M. Fleury, qui n'a certainement
fait aucune étude de la question, ne remarque pas qu'il semble
bien impossible que Rollon ait assisté Athelstan, lors de la
bataille de Brunanburh ; il y avait longtemps qu’il était mort au
moment de cette bataille. Il ne serait pas impossible cepen¬
dant que des Normands de Normandie, ou de leur propre
initiative, ou envoyés par Guillaume Longue-Epée, aient
assisté à la bataille de Brunanburh, dans les rangs de l'armée
d’Athelstan ; car nous savons par la Saga d'Egil (Egil Skalla
Grim’s Son, dans le Corpus poeticum boreale, I, pp. 266 et 534),
qu'il y avait des vikings mercenaires dans cette armée, (Voir
Collingwood, op. cit., p. 135). Ainsi, la ballade de Brunan¬
burh a pu être apportée en Normandie par des vikings
normands qui avaient pris part à la bataille et être connue de
Dudon qui aura tout brouillé.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
183
m’a dit de te faire accepter. » Le roi la prit et
aussitôt l’ambassadeur lui dit : « Tu as pris cette
épée comme le roi voulait que tu la prisses et main¬
tenant tu lui seras sujet puisque tu as tenu de lui
l’épée. » Harald Harfagr’ entra dans une violente
colère, car la remise de l’épée constituait une sorte
d’investiture ; il s’écria qu'il ne s’était jamais soumis
à aucun pouvoir... (1). Enfin, conclut la Saga, les
deux princes ont essayé de se soumettre l’un l’autre,
mais n’ont pu y réussir ; aucun des deux ne put
diminuer la dignité de l'autre. Dudon fait comme
la Saga, il fait de Rollon l'égal d’Athelstan, et ne
trouve-t-on pas dans son récit un souvenir de
l’offrande de l’épée : « Regnum quoi mihi ultra dedisli,
per hune mucronem duodecim libras auri capulo
habentem redda iibi (2) u 1 La coïncidence est frap¬
pante, Dudon est un poète épique. Il a vu la scène
à faire (3).
(1) L’été suivant, le roi Harald envoya un navire en Angle¬
terre auquel il donna pour chef Hauk dit Habrok, homme
d’un grand courage, et il lui confia son fils Hakon. Hauk,
arrivé à Londres à la cour du roi, posa Hakon sur les genoux
d'Athelstan. Celui-ci demanda ce que cela signifiait. « Le roi
Harald, dit Hauk, t’ordonne d'élever son fils (parce qu'on ne
pouvait confier son fils qu’à un inférieur). » C’est au tour
d'Athelstan d’entrer dans une violente colère. Harald* Saga
ens tlarfagra , c. 41 et 42, dans VHeimskringla, I, 119.
(2) Ed. Lair, p. 160.
(3) D'après la Saga, Athelstan aurait fait élever Hakon dans
le christianisme ; ses rapports avec Harald auraient été
amicaux. Athelstan et Harald étaient alliés contre les chefs
vikings, comme le remarque justement M. Oman, England
before the Norman Conquest, Londres, 1010, in-6°, p.523. lime
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ÉTUDE CRITIQUE
Rollon et les invasions. — Que Rollon ait été le
personnage autour duquel Dudon accumule tout ce
qu'il sait des invasions normandes, cela apparaît
dès le début du paragraphe où il le montre à son
retour d'Angleterre envoyant des expéditions sur
les bords de la Seine, de la Loire, de la Garonne.
Qu'il y ait eu des expéditions normandes sur ces
trois fleuves, cela n’a pas besoin de démonstration ;
nous avons parlé suffisamment de celles sur la
Seine, à l'occasion d’Hasting, de celles sur la
Loire—sans nous proposer le moins du monde de
{aire à propos de Dudon une histoire des invasions
dans la Francia occidentalis — quant aux invasions
sur la Garonne, elles ont eu aussi une certaine
importance (1), quoique moindre, mais ce qui juge
une fois de plus la chronologie du chanoine de
Saint-Quentin, c’est qu'elles sont antérieures à
l’arrivée de Rollon et ce qui montre son inexac¬
titude, c’est que jamais aucun chef normand, même
au temps de la grande armée dont Sigfrid parait
avoir été le conducteur principal, n’eut le pouvoir
de distribuer ainsi les expéditions normandes entre
les fleuves de la Gaule.
Puis, Rollon est conduit de nouveau par Dudon
sous les murs de Paris; au reste, il y a eu en eflet
semble que Dudon a connu la Saga d’Harald Harfagr’ (j'avais
déjà remarqué qu'il l'avait connue en ce qui concerne
l’origine de Rollon) ; mais là encore il l'a défigurée, et il a
substitué Rollon à Harald Harfagr’ lui-mème dans ce nouvel
épisode.
(1) Vogel, op, cit., pp. 197, 200.
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SUR DtJDON DE SAINT-QUENTIN
185
après le siège de 885-886 de nouvelles tentatives
des Normands sur Paris ; mais on ne sait rien de
la présence de Rollon dans les bandes qui reparurent
dans cette ville avaut la fin du IX» siècle. Le roi
que Dudon appelle Charles — on a dit que Dudon ne
paraissait jamais savoir exactement quel était le roi
régnant — est inquiet; il tait venir l'archevêque
de Rouen, Francon, et, par son intermédiaire, obtient
une trêve de trois mois. Cela est assez invraisem¬
blable ; nous ne savons à quelle date exacte Francon
monta sur le trône archiépiscopal de Rouen, mais il
semble bien qu’à la date où les événements qui
vont suivre se sont passés, c’est-à-dire vers 910,
l’archevêque de Rouen était Guitton. Francon est
chargé de préparer le baptême de Rollon. On serait
tenté de rapprocher ce récit du baptême de Hundée,
mais on le pourrait aussi bien du baptême de
Gotlrid ou de tout autre chef. Tout cela est sans
doute sorti de l’imaginatiou de Dudon.
Campagne de Bourgogne. — Au cours de cette
trêve, raconte Dudon, Richard, comte de Bourgogne,
et Ebles, comte de Poitiers, reprochent au roi sa
mollesse et attaquent Rollon qui, croyant qu'on le
méprise parce qu’il ne pille plus, se met à ravager
le pays et pénètre en Bourgogne. Richard, dont il
est ici question, est le puissant comte de Bourgogne,
Richard le Justicier, fils de Thierri d’Autun ; en 880,
il était comte d’Autun (1). C’était, avec le marquis
(1) Poupardin, Le royaume de Provence , Paris, 1901, in-8»,
p. 333.
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186
ETUDE CRITIQUE
Robert le plus puissant des grands vassaux, mais
aussi l'un des hommes les plus capables du
royaume (1). Ebles, dit Ebles le Manzer ou le Bâtard,
fut comte de Poitiers de 890 à 892, une seconde fois
de 903 à 935 (2). Que Richard de Bourgogne ait joué
un rôle important et brillant dans les luttes contre
les Normands, cela est certain, La chose est plus
douteuse pour Ebles.
Il semble bien qu’il y ait eu une campagne des Nor¬
mands en Bourgogne en 898. A cette date, le Chroni-
con Besuense dit que les moines de Bèze apprenant
l’arrivée desNormands.les uns s’enfuirent, les autres
se cachèrent, un certain nombre furent victimes
des Normands (3). Ceux ci marchaient sur Dijon,
lorsque Richard le Justicier survint et leur livra
une grande bataille en un endroit appelé Argenteuil.
La Chronique de Saint-Bénigne de Dijon dit que l’em¬
placement de la bataille est situé sur le territoire
de Tonnerre. Les Annales de Saint-Bénigne de
Dijon parlent également d’un combat à Argenteuil
qui eut lieu en 899, le 5 des kalendes de janvier (4).
(t) Lauer, op. cil., p. 8. Aussi est-on un peu surpris de
voir M. Lair traiter Ebles et Richard de politiciens. (Le siège
de Chartres par les Normands, extrait du Compte rendu du
LXVIII * Congrès archéologique de France , Caen, 1902, in-8°,
P- 24.)
(2) Richard, Histoire des comtes du Poitou, Paris, 1903,
2 vol., in-8°, t. 1, pp. 44-49 et Sl-73. Ces dates doivent être
préférées à celles de 902 à 932, données par M. Lair, éd. de
Dudon, p. 160, n. b.
(3) H. F., IX, 20.
(4) Migne, Pat. let. CXLI, c. 879.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
187
Nous pouvons en déduire que les Normands ont
été batlus par Richard le 28 décembre 898. Est ce
à cela que Dudon (ait allusion ? On pourrait expli¬
quer ainsi le désir de vengeance que Dudon prête
à Rollon ; mais si c’est ce chef qui lut battu en 898,
il mit plus de trois mois à se venger, car ce n’est
qu'en 910 que les Normands reparurent en Bour-
gogne et c’est cette campagne que raconte Dudon.
Us se rendirent, par la Seine, dans l’Yonne (1).
D’une campagne en Bourgogne il y a, en tout cas,
une confirmation dans les llesta ponlificum Autissi-
diorensium ; ils racontent que le vicomte d’Auxerre,
Rngnardus, Ragnard, fit nommer à l’évêché de cette
ville un Français nommé Gerran qui se distingua
lors de l'arrirée des Normands et leur infligea un
échec. Or, le prédécesseur de Gerran, Herifridus,
Herfroi est mort vers le 15 octobre 909 (2). Donc
cette campagne n’a pu avoir lieu qu’à la fin de 909
ou en 910 ; or, il est plus probable que c’est en 910,
car la Chronique de Sainte-Colombe de Sens dit
qu’en l’année 910 (8 knl. junii feria VI, 26 mai),
des travaux furent entrepris à ce monastère par le
prévôt Betton (3) et les Gesla ponti/icum Autissidio-
rensium nous disent qu’il avait commencé ces
(1) M. Lair propose de corriger et de lire . perque Sequa-
nam in Jonam navigantes • par la Seine, ils se sont rendus
dans l’Yonne. On peut admettre cependant que les Normands
ont remonté l’Yonne par la Seine, puis, de là, ont gagné,
par terre, la vallée de la Saône.
(2) Duchesne, op. cit., II, 447.
(3) Ed. dans Bibl. Historique de l’Yonne, I, p. 204.
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188
ETUDE CRITIQUE
travaux pour protéger son monastère contre les
Normands (1).
De la Bourgogne Dudon mène les Normands à
Clermont. M. Vogel se demande s'il s’agit de Cler¬
mont en Argonne où les Normands lurent battus à
Montlaucon, le 24 juillet 888 par le roi Eudes (2) ;
mais nous savons que les Normands sont allés dans
le Berry en 910, la Chronique de Massai nous dit que
l'évêque de Bourges, Madalbert, fut tué cette année-là
par les Normands (3). Comme il avait signé l'acte de
fondation de Cluny le 11 septembre 910 (4), il faut
que cette expédition dans le Berry ait eu lieu dans
les derniers mois de l’année 910. Les Normands
ont-ils poussé jusqu'en Auvergne, jusqu'à Clermont ?
M. Lair le croit et justifie Dudon en s’appuyant sur
un Fragmenlum Historiée Francorum (5) ; mais qu’on
se reporte à ce texte, il raconte des événements qui
ont lieu après 924, l'expédition en Auvergne reste
donc douteuse. Du Berry, les Normands revinrent
par le monastère de Saint-Benoit-sur-Loire. Les
Miracula Sancli Benedicti parlent de ravages commis
par un roi Rainaud qui mourut plus tard à Rouen (6).
(1) Ibid., I, p. 368.
(2) Vogel, p. 394, n. 1 ; sur cette bataille, cf. Favre, op. cil.,
p. 106.
(3) H. F., Vni, 230.
(4) Brukl, Recueil des Chartres de Cluny, Paris, 1876, in-4°,
I, 124-128.
(5) H. F., VIH, 298.
(6) Miracula Sancli Benedicti, dans Migne, Pal. Lat.,
CXXXIX, c, 806.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
189
Ne soyons pas surpris de voir le nom de Rollon
ainsi défiguré, ce chef ne fut connu en France que
fort tard. En tout cas, Dudon lui prête une tout autre
attitude et le représente au contraire comme ayant
donné l’ordre de ménager les biens de ce monastère.
C’est au retour de cette expédition qu’il fut
attaqué à Villemetz. M. Lair propose d’identifier
Villemetz avec Villemeux (1). M. Vogel qui le suit
docilement dit que la ligne de retour de Rollon de
Bourgogne à Rouen est en effet Dreux, Villemeux,
Maintenon, Etampes (2). Mais ce sont MM. Lair et
Vogel qui supposent que Rollon revenait à Rouen.
Dudon dit qu’il revenait vers Paris (3). En ce cas, il
vaut mieux identifier Villemetz avec Villemer,
canton de Moret, arrondissement de Fontainebleau,
département de Seine-et-Marne, comme le fait
M. Eckel (4).
C’est là, s’il faut en croire Dudon, que Rollon
aurait été attaqué par les paysans exaspérés. Ce
soulèvement rural est il bien un fait historique ?
Guillaume de Jumièges qui abrège Dudon en suppri¬
mant ce qui ne lui parait pas certain n’en parle pas.
Benoît dit que ces paysans étaient de Beauce (S) et
Vogel voit là une preuve que Villemetz est bien
(T) Canton de Nogent, arrondissement de Dreux, départe¬
ment d'Eure-et-Loir ; Ed. de Dudon, p. 161, n. 6.
(2) Op. cit., p. 395, n. 2.
(3) » Hincque Parisius remeare acceleravil •.
(4) Charles le Simple, p. 67, n. 1.
(5) Benoit, Chr. des ducs de Normandie, I, 259, v. 5071.
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ETUDE CRITIQUE
Villemeux (1). Mais Benoit, nous l’avons déjà remar
qué, a traduit Dudon en l'interprétant. Il a compris
que Rollon revenait par Villemeux ; ajoutons que
pour gagner Villemer, Rollon devait également
traverser la Beauce. Avec une érudition heureuse,
M. Vogel remarque qu’en 859 il y avait eu dans la
même contrée une attaque des paysans d’entre Seine
et Loire contre les Danois (2). Prudence de Troyes
nous rapporte en effet ce soulèvement populaire (3)
et il est infiniment probable, quand on connaît les
procédés de composition de Dudon, que c’est là qu'il
a pris ce renseignement, de sorte que loin de confir¬
mer le récit de Dudon, comme le croit M. Vogel, le
rapprochement le détruirait plutôt. Nous n’avons là
encore qu'une réminiscence des lectures de notre
auteur. Le récit animé qu’il donne du combat sort
vraisemblablement de sou imagination.
Dudon mène ensuite Rollon sous les murs de
Chartres. M. Lair et M. Vogel ont promené l’armée
de Rollon à travers la Beauce, par Villemeux jusqu’à
Rouen, puis ont conjecturé qu’elle était partie de
Jeufosse pour marcher sur Chartres. Tout cela est
pure hypothèse. Rollon vint mettre le siège devant
Chartres, à quelle date? Nous ne savons.
(1) Op. cit., p. 395, n. 3.
(2) Id., et p. 166.
(4) Vulgus promiscuum inter Sequanam et Ligerim inter se
ctmjurans, adversus Danos in Sequana consistcntes fortiter
resistit.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
191
La bataille de Chartres. — Que s’est-il passé au
siège de Chartres ? Dudon nous représente ainsi les
choses le chef normand assiège Chartres ; les
troupes du comte Richard attaquent l'armée de
siège, Rollon est d’abord vainqueur. Les Francs et
les bourguignons ramassant leurs forces, recom¬
mencent la lutte, la bataille est indécise, lorsque
parait l’évêque revêtu des ornements ecclésiastiques
et portant la tunique de la Vierge, suivi du clergé
et des fidèles, entouré de chevaliers. Il se jette hors
de la cité, prend à revers les Normands, et Rollon,
s’échappant entre les deux troupes, bat en retraite.
Quelle est la valeur de ce récit? Il est parfaite¬
ment vraisemblable. C’est tout ce qu’on en peut dire.
Aucune autre source ne nous garde le souvenir de
ce combat. Peut-on identifier ce combat avec la
grande bataille racontée par Richer, dans laquelle
est engagée une armée de 40.000 hommes, comman¬
dée par Robert, fils d'Eudes de Paris, Ricuin (peut-
être Richwin) à la tête des Belges, Dalmate à la tête
des Aquitains (1) ? M. Lair voit la preuve qu'il s'agit
de la bataille de Chartres, dans le fait qu’il est
question ensuite de la cession de la Normandie et
de la conversion des Normands (2). Mais Dudon ne
connaît rien de tous les détails stratégiques rapportés
par Richer. On peut admettre que Dudon et Richer
racontent deux batailles différentes, on peut ad¬
mettre aussi qu’ils racontent la même bataille, mais
(1) Ed. Guadet, I, et.
(2) Ed. de Dudon, p. 51.
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192
ETUDE CRITIQUE
avec des détails sortis de leur imagination. II serait
également peu sûr de trouver dans le récit de
la bataille de Chartres que contient le Cartulaire de
Saint Père une confirmation du récit de Dudon ;
le rédacteur du Cartulaire l’a visiblement emprunté
à cet auteur. Quant aux autres chroniques, elles ne
nous donnent que des détails sur le chilTre élevé
des pertes des Normands, 6.800 hommes (1). Mais la
Chronique d’Aubri des Trois Fontaines donne
d'autres détails, la présence de Robert et de Richard
empruntée évidemment aux sources antérieures,
puisque cette chronique est du XIII e siècle.
Reste la question la plus importante, celle de la
date ; c’est aussi la plus difficile à trancher. Dudon
n'en donne pas ; nous verrons plus loin qu’il place
en 912 la conversion de Rollon que nous savons
avoir suivi la bataille de Chartres.
Au fond, ce qui importe, c’est l’indication de la
Chronique de Sainte-Colombe de Sens, qui donne une
date complète (2). D’ailleurs les Annales bourgui¬
gnonnes sont particulièrement précieuses pour cette
histoire, puisque c’est à la suite d'une campagne en
Bourgogne, dont nous avons pu reconstituer les
étapes en 910 qu’eurent lieu le siège et la bataille de
Chartres.
L’évêque Gualtelmus est appelé Wantelinus dans
les listes épiscopales (3) ; il succéda à Haimeri
(1) Ch. d’Aubri des Trois Fontaines, H. F., IX, 63, et Chro-
nique de Saint-Florent de Saumur, H. F., IX, 55.
(2) Voir l’appendice.
(3) Duchesse, op. cil. II, 419.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
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après 891 (1). 11 semble bien que Richard, Robert et
aussi le comte de Dijon Manassès, aient joué un rôle
dans cette campagne, car en marge d’un manuscrit
de l’église cathédrale de Chartres (2) figure la note
suivante : « Rotbertus cornes et dux Manassès Uichardo
comili salutem, Scilote quoniam fuerimusporrecti contra
Normannos ; sed non invenientes, regressi sumus l‘ari-
sius, mittmtcs ad dos, et requirimus utrum vos
necne venietis ad nos ». Cette lettre, d’une écriture du
X« siècle, a été écrite suivant M. Merlet au lende¬
main de l'aflaire de Villemeux en 910, suivant
M. Lair en 911 (3). Nous avons dit quels doutes
nous avions sur le récit de la révolte des paysans
par Dudon ; mais il se peut fort bien que les Nor¬
mands marchant sur Paris, Robert et Manassès
soient allés à leur rencontre, puis qu’ils aient battu
en retraite vers Paris et appelé à eux Richard. Cette
lettre pourrait avoir été écrite au printemps de 911
pour demander le secours de Richard. En marge du
même manuscrit, on lit Galterius archipraesul, ou a
supposé que ce serait l’archevêque de Sens, Gautier,
qui aurait averti l'évêque de Chartres qu’on se
disposait à veuir à son secours. Tout ceci s'explique
assez bieu. Les Normands revenant de leur expédi-
(1) Ibid, p. 427. M. Pfister traduit son nom parGouleaume ;
Eckel par Jousseaume ; l’éditeur du Carlulaire de Saint-Père
par Jousselin, Kalckstein par Gantelme ; M. Lair, Le siège
de Chartres par les Normands , p. 34, n. 2, dit Gousseaume
ou Goussiaume.
(2) Bibt. munie, de Chartres, n° 92, fol. 30.
(3) Lair, Le siège de Chartres, p. 35.
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ETUDE CRITIQUE
tion dans le Berry dans les premiers mois de 911,
ravageât la Beauce, menacent Paris. Robert et
Manassès couvrent Paris, appellent Richard le Justi¬
cier qui avertit l’archevêque de Sens de sa résolution
de secourir Chartres. Celui-ci prévient l’évêque de
cette ville par quelque émissaire ; et l'évêque fait
une sortie au moment de l’arrivée des Francs et des
Bourguignons ; le dimanche 20 juillet 911, la ville
est délivrée.
La bataille terminée, une partie de l'armée nor¬
mande, quædam acies, se retire sur une colline
proche, ad Leugas. Elle s’y retranche et brave tous
les efforts de l’armée bourguignonne. Cependant
Ebles de Poitiers est arrivé le soir de la bataille ; il
reproche aux Francs et aux Bourguignons de ne pas
l’avoir atlendu et s’emporte véhémentement contre
eux. Les Francs et les Bourguignons lui répondent
que si le cœur lui en dit, il peut attaquer les Nor¬
mands. il se jette à l’assaut de la position, mais les
Danois résistent énergiquement et refoulent les
nouveaux arrivants jusqu’au bas de la colline, les
Poitevins alors attaquent les Danois avec les fascines
que ceux-ci avaient préparées pour le siège. Repous¬
sés, Ebles et Richard se décident à faire le blocus de
la colline. Les Normands se sentent perdus. Un
Frison leur conseille de faire une sortie dans la
nuit en sonnant leurs trompettes ; il prévoit que
les Francs croyant à l’arrivée de Rollon lécheront
pied. Le stratagème réussit, une partie de l’armée
s’enfuit. Ebles, dans le désordre de la surprise, se
cache en la maison d'un foulon. Au matin, l’armée
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SUR Dt'DON DE SAINT-QUENTIN
195
franque apercevant la colline évacuée se ressaisit
et entame la poursuite ; mais elle se heurte à un
retranchement fait avec les cadavres écorchés de
tous les animaux de l’armée normande : chevaux,
bœufs, ânes. Devant ces cadavres, les chevaux se
cabrent et les Normands peuvent continuer leur
retraite.
Ce récit est extrêmement curieux ; certaines par¬
ticularités paraissent fort vraisemblables. Il est facile
d’identifier Leugas ; c’est Lèves, village situé à
quelques kilomètres au nord de Chartres, sur une
éminence. Les ruses employées par les Normands
rentrent dans les habitudes des guerriers vikings
passés maîtres dans l’art de la guerre de tranchées.
Quant à Ebles et aux paroles belliqueuses que lui
prête Dudon, au rôle ridicule qu’il joue ensuite en
trouvant un refuge dans la maison d’un foulon, on
a l’impression que l’on se trouve en présence d’un
récit épique tiré de quelque chanson de gestes. Et
cette impression se confirme lorsqu’en lisant Wace
et Benoît de SaintMore, on voit que tous deux
rapportent cet incident et que ce dernier déclare qu’il
a entendu chanter cet épisode (1). Evidemment, la
bataille de Chartres a été le sujet d’une chanson que
Benoit a connue, que Dudon avait connue avant lui
et à laquelle il a emprunté les détails très précis qui
donnent tant d'iutérét à sa narration.
(1) Vers en firent e eslraboz
U ont assez de vilains moi.
V. 5911 et 5912, éd. Fr. Michel, I, p. 288.
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ETUDE CRITIQUE
Dudon raconte encore que Rollon,dans sa fureur,
recommença à ravager toute la terre et à tout
détruire. Les Gesta pontifrcum A utissiodorensium con-
firment ici Dudon (1) : les Normands firent une
nouvelle incursion dans le Nivernais, mais, à leur
retour, ils furent de nouveau surpris par le duc de
Bourgogne et l’évêque Gerran et mis en pleine
déroute. C’est seulement après ce nouvel échec que
s’engagèrent les négociations entre Charles le
Simple et les Normands.
On s'est étonué que Charles le Simple ait signé la
paix avec Rollon après l’échec des Normands à
Chartres, il faudrait dire après les échecs de ceux-
ci dans l’Auxerrois, Chartres et le Nivernais. Les
campagnes de 910 et de 911 avaient été malheu¬
reuses pour les Normands, mais c’était précisément
ce qui rendait la paix possible ; tant que les expédi¬
tions de pillage réussissaient, les Normands s'y
complaisaient ; ils ne se soucièrent de traiter
qu’après avoir perdu leur butin et en présence du
réveil de la France. Ajoutons qu’il ne faut pas
perdre de vue ces échecs pour comprendre les
conditions de la paix.
Le traité de Saint-Clair-sur-Epte
Oudon raconte longuement les négociations qui
ont amené ce que l’on est convenu d’appeler le traité
de Saint-Clair-sur-Epte. Il est au contraire très bref
(1) C. 42, éd. Duru, Bibl. hisloriq. de l'Yonne, I, 370.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
197
sur les clauses du traité, et la remarque a son
importance, car elle met en relie! une fois de plus
les procédés de l'auteur. Il s’étend sur des négo¬
ciations dont il ne sait rien et qui n'ont d’ailleurs
qu'un intérêt secondaire, mais quand son imagi
nation peut se donner carrière et qu’il arrive aux
clauses du traité, aux conditions mêmes de l’établis¬
sement des Normands, il est laconique, vague et
obscur, à dessein peut-être.
On a dit récemment que l’on n’avait pas attaché
assez d’importance aux négociations préparatoires
racontées par Dudon (1). Résumons-les exactement.
Dudon représente ainsi les choses : les Francs, las
de la guerre, las de l’inertie du roi, inertie trop
évidente, la lui reprochent vivement. Ils prennent
l’initiative de faire proposer la paix aux Normands
moyennant la cession du pays de l’Andelle à la mer,
la main de la fille de Charles le Simple sera donnée
au chef normand. Le roi fait venir l’archevêque de
Rouen, Francon, et lui demande de servir d'interiné
diaire. Francon va trouver Rollon, lui fait part des
oflres du roi et l’engage à se faire baptiser. Rollon
consulte les chefs normands, majores Dacorum (trait
de mœurs juste) ; ceux-ci sont favorables à la paix.
La Normandie est un pays ravagé, mais qui peut
devenir riche. Les chefs font un éloge de Gisèle
qui a toutes les vertus et toutes les beautés ; ils
(1) Flach, La Normandie élait-elle un grand fief de la Cou¬
ronne avant le XII e siècle ? Extrait du Compte rendu de
l’Académie des Sciences morales et politiques, 19i4, in-8° p. 12.
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ÉTUDE CRITIQUE
conseillent un armistice de trois mois pour discuter
de la paix. Françon retourne vers le roi, chargé de
la réponse du chef normand et promet de sa part le
service, servitii factum, si le roi concède la région
maritime et la main de sa fille. Les Francs engagent
le roi à conclure la paix. Il promet de donner Gisèle
en gage, per pignus, et l’armistice est conclu. Cepen¬
dant le duc Robert apprend que la paix se négocie ;
il se mêle aux négociations et conseille à Rollon de
céder ; il l’engage à se faire baptiser et lui offre
son amitié. Le chef normand se déclare prêt à venir
au plaid projeté qui se tient à Saint Clair sur Epte.
Rollon émet alors ses véritables prétentions. La
Normandie est déserte, on ne peut y vivre, il veut
la tenir quasi fundum et alodum ; mais il entend
recevoir un autre pays d'où il puisse tirer des
vivres. Le roi consent à donner comme terre à piller
la Flandre, Rollon n’en veut point à cause des marais,
le roi finit par promettre de lui donner la Bretagne
et l’accord est conclu.
Cette analyse permettra de mieux discuter les
questions relatives au traité même qui peuvent se
ramener à quatre : les limites du pays concédé,
l’union avec Gisèle, l’inféodation de la Bretagne et
enfin la situation de la Normandie par rapport au
roi.
Le territoire concédé. — Discutons successive¬
ment ces points : Dudon, en ce qui concerne la
cession de territoires, s’exprime d’abord d’une
manière assez vague. Charles le Simple laisse à
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 199
Rollon en toute possession le pays depuis l’Epte
jusqu’à la mer. Cela semble vouloir dire la Haute-
Normandie. Mais au paragraphe suivant, où il relate
la conversion de Rollon, Dudon, d'une manière
indirecte d’ailleurs, nous suggère une tout autre
idée. Rollon fait venir Francon et lui demande
quelles sont les principales églises de sa terre ;
l’archevêque répond que ce sont celles de Rouen,
de Bayeux, d’Evreux et du Mont-Saint Michel, et
Rollon, bon prince, fait, les sept jours qui suivent,
des dons aux églises, à Notre-Dame de Rouen, à
Notre-Dame de Bayeux, à Notre-Dame d’Evreux, au
Mont Saint-Michel, à Saint-Ouen, à Jumièges, et il
confirme la possession de Berneval à l’abbaye de
Saint-Denis (1). On voit que Bayeux, Evreux et le
Mont-Saint-Michel ne sont pas mis là au hasard ;
ils nous donnent à penser que Rollon aurait reçu
toute la Normandie depuis l’Epte jusqu’à la mer, de
la Bresle au Couesnon. Malheureusement pour
l’exactitude du récit de Dudon, les Annales sèches et
précises de Flodoard nous disent que les Normands
de la Seine reçurent, en 924, le Bessin et le Maine (2)
et qu'en 933, Guillaume Longue-Epée, ayant prêté
hommage au roi Raoul, reçut la terre des Bretons
située sur le bord de la mer (3), c’est-à-dire la partie
(1) En ce qui concerne Berneval, on sait par un diplôme de
Richard I er de 968 que Robert (Rollon) avait confirmé cette
possession à l’abbaye de Saint-Denis qui la tenait depuis l’an
750 au moins. H. F., IX, 731.
(2) Annales, p. 24.
(3) ■ Willelmus , princeps Normannorum, eidem régi se
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»on
ÉTUDE CRITIQUE
de la province de Rouen (diocèse de Coutances et
Avranches) abandonnée à Salomon en 867 par
Charles le Chauve.
Si Rollon a reçu le Bessin en 924 et son fils, les
diocèses de Coutances et d’Avranches en 933, il est
évident que les Normands n’avaient pas eu primiti¬
vement ces territoires. Flodoard, d'ailleurs, daus
Y Histoire de l’Eglise de lleims, parle de certains pays
maritimes cédés aux Normands avec la ville de
Rouen (t). S’il eût voulu dire que Rollon reçut toute
la province de Rouen, il l’eût dit ; mais il savait
bien qu'il n’en était rien, puisque dans ses Annales
il avait consigné, eu 924 et en 933, les autres conces¬
sions qui devaient constituer la Normandie.
Quelles sont donc les limites du territoire tout
d'abord concédé à Rollon ? Dudon a indiqué l’Epte,
c’est exact. Flodoard dit qu’en 923, le roi Raoul
committit ; cui etiam rex dat terrant Brittonum in ora mari-
lima sitam ». Annales, p. 55. M. Deville: Dissertation sur
l'étendue du territoire concédé à Rollon par le traité de Saint-
Clair-sur-Epte dans Mém. Soc. Antiq., t. VI, pp. 47-69,
remarque justement que, quand il veut dire la Bretagne, Flo¬
doard écrit Britanniam, mais ici il dit terra Britonum in ora
maritima sitam, la possession des Bretons située près de la
mer, c’est-à-dire le pays que Charles le Chauve leur avait cédé
en 867. Ajoutons qu’en 923, les Normands au cours de négo¬
ciations, demandent qu'on leur donne le pays au-delà de la
Seine: si tamen eis daretur quant spatiosam pet chant ultra
Sequanam (Annales , pp. 17-18j. Ils ne l’avaient donc pas reçue
en 911.
(1) * Concessis sibi maritimis quibusdam pagis, cum Roto-
magensi quant pene deleveranl urbe et aliis eidem subjectis ».
Hist. eccl. Rcmensis , IV, c. 14. M. G. SS., XIII, 577.
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St’R DUDON DE SAINT-Ol'ENTIN
201
franchit ce fleuve pour pénétrer sur la terre qui
avait été donnée aux Normands (1). A l’est, la
Normandie de Rollon avait aussi la Bresle pour
limite ; car Flodoard nous apprend qu’en l’an 925,
le comte de Flandre, Arnoul, assiège une forteresse
des Normands où Rollon, leur prince, avait envoyé
une garnison de 1.000 hommes. Ce château, situé
près de la mer, c’est Eu (2). Ainsi la Bresle forme la
frontière. La Normandie a donc à l’est, dès le début,
ses limites. On est plus embarrassé pour fixer le
reste du tracé Un diplôme de 918 pour l’abbaye de
Saint Germain-des-Prés dit que Charles le Simple
lui donne l’abbaye de La Croix-Saint-Leufroi située
sur l’Eure, sauf la partie qu’il a abandonnée aux
Normands de la Seine (3). Les possessions de
l’abbaye sont à cheval sur l’Eure qui forme donc
une partie de la limite occidentale. Au sud, une
chronique du XI e siècle dit que la limite fut
l’Avre (4) : ce qui parait très vraisemblable. La mer
étant la limite nord, il reste à trouver la limite
nord-ouest. Le Bessin ayant été donné en 924, on
peut admettre que jusqu’à cette date, c’est la Dive,
frontière naturelle entre le Bessin et le Lieuvin,
entre le diocèse de Bayeux et celui de Lisieux, qui
(1) Annales, p. 16.
(2) Annales, p. 31.
(3) Original aux Arch. Nat., K., n° 9. éd. H. F., IX, 536 et
Tardif, Monuments Historiques, Paris, 1866, in-4°, n° 229.
(4) H. F., VIII, 302. Les Bénédictins ont compris l’Aurc, ce
qui est étrange.
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502
ETUDE CRITIQUE
a formé la limite de la Normandie de Rollon (1). En
somme, Rollon a reçu la Haute Normandie ; et la
Basse-Normandie n’a été donnée que plus tard, par
deux cessions: en 924, le diocèse de Bayeux et celui
du Mans (2) ; en 933, le Cotentin et l’Avranchin (3).
Quelle vraisemblance, d'ailleurs, que l'on eût cédé
à un cbef de bandes comme Rollon qui venait
d’être vaincu dans l’Auxerrois, vaincu à Chartres,
un territoire aussi considérable que la Normandie ?
Sans doute, on avait déjà cédé à Godfrid la Frise, on
cédera aux Normands de la Loire le pays de Nantes.
Mais jamais on n'avait fait aux chefs normands de
cessions aussi importantes que l’eût été celle de la
Province de Rouen, et il a fallu les embarras de la
(1) Il y a un pays normand ultra Sequanam qu’envahissent
les Bajocasses en 925. Flodoard, Annales, p. 30. La Dive fut la
frontière, si les limites de l'état normand ont coïncidé avec
celles des diocèses, ce qui est probable, puisqu'en 924 Rollon
reçut les diocèses de Bayeux et du Mans.
(2) Le texte de Flodoard est formel : « Ejus tamen concessu
terra illis aucta, Cinomannis et Baiocœ * (.Ann. p. 24). Sans
doute les Normands ne se sont emparés du Maine que sous
Guillaume-le-Conquérant ; aussi j’avais précédemment [Essai,
p. 184) conjecturé que par là on pouvait entendre l’Hiémois;
M. Lot, Fidèles ou vassaux ? Paris, 1904, in-8°, p. 178, n. 1,
avait également envisagé cette conjecture ; j’aime mieux admet¬
tre aujourd’hui que le Maine a été donné aux Normands en 924,
qu’ils l’ont perdu presque aussitôt après, peut-être par la
révolte de Rioul, sous le règne de Guillaume Longue-Epée,
et ne l’ont recouvré qu’en 1063. Voir le livre III du présent
ouvrage.
(3) M. Bugge, op. cit., p. 28 a cru qu’il fallait entendre ici
le sud de la Bretagne : aucun fait ne vient appuyer cette
hypothèse.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
203
royauté, la lutte entre Raoul et Charles le Simple
(923 929), pour que le pays concédé à Rollon fût
aussi rapidement étendu par chacun des deux compé¬
titeurs qui désirait s’assurer un appui.
La Bretagne. — Passons maintenant au second
point, la cession de la Bretagne : c’est une question
qui a déjà donné lieu à bien des discussions depuis
plus de deux cents ans.
Dudon dit que Rollon a reçu de Charles le Simple
toute la Bretagne, d'où il pourrait tirer des subsis¬
tances. Faut il entendre, par là, que la Bretagne
devint ainsi un fief dépendant de la Normandie ?
C’est ce que l’on a appelé la question de la mouvance
de Bretagne (1).
Dudon présente ainsi les choses : Rollon, vivant
dans un pays épuisé, voulait obtenir, au moment de
(1) Les feadistes prenaient le texte à la lettre et faisaient
de la Bretagne un fief mouvant de la Normandie. Au Traité
historique de la Mouvance de Bretagne, publié par Vertot en
1710, dom Lobineau riposta par la Réponse au Traité de la
Mouvance, puis Vertot répondit par l'Histoire critique de
l’établissement des Bretons dans les Gaules et de leur dépen¬
dance des rois de France et des ducs de Normandie , Paris,
1730, 2 vol. in-2°. Voir aussi ANGER, Rapports féodaux de la
Bretagne et de la Normandie depuis le traité de Saint-Clair-
sur-Epte jusqu’à la mort du duc Arthur de Bretagne, dans
Bull, de la Soc. de Bibl. hist., 3 e année, 1838, et A. de la Bor-
derie, Histoire de Bretagne, t. II, passim, notamment l’appen¬
dice XII, Les Fables de Dudon de Saint-Quentin, pp. 496-504.
Kalckstein, op. cit., p. 136, insiste sur la vraisemblance de
l'offre de la Bretagne aux Normands comme terre à piller,
mais il montre que la Bretagne resta indépendante des
Normands et ne fut vassale que du roi.
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ETUDE CRITIQUE
201
traiter, un pays à piller : Charles le Simple lui offrit
la Flandre. Rollon refusa, nous l’avons vu, ce pays
marécageux qui ne lui paraissait pas assez riche.
Charles finit par lui abandonner toute la Bretagne.
Dans la suite de son histoire, Dudon n'oublie rien qui
puisse nous faire croire que les ducs de Normandie
aient eu réellement une autorité sur la Bretagne.
Guillaume Longue-Epée y vient faire une campagne
contre les Bretons révoltés. Au moment de la mino
rité de Richard I", les comtes Alain et Bérenger
viennent à Rouen et prêtent hommage à Richard ;
Dudon a donc bien voulu nous inculquer cette idée
que la Bretagne était un fief dépendant de la Nor¬
mandie. Il ne manque même point de nous parler
du dévouement des chefs bretons aux ducs. Encore
une fois, il écrivait pour justifier la politique et les
prétentions des ducs normands de son temps :
Richard I er et Richard II. Dudon a tout emprunté à
Flodoard, mais en le travestissant, suivant son habi¬
tude. En 921, le duc Robert de France abandonne
le comté de Nantes aux Bretons de la Loire ; ce fait
devient, chez Dudon, une cession de la Bretagne aux
Normands de la Seine. En 931,Flodoard mentionne
une révolte sérieuse des Bretons contre les Nor¬
mands de la Loire, qui, depuis 919, occupent toute la
Bretagne. Dudon nous montre, en 932, Guillaume
Longue-Epée al lant répri mer une révol te des Bretons.
En 942, Alain Barbetorte, comte de Rennes, prête,
à Rouen, hommage à Louis d'Outremer; Dudon
transporte sans façon cet hommage de Louis à
Richard. Les chefs normands, en Bretagne, sont
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
205
Inkon, Félékan. Dudon met partout à leur place
Rollon et Guillaume Longue-Épée. Dudon fait inter¬
venir les chefs bretons dans les affaires de Nor¬
mandie. A ce moment-là, ils n’ont qu’une occupation,
chasser les Normands de la Loire, et ils n’y parvien¬
dront que dans la campagne de 936-939, qui aboutit
à l’expulsion des Normands et à l’avènement d'Alain
Barbetorte.
D'ailleurs, le simple bon sens suffirait à réfuter
Dudon; comment Rollon aurait-il pu, en 911, rece¬
voir toute la Bretagne, puisque son autorité s’éten¬
dait tout au plus jusqu'à la Dive? Toute la Basse-
Normandie partage à cette date le sortde la Bretagne,
auquel elle est liée depuis 867. Entre 919 et 924, le
clergé de Dol s’enfuit avec le corps de saint Samson,
pour échapper aux Normands ; il rencontre le clergé
de Bayeux et sans doute aussi celui d’Avranches,
qui emmènent les reliques de leurs saints, saint
Senier, saint Paër, saint Scubilion (1).
(1) Translatif) S. Maglorii, dans MABILLON, Annales Ordinis
S. Benedicti , Paris, 1706, 6 vol. in-folio, III, 719, voir aussi
R. Merlet, Les Origines du Monastère de Saint-Magloire de
Paris , dans Bibliolh. Ec. Chartes, LVI (1895), p. 243, sqq.
A. de la Borderie, op. cit., t. II, pp. 364-369, Flodoard,
Annales (919) p. 1, montre que la Bretagne fut alors ravagée
par les Normands ; voir aussi la Chronique de Nantes, éd.
Merlet, Paris, 1896, in-8°, p. 81, qui après avoir raconté
la cession de la province de Rouen aux Normands ajoutej:
« Deinde, cum ingenti navium classe per marc Oceanum navi¬
gantes, totam Britaniam devastarunt ». On peut admettre que
les Normands de Normandie se joignirent à ceux de la Loire
pour des expéditions de pillage en Bretagne.
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206
ETUDE CRITIQUE
Gisèle. — Le troisième point de la convention de
Saint Clair-sur-Epte est celui qui est relatif à Gisèle
que Charles le Simple aurait donnée en mariage à
son nouveau vassal. C’est l’archevêque Francon qui
sert encore ici d’intermédiaire ; il promet à Rollon,
s'il veut recevoir le baptême, la main de Gisèle; les
chefs normands, consultés par Rollon, l'engagent
beaucoup è cette union. « Il est bon que tu t'unisses
en mariage avec cette fille de roi... Sa naissance est
légitime du côté paternel comme du côté maternel ;
elle est de haute taille, et, d'après ce qu’on nous a
dit, pleine de grâce... elle est prudente dans ses
conseils, pleine d'expérience pour traiter les affaires
de l’Etat, d’une conversation agréable, d’uu carac¬
tère aimant, habituée aux travaux domestiques;
bref, c’est la plus accomplie des jeunes filles (1) ».
Quand il s’agit de rechercher quelle est cette
Gisèle, les difficultés commencent; il y a bien une
Gisèle parmi les six filles que Charles le Simple eut
de sa première femme Frédérune ; mais elle n’est
nommée que la quatrième, et eût-elle été l’aînée,
qu’il est difficile qu’elle répondit, en 911, à la
description de Dudon, car Charles le Simple avait
épousé Frédérune en 907, de sorte que l’ainée de
ses filles pouvait, au plus avoir quatre ans à la fin
de 911. Il est également impossible d’admettre que
cette Gisèle soit la fille de la seconde femme de
Charles le Simple, puisqu'il ne l’a épousée que
(!) Ed. Laid, p. 166.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
207
longtemps après le traité ; pas davantage que ce
soit une fille naturelle, tout le texte de Dudou répu¬
gne à cette explication, car il dit formellement que
Gisèle était fille légitime de père et de mère. D’ail¬
leurs, Charles le Simple est né le 17 septembre 879,
il avait trente deux ans en 911, il est, de toutes
laçons, difficile qu'il ait eu, à cette date, une fille
douée de toutes les qualités dont parle Dudon (1).
Que croire? II y a longtemps que Paul Emile, puis
Dom Lobineau et Licquet ont fait une supposition
très ingénieuse, et bien naturelle quand on connaît
les procédés du Doyen: Réginon rapporte qu'en
cédant la Frise au chef normand Godfrid, il lui
donne en même temps comme épouse Gisèle, fille
de Lothaire II. C'est donc là que Dudon a pris son
histoire, sans s'embarrasser de la première femme
qu’il avait donnée à Rollon, Popa.
La Normandie est-elle un grand fief de la cou¬
ronne? — Beaucoup plus intéressante est la question
de la prestation de l’hommage de Rollon à Charles
que Dudon nous affirme dans les termes les plus
nets : « poussé par les Francs, Rollon met ses mains
dans les mains du roi, ce que ni son père, ni son
(1) Seul Augustin Thierry, dans l’Histoire de la Conquête
de l’Angleterre, avait pris au sérieux tous ces détails ; Dudon
disant que Gisèle était de haute taille, staluræ procerilate
congrue , A. Thierry n'hésitait pas à écrire que Rollon,
trouvant cette jeune fille d'une hauteur convenable, l’épousa.
Ceci disparut de la seconde édition. Licquet, Histoire de
Normandie, I, p. 91.
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208
ETUDE CRITIQUE
grand père, ni son aïeul n'avaient jamais fait avant
lui à quiconque. » On a récemment contesté que
l’on pût tirer de ce texte la conséquence que le
nouvel état, fondé par Rollon, fut devenu un lief de
la couronne. Examinons de près ce problème.
Ou n'attendra pas de nous une discussion de la
thèse générale que M. Flach a magistralement
exposée dans les trois volumes de ses Origines de
l’ancienne France (1). Pour M. Flach, les chefs des
principaux étals qui constituaient la France au X 1 2 * * * * * 8
et au Xi* siècle n’étaient point des vassaux de la
couronne; ils étaient des princes, principes; leurs
états étaient des principale, mot forgé par M. Flach
pour exprimer sa thèse ; ils n’étaient liés au roi que
par un lien fragile ; ils reconnaissaient sa souverai¬
neté, non sa suzeraineté; ils lui devaient la foi, ils
ne devaient pas l’hommage, surtout ils ne devaient
pas l'hommage lige ; ils ne lui étaient rattachés que
par le simple lien de pariage ou de fidélité (2).
(1) Paris, 3 vol. in-8° ; t. I, 1886, t. II, 1893 ; t. III, 1901. Le
quatrième volume est en préparation. Le mémoire intitulé :
* La Normandie était-elle un grand fief de la couronne ? est
sans doute un fragment de ce tome IV.
(2) Voir le remarquable compte rendu des deux premiers
volumes par M. Pfister dans la Revue Historique, t. 53 (1893),
p. 357. M. G. Monod, rendant compte du tome III, dans la
même revue, t. 85 (1904), p. 357, tout en montrant l'impor¬
tance de l’ouvrage, tout en reconnaissant que le livi;e de
M. Flach, « fruit d’un si vigoureux et persévérant labeur,
soulèvera de nombreuses polémiques et obligera tous les
historiens à reviser et à préciser leurs idées sur la Société
française des X« et XI e siècles » conteste beaucoup de points
de vue. Voir aussi les comptes rendus de M. Es me in dans la
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
209
Au reste, l’œuvre de M. Flach est profondément
originale en ce sens que l’auteur a eu l’idée (avec
M. Monod, il le dit lui-même) de l’importance
capitale pour l’histoire de France des IX», X e et
XI» siècles, de l’époque qu’on appelle, à tort peut-être
selon lui, l’époque féodale ; qu’il a fort bien vu et
montré que la France s’était alors élaborée, formée
en ses éléments primitifs. A travers le brouillard
qui recouvre cette époque, qui enveloppe ces temps,
dans le chaos — qu’on nous pardonne ces images
qui seules rendeut bien notre pensée — dans ce
chaos inorganique il a distingué des masses qui
s’agglutinent, des intérêts, des passions aussi qui se
groupent autour d'un chef, d’une dynastie, un senti¬
ment provincial, un patriotisme régional qui se
dégagent pour les petites « patriœ u, pour employer
un terme contemporain. Tels sont, des aujourd'hui,
les incontestables et fort importants résultats du
grand ouvrage de M. Flach, de ses recherches sin¬
gulièrement étendues et particulièrement péné¬
trantes. Qu’on nous excuse si nous les mettons en
lumière ici, c’est qu’ils nous ont vivement frappé,
nous, professeur d’histoire provinciale, qui avons
étudié la Normandie à celte époque et aussi, par
extension et pour comparaison, la Flandre et le
Maine et qui étions arrivé, sur ces points restreints,
à des conclusions identiques.
Nouvelle Revue Historique du Droit, t. X (1886), p. 629, et
t. XVIII, p. 523 ; M. Esmein n’admet pas la distinction de
M. Flach entre la fidélité et l'hommage.
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210
ETUDE CRITIQUE
Mais s’ensuit il que les chefs de ces états, que ces
dynastes locaux n’aient pas prêté l’hommage, l'hom¬
mage lige au roi? C’est une autre question.
La thèse qui sépare l’hommage de la foi a été
soutenue dès le XVIII e siècle par Brussel en son
Nouvel examen de l'usage général des fiefs en France ( 1 ).
Le grand feudiste distingue trois hommages :
l’hommage ordinaire, l’hommage de piano et l’hom¬
mage lige (2) et il soutient (ce que n’admettront ni
(1) Paris, 1727, 2 vol. in-4°.
(2) « U est étonnant, dit-il, que la véritable signification des
termes de foi et d'hommage n'ait point été comprise jusqu'à
présent, puisqu’on regarde encore aujourd’hui ces deux mots
comme ne présentans qu'une seule et même idée. Au lieu
qu’il est vrai de dire que le mot de foi sert particulière¬
ment à exprimer les engagemens dont la personne qui fait
l'hommage au Souverain est tenue envers lui, soit comme en
étant née sujette, soit comme biens-tenante dans son État, et
que quant au terme d 'hommage, il dénote les engagements
du vasselage. Or ce sont deux choses très distinctes et qui
peuvent subsister l'une sans l’autre, puisqu'on peut tenir des
fiefs d'un suzerain, sans être né son sujet, et réciproquement
être né sujet d’un Souverain sans tenir des liefs de lui, et par
conséquent sans lui devoir, ni l’hommage, ni les services qui
en résultent, mais simplement le serment de fidélité que tout
homme qui est né sujet d'un Souverain, est tenu de lui faire
quand il le souhaite de lui, et surtout dans les cas où il
acquiert un dégré considérable dans son état ». T. I, p. 18.
A vrai dire, quand on lit les exemples que donne Brussel à
l’appui de sa thèse, ils semblent assez particuliers : puisqu'il
s'agit du prévôt des marchands de Paris et des évêques. Ces
exemples ne prouvent pas qu’il y ait lieu de faire une distinc¬
tion quand il s'agit de grands vassaux. Brussel le reconnaît
implicitement d'ailleurs, car il ajoute (p. 33) : « Au reste,
comme les engagemens du vasselage étaient par leur nature
bien moins forts que ceux qui résultaient de la condition de
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 2H
M. Lot, ni M. Guilhiermoz), que l’hommage lige est
venu se surajouter à une certaine date à l'hommage
simple pour impliquer des obligations plus strictes.
Les auteurs que nous venons de citer pensent tout
au contraire que l'hommage du vassal au suzerain
fut tout d’abord lige, et que c’est du jour où un
vassal eut plusieurs suzerains que l’on distingua de
cet hommage lige, sans restrictions, un hommage
simple qui ne comportait pas les mêmes obliga¬
tions (1).
Nous nous garderons bien de discuter ici la ques-
sujet.,., il arriva de là que les Souverains ne voulurent point
recevoir à hommage leurs principaux vassaux, sans qu’ils
leur fissent en même temps le serment de fidélité ».
(1) M. Guilhiermoz, dans le compte rendu du livre de
M. Lot, Fidèles ou Vassaux (Nouvelle Revue historique du
droit, 19(tt, t. XXVIII, p. 782), s’exprime ainsi : « Rien n'est
plus faux... comme M. Lot le montre fort bien, que de voir
dans l’hommage lige, la forme la plus récente de l’hommage,
car, tout au contraire, il en représente justement la forme
primitive et pendant un certain temps unique. On n’eut l’idée
d’en inventer une seconde forme, créant un lien moins étroit,
qu'au jour d’ailleurs fort ancien, où, la vassalité commençant
déjà à s’altérer, on jugea possible d’admettre un même vassal
à avoir plusieurs seigneurs; ce vassal, dès lors, continua à
être uni à son premier et principal seigneur par l’ancien et
véritable hommage, l’hommage complet (lige) *. Il est très
remarquable d'ailleurs que M. Flach admettait la même
théorie au tome II de ses Origines, p. 527, n. 5. « Il n’est pas
vrai, dit-il, comme Brussel l'a prétendu (Usage des fiefs,
I, p. 109), que l'hommage lige n’apparait dans les chartes et
dans les institutions qu'à partir du XII e siècle. 11 est vrai
seulement que la distinction entre l’hommage lige et l'hom¬
mage plain (planusj est rarement faite. Mais pourquoi? Ce
n’est pas parce que l'hommage lige était rare, c’est, au con¬
traire, parce qu’en règle, tout hommage était lige ».
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212
ETUDE CRITIQUE
tion générale, nous ne l’avons posée que pour en
faire saisir l’importance, la portée exacte. Non nos-
trum inter vos lantas componere lites. Normand, nous
nous limiterons à la Normandie. Comme nous
l'avons fait pour une autre question, celle de l’ori¬
gine de Rollon, nous nous efforcerons d’abord de la
bien délimiter ; nous ferons remarquer tout de
suite que le problème est d’une espèce toute par¬
ticulière, qu'il ne peut s'agir ici d’un sentiment
provincial ayant créé la palria, d’un attachement à
une dynastie locale ou inversement d’une dynastie
locale ayant, peu à peu, agglutiné autour d’elle les
forces vives d’un pays, d’une région. Ici, cette évo¬
lution n’a pu jouer puisqu’il y a eu brusque création
d’un état par ce qu’on est convenu d’appeler le
traité de Saint Clair sur Epte ou, si l’on aime mieux,
par la cession de certains pays maritimes « Quibus-
dam maritimis pagis », comme dit Flodoard ; aux
Normands, à Rollon et à ses comtes, a Rolloni
comiübusque suis », comme dit une charte de 918.
Ayons donc bien soin de préciser ce point qu’au
fond il importe peu pour la vérité de la thèse de
M. Flacli, qu’il y ait eu en Normandie hommage,
hommage lige des ducs au roi, puisqu'il s’agit d'un
cas particulier, d’une brusque création d’état.
En voyant dans le texte de Dudon relatif à cette
prestation d'hommage par les mains mises dans
celles du suzerain la preuve d'un hommage, d’un
hommage lige (1), j’étais d'accord avec M. Lot, avec
fl) Je n’ai jamais vu, comme le dit M. Flach (La Normandie,
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
213
M. Guilhiermoz, avec bien d’autres peut-être. Mais
peu importe mon opinion, peu importent même
d'autres opinions plus autorisées que la mienne.
Cette discussion n’a pas pour objet d’additionner
des autorités, de les jeter dans la balance pour taire
contre poids à celle de M. Flach, je ne cherche même
pas à justifier mon opinion, je me propose de recher¬
cher la vérité, si toutefois elle peut être dégagée,
et de la rechercher par l’unique étude des textes.
Quels textes s’oflrent à nous? t° Une charte
contemporaine, celle de 918. Son authenticité n’a
pas été niée jusqu’alors. Mais nous n’avons pas
encore une étude critique des diplômes de Charles
le Simple. Pour plus de sûreté, nous n’en ferons
qu’un usage très restreint; 2° Le texte, contemporain
aussi, des Annales de Flodoard. Les Annales ne
commencent qu’en 919 (2) et ne peuvent conséquem-
p. 6), dans le refus de Rollon de baiser le pied du monarque,
une preuve qu'il y ait eu un hommage-lige; j’ai voulu dire
simplement que Dudon, après nous avoir montré Rollon
mettant ses mains dans les mains de Charles le Simple et
après nous avoir donné ainsi l’idée que le chef normand
avait prêté l’hommage au roi, avait voulu atténuer cette
impression, et nous représenter les ducs comme indépen¬
dants, en rapportant une anecdote qui montre Rollon et ses
comtes dans une Hère et sauvage attitude à l’égard du roi.
(2) M. Lauer (voir son édition des Annales, p. XVIII) a
montré que les Annales n'ont jamais eu d’autre début, quoi-
qu’en ait dit M. Couderc, De la date initiale des Annales
de Flodoard , B. Ec. Ch., t. 58 (1897, p. 615). Et ceci explique
pourquoi Dudon est si vague sur les origines de l’établisse¬
ment des Normands puisque sa principale source lui fait ici
défaut.
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ÉTUDE CRITIQUE
214
ment contenir une relation d’un événement qui a eu
lieu en 9H ou 912 ; mais c’est par voie de subsé¬
quence que de ce qui se sera passé en 928, 933, 943
ou plus tard encore, nous pourrons déduire ce qui
a dû se passer en 911 ou 912 ; 3° Un court passage
de P Historia ecclesiœ Remensis, du même auteur (1) ;
4° Un mot de Riclier écrit en passant dans un récit
des plus vagues : n’oublions pas que Richer a
surtout travaillé à romancer Flodoard, ou, si l’on
aime mieux, qu’il a combiné dans un récit dénué
de chronologie les données certaines de Flodoard
et celles très contestables des chansons de gestes
ou de la tradition orale (2) ; 5° Enfin, le récit de
Dudon et ici, nous ferons remarquer, une fois de
plus, que ce récit n’émane pas d’un contemporain,
tant s’en faut. Dudon, nous l’avons montré après bien
d’autres, a écrit au XI 0 siècle, vers 1015 probable¬
ment, un siècle en tout cas, après les événements. Il
a écrit pour les ducs, sur commande, dans un but
déterminé, ad majorera ducum gloriam. Nous nous
sommes efforcé de montrer qu’on devait, en le lisant,
penser toujours à la date de composition de son
ouvrage, et qu’il a toujours entrevu, à travers la
gloire d’un Richard II qui fut le plus puissant des
feudataires ou des princes du royaume sous Hugues
Capet et Robert le Pieux, le petit chef de bande
qu’avait été Rollon.
(1) M. G. SS., XIII, 577.
(2) Lib. I, c. XXXI, sqq. Ed. Guadet, t. I, p. 68, ou Waitz,
éd. in tmim Scholarum, p. 22.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
215
Au reste, M. Flach déclare lui-même qu'il n’entend
pas entreprendre la réhabilitation du doyen de
Saint Quentin (1). Il reste que le témoignage de
Dudon doit être pesé à sa juste valeur qui est ici par¬
ticulièrement mince, et qu’au fond tout ce que nous
pouvons savoir de certain sur l’événement de 911,
nous ne le pouvons tirer que de Flodoard. Celui ci,
ne commençant ses Annales qu’en 919, n’en parle
pas, ou n’en parle qu’incidemment dans son Historia
ecclesiœ Rememis, en sorte que nous ne pouvons rien
savoir de précis de cet événement de 911 (pas même
la date, peut-être). Cette réserve, cette conclusion
négative, ce serait peut-être le sage parti, comme
le relus de conclure était peut être la sagesse,
disions-nous en 1911 (2), dans la question de l’ori¬
gine de Rollon. Mais de même qu’alors nous ne
voulûmes pas nous dérober au débat, de même nous
croyons qu’il y a quelque utilité à reprendre la
question de l'hommage de Rollon. Revenons donc
aux textes sûrs, j’entends ceux de Flodoard.
(1) « Je ne prétends nullement, dit-il (La Normandie , p. 10),
tenter une réhabilitation nouvelle du chanoine de Saint-
Quentin, moins encore m’associer à l’apologie outrée de son
moderne éditeur, M. J. Lair. Il manquera toujours à Dudon
ces deux qualités essentielles de l'historien, l'impartialité et
le naturel. Mais de quel droit récuser un témoin? v M. Flach
nous donne gain de cause sur deux points : le défaut d'impar¬
tialité et de naturel. Nous ne pouvons lui donner gain de
cause sur le troisième, on ne peut, à notre avis, appeler un
témoin de l'établissement des Normands, Dudon qui écrit un
siècle après cet événement.
(2) Essai, p. 275.
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516
ÉTUDE CRITIQUE
Le texte de VHistoria ecclesice Remensis dont je
parlais tout à l'heure est bien explicite : la conver¬
sion des Normands a suivi la concession qui leur a
été faite d’un territoire : « Concessis sibi tnaritimis
quibusdampagis cum Rotomagensi quant perte deleverant
urbe et aliis eidem subjcctis. » Remarquons le terme
« concessis », il ne s’agit pas d'un don pur et simple,
mais d’une concession. Une concession implique,
semble-t-il, des conditions, des obligations ; la
conversion au christianisme relatée dans ce même
membre de phrase par l’auteur de VHistoria est
une de ces conditions. En fut-il d’autres? Si nous
avons recours à la charte de Charles le Simple, elle
parle bien aussi d’une concession de territoire, elle
l’exprime en d’autres termes : partent quant annuimus
Nortmannis Sequanensibus videlicet Rolloni suisque
comitibus ; et elle indique une autre condition, pro
lutela regni , pour la défense du royaume (1). Qu’est-
ce à dire? Que Rollon et ses comtes auront dû aider
le roi à défendre son royaume, qu’ils auront dû le
service militaire. Rrussel lui même, remarquons-le
en passant, l'a ainsi compris. « Mais n’est-ce pas
d’ailleurs une chose certaine, dit-il, que la Norman¬
die avait été donnée à Rollon par le roi Charles le
Simple en !)12, pour la tenir héréditairement de lui
et de ses successeurs à la Couronne et leur faire,
(1) M. Flach traduit, pour la sécurité du royaume; cette
traduction peut être admise aussi, mais elle est plus loin du
texte.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
217
pour raison de ce le service de guerre ? pro tutela
Regni, .(1) ».
Prenons les textes de Flodoard, tirés des Annales
écrites au jour le jour et qui nous montrent com¬
ment cet écrivain contemporain se représente les
rapports du roi avec le chef des Normands, princeps
Nordmannorum, comme il dit. Je laisse de côté les
textes relatifs à de nouvelles invasions des Nor¬
mands, ce n’est point l'état de guerre qui peut nous
renseigner sur ce qu’ont dû être normalement, léga¬
lement, si on peut s’exprimer ainsi, les rapports du
roi et des chefs normands ; je laisse par conséquent
de côté les textes relatifs à la rupture de la paix
par les Normands ; qu’importe que ceux-ci aient
rompu la paix qu’ils avaient promise « pacem quant
pepigerant infregere (2) »? Qu’importe qu’ils fassent
la paix en 924 pour recevoir les pays du Mans et
de Bayeux, pacto pacis eis concessm (3) ? Qu’importe
qu’ils aient encore rompu cette paix en 925 ; « Nord-
manni de Uodomo fcedus quod olim pepigerant irrum-
pentes (4) »? Qu’il y ait un traité de paix en 911, un
projet de traité en 923, un traité en 924, répondant
à un accroissement de territoire, une paix en 926,
moyennant finances (5), cela est évident; mais ces
termes pax, fœdus ne peuvent nous donner le sens
(1) Brussel, op. cil., t. I, p. 72.
(2) Ed. Lauer, p. 16.
(3) Ibid., p. 24.
(4) Ibid., p. 29.
(5) Ibid., p. 34.
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218
ETUDE CRITIQUE
de ce traité et nous indiquer les rapports du roi
et du chef des Francs. Fœdus sans doute ne veut
pas seulement dire traité, il veut aussi dire alliance.
Mais c’est singulièrement abuser des mots que d’en
conclure que puisqu’il y a eu alliance, il y a eu un
traité sur un pied d’égalité ; (1) que, par conséquent,
Rollon ne devait point l’hommage. Dans une alliance
môme, il peut y avoir un subordonné et il y a des
peuples qui ne comprennent pas les alliances
autrement. Et pour nous en tenir à l’époque caro-
(1) M. Flach écrit (p. 15) : « Que rapporte Flodoard ? Que
les Normands de Rouen ont fait un traité de paix, fœdus paris,
avec le roi, qu’en exécution de ce traité, le roi leur a donné
la terre entre l’Epte et la mer, enfin qu’en échange les Nor¬
mands se sont convertis. Et c’est cette conversion, pierre
angulaire du traité d’après Dudon, que Flodoard met au pre¬
mier plan. 11 confirme même le récit du chroniqueur au sujet
du supplément de terre promis à titre de subside, mais il
passe sous silence la dation de mains, qu’il n’aurait certaine¬
ment pas manqué de relever si, au lieu d’être une simple
forme de conclusion du traité, elle avait constitué un hom¬
mage de service ». A lire M. Flach, on croirait que Flodoard
nous a laissé un récit du traité, de la paix de Saint-Clair-sur-
Epte. Or, il n’en est rien, Flodoard dans les Annales et aux
dates seulement que nous avons relevées, parle de conventions
pactum paris, fœdus entre les Normands et les rois ou les
grands (l'expression fœdus paris ne s’y trouve pas). Flodoard
ne parle pas de la concession de la Normandie, et pour une
excellente raison que nous avons dite, les Annales commen¬
cent en 919, le traité est certainement antérieur. Quant à
la cession de la Normandie, il n’y est fait allusion que dans
I Histoire de l’Eglise de Reims , à propos de la conversion des
Normands, et précisément parce que l’archevêque de Reims
avait été mêlé à cette conversion ; il n’y est point et il ne
saurait y être question de fœdus paris , de dation de mains et
d’hommage.
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sur nurioN de saint-quentin
219
lingienne, c’est bien ainsi sans doute que Charles le
Simple avait compris les choses et c'est du moins
ainsi que Dudon les représente.
Il faut que nous arrivions à 927 pour trouver un
texte intéressant « Karolus igitur cum Heriberto col-
loquium petit Nordmannorum ad castellum quod Auga
rocatur, ibique se filius Itollonis Karolo committit, et
amicitiam firmal cum Heriberto (1) ». 11 s'agit du ûls
de Rollon, Guillaume Longue-Epée, mais Rollon
vit encore, car, l’an suivant, 928, Flodoard nous
parle d’un plaid des Normands avec Herbert, à
Laon, où Herbert et Hugues contractent amitié
avec eux : « Hcriberlus cornes Lauduno potilur et
eiinde placitum cum Nordmannis habuit ; ipseque et
Hugo, filius Hotberli, amicitiam cum eis pepigerunt.
Filius tamen Heriberti, Odo quart Rollo habebal obsi-
dem, non redditur illi, donec se committit Karolo paler
cum aliis quibusdam Franciat Comitibus et Epis-
copis (2) ». Rollon ne voulut pas rendre le fils
d'Herbert jusqu’à ce que son père se fût réconcilié
avec Charles, se fût soumis à lui. A dessein, je ne
traduis pas avec précision se committit. Apportons
d'autres textes, nous traduirons ensuite. En 933, de
nouveau, on nous parle de Guillaume Longue-Epée,
prince des Normands après la mort de Rollon.
« Willelmus , princeps Nordmannorum, eidem régi se.
committit ; cui eliam rex dal terram Rrillonum in
ora maritima silam (3) ». Il s’agit de la cession de
(1) Annales de Flodoard, p. 39.
(2) Ibid., p. 41.
(3) Id., p. 55.
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ETUDE CRITIQUE
l’Avranchin et du Cotentin, faite par le roi Raoul,
rival et successeur de Charles le Simple,à Guillaume
Longue-Epée. En 936, Louis IV d'Outremer est
proclamé roi :cui Hugo et ceteri Francorum proceres...
sese committunt (t). En 940, il va à la rencontre de
Guillaume, prince des Normands qui vient à lui
dans l’Amiénois : « llex Ludowicus abiit obriam
Willelmo, principi Nordmannorum, qui venit ad eum
in pago Ambianensi et se illicommisit. At ille dédit ei
terram qmm pater ejus Karolus Nordmannis conces-
serat (2) ».
Mais que veut dire cette expression que nous
venons de rencontrer cinq fois, dont trois fois en
parlant du chef normand, » se commiltere régi? » 11
est évident, par sa répétition mime, que ce n’est
point une expression vague que l’on peut remplacer
par une autre. Or, toute la question est là, elle
repose tout entière sur ces textes. Comment faut-il
les traduire? M. Lot et M. Guilhiermoz, déjà cités,
M. Lauer aussi, n'hésitent pas : ils traduisent se
commiltere par se recommander. Guillaume, fils de
Rollon, s'est recommandé au roi Charles en 927 ;
il s’est de nouveau recommandé au roi Raoul en 933.
Rollon n’a pas voulu relâcher le fils d'Herbert avant
qu’il se fût recommandé au roi Charles avec les
autres comtes et évêques de Fiance ; Rollon s’est fait
le protecteur de Charles. Or, qu’est ce que se recom¬
mander , qu’est-ce que la recommandation ? Les auteurs
(1) Id., p. 63.
(2) Id., p. 75.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
221
que nous avons cités n’hésitent pas davantage, c'est
prêter hommage au suzerain. M. Lauer, en parlant
du texte des Annales de Flodoard en 936 où il est
dit qu'Hugues et les autres princes francs se commit-
lunt régi , c’est à-dire à Louis d’Outremer, leur nou¬
veau roi, dit nettement : « C’est la commendalio
au suzerain, cérémonie analogue à celle de l’hom¬
mage, Flodoard a pris ici committunt comme syno¬
nyme de ctmmendanl (1) ». M. Guilhiermoz a com¬
pris le texte de la même manière, car il dit que
les Carolingiens firent prêter l’hommage vassali-
que d’une façon générale par tous les grands du
royaume, et, à l'appui de cette assertion, il cite en
note, outre le texte de Dudon relatif au traité de
Saint Clair et à Rollon, les textes de Flodoard de
927 et de 933 que nous avons cités plus haut (2).
Si nous descendons le cours des temps, nous
trouvous qu’en 943, après l’assassinat de Guillaume
Longue-Epée, par Arnoul de Flandre, Louis d’Ou¬
tremer vient à Rouen : « il fait remise, dit M. Lauer,
à Richard, fils naturel du duc défunt, du territoire
que Rollon et Guillaume Longue Epée avaient tenu
en fief des rois de France. Flodoard emploie ici
la même expression que lors de l’entrevue de 940
entre le duc Guillaume et le roi. Il dit que Louis
(1) Lauer, Le règne de Louis IVd’Outre-Mer, p. 13, n. 2.
(2) Essai sur l’origine de la Noblesse en France au moyen
âge, Paris, 1902, in-8°, p. 128, ouvrage de premier ordre. Voir
aussi, dans le même sens M. Ernest Dummler, Zur Kritik
Dudos von Saint-Quentin, p. 375, n. 4, et M. Kalckstein, op.
cit., p. 136, n. 1.
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ET(JDE CRITIQUE
4M
« donna » à Richard la terre des Normands « terrain
Nordinannorum dédit ». C'est l’investiture féodale (1 ) ».
Et quels auteurs cite M. Lauer à l’appui de cette
interprétation ? M. Viollet en son Histoire des institu¬
tions (2) et... M. Flach (3). Mais revenons aux textes.
Que se passe t il en 943, lorsque le roi Louis donne
la Normandie au jeune duc Richard ? Celui-ci n’est
pas apte à prêter l’hommage. Aussi ce sont les
seigneurs normands, principes, qui le prêtent à sa
place. Certains d'entre eux font scission et se
tournent du côté du seigDeur le plus voisin et le
plus fort. Ils prêtent leur hommage à Hugues le
Grand » (4) « et quidam principes se régi commillunt,
quidam vero Hugoni duci (5) ». Voilà pour la sixième
lois celle expression se commiltere ; on sent combien
il importe de la traduire exactement.
M. Lauer nous a dit pourquoi il l'a traduite par
se recommander, il croit qu’elle est chez Flodoard
l’équivalent de se commendare. Or, tous ceux qui ont
étudié cette question du régime des fiefs connais-
(1) Lauer, op. cit., p. 92.
(2) Histoire des Institutions politiques et administratives de
la France, Paris, 1890, in-8 0 , t. I, p. 455, M. Viollet, regarde
le duc de Normandie comme un puissant vassal.
(3) 11 est vrai que c’est au premier tome des Origines : Le
régime Seigneurial, t. I, p. 151 ; M. Flach ajoute que l’hom¬
mage et la fidélité qui rattachaient les ducs à la couronne
« ressemblaient bien plutôt à une sorte de traité d'alliance,
aussi souvent rompu que renouvelé. » Mais il nous suffit qu’en
droit il y ait hommage.
(4) Lauer, op. cil., p. 93. M. Pfister, Ilist. de France, de
Lavisse, t. II, 1 r0 partie, p. 408, comprend la chose de même.
(5) Flodoard, éd. Lauer, p. 86.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
223
sent un texte très important, relatif à la soumission
du roi de Bavière Tassilon. Pour montrer que les
rois exigeaient l’hommage en même temps que le
serment de fidélité, Brussel s'appuie sur un texte
d'Eginhard : « Illuc et Tassilo dux Bajoariorum cum
primoribus gentil suæ venit, et more francico in manus
regis in vassaticum manibus suis semetipsum commen-
davit (1) ». Brussel ajoute qu’il est évident que ces
termes marquent Vhommagc que le duc Tassilon fit
au Roi, l’expression commendare se alicui, signifiant
faire l’hommage à un suzerain (2). » C’est la plus
ancienne mention connue de cet hommage, dit un
auteur compétent (3), mais il est remarquable que
deux siècles plus tard, Dudon racontant l’entrevue
de Saint-Clair-sur-Epte, ne s’exprime pas autre¬
ment : « Statim Francorum coaclus verbis, manus suas
misit inter manus regis (4) ».
Est il bien surprenant que cette formalité de la
main mise dans la main, qui était considérée par
Brussel comme la preuve d’une prestation d’hom¬
mage, ait été considérée de même par les historiens
en ce qui concernait Rollon et Charles le Simple?
M. Lot dit : « C’est bien la formule caractéristique
de la « commendation », de l'hommage (3) ».
(t) Eginhard, Annales Francorum , Ed. Teulet, S. B. F.,
Paris, 1840, 2 vol. in-8", t. I., p. 134.
(2) Op. cil., t. I, p. 35.
(3) Guilhjermoz, op. cit ., p. 80.
(4) Ed. Lair, p. 169.
(5) Fidèles ou vassaux ? p. 181.
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224
ETUDE CRITIQUE
M. Guilhiermoz écrit : « On sait en quoi consistait
l’hommage; le vassal plaçait ses deux mains jointes
dans celles du seigneur (1) », et il cite à l’appui de
cette définition, un grand nombre de textes, dont
celui de Dudon que nous venons de reproduire. « A
cette époque..., dit M. Guilhiermoz, lorsqu'on voulait
mettre un autre ou se mettre soi même en la puis¬
sance ou à la merci ou au service ou sous la protec¬
tion de quelqu’un, on plaçait cet autre, ou ou se
plaçait soi-même matériellement dans les mains de
ce quelqu’un » (2). Cette cérémonie exprimait primi¬
tivement une tradition de la personne. Laissons pour
le moment de côté, si intéressante soit-elle, la phrase
de Dudon. Aussi bien M. Flach en nie la portée :
« Il y a, dit-il, uue impossibilité radicale que la
dation de mains rapportée par Dudon ait pu être
regardée comme un acte d’hommage. Si ce rite, qui
était employé à cette époque pour un engagement
quelconque, comme la paumée l’a été si longtemps
et l’est même encore dans le peuple, si ce rite,
dis-je, avait constitué un hommage, Dudon l’aurait
à coup sûr passé sous silence. — Et cela n’aurait rien
eu de choquant, puisque vous verrez que Flodoard
ne le mentionne pas (3) ». Remarquons de nou¬
veau que Flodoard ne raconte pas l’entrevue de
Saint-Clair-sur-Epte ; les Annales ne commencent
qu’en 919, le passage de VHistoria ecclesiœ Remensis
(1) Op. cit., p. 79.
(2) Id., p. 80.
(3) La Normandie, p. 14.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 225
parle de la conversion des Normands et incidem¬
ment, par un membre de phrase à l’ablatif, de la
concession du territoire qui l’accompagna. Quant
à la portée de la paumée, comme dit M. Flach, en
ce qui concerne l’hommage, nous en appelons à
M. Flach lui-même : « L’hommage exprès, dit-il
ailleurs, constitue un engagement qui se modèle
sur la foi naturelle. 11 ne peut, à raison de son
caractère très personnel et très indéterminé, être
assimilé à un contrat ordinaire. 11 consiste essen¬
tiellement dans l’acte symbolique de la mise des
mains dans les mains du chef (I) ». Voilà qui est
formel. Auparavant, M. Flach avait écrit ces fortes
paroles : « L’autorité, au profit du seigneur, avec le
patronage ou la protection qu’elle implique au profit
du vassal, s’établit suivant des rites qui remontent
aux mœurs primitives des peuplades germaniques,
la mise des mains dans les mains du chef de famille
auquel ou se soumet. Par là on devient, suivant
l’expression empruntée aux Romains, son recom¬
mandé, son ami, son client, suivant l’expression
barbare, son homme, et la cérémonie elle même
s’appellera par suite recommandation ou hommage ».
M. Flach cite encore ce trait frappant pour identifier
l’hommage et la recommandation qu ’Homenalicum
équivaut à commendare se in manibus (2).
11 faut avouer que lorsqu’en 1911, nous voyions
dans le fait de mettre ses mains dans les mains du
(1) Les Origines de VAncienne France, ( 1904), t. 111, p. G3.
(2) Id., t. II (1893), p. 521.
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2ï(i
ETUDE CRITIQUE
roi, dans celte paumée, comme dirait maintenant
M. Flach, la preuve que Rollon prêtait l’hommage
à Charles, nous étions en bonne compagnie avec
M. Lot, comme le remarque M. Flach, mais aussi
avec MM. Lauer, Guilhiermoz et avec M. Flach lui-
même, ce qui au reste nous était et uous est encore
très agréable et très honorable. Et il y faut joindre
l'auteur d'un très remarquable Essai sur la conception
féodale de la propriété foncière dans le très ancien droit
normand, qui est, sur la question, très pénétrant:
M. Lagouelle écrivait en 1902 : « les mots manus
sms misit inter manus regis correspondent incontes¬
tablement à la prestation de l’hommage, le vassal
plaçant ses deux mains jointes dans celles du
seigneur (1) ». Et j’ajouterai encore M. Karl von
Amira Dans un compte rendu du grand ouvrage de
Steenstrup, compte rendu qui a une grande valeur,
l’auteur, juriste comme Steenstrup lui même et se
plaçant au point de vue juridique, remarquait que
Rollon et ses successeurs jouent dans les textes de
Dudon le rôle de vassaux, qu’ils doivent le servi-
tium , que Rollon, Guillaume !« r et au nom de
Richard I er , les grands de Normandie prêtent suc¬
cessivement hommage au roi et il concluait ainsi :
« d’après ces faits, on s’explique comment les histo¬
riens dépendants ou indépendants de Dudon ont pu
voir dans le don de la terre une investiture (2) ».
il) Paris, 1902, in-8°, p. 87.
(2) Die An fange des nomiannischen Rechts dans Historisclie
Zeitschrift, t. 39. pp. 240-268.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
227
Ainsi nous avons tous compris jusqu'ici que la
recommandation impliquait l’hommage (1). Viollet
est aussi de cet avis. « L’acte par lequel un homme
se constitue le vassus d'un senior, est la recomman¬
dation, commendare, se commendare. On dit aussi
se tradere... De la recommandation des temps méro¬
vingiens et carolingiens procède l’hommage des
temps féodaux ; l’hommage, liominium, acte par
lequel je me reconnais l’homme de quelqu’un, n’est
autre chose qu’une recommandation (2) ».
Mais, laissons de côté les auteurs modernes, lais¬
sons même, pour le moment, l’interprétation du
texte de Dudon et la paumée dont ne parle point
Flodoard, et revenons aux textes contemporains,
ceux qui importent, c’est à-dire précisément aux
Annales de Flodoard. Quand il dit que le prince des
Normands, Guillaume, se commitlil régi, que ce soit
à Charles, en 927, à Raoul, en 933, à Louis, en 936,
cela ne veut il pas dire qu’il se recommande à lui;
partant, puisque nous sommes tous d’accord que la
recommandation entraîne l’hommage, qu'il lui a
prêté l’hommage, lorsqu’il a mis ses mains dans
celles du roi ? Soyons bien sur que c’est ainsi que l’a
compris Dudon. Car, je l’ai montré et prouvé,
Dudon a lu Flodoard et, au fond, il n’a jamais fait
autre chose que de le délayer, lui et les autres
(1) Voir encore Fustel de Coulanges, Histoire des Insti¬
tutions politiques de VAncienne France, t. VII. Les Transfor¬
mations de la Royauté, Paris, 1892, in-8°, p. 243.
(2) Histoire des Institutions, I, p. 429.
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m
ETUDE CRITIQUE
sources franques, de l’interpréter et aussi de l'ar¬
ranger à sa manière pour ses desseins propres.
Dudon est d’accord avec nous. Son manus miltere,
son senilium, ce sont des commentaires, son com-
menlaire du « se commitlere ».
Mais, pourrait nous dire M. Flach, la recomman¬
dation s'exprime par le mot se commendare, elle ne
s’exprime pas par le mot se committerc. Si M. Flach
eût nié la possibilité de ce rapprochement entre les
deux expressions, de cette traduction du se commit-
tere, nous eussions peut-être été embarrassé, il nous
aurait semblé pourtant que le rapprochement était
évident, la traduction sûre. Mais, est-il besoin de
dire que M. Flach est de bonne foi ? Dans un article
récent (1), M. Flach revient sur ce point, à propos
d’un autre texte de Flodoard, contemporain de ceux
dont nous discutons ici le sens. A l’année 939, Flo¬
doard, parlant des chefs lorrains, écrit : Se régi
commitlunt (2). « Faut-il entendre, dit M. Flach,
ont fait hommage au roi ? Certainement non, dans
le sens d'hommage féodal. — Committere, comme
je le dirai encore plus loin, ne peut signifier, à cette
époque et sous la plume de Flodoard, qu 'engager sa
foi , ce qui est du reste la signification vraie du
terme latin « se confier », « se fier ». Il s’agit donc
d’un serment de fidélité, et la preuve s'en tire encore
(1) Le Comté de Flandre et ses rapports avec la Couronne de
France du IX e au XII e siècle, dans la Revue historique, jan¬
vier 1914, t. CXV, p. 1.
(2) Ed. Lauer, p. 72.
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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN 229
de ce que le même terme est appliqué, dans le même
passage, aux évêques qui ne faisaient pas alors
hommage ». A première vue, il semble que M. Flach
se refuse à admettre que se committere puisse équi¬
valoir à se commendarc et tout espoir de conciliation
s’évanouit. Ne désespérons pas. « Je ne conteste
nullement du reste, ajoute t il, que committere, dans
Flodoard, puisse être synonyme de commendare
(cf. par exemple Annales 927, p. 39, (se committit
avec Historia ecclesiœ Remensis IV se commcndarit.)
mais la commendatio existait bien avant qu'il y eût
des fiefs et elle a continué à subsister avec des
formes, des modalités et des effets très variables,
longtemps après que le régime féodal fut pleinement
installé. — Je remarque, à cette occasion, que le
mot feudum, comme le terme hominium sont pour
ainsi dire étrangers à Flodoard (1) ».
Et M. Flach ajoute que, si on voit dans le se com¬
mittit un hommage, il faut reconnaître qu’en 931,
Herbert de Vermandois, qu’en 940 ce même Herbert,
Hugues le Grand et Roger de Laon, sese committunt
au roi de Germanie, ce que les historiens traduisent
imperturbablement « lui faire hommage comme à
leur suzerain. » En réalité, dit M. Flach, dans toutes
ces occurrences, ce ne sont pas ses vassaux qu'ils
deviennent, ce sont ses afiés, ses pares dans le sens
qu’avait ce dernier terme dès le IX e siècle et qu’il
a gardé, suivant moi, aux deux siècles suivants, ce
(1) Art. cit ., p. 19, n. 1.
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230
ETUDE CRITIQUE
sont des princes qui s’unissent et se soumettent au
roi (1).
Mais, dirons nous, on pourrait regarder Herbert
de Vermandois, qui prête hommage au roi de Ger¬
manie, voire même encore Hugues le Grand et
Roger de Laon comme des traîtres. Cette expression
aurait le tort d’être inexacte ; il faut tenir compte des
mœurs du temps et aussi de la situation politique
à cette époque. Au X° siècle, nous sommes dans le
chaos, disions-nous au début de cette discussion,
dans l’anarchie, pourrions-nous dire. N’oublions pas
surtout que si l’empire est mort en fait, il ne l’est
pas complètement dans l’esprit des hommes de ce
temps. Il vit toujours. La question est de savoir quel
est le successeur de Charlemagne. Charles le Simple,
à ce titre, a revendiqué la Lorraine ; mais la concep¬
tion des rois germains est que la Germanie repré¬
sente, elle, la véritable tradition impériale. Les
Carolingiens veulent réaliser l’empire, comme des¬
cendants de Charlemagne. Les rois de Germanie le
veulent réaliser comme Germains ; c’est le roi de
Germanie qui est, prétendent-ils, l'héritier légitime
de l’Empire franc, héritier lui-même de l’Empire
romain. Toute la politique des Olton ne s’explique
que de cette manière. On voit à quels importants
problèmes, toujours vivants, actuels et angoissants,
touche la question que nous traitons ici. Otton
réalise l’empire, le saint empire romain germanique
en 962, mais il a longuement préparé son œuvre, et
(1) Ibid., p. 20.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
231
dès son avènement au trône de Germanie en 936, il
a travaillé à asseoir son autorité sur tous les
royaumes sortis de l’empire franc, royaume d'Italie,
royaume de Lorraine et même royaume de la Francia
occidenlalis, royaume de France. Louis et Hugues
sont ses beaux-frères et se disputent son alliance.
Ce fut un coup de maître de ce politique que d’avoir
amené Hugues le Grand et d’autres feudataires de
la Francia à lui transporter leur hommage ; et c’est
aiDsi que je comprends le texte.
Quant à la remarque de M. Flach que le mot
feudum, et le terme liominium sont, pour ainsi dire,
étrangers à Flodoard, elle est parfaitement juste.
L’annaliste n’a pas besoin de ces mots ; il en emploie
d’autres, nous l’avons vu ; quand il dit se cnmmiuere,
cela implique dans son esprit la même idée que
prêter l’bommage. Et ne pourrons-nous pas remar¬
quer une fois de plus qu'en matière d’institutions,
les mots n'apparaissent qu’après (quelque fois avant)
l’évolution complète de l’institution? Ailleurs, nous
avons constaté que le mot Etats pour désigner les
Etats provinciaux ou généraux, n’est apparu dans le
sens que nous lui donnons que bien après qu’il y
eut des Etats réellement constitués (1) ; de même
pour le mot fiel qui au reste était employé (rare¬
ment, il est vrai) dès la fin du IX e siècle (2).
(1) Nous avons mis ce fait en lumière dans un Mémoire sur
Les Étals Provinciaux auquel l’Académie des Sciences
Morales et Politiques a bien voulu décerner le prix du Budget
en 1911 et que nous comptons publier prochainement.
(2) Pfister, Histoire de France de Lavisse, II, 1” partie,
p. 424, n. 2.
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232
ETUDE CRITIQUE
La recommandation préexiste au fief, ditM. Flacli.
Nous le reconnaissons. Mais quand, à ce lien per¬
sonnel de l'homme à l’homme, du tassus au senior ,
à la subordination de l’homme à l’homme se fut
joint le don d’une terre, il y eut fief. C’est ce qu’a
bien montré M. Viollet (1); or, précisément à Saint-
Clair-sur Epte, si quelque chose est évident, c'est
qu’on a donné une terre à Rollon ; donc il y a eu
un fief qui devint un grand fief.
Et a posteriori tout ce qui suit montre que, bon
gré mal gré, les ducs Normands se considèrent ou
sont considérés, jusqu’en 945, comme les vassaux du
roi, vassaux qui ne furent pas toujours aussi fidèles
qu’ont bien voulu le dire Dudon et son éditeur,
M. Lair, mais vassaux tout de même. Sans doute,
M. Steenstrup a indiqué et M. Lagouëlle a bien
montré, qu’au début, la conception a pu ne pas être
identique des deux côtés, que le roi voyait dans
Rollon un vassal, que celui ci répugnait peut être à
cette idée. Mais tout de même, dans le développe¬
ment de l’histoire de la Normandie, c’est bien comme
des vassaux que se comportent Guillaume et déjà
Rollon lui-même, comme le montrent les textes et
les faits.
11 est maintenant acquis, de l’avis de tous, que
l’expression se commit ter e veut dire se recommander
et, par conséquent, prêter hommage, qu’en notant
que Guillaume, du vivant de Rollon, puis, lorsqu’il
fut devenu prince des Normands, que les grands
(1) Op. cil., t. I, p. 431.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
233
normands à la minorité de Richard se sont recom¬
mandés successivement à Charles le Simple, à Raoul,
à Louis d’Outremer, Flodoard a voulu dire qu'ils
avaient prêté hommage. Le don de la Normandie a
été incontestablement une cession de territoire, il
y a recommandation, subordination de l’homme à
l’homme, il y a don de terre, il y a tous les élé¬
ments d’un fiel.
Les textes de Flodoard sont bien clairs. En 927,
Rollon envoie son fils Guillaume qu’il a désigné pour
lui succéder, se commitlere régi ; en 933, Guillaume,
prince des Normands, se recommande au roi Raoul
et il y a, en même temps, nouvelle cession de terri¬
toire, le roi lui donne l'Avranchiu et le Cotentin.
Eu 940, Guillaume se recommande au roi Louis et.
dit Flodoard : « At ille dédit ei terrain quam paler
ejus Karolus Nordmannis concesserat ». Et le roi lui
donne la terre que son père Charles avait concédée
aux Normands. Et ce texte a une importance consi¬
dérable qui n’a pas été suffisamment remarquée;
si Louis donne de nouveau la terre de Normandie
à Guillaume en 940, ce n’était pas en alleu que
Rollon avait reçu celte terre en 911. M. Flach dit
qu’ « il ressort avec la dernière évidence... du récit
de Dudon que le territoire cédé aux Normands l’a
été à titre d'alleu et non de fiel et ne comportait dès
lors ni hommage, ni service féodal (1) ». Quand cela
ressortirait avec la dernière évidence du texte de
Dudon, ce qu’au reste nous ne croyons pas, nous
(1) La Normandie, p. 14.
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234
ETUDE CRITIQUE
opposerions victorieusement au texte de Dudon le
seul témoignage contemporain et impartial, on ne
saurait trop y insister, celui de Flodoard. Car, si
en 940, Louis redonne la terre des Normands à
Guillaume, c’est qu’il s’agit bien d’un fief ; il n’y
aurait pas lieu à une nouvelle donation, s’il s’agis¬
sait d’un alleu, d'un territoire donné en pleine et
libre propriété, et c’est bien là le sens du mot alleu.
M. Chénon (1) et M. Flach sont d’accord là-dessus (2).
L’alleu, même si le mot est d’origine germanique,
comme le croit M. Chénon (3), a pour équivalent en
latin le mot hereditas. C’est le patrimoine qui se
transmet de père en fils, c’est la propriété. Or, si la
Normandie avait été donnée en toute propriété
en 911, il ne serait pas besoin de la redonner en 940.
Mais le propre du bénéfice, qui précéda le fiel, était
d’être viager. Il devint ensuite héréditaire; néan¬
moins il conserva toujours quelque chose de son
caractère primitif, en ce sens qu’il devait y avoir
relief, lorsqu’il y avait un nouveau vassal, investiture
lorsqu’il y avait un nouveau suzerain. « La conces¬
sion d’une terre..., dit excellemment M. Guilhier-
moz, n’arrivait qu’après la commendatio, plus ou
moins tard, et elle pouvait même ne venir jamais.
Au contraire, à l’époque féodale, il n’y a plus guère
d’hommage vassalique sans concession de fief ; en
(1) Élude sur l’histoire des alleux en France , Paris, 1888,
in-8°, p. 5, sqq.
(2) Flach, t. I, p. 190.
(3) Op. cit. p. 2.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
235
souvenir de l’ancien état de choses, dans la plupart
des pays, il est vrai, l’hommage continue à être
prêté avant l’investiture, mais les deux actes se
suivent toujours immédiatement, et, si, depuis son
origine, le bénéfice vassalique ne s’est jamais com¬
pris sans l’hommage, maintenant également l’hom¬
mage vassalique se comprend difficilement sans le
fief (1) ».
M. Flach dira, il a déjà dit, que la commendatio
est distincte du don de la terre, qu’elle existait
avant qu’il y eût des fiefs, qu’ « elle a continué à
subsister avec des formes, des modalités et des effets
très variables, longtemps après que le régime féodal
fut pleinement installé ». Mais en 940 il y a incon¬
testablement don d’une terre, constitution de fief,
investiture. La définition de M. Guilbiermoz semble
faite pour ce cas; les deux actes se suivent immé¬
diatement. Il est évident que Guillaume a prêté
l'hommage à Louis et que Louis lui a conféré ensuite
l’investiture delà Normandie <c Rex dédit illi terrain ».
Voyons maintenant ce qui se passa trois ans
après, lors de la mort de Guillaume Longue-Epée.
Celui ci est mort le 46 décembre 942 ; au début de
l’année 943 (Flodoard commence l’année à Noël,
généralement du moins) (2), le roi Louis vient à
Rouen ; Flodoard nous dit qu’il donna la terre au
fils de Guillaume, né d’une concubine bretonne,
c’est Richard, fils de Sprota, — et quidam principes
(1) Op. cit., pp. 237-238.
(2) Ed. Lauer, p. XVI.
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236
ETUDE CRITIQUE
tpsiusseregi committunt, quidam tero Ilugoni duci (i).
Le jeune duc — il a dix ans — ne peul prêter l’hom¬
mage ; les grands le prêtent pour lui mais il y a
scission; Hugues le dispute au roi en autorité, en
prestige ; ce pays normand a fait partie de la Neus-
trie, des possessions des ancêtres de Hugues, toutes
raisons pour que le fils de ce duc Robert, qui avait
été le parrain de Rollon, eût un parti en Normandie,
n Le roi, a dit M. Lauer, vint à Rouen et fit remise
à Richard, fils naturel du duc défunt, du territoire
que Rollon et Guillaume Longue-Epée avaient tenu
eu fief des rois de France ». Et parlant du lerram
Nortmannorum dédit de Flodoard, il ajoute ; « C’est
l’investiture féodale » (2).
Nous ne voulons pas pousser plus loin cette étude,
ce seraitanticipersur le règnede Richard I er . Remar¬
quons encore cependant qu'on a interprété comme
des usages féodaux deux faits rapportés par Dudon.
D’abord, Louis IV aurait emmené à Laon le jeune
Richard. Le suzerain avait, en effet, le droit et le
devoir d’assurer l’éducation du fils du vassal (3),
(1) Ibid., p. 86.
(2) Lauer, Louis IV d’Outremer, pp. 90-92.
(3) « C’était la coutume, dit M. Lauer, op. cil. p. 103, que
le suzerain élevât à sa cour le fils mineur du vassal défunt
et il cite à l'appui de sa thèse le texte de la Vie de Bouchard
le Vénérable , écrite au XI*siècle: « Bucharduspuerilie tcmpora
dum transigeret, curie regali, more francorum procentm, a
paretilibus traditus est *, éd. Boukel de la Roncière, p. 5, et
aussi d’ARBOis de Jubainville, Recherches sur la Minorité
et ses effets dans le droit féodal français (éd. 1852), p. 2 ; et
P. Yiollet, Hist. du droit civil français, pp. 537-538.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
237
droit dont le roi joue fort habilement pour tenir à sa
discrétion les Normands et leur duc. De même, le
gouvernement de la Normandie par Raoul La
Tourte (1) a été interprété ingénieusement comme
une preuve que Louis d’Outremer avait placé là un
bailli du roi chargé de la garde de la Normandie (2).
Dudon, à vrai dire, ne le représente pas comme
tel. Il devait bien se garder d’indiquer cet usage
d’un droit féodal, lui qui semble parfois tenter de
représenter la Normandie comme un alleu, mais
Guillaume de Jumièges, toujours plus sincère et
plus exact, le note formellement ; de même qu’il a
rejeté la fable des origines premières de Rollori, de
même il ne craint pas de montrer la situation de la
Normandie sous Richard. « Uex etenirn aliquandiu
apud Rnlhomagum morans, prœfectum comitatui pre-
fecit Rodulfum, agnomento Torlam , qui vecligalia
annualim a subditis exigeret , et tota bac in provincia
jura et quœlibet negotia décernent (3) ». Que nous
voilà loin d’un alleu « libre comme l’air ».
Et au reste, pour en revenir à Rollon et au traité
de Saint-Clair sur-Epte, Dudon a-t-il bien voulu nous
représenter la Normandie comme un alleu ? Distin¬
guons, ou plutôt analysons rigoureusement son récit.
Je ne me servirai point du mot msalus employé deux
fois par Dudon quand il fait parler les chefs francs
(1) Dudon, éd. Lair, p. 248.
(2) Laüer, op. cil., p. 124 et n. 5.
(3) Ed. Marx, p. 52 ; il faut évidemment lire prœfectum pour
pcrfcclum qu’a imprimé M. Marx.
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23»
ETUDE CRITIQUE
au sujet de Rullon : ils diseDt de lui à Charles le
Simple qu’il est sagaci mente vasallus conslans et
lenis (1) ; veuant trouver le chef normand de la part
du duc Robert, ils répètent : « Salis plurimis péri-
culis incubuisti, satis vassallus emerilus (2) ». Avec
M. Guilhiermoz, je crois qu’il faut traduire ici par
guerrier. Un exemple du IX» siècle prouve que cossus
avait dès cette époque, à côté du sens relatif de vassal,
le sens absolu de guerrier (3). Il n’en est pas moins
vrai que les chefs francs insinuent à Charles le Sim¬
ple que ce vaillant et sage guerrier pourra lui rendre
de grands services, ou plus exactement pourra lui
rendre le service, le service militaire, pourra donc
le servir comme un vassal, son suzerain.
Dans un autre discours, Dudon fait dire à Charles
le Simple par Francon, l’archevêque de Rouen :
« Hollo dux Norlhmannorum tibi amoris et amicitia;
inexlricabilis, quin etiam servitii paclum, si dederis
filiam tuam ei, ut dixisli, conjugem, terramque marili-
mam in sempiternum per progenies progenierum posses-
sionem, manus suas se sulijugando tibi dabil, fidelilalis
gratia, tuumque servitium iticessanter explebit, pote-
risque per eum obslantium et jurganlium lumores
contra te relunderc, nimiumque confortatus conta¬
it) Dudon, p. 166.
(2] Id., p. 167.
{3) Op. cit., p. 56 et p. 438, où M. Guilhiermoz invoque à
l'appui de son opinion les deux textes précités de Dudon. Le
sens de vassal, de fidèle, existait déjà. Voir charte de Louis
le Débonnaire : bib. Nat., ms latin, 8857, fol 0 21 v°.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
23!)
lescere (1) ». Il ne s’agit pas seulement d’un pacte
d’amitié, mais d’un service que le duc devra au roi
if quin eliam servitii partum, tuumque sertitium exple-
bil » et il n’y a pas de doute qu’il s’agisse d’un service
militaire, d’un service d’ost, puisqu’on dit à Charles
que grâce au service de Rotlon, il triomphera de
tous ses adversaires, polerisque per eum obstantium et
jurgantium tumores contra te relundere.
Nous avons la recommandation, l’hommage, le se
committere que nous a rapporté Flodoard, le don de
la terre, don renouvelable comme il convient à un
fief; nous avons le service militaire, qu'affirment
Dudon et Richer (2). Encore une fois, que manque-
t-il donc pour que la Normandie soit un fief, voire
même un grand fief ?
Et Rollon nous est encore représenté par Dudon,
nous l’avons déjà dit, comme mettant ses mains
entre les mains du roi, ce que jamais son père, ni
son grand père, ni son aïeul n’avaient fait. « Manus
suas misit inter manus regis, quoi nunquam patcr ejus
et avus atque proavus cuiquam fecit (3) ». Si on nous
dit que « ce rite était employé pour un engagement
quelconque, qu'il y a une impossibilité radicale à
ce que Dudon l’ait regardé comme un acte d’hom-
(1) Dudon, p. 167.
(2) Richer, dans l’exposé assez étrange qu’il donne de
l’établissement des Normands, dit que les grands sont d’avis
que la province de Rouen soit cédée aux Normands, à condi¬
tion qu'abandonnant l'idolâtrie, ils se convertissent à la foi
chrétienne et qu'ils servent les rois de la Gaule. Ed. Wâitz,
p. 22.
(3) P. 169.
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•240
ETUDE CRITIQUE
mage », on oublie le « quod nunquam pater ejus, et
avus alque proavus cuiquam fecit » ; car le doyen de
Saint Quentin n’était pas simplement un lettré, un
rhétoriqueur, mais un homme fort intelligent (et
dont il faut pour cela nous défier). Dudon, qui a
dénaturé savamment l’histoire des ducs, mais qui a
compris et retracé les mœurs de son temps et de
cette société normande, si nouvelle pour lui, Dudon
a parfaitement compris que Rollon ne connaissait
pas le régime féodal ; il n’aurait pas dit ce qu’ont
dit les historiens du XIX e siècle, comme Depping (1),
que les Normands ont apporté la féodalité en Nor¬
mandie, il comprenait fort bien la société égalitaire,
qui était celle des vikings, celte union entre chefs
militaires sur le pied d’égalité, que M. Steenstrup a
si bien mise en lumière (2), et il se rendait compte
que c’était chose toute nouvelle et solennelle pour
Rollon que de mettre ses mains dans les mains d'un
suzerain, chose que ni son père, ni son grand-père,
ni son aïeul n’avaient faite.
Suit le récit qui représente les évêques disant à
Rollon : « Celui qui reçoit un tel don doit baiser le
pied du roi. —Jamais, dit le chef normand, je ne
courberai les genoux devant les genoux d'un autre
et ne lui baiserai le pied. » Contraint par les prières
des Francs, il ordonna à un soldat de le remplacer
dans cette cérémonie. Celui-ci, prenant le pied du
(1) Histoire des Expéditions Maritimes des Normands , 1" éd.,
t. I, p. 28.
(2) Indledning et Bulletin Soc. Antiq., t. X, p. 322.
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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN 211
roi, le porta à sa bouche, tout en restant debout,
donna le baiser et fit ainsi tomber le roi, d'où il
s’éleva un grand rire et un grand tumulte dans le
peuple (t). L’anecdote se retrouve daus la Brice
chronique île Saint-Martin de Tours de Pierre
Béchin, qui ajoute ce détail que Rollon s’écria en
anglais, linguu anglica : « Ne se bi Goth » (ce qui est
du norrois). « Non sûrement, par Dieu », d’où le roi
et ses amis, en riant, l'appelèrent Bigolh, nom qui
est resté aux Normands (2) ».
En rapportant ces textes, je n’y ai pas vu la
preuve de l'hommage lige comme me le reproche
M. Flach et, au reste, aurais-je eu tort ? Je disais au
contraire que Dudon en nous montrant le retus de
Rollon de baiser le pied du roi a voulu atténuer
l’impression produite par le manus suas misit inter
manus regis (3) ». J’ajoutais prudemment qu’on ne
pouvait garantir la véracité d’une anecdote rapportée
(1) Dudon, p. 169.
(2) H. F., VIII, 316.
(3) Freeman, The history of the Norman Conquest of
England, t. I, p. 192, qui croit que la Normandie fut donnée
en pur alleu, a cependant compris comme nous cet inci¬
dent. 11 déclare qu'il ne peut y avoir aucun doute raisonnable
sur le fait que Rollon devient, dans le plein sens du mot,
vassal du roi Charles. Il s’élève contre l’idée que la Nor¬
mandie ait pu constituer, comme l’ont dit les écrivains
Normands, un état indépendant, raille les expressions de
Dudon lorsque celui-ci écrit, en parlant de Rollon : « Tenet
sicuti Rex monardiiam regionis ». Freeman montre que
Rollon a fait hommage, que son successeur a renouvelé cet
hommage. Il reconnaît, comme nous môme d’ailleurs, que
cet hommage impliquait bien peu de sujétion réelle, quand
IG
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242
ETUDE CRITIQUE
par un historien tel que Dudon. Mais plus j’y réflé¬
chis, plus je suis porté à croire avec M. Lot que
« l'anecdote du baisement de pied refusé par Rollon
doit être authentique. La famille de Normandie
a pu se transmettre le souvenir de cet épisode
amusant (1) ». M. Flacli dit qu'il n’y a là que la
cérémonie de l’aller au pied si fréquente dans les
Chansons de gestes ; il a diligemment exploré les
Chansons, et il nous déclare qu'eu recevant le fief,
« le vassal ne devient, en général, et sauf certaines
fonctions personnelles qui peuvent lui être imposées,
l'obligé du seigneur que dans l'acception moderne
du mot. Il lui doit de la reconnaissance, un redou¬
blement d’alleclion, de dévouement, d’amour féo¬
dal, et, suivant les règles de la courtoisie, il le lui
exprime par des remerciements publics que les
textes appellent hommage comme la recommanda¬
tion, mais qui ne constituent qu'un acte d’humilité
et de gratitude. Vous le verrez embrasser ainsi le
pied ou le bras du seigneur (2) ».
Ainsi, si je comprends bien, quand un vassal
reçoit un fief, il exprime son remerciement à son
seigneur par l'hommage, la recommandation, et au
le suzerain était faible et que le vassal était fort. Nous ne
disons pas autre chose, et ce pourrait être notre conclusion.
Glasson, Histoire du Droit et des Institutions de la France ,
Paris, 1891, 7 vol. in-8°, t. IV, p. 493, croit aussi que « la Nor¬
mandie est sans contredit l’un des grands fiefs les plus beaux
de la France au moyen âge ».
(1) Fidèles ou Vassaux ? p. 181, n. 3.
(2) T. II, pp. 532-533.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 213
cours de cette cérémonie, il embrasse le pied ou le
bras du seigneur. Donc nous avons là une preuve
de plus que Dudon considérait bien la cession de la
Normandie à Rollon comme la remise d’un fief (1).
Il ne nous reste plus qu'un problème à résoudre :
pourquoi Dudon qui semble avoir compris les choses
comme nous même, qui en combinant Flodoard et
la tradition orale, nous a laissé l’impression de la
constitution solennelle d’un fief au profit des Nor¬
mands, ajoute t-il qu’il lui donne cette terre in
alodn et in fundo ? Comment expliquer que Dudon
de Saint-Quentin qui représente Rollon comme
mettant ses mains dans celles du seigneur, cérémo¬
nie dans laquelle tout le monde, avait jusqu'alors
vu un hommage? comment se fait-il que Dudon,
qui nous parle du servitium que devra rendre
Rollon, représente-t-il la terre donnée à Rollon
(1) 11 est vrai que M. Flach ajoute en note : « 11 apparaît
tout aussi clairement que cette cérémonie n’est pas une
recommandation, un hommage proprement dit, quand on voit
le seigneur en dispenser l’homme qu'il gratifie. » Mais il nous
parait que cette remarque explique très bien ce qui s'est
passé lors de l’entrevue de Saint-Clair, si le récit de Dudon
est exact. D’après les usages féodaux, Rollon aurait dû, non
seulement mettre ses mains dans les mains du roi, formalité
indispensable, il aurait dû aussi, mais le roi pouvait l'en
dispenser , baiser le pied de son suzerain. Malgré les avis
pressants des grands, Rollon s'y est refusé, puis il s'est
déchargé de cette obligation sur un de ses lieutenants qui,
feignant de ne pas comprendre ce qu'on lui voulait, — le trait
est bien normand, — jeta le roi par terre. Le roi n'a pas
insisté, n’étant pas d’humeur à recommencer la guerre avec
de pareilles gens.
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ETUDE CRITIQUE
ïii
comme lui étant donnée in alodo et in fundo (1)?
M. Flach a négligé le servilium (2) a expliqué le manus
mitlere en y voyant une paumée sans importance
et s’est attaché au in alodo.
M. Lagouêlle, après avoir reconnu, comme nous,
dans tous les détails donnés par Dudon, les indica¬
tions d’une cession de fiel, tente une explication
ingénieuse. « 11 est vrai que Dudon n’emploie pas la
qualification de leodum, il nous parle, au contraire,
de concession in alodo. Faut il voir dans cet alodum
une propriété libre, absolue et indépendante ? Nous
ne le croyons pas. Il n’y a pas de terminologie plus
incorrecte que celles des périodes de transition où
se forme un droit nouveau et Dudon a écrit son
histoire précisément à une époque présentant ce
caractère. Au X° siècle, bien que l’on commence à
entrevoir le sens définitif du mot, il évoque encore
l’idée d'un bien héréditaire (3) ». M. Lagouêlle fait
remarquer en note que cette idée est exprimée dans
le chapitre de la loi salique consacré aux successions,
et il trouve que M. Chénon lui donne au IX» siècle
une signification trop déterminée. Selon lui, l’alleu
« opposé au bénéfice essentiellement viager, désigne
la valeur patrimoniale qui se retrouvera au jour du
décèsdans la succession de celui qui la détient actuel-
|1) Ed. Lair, p. 169.
(2) Remarquons que Geoffroi Malaterra reconnaît aussi au
roi de France le droit de réclamer le sercitium du duc Muua-
toiu, S. rerum liât. Mediolani, 1723-1751, 29 vol. in-folio.
V. p. 5i9.
(3) Op. cit-, p. 87.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
245
lement. Si, dans un autre passage de Dudon, nous
trouvons l’expression alodum suivie de ces mots in
perpeluum , il y a là une simple redondance, une de
ces répétitions si communes chez les chroniqueurs
de l'époque et notamment chez Dudon ; ce qui
démontre bien que ce ne sont pas deux idées diffé¬
rentes qui se trouvent exprimées dans ce passage,
c'est que quelques lignes plus loin, Dudon reprend
la formule alodum et fundum sans ajouter in perpe
tuum. Par ces expressions donc, Dudon a voulu
souligner, non pas l'indépendance du droit de
propriété concédé à Rollon, mais le caractère per¬
pétuel et foncier de la tenure qui lui était acquise, à
lui et à ses héritiers (t) ».
Cette explication est fort ingénieuse ; elle est en
même temps satisfaisante. Le fief, comme l’alleu,
est perpétuellement héréditaire, seulement il ne
l’est pas de plein droit, il faut, à chaque vacance du
fief, une réinvestiture, il faut qu’un nouveau contrat
se forme (2), mais le caractère d’hérédité y est bien
contenu, contrairement au bénéfice, et c’est bien,
sans doute, ce qu’a voulu dire Dudon. Fustel de
Coulanges remarque que l’expression ex alode s’op¬
pose généralement, dans les formules de Marculfe et
dans les chartes, à ex comparato, exattracto, ex labore,
(1) Op. cit., p. 88.
(2) M. Imbart de la Tour, L’évolution des idées sociales au
moyen âge, dans les Mém. de l’Académie des Sciences Morales
et Politiques , 1896, voit aussi un contrat à la base du régime
féodal, notamment p. 426.
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ETUDE CRITIQUE
246
qui se disent des acquêts (1); c’est la propriété
patrimoniale. C'est probablement dans ce sens que
Dudon a employé le mot aloJum ; à partir de cette
cession de 911, la terre déterminée de l’Epte à la
mer sera possédée par les Normands in alodo et in
/undo ; il ajoute d'ailleurs plus loin qu’ils se la trans¬
mettront de génération en génération (2). Ainsi, il
lui donna la terre déterminée du fleuve l'Epte à la
mer, en alleu et en fonds, et toute la Bretagne, sur
laquelle il pourrait vivre ». Et ici, je me demande si
Dudon n’a pas voulu opposera la Bretagne, qui n’est
pas donnée à Rollon en toute propriété, qui lui est
donnée seulement comme terre de pillage, la Nor¬
mandie, de l’Epte à la mer, qui lui est donnée en
toute propriété? Alleu n’est point ici opposé à fief ,
alodum à fcodum, mais la terre donnée en propriété
à celle donnée passagèrement. L’explication que je
propose n'exclut point celle de M. Lagouëlle, elle a
l’avantage de traduire rigoureusement tout le pas¬
sage (3).
Maintenant, que Dudon ait employé des expres¬
sions quelque peu équivoques pour ménager l’a-
mour-propre des ducs normands, cela est encore
possible. (Un Richard II était au moins aussi indé-
(1) L’Alleu et le Domaine rural, tome V de l'Histoire des
Institutions politiques de l’ancienne France, Paris, 1889,
p. 154.
(2) Ed. Lair, p. 169.
(3) « Tcrram determinatam in alodo et in fundo a flumine
Epie us que ad mare, totamque Britanniam de qua posset
vivere ».
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
217
pendant de Robert le Pieux, un Richard I" de
Hugues Capet, que Rollon l’était de Charles le
Simple). Mais que Dudon ait exclu formellement
l’idée de fief, cela, à mes yeux, ne se peut soutenir.
Il reste qu’il n’emploie pas le mot feodum, mais tout
le monde l'a dit, l’usage de ce mot ne devient régu¬
lier qu’assez tard et on n'a pas remarqué que le
rhétoriqueur Dudon de Saint Quentin, soucieux de
bonne latinité, n’introduit jamais de mots germa
niques dans sa prose. Mais, me dira-t on, et le mot
alodum ? Il n'est pas du tout certain <\u’alodum soit
germanique. M. Fustel de Coulanges en doute et
pour de bonnes raisons (1).
Nous sommes donc ramenés à cette proposition
que, dès le début de son existence, la Normandie fut
un fief de la couronne, grand, cela va sans dire.
Que les titulaires de ce fief furent toujours fidèles à
la monarchie ? c’est une autre question. Il en était
ainsi, à cette époque d'anarchie, de tous les grands
vassaux, de tous les autres princes (2).
Nous pourrions, en concluant, répéter le mot de
Freeman : « un tel hommage impliquait bien peu
de sujétion réelle quand le suzerain était faible et
que le roi était fort (3) ». Et après tout, le fait
importe plus que le droit. Avec M. Viollet (4) et
(1) L’Alleu , p. 161.
(*2) M. Lot, Fidèles ou Vassaux? p. 5, dit de môme : « La vue
des excès et des révoltes des grands vassaux ne doit .
nullement nous influencer dans la recherche que nous
avons entreprise. ».
(3) Op. cit., t. I., p. 193.
(4) Op. cit., I, p. 455.
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2i8 ÉTUDE CRITIQUE
M. Flach lui-même, nous dirions encore que 1' « hom
mage et la fidélité qui rattachent à la couronne un
duc de Normandie ou un duc de Gascogne, ressem
blent à une sorte de traité d’alliance aussi souvent
rompu que renouvelé (1) ». En droit, la Normandie
fut un fief de la couronne jusqu’en 9io ; en fait,
Rollon et Guillaume Longue Epée ne furent pas les
fidèles vassaux que M. Lair a représentés.
Maintenant que nous avons terminé cette longue
dissertation, qu’il nous soit permis de dire que ni
cette discussion, ni l’article de M. Flach n'ont dimi¬
nué la considération que nous avons pour une
œuvre aussi importante que la sienne. Nous avons
dit, quels étaient à nos yeux ses mérites. Il en est de
cette œuvre comme de toutes les grandes tentatives
de synthèse ; il est inévitable qu’elles présentent des
points discutables et contestables ; précisément
parce que étant systématiques, elles ne peuvent pas
enfermer l'infinie complexité des faits. Faudrait-il
pour cela renoncer à les tenter? Je ne le crois pas.
Tous ceux qui ont eu le courage et se sont senti la
force de les entreprendre ont rendu à la science un
grand service. Elles ont ce grand avantage de provo-
(1) Ici nous sommes d’accord, puisque nous n'avions jamais
fait des ducs de Normandie des vassaux fidèles et que nous
avions démontré les mensonges de Dudon sur ce point.
U resterait à examiner, comme l’a fait M. Flach, les rapports
des ducs de Normandie et des rois de France, au-delà des
débuts du régne de Richard I".
Nous montrerons plus loin, au livre IV de cet ouvrage qu’à
partir de 945, Richard I er ne fut plus vassal des Carolingiens
mais de Hugues.
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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN 249
quer la contradiction, de (aire réfléchir ; c’est ce qui
m’est arrivé et si j'ai davantage creusé la question
des rapports des ducs de Normandie et des rois de
France, je remercie M. Flach de m’y avoir appelé. Des
œuvres comme la sienne posent des problèmes, elles
font faire de nouvelles recherches, elles alimentent
l’activité intellectuelle(1 ), tandis quel’érudition pure
et simple, si utile qu'elle soit, n’aligne jamais que
des faits, résultat précieux d’ailleurs sans lequel
toute synthèse serait impossible. Comme je le disais
en parlant d’une autre grande œuvre, celle de mon
maître et ami Albert Sorel : « Si nous nous défions
trop aujourd'hui des vastes synthèses, ceux-là seuls
pourtant furent des poètes au sens étymologique du
mot, qui les ont osées (2) ».
(1} La grande Histoire de France de Lavisse, malgré les
inévitables défauts d'une œuvre collective, n’est pas seule¬
ment utile au grand public, en lui offrant une histoire natio¬
nale écrite dans un esprit moderne, au courant de tous les
travaux récents ; aux étudiants, en leur donnant de l'excel¬
lente matière ; elle l'est aussi aux professeurs, aux savants en
leur montrant les lacunes, en leur proposant indirectement
des sujets de travaux.
Pour l’histoire du XVI e siècle, M. Imbai\t de la Tour, dans
ses Origines de la France Moderne , a ouvert des perspectives
nouvelles ; nul n'écrira plus l’histoire du XVI e siècle, de la
Réforme, des guerres de Religion, môme dans l’une de nos
provinces, sans s’être rendu familier avec cette belle œuvre
si suggestive et dont l’intérêt croît à chaque volume.
(2) La Normandie, (Coll, des Anthologies), Paris, 1914, in-4°,
p. 92. Parmi les contradicteurs de M. Albert Sorel, certains,
tels que M. Guyot dans la préface de sa remarquable thèse, ou
encore que M. Driault qui, dans un article récent de la Reçue
des Etudes Napoléoniennes, t. VII, p. 8, loue la largeur d’esprit
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250
ETUDE CRITIQUE
La conversion de Rollon et des Normands
au Christianisme
Sur la conversion des Normands au christianisme
qui a été, en somme, l’une des conditons de la paix
et dont il a été souvent question dans les négocia¬
tions préliminaires, Dudon ne nous renseigne guère.
Après que Rollon a pi été l’hommage au roi, celui-ci
se retire, Robert et Francon restent avec le chef nor¬
mand. A la suite d’une apostrophe en vers à Rollon,
le chanoine de Saint-Quentin nous dit simplement :
« L’an de l'incarnation de Noire-Seigneur, 912,
l’archevêque Francon baptisa Rollon, le duc des
Francs. Robert le tint sur les fonts, lui donna son
nom et lui fit de nombreux cadeaux. Rollon fît
baptiser tous ses compagnons et soldats et les fît
instruire dans la foi chrétienne r.
Ces quelques lignes posent au moins deux pro¬
blèmes importants. A quelle date eut lieu cette
conversion et quel archevêque convertit les Nor¬
mands ? Les deux problèmes sont liés.
Le premier est d'une solution facile. Je ne crois
pas que Dudon ait trouvé dans quelque source
normande une indication de date de la conversion
de Rollon, mais il a raisonné ainsi : le 20 juillet 911,
Rollon a été battu à Chartres (ce renseignement lui
était fourni par la Chronique de Sainte-Colombe de
de notre maître, ont su rendre hommage à la profondeur de
son œuvre.
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SUR DUDON DE SA1NT-QLF.STÎN
251
Sens) ; d'autre part, Flodoard dit, qu’après cette
bataille, eut lieu la cession de la Normandie ; le
chanoine de Saint-Quentin a supposé que quelques
mois avaient dû se passer avant qu’on ne se fût
mis d’accord, et il en a conclu que ce n'était pas
avant 912 que les Normands avaient été baptisés.
Son raisonnement parait exact, Rollon est battu le
20 juillet 911; mais, quelques jours après, il reprend
l’offensive, fait une expédition dans le Nivernais.
En admettant comme vrai cet armistice de trois
mois dont parle Dudon, il se peut que les négocia¬
tions aient rempli les derniers mois de l'année 911
et aient abouti au mois de décembre de la même
année. Si, suivant la conjecture de M. Eckel, c’est la
vacance du trône de Lorraine qui a déterminé
Charles le Simple à faire des concessions aux Nor¬
mands, le prince a dû traiter avec eux avant de se
rendre en Lorraine ; il était le 1" janvier 912 à
Metz; le 20 décembre 911 à Cruztiaco (dont l’iden¬
tification est difficile) (1), il avait pris le titre de roi
de Lorraine, il a vraisemblablement conclu la paix
avec les Normands auparavant, c’est à-dire dans les
derniers mois de 911 Et la couversion de Rollon,
qui a suivi, aura eu lieu en 912.
Mais alors se pose uneautie question depuis long¬
temps débattue, l’eut-on admettre avec Dudon que
il} Diplôme pour l’église de Cambrai, H. F., IX, 513, Eckel,
Charles le Simple , p. 97, ne donne pas d’identification, et
Paiusot, op. cil., p. 581, il. 1 dit Croissy, Oise, arr. de Cler¬
mont.
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252
ETUDE CRITIQUE
ce soit Francon qui ait baptisé Rolion? Bien des
systèmes ont été proposés. Beaucoup d’auteurs pen¬
sent qu'il n’y aurait eu là qu'une confusion plus ou
moins volontaire faite par le chanoine de Saint-
Quentin avec l'évêque de Liège (1) qui baptisa
Godfrid suivant Réginon et Folcuin (2). Cette opi¬
nion a été soutenue par Paul Emile (3), pardom Lobi-
neau (4), par Licquet (5), et, enfin, par Dümmler (6).
Qu’elle renferme une grande part de vérité, que
Francon de Liège soit pour beaucoup dans le rôle
que Dudon fait jouer à Francon de Rouen, cela est
très vraisemblable. Mais il semble bien qu'il y ait
eu à cette même époque un Francon, archevêque
de Rouen. Un catalogue des archevêques donne ce
nom, place Franco après Witto et Johannes, et
avant Gunhardus (7) ? En outre, Guillaume de
Jumièges parle incidemment de la mortde Francon :
quo tempore Franco Rothomagensis archirpiscopus
morilur cui succcssit Gunardus (8). Or, il vient de
parler de l’intervention de Guillaume Longue-Epée
(1} Evêque de Liège de 856 au 9 janvier 901 ou 904, PlRENNE,
Histoire de Belgique, I, 406.
(2) Folcuin, Gesta abbatum Lobiensium, M. G. SS., IV, 61.
(3) De rebus geslis Francorum , f n 59.
(4} Histoire de Bretagne, II, col. 77.
(5) Histoire de Normandie, I, 85-88.
(6) Forschungen, VI, 371-373.
(7| Cod. Paris, Bibl. Nat., lat. 1805, cf. Vogel, op. ciï.,p. 393,
n. 1.
(8) Ed. Marx, p. 42.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
253
à Montreuil, qui se produisit en 939 (1). Ainsi Fran-
con serait mort en 939 (2). Mais ce qui nous importe,
c’est de savoir quand il est monté sur le trône
archiépiscopal. Pour M. l’abbé Sauvage, Francon
succède à Guitton en 909 (3) ; il est évident que
l’abbé Sauvage est influencé par Dudon de Saint-
Quentin qui place la conversion des Normands
en 912 et l'attribue à Francon ; Guitton, son prédé¬
cesseur, ne peut mourir avant 909, puisque nous
savons qu'il assiste au synode tenu à Trosly cette
année là (4). Précisément, certains documents nous
représentent Guitton, archevêque de Rouen, comme
ayant été mêlé à cette conversion.
Etudions tous les documents relatifs à la conver¬
sion des Normands de la Seine. Les Annales de
Saint Vaast nous parlent de la conversion d'un chef
(1) Annales de Flodoard, p. 72. Aussi je ne puis com¬
prendre la note de M. Marx: « Gunard, archevêque de Rouen
de 919 à 942 ». Il faudrait lire évidemment de 939 à 942. La
date de la mort de Gunard est donnée par les Annales
Uticenses. Ed. d’Orderic Vital (S. H. F.), t. V. f p. 155 et par
Orderic Vital lui-même, II, 362.
(2) Je ne comprends pas comment Mfl r Fuzet et le chanoine
JOUEN, Liste chronologique des archevêques de. Rouen dans
Comptes , devis et inventaires p. CCXXV, peuvent placer Gon-
thard, successeur de Francon, de 920 à 942 puisque Francon,
d’après Guillaume de Jumièges, est mort en 939. Il est bien
vrai que Flodoard note qu’Hugues le Grand enleva en 931
Braisnes à l’archevêque de Rouen (Ed. Lauer, p. 49), mais
il ne donne pas le nom de l'archevêque alors régnant.
(3) Analecta Dollandiana, VIII, 410-411.
(4) Duchesne, Fastes épiscopaux, II, p. 211.
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Î5i
ETUDE CRITIQUE
nommé Htindeus qui remonte la Seine en 897 :
Charles le Simple le fait venir et le fait baptiser le
jour de Pâques, 27 mars (1). Dès ce temps sans doute
il y eut un projet d’entente avec les Normands ; car
nous voyons que l'archevêque de Reims, Foulques,
le principal partisan du roi Charles, lui écrivit pour
blâmer cet accord ; il dit que s'allier aux païens, c'est
la même chose qu’adorer les idoles (2). Mais cetle œu¬
vre de conversion fut reprise par Hervé, successeur
de Foulques. L 'Hisloria ecclesiœ Remensis de Flodoard
montre que Hervé envoya â l'archevêque de Rouen,
Guitton, 23 chapitres ou textes (3). Hervé avait éga¬
lement écrit au pape, dont la réponse a été con¬
servée (4). Ajoutons que Richer parle, lui aussi, de
la conversion des Normands qu’il attribue à Guitton
et à Hervé (S). Mais aucun de ces documents ne
nomme Rollon ; aucun ne donne une date for
nielle.
Une opinion très hardie a été soutenue par Sir
Henry Howorth (6). Il déclare que le texte de 1 ’His-
toria ecclesiœ Remensis permet de placer ces évé-
(1) * In Cluniaco monaslerio * que M. Eckel, Charles le
Simple, p. 61, a.identifié avec Klingenmunster dans le Pala-
tinat.
(2) M. G. SS., XIII, 565.
(3) H. F., VIII, 163. Ces textes nous ont été conservés, voir
Dom Pommeraye, Sanctœ Rothomagensis ccclesiæ concilia,
Kothomagi, 1677, in-8°, p. 49 sqq.
(4) Dom Pommeraye, p. 47.
(5) Ed. Guadet, I, 710.
(6) Art. cit., Archœologia, XLV, p. 235.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
255
nements en 920, la cession de la Normandie serait
donc bien postérieure à la date qu'on lui attri¬
bue habituellement. Mais cette date ne se dégage
pas du texte de l 'IHstoria ecclcsiœ Remensis ; bien au
contraire, Flodoard parlant de l'œuvre d’Hervé dit
qu’il a travaillé avec énergie à l’apaisement et à la
conversion des Normands, si bien qu’enfin, après la
bataille livrée à Chartres par le comte Robert, ils
reçurent la (oi chrétienne ; certains pays maritimes
leur étant cédés (1), et il ajoute qu’à la demande de
Guitton, le pape envoya une consultation. La bataille
de Chartres étant de 911, c'est bien quelque temps
après qu'eut lieu la conversion.
Une autre question s’est posée. De quel pape
s’agit-il ? La lettre pontificale émane d'un pape
nommé Jean. Mais quel Jean ? Pour les premiers
éditeurs de cette lettre, il s’agissait de Jean IX dont
ils plaçaient le pontificat de 901 à 90a (2) ; il aurait
pu écrire cette lettre à Hervé, qui était archevêque
de Reims, depuis l’an 900. Guitton aurait été arche¬
vêque avant 905, il l’était encore en 909; Françon
lui aurait succédé, aurait achevé la négociation et
aurait baptisé Rollon.
Mais, depuis lors, la critique a modifié les dates
du pontificat de Jean IX ; ce pontificat irait de 898
à 900. On n’est pas d’accord sur le mois dans lequel
(1) H. F., VIII, 163.
(2) Labbé et Cossart, Sacrosancla concilia, Paris 1671,
17 v. in-folio, IX, c. 482.
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256
ETUDE CRITIQUE
Jean IX mourut : mai (1), juillet (2), 30 novem¬
bre (3).
Dans le premier cas il est de toute impossibilité
qu’Hervé ait pu recevoir la lettre de Jean IX, puis¬
que l'arcbevéque n’a été élu que le 6 juillet 900. Si on
admet la date de juillet, cela est encore impossible ;
dans le seul cas où on admettrait la date du 30 no¬
vembre pour la mort du pape, il aurait eu tout le
temps d'écrire à Hervé.
Ainsi, deux solutions sont à envisager : 1° la
lettre est de Jean IX. Alors, elle peut concerner les
Normands de Hundée convertis en 897, puisque le
pape y parle des Normands convertis qui tendent à
retourner au paganisme. Remarquons que Guitton,
archevêque de Rouen, était auprès d’Hervé lorsque
celui-ci lut élu archevêque de Reims ; ils auraient pu
s’entendre sur cette question de la conversion des
païens; 2» si on n’admet pas que le pape Jean IX
soit mort le 30 novembre, la lettre ne peut être de
lui ; elle est alors du pape Jean X, et comme ce pape
est monté sur le trône eu 914, elle ne peut être
antérieure à cette date.
Examinons les capitula envoyés par Hervé à
Guitton et la lettre du pape. Il est remarquable que
(1) Jaffé-Lœwenfeld, Regesta Pontificum romanorum ,
2 e éd. Leipzig, 2 vol., I, 443.
(2) Hékélé, Histoire des Conciles, trad. Delarc Paris, 18 vol.
in-8*, 1871, VI, 143, et Gregorovius, Geschichte der Stadt
Rom, Stuttgart, 8 vol. in-8°, 1870, III, 250.
(3) Roiirbachkr, Histoire universelle de l'Église , Paris, 1865,
29 vol. in-8», t. XII, p. 504.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
257
la consultation d’Hervé à Guitlon porte surtout sur
le cas des païens baptisés qui retournent aux pra¬
tiques païennes. 11 est question de ceux dont le
baptême est douteux, qui ont mangé des viandes
des sacrifices, ou qui, par crainte, suivent les rites
des païens, de ceux qui immolent aux idoles, ou qui
ont pris part à des repas de ce genre, ou encore qui
ont été forcés de sacrifier aux idoles (1). Toutes ces
indications nous donnent l'idée d’une société plus
qu’à demi-païenne, à tout le moins d'une société
où chrétiens et païens vivent côte à côte et où
beaucoup de païens convertis retournent aux pra¬
tiques du paganisme. La lettre du pape précise bien
ce dernier point. Il se réjouit de ce que la nation
des Normands ait été convertie à la foi parla clé¬
mence divine ; jadis elle se plaisait à verser le sang
humain ; maintenant, avec l'aide de Dieu, elle est
rachetée par le sang du Christ II y a lieu de rendre
grâces à Dieu et de le supplier de les confirmer dans
la solidité de la vraie foi, car, précisément, l’arche¬
vêque l’a informé que certains ont été baptisés et
rebaptisés ; ils ont vécu eu païens après le baptême,
égorgé des prêtres ; ils ont mangé la viande des
sacrifices offerts aux idoles. Le pape s’en rapporte à
l'archevêque sur la conduite à tenir. Qu’il veuille
agir doucement avec eux. « votre expérience le
sait assez, il faut les habituer à un joug qui leur
parait insupportable ; soyez vigilant en toutes
choses, afin de venir devant le tribunal éternel avec
(1) C. 9, 12,15, 16...
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ETUDE CRITIQUE
la plus grande récolte d'àmes ». Ne croirait-on pas
entendre le langage tenu par les papes à saint
Boniface lors de la conversion de la Germanie, deux
siècles auparavant? Ce sont bien là les conseils de
prudence que la papauté a toujours donnés en sem¬
blable occurrence.
A qui peut s’appliquer la lettre du pape ? A la
petite bande de Hundée ou à la colonie normande
établie, récemment, sur les bords de la Seine ?
Evidemment, il s’agit d’un groupe assez nombreux ;
le pape se réjouit de cette conversion récente et
encore très précaire. Si la conversion est de 912, la
lettre pontificale peut parfaitement être de l'an¬
née 914.
Remarquons qu’Adémar de Cliabannes, a con¬
servé le souvenir de ce retour des Normands au
paganisme, retour que nous verrons se produire de
nouveau après la mort de Guillaume Longue-Epée.
L'histoire racontée par le chroniqueur poitevin est
en partie vraisemblable. Rollon (Rosus) aurait été
battu par Raoul de Bourgogne à Limoges; plus tard
il se serait fait chrétien, mais au moment de mou¬
rir, il était en démence et il aurait fait mettre à
mort en l’honneur des idoles cent captifs chrétiens,
toutefois il aurait donné aux églises cent livres
d'or en l’honneur du Dieu dont il avait reçu le
baptême (1).
On ne trouve rien de tel dans Dudon sur la mort
de Rollon, mais il est remarquable que le chanoine
(i) M. G. SS., IV, 133.
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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN
259
de Saint-Quentin passe prudemment sur la (in et les
dernières années du chef normand ; il le représente
comme ayant abandonné, à cause de la vieillesse, le
pouvoir à Guillaume Longue Epée. Si l’histoire
racontée par Adémar de Chabannes n’est pas sûre
dans ses détails, vu son origine (1), elle est loin
d’être invraisemblable ; elle correspond parfaite¬
ment à la mentalité d’un païen converti et elle reçoit
une confirmation formelle du texte contemporain
de la Complainte de la mort de Guillaume Longue-
Epée :
Moriente infidèle suo pâtre (2).
Pour conclure, il semble certain que Roi Ion avec
sa bande s’est converti en 912 pour obtenir la cession
de la Normandie, que cette conversion fut l'œuvre
de Guitton, archevêque de Rouen (3) et de Hervé,
archevêque de Reims. Francon n’y a eu aucune
part (4). Nous ne voulons pourtant pas nier son exis-
(1) L'auteur écrivait en Aquitaine au XI e siècle; la victoire
qu'il rapporte a été remportée par Raoul sur les Normands
de la Loire en 930 ; il semble avoir confondu deux événements
distincts. Voir Laukr, Robert I « et Raoul (le Bourgogne,
Paris, 1910, in-S°, p. 59.
|2) Ed. Lauer, p. 320.
(3) Guitton est mentionné dans un acte du 30 septembre 892;
il assiste, nous l’avons vu, en 900, à l’élection de l’arche¬
vêque de Reims, Hervé ; en 909, il assiste au concile de Trosly.
Duchesse, Fastes épiscopaux de VAncienne Gaule, II, p. 211.
On ne sait quand il mourut.
(4) .l’avais conclu dans un sens différent en 1911, dans mon
Essai, p. 192. J'admettais alors que Guitton avait pu com¬
mencer l’œuvre d’évangélisation des Normands, en prenant
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260
ÉTUDE CRITIQUE
tence ; on ne le pourrait faire qu’en supposant une
double interpolation : 1° au catalogue des arche¬
vêques de Rouen ; 2° au texte de Guillaume de
Jumièges. Mais sa présence sur la liste des arche¬
vêques a aidé Dudon à le confondre avec Francon de
Liège, confusion plus ou moins involontaire ; l’apo¬
logiste des chefs normands ne se souciait pas de
nous donner une histoire exacte et de nous rapporter
le retour au paganisme de Rollon et de sa bande.
Néanmoins, Francon a pu jouer un rôle secondaire
dans la conversion des Normands.
L'Établissement des Normands et la
Législation de Rollon
Si Dudon s’est longuement appesanti sur les
campagnes de Rollon, il est très bref sur le règne
même de ce prince et ne lui consacre que cinq para-
les instructions de l’archevêque de Reims et que Francon
l’avait terminée en 912, et aurait baptisé Rollon. Ce système
pouvait se défendre, mais en y réfléchissant je crois décidé¬
ment plus probable que la conversion est l’œuvre d’Hervé et
de Guitton, les documents, en tout cas, ne nous parlent pas
de Francon.
Au cours de cette étude, je reprends toutes les questions
que j'avais examinées, il y a quatre ans ; presque toujours un
examen plus approfondi n’a fait que me confirmer dans ma
première opinion, mais ici je n’hésite pas à venir à l’opinion
qui avait été soutenue par M. Albert Petit. Le Millénaire de
la Normayidie, Le traité de Saint-Clair-sur-Epte , dans la
Revue des Deux-Mondes du 15 mai 1911. M. G. Monod, d'accord
avec moi sur tous les autres points, se rangeait ici à l’avis de
M. Albert Petit (Revue Historique, t. CVH (juillet-août 1911,
p. 401), avec raison je pense.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 2fil
graphes, d'ailleurs bien laconiques sur les choses
les plus essentielles, et bien vides, si on en retire
les légendes.
Il n’est pas difficile, quand on a saisi les procédés
de composition du chanoine de Saint-Quentin, de
comprendre les motifs de cette singulière et si
fâcheuse disproportion. De Rollon, avant la cession
de la Normandie, les Annales n’apprenaient rien à
Dudon, mais il était écrivain de ressources, et avec
des traits qui convenaient à Hériold, à Godfrid, à
Sigfrid, il réussit à faire au premier duc Nor
mand une biographie sortable ; mais voici Rollon
maitre de la Normandie en 911 ; or, par une très
fâcheuse coïncidence, les Annales présentent ici
une lacune complète; les Annales de Sainl-Vaast
s’arrêtent à 900, et celles de Flodoard ne com¬
mencent et n’ont jamais commencé qu’en 919. Le
bon lettré se trouva donc fort eu peine, car il ne lui
était plus possible d'avoir recours à son procédé
familier ; aussi ne s'est-il que péniblement tiré
d’affaire. Un paragraphe (30) est consacré aux dons
de Rollon aux églises. Il est très facile d'en faire
la critique. Dudon a voulu, en attribuant au duc
normand des dons à toutes les églises cathédrales
ou abbatiales alors subsistantes, nous donner l’idée
que Rollon possédait déjà toute la Normandie :
nous avons vu ce qu’il en est ; il est tout à fait
impossible que Rollon ait fait en 911 un don à
Notre-Dame de Bayeux, puisqu’il ne posséda cette
ville qu’en 924, et au Mont Saint-Michel, qu’il ne
posséda jamais.
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ETUDE CRITIQUE
Le partage des terres. — Bien plus intéressant est
le passage relatif au partage des terres: « Rollon,
le huitième jour de sa pénitence, après les sept dons
aux églises, revêtu des vêteineuts du baptême, a
commencé de partager la terre à ses comtes et à
faire des largesses aux fidèles ». Deux lignes plus
loin, Dudon nous dit « que Rollon a divisé la terre
entre ses fidèles, au cordeau ; que ce pays, alors
désert, il l’a remis partout en valeur, en le peuplant
de ses compagnons de guerre et d’étrangers (1) ».
Essayons de bien comprendre quelle a été la
pensée de Dudon. Il a certainement l’idée que
Rollon a divisé la terre entre les comtes, comilibus.
Car, au moment de faire les donations à l'arche¬
vêque Francon, Rollon lui dit qu’il va procéder à
ces donations, avant de diviser la terre entre les
principaux de son armée : anlequam dividatur terra
meis principibus. 11 a donc partagé la terre, orale¬
ment, verbis, à ses comtes, et il a fait des largesses
à ses fidèles (2).
(1) » Cœpit metiri terrant verbis suis comilibus atque largiri
fidelibus... Securitatem omnibus gentibus in sua terra manere
cupientibus fecil. lllam terram suis fidelibus funiculo divisit,
universamque diu deserlam reædificavit, atque de suis mili-
tibus advcnisque gentibus refertam rcstwjcit. • Dudon, éd.
Lair, p. 171.
(2) Selon M. Steenstrup, B. S. A., X, 339, n. 1, et Itidle-
dning, p. 298, n. 1, le mot rerfewn'apas de sens. M. Lagouelle,
dans son très remarquable Essai sur la conception féodale de
la Propriété foncière dans le très ancien droit normand , p. 92,
n. 4, propose de remplacer verbis par vergis, et il voit là une
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
263
Il est très naturel que Rollon ait ainsi fait leur
part aux chefs de farinée ; il a dû donner à chacun
d’eux un château, une ville, le territoire qui en
dépendait : ce fut plus tard un comté. Ainsi la con¬
quête normande n’a pas établi le régime féodal en
Normandie; mais, peu à peu, les Normands accep¬
taient cette conception.
Faut-il entendre que des fiefs ont été distribués
par Rollon à ses fidèles? (1) Les largesses faites aux
fidèles, fiiteUbus largiri , peuvent s’entendre de sim
pies dons en nature (2). Fideles n’implique pas
nécessairement des vassaux, mais comme le dit
allusion à l'arpentage pratiqué h l aide de la perche. Mais
perche se dit pertica ; quant au mot vergée pour indiquer une
mesure de superficie, il se dit virgata, virgeia , vergea et môme
virga (Léopold Delisle: Éludes sur la condition de la classe
agricole et l’état de l’Agriculture en Normandie au moyen âge ,
Paris, 1903, in-8", p. 534). Voilà deux raisons de fait de rejeter
la correction proposée par M. Lagouelle. Je crois, avec mon
regretté maître Guiraud, qu’il faut toujours essayer d’expli¬
quer les textes sans les corriger, sauf erreur évidente. Or, il
n’y a pas de variantes dans les manuscrits. Je pense que
Dudon a voulu dire que verbalement, verbis , Rollon a attribué
les principales terres à ses comtes (nous n'avons pas de
chartes de ce prince). — Verbis et funiculo s’opposent : à ses
comtes, il a donné la terre par parole ; à ses fidèles, il a divisé
la terre funiculo, par le sort ou au cordeau, suivant que l'on
adoptera l’une ou l’autre interprétation, qui, d'ailleurs, ne
s'excluent pas : on peut tirer au sort des parts que l’on a
d'abord divisées au moyen de l’arpentage au cordeau.
(1) Voir sur cette question notre livre 111.
(2) Wace et Benoit de Saint-More ont compris que Rollon
distribua de véritables fiefs, mais ils ont pu transporter au
IX* siècle ce qu'ils voyaient de leur temps.
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26i
ÉTUDE CRITIQUE
justement M. Lagouêlle (lj, il y a maintenant les
éléments de la concession vassalique, si ces éléments
ne sont pas encore arrivés à maturité la conception
ne tardera pas à s’imposer. Plus loin, Dudon dit que
Rollon assura la sécurité à tous ceux qui s’établis¬
saient sur sa terre, qu’il divisa ensuite cette terre
entre ses fidèles, au cordeau. M. Steenstrup ne peut
pas admettre que l’on ait arpenté au cordeau toute
la Normandie (2). M. Lagouêlle, avec tous les auteurs
qui se sont occupés jadis de cette question (3), croit
qu'il y a eu réellement arpentage, toutefois il ne
croit pas non plus qu’il s’agisse d’uue division de
tout le territoire par bandes égales, mais plutôt de
(1) M. Lagouelle, op. cit., p. 98, ne croit pas à l'introduction
immédiate du régime féodal, mais Waitz, art. cit., Kahl von
Amira, art. cit., avaient soutenu cette thèse. Cela se peut
discuter et est à peu près insoluble. 11 y a eu sans doute
une rapide évolution vers le régime féodal.
(2) Il propose ingénieusement et savamment, comme tou¬
jours, de traduire funiculo divisit par il tira la terre au sort,
funiculum ayant le sens de sort, tirage au sort dans la tra¬
duction latine de l'Ancien Testament, dont le style de Dudon
est souvent imprégné. M. Storm, op. cit., p. 132, nie la possi¬
bilité de cette interprétation. Sans doute dans un autre pas¬
sage, comme l'a remarqué M. Steenstrup lorsque Rollon fait
prêter hommage par les grands à son fils Guillaume, Dudon
lui fait dire : Vos quoque terra quam sorte dedi vobis, non
frustrabil (Ed. Lair, p. 182). La terre que je vous ai donnée
par le sort il ne vous l'enlèvera pas, mais les deux explica¬
tions ne s’excluent pas. M. Flach, II, p. 76, a également
compris l’opération de cette manière. « En Normandie, Rollon
partage la terre au cordeau ou au sort entre ses compagnons ».
(3) Steenstrup, B. S. A., X, 339, remarque que Sulm,
Depping, A. Thierry, Licquet, Munch, Worsaae, Waitz ont
interprété ce passage de cette manière.
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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN
265
la division d’un grand domaine, d’une villa. Je suis
de cet avis et je crois même que l’on peut préciser
l’explication de M. Eagouêlle, en la rapprochant du
passage suivant de Dudon où il dit que le chef
normand repeupla le pays et qu’il y attira avec ses
soldats des étrangers sur des terres désertes. Evi¬
demment Rollon établit ses soldats et des hôtes
appelés de toutes parts sur les domaines aban¬
donnés, et il les leur divisa sans doute au cordeau,
suivant le mode en usage parmi les peuples du Nord,
pour le partage des communautés rurales et que
notent plus tard 1a loi d’Erik et la coutume de
Shonen : ainsi se fondèrent ces villages dont la terre
était distribuée en parties égales, et qui, parmi les
Normands de Scandinavie, s'appelaient bôl, mot qui
a conservé ce sens en Normandie, les [jmgs boels ;
d’où, par déformation, les Baux, mot qui sert à
désigner bien des villages normands fondés à une
époque ultérieure dans de pareilles conditions : les
Baux Sainte Croix-des-Ventes, les Baux de Bre-
teuil (1).
Cette explication est d'autant plus vraisemblable
que Rollon a gardé pour lui une partie du territoire
de la Normandie, il n’a pas tout partagé entre ses
comtes. A l’époque de Guillaume le Conquérant, le
domaine ducal, qui a déjà subi bien des démembre¬
ments, nous apparaît encore comme très étendu. Il
est possible que Rollon se soit réservé, pour les parta¬
ger aux soldats, sinon l'ancien domaine des Caro-
(1) L. Delisle, op . cil., p. 396.
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îfifi
ETUDE CRITIQUE
lingiens, du moins les domaines abandonnés. C’est
celte colonisation Scandinave dans des terres désertes
qui pourrait expliquer le très grand nombre de
noms de lieu qui, dans le pays de Caux, ont une
physionomie germanique (1), j’entends, Scandinave.
C’est, entre Yvetot et Le Havre que se trouvent le
plus grand nombre de ces noms de lieu. Dudon
peut donc avoir eu connaissance des opérations de
mesurage, de tirage au sort, effectuées dans le pays
de Caux, le premier colonisé.
Les lois de Rollon. — Dudon, dans la suite du
chapitre extrêmement confus qu’il a consacré à
l’administration de Rollon en Normandie, où il parait
(1) Depping, op. rit., 2 e éd., p. 450, mon Essai, p. 256 et
M. SlON, Les Paysans de la Normandie orientale, Paris, 1908,
in-8°, p. 498. Celui-ci remarque qu'au XIII e siècle, des lois
Scandinaves règlent l'occupation du sol par les communautés
rurales ... « Chaque paysan reçoit en toute propriété un coin
de terre » ; pour égaliser les lots * on procéda par des
« partages au cordeau ». Tout habitant disposait, pour bâtir
sa maison, d'un espace appelé lopt ou tomt (le tôt de la
toponymie cauchoise) ». Tomt veut dire aujourd’hui encore
terrain, emplacement. Des villages de ce genre se trouvaient
dans tout le Danemark, le sud de la Suède, la Dalécarlie et
dans toutes les plaines et vallées de la Norvège méridionale.
Après Mkitzen, M. Sion a recherché dans la disposition du
village normand d'aujourd'hui des traces du village normand
d'autrefois ; et il s'est efforcé de déterminer le pays originaire
des colons, ses recherches ont eu un résultat négatif. • Il
semble, dit-il, que si les Normands ont commencé de bâtir
près d'Yvetot des villages du type danois, ils ont ensuite
renoncé à suivre ce plan pour profiter des avantages de la
dispersion ». Ce qui a dominé, c’est comme dans une grande
partie de la Norvège, les bâtiments isolés.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
267
avoir jeté les idées pèle mêle, ajoute que ce prince a
donné au peuple un droit et des lois sanctionnées et
arrêtées par la volonté des chefs. Un peu plus loin,
après une phrase consacrée aux expéditions contre
les Bretons rebelles, il ajoute qu'il mit sur les terres
de sa dépendance le ban, l'interdiction, c’est-à-dire
la défense qu’il y eût sur sa terre aucun voleur ou
larron et que personne leur prêtât assistance. Entiu,
il interdit que chacun rapportât à sa maison le soc
de la charrue, on devait le laisser aux champs avec
la charrue elle même, et nul homme ne devait met¬
tre de garde auprès de son cheval, de son âne et de
son bœuf. Suit l’histoire de la paysanne déliante qui
a caché la charrue de son mari parce que celui-ci,
conformément aux lois, n'a pas voulu la mettre à
l'abri.
Il y a évidemment trois choses à distinguer dans
ce texte, une indication générale sur la législation
de Rollon, des renseignements sur les règlements
de police de ce prince, et une légende. On a vu
quelquefois dans Rollon le législateur de la Nor¬
mandie; pour un peu, on lui attribuerait la Coutume
de Normandie, qui n'a été rédigée, à notre connais¬
sance, qu’au Xll 0 siècle, et qui, comme toutes les
coutumes, s'est formée au cours des temps par
un amalgame de règles, d’usages, de traditions,
où domine le droit franc et où M. Steenstrup re¬
connaît que le droit Scandinave a peu de part (1).
(1) Bull. Anliq., X, p. 375. Laferrièhe, Histoire du droit
français, Paris, 1852-Ô8, 6 vol. in-8", t. III, p. Î15, et V, p. 627,
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268
ETUDE CRITIQUE
Cependant, M. Sleenstrup croit aussi qu'il y a eu
des lois de Rollon, et ces lois, il croit les reconnaître
dans les lois de Frode dont nous parle Saxo Gram-
maticus. Le vieil annaliste danois rapporte dans un
de ses livres qu’un roi Frode, qui a soumis la Suède,
la Norvège, les côtes de la Baltique, est l'auteur
d’une législation dont il indique les principales dis¬
positions (I). M. Steenstrup, particulièrement com¬
pétent dans ces questions juridiques, a étudié en
détail cette législation, il a essayé d'en déterminer
le caractère, il s'est eflorcé de montrer que cette
législation est une sorte de code militaire, qu’elle
est destinée à un peuple en armes; qu'en un mot,
ces lois ont été « (ailes pour l'armée des vikings à
l’étranger (2) ». Remarquons que Frode a donné des
lois particulières à la Norvège. Dans ces lois de
Frode, il y a une disposition qui promet de rendre
la valeur de la chose perdue, mais il est défendu de
serrer quelque chose sous clef ; il est remarquable
que Rollon défend de garder en plein champ les
objets susceptibles de vol ; si ce n’est pas tout à fait
la même chose, il y a cependant analogie. M. Steens¬
trup dit que selon les lois de Rollon, le recéleur
soutient que les Normands ont introduit dans la province des
institutions Scandinaves. Glasson, Histoire du droit et des
institutions de l’Angleterre, Paris, 1882-83, 6 vol. in-8®, t. I
et II, passim., s’est élevé contre cette idée. La question n’est
pas mûre, nous ne connaissons assez ni le droit Scandinave
primitif, ni le droit normand avant le XII* siècle pour pouvoir
faire des comparaisons utiles.
(1) Ed. Hôlder, pp. 152-153.
(2) B. S. A., X, p. 355.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
26a
était puni du même châtiment que le voleur. Il fait
allusion au passage de Dudon où il est dit que l'on
ne doit prêter aucune aide au voleur: cette loi se
retrouve dans le paragraphe 6 des lois norvégiennes
de Frode (1). Rollon fait pendre le larron et le recé-
leur, puisqu’il fait pendre la femme et son mari qui
ne l'a pas dénoncée. Cette disposition est encore une
des règles du roi Frode ; seulement, elle ne se
trouve pas parmi les lois de l’armée, mais parmi
celles qu’il donna en Norvège. Ainsi, dit M. Steens-
trup, les lois de Rollon sont analogues aux lois du
roi Frode; nous ajouterons: analogues aux lois du
roi Frode pour la Norvège, et, tout en adoptant la
conclusion de M. Steenstrup, nous en tirons cette
autre conclusion qu’il n’a pas dégagée — on com¬
prend pourquoi, — c'est que les lois importées par
Rollon ressemblent à une législation en usage en
Norvège (laissons de côté le roi Frode, personnage
légendaire). Et voilà une indication très précieuse
et qui nous confirme dans notre hypothèse de l’ori¬
gine norvégienne de Rollon (2).
Dudon de Saint-Quentin conclut que Rollon a fait
régner l’ordre et la paix en Normandie : ce dut être
en eflet son principal souci de faire respecter la
propriété, la vie, l'honneur de ses nouveaux sujets
(1) Id., p. 380.
(2) M. Lagouelle, op. cil., p. 102, croit que a la législation
de Rollon s’est bornée a quelques règlements de police ou
d’administration destinés à la protection de l’agriculture. »
Cette hypothèse n'exclut pas celle de M. Steenstrup qui est
beaucoup plus intéressante.
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570
ETUDE CRITIQUE
par ces vikings habitués au pillage. 11 est remar¬
quable que certaines des lois de Frode, rapportées
par Saxo Grammaticus, se retrouvent dans les dis
positions prises par Guillaume le Conquérant en
Angleterre, par exemple l'article 8 des lois du roi
Frode, qui punit la violence exercée contre une
femme, la disposition de la loi sur le ran , rapine.
Enfin, la fameuse loi d’anglaiserie, qui rendait le
village anglo-saxon responsable du meurtre d'un
Normand, présente une analogie avec le paragra¬
phe 15 des lois de Frode, qui veut que le meurtre
d’un Danois soit puni de la mort de deux étran¬
gers (1). Rollon fit respecter sans doute l’ordre
établi, aussi bien par les habitants du pays conquis,
que par les colons ou les Scandinaves. Et celte
tradition commune â tous les conquérants, elle a
été traduite par une autre légende bien connue.
Rollon, pendant une partie de chasse, se repose
avec sa suite près d’une mare, non loin de Rouen ;
pour éprouver la probité des paysans, ses compa¬
gnons suspendent aux chênes des anneaux d'or
qui y restèrent trois années. Le lieu était encore
appelé Routnare, mare de Rou, de Rollon, au temps
de Guillaume (2). Cette légende se retrouve un peu
partout : dans l’histoire d’Alfred le Grand (Chro¬
nique anglo-saxonne), dans l'histoire d'Ædwin de
(1) Voir Steenstrup, op. cil., passim.
(2) Guillaume de Jumièges, livre II, c. 20, éd. Duchesne, p. 232.
Elle a disparu de l’édition Marx, sans que l'éditeur nous en ait
avertis. Elle était sans doute le résultat d’une interpolation.
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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN
271
Norlhumberland racontée par Bède, plus ancien¬
nement encore dans l’histoire de Théodoric, roi
des Ostrogotlis et conquérant de l’Italie, le Dietrich
de Bern (Vérone) de la légende. Etant donnés les
rapports de l'Angleterre avec les pays Scandinaves
et la Normandie, la légende a pu en être importée;
elle pourrait même être une réminiscence de la
légende de Dietrich de Bern qui a été connue en
Scandinavie (1). M. Steeustrup s’efforce de démon¬
trer que c’est de Danemark qu’elle a été importée
en Normandie, mais elle a tout aussi bien pu
venir de Norvège, où on la trouve fixée dès le
milieu du XIII 0 siècle, et aux lies Féroë où passa
Ganger Rolf. Selon Saxo Grammaticus, Frode a sus¬
pendu un anneau d’or à un rocher de Norvège, nommé
plus tard le rocher de Frode (2). il yen avait un autre
dansla provincedeVilcen. Ainsi nous relevons encore
ici des indices qui nous font de plus eu plus pen¬
cher vers le Rollon norvégien. Ajoutons que les témoi¬
gnages concordants de Glaber et de Guillaume de
Poitiers montrent que dans cette société de vikings
une police rude amena une répression rapide du
brigandage (3).
(1) M. Pineau, dans son remarquable ouvrage déjà cité,
p. 341, dit que la légende de Dietrich se trouve fixée par
l'écriture dès le milieu du XIII" siècle, dans la Thidrikssaga
norvégienne, et qu’elle revit de nos jours dans les chants
populaires de la Suède, du Danemark et des îles Féroë.
(2) Ed. IIolder, p. 164. Voir B. S. A., X, 383.
(3) Raoul Glaber, éd. Prou, p. 20, et Gesta Willelmi ducis
Normaimurum , éd. Giles, Londres, 1845, in-8°, p. 80. On a
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272
ETUDE CRITIQUE
Cette législation a été sanctionnée par les chefs.
Dudon, ici comme en bien d’autres passages, nous
conserve le souvenir d’un Etat oü les chefs au moins
sont associés au gouvernement (1), où il y a une
assemblée délibérante, quelque chose d'analogue au
Thing norvégien ou danois, à l’Althing islandais.
On voit combien il est intéressant d'étudier de
près ces lignes, si obscures à première vue, de
Dudon ; elles sont chez lui des réminiscences con¬
fuses d’une société qu’il n’a pas connue, de choses
que Raoul d’fvry peut être lui a racontées, qu’il n’a
pas très bien comprises, mais nous y pouvons
retrouver le souvenir chez les hommes du XI" siècle
du premier établissement des Normands, les traces,
sinon de leurs institutions politiques et sociales, du
moins de leurs tendances propres.
Les dernières années et la mort de Rollon
Après ces trop courts paragraphes sur la législation
de Rollon, le chanoine de Saint Quentin raconte une
histoire bizarre dont on ne peut dire qu’elle soit
quelquefois attribué à Rollon la clameur de haro, disposition
particulière de la coutume de Normandie, c’est la clameur,
l’appel en cas de violence, on y a vu une interjection. Ua-Rou !
Voir là dessus, Depping, op. cit., 2« éd., p. 427. Guillouard,
De l’origine de la clameur de haro (Mém. S. A., t. XXVIII).
Glasson, Etude historique sur la clameur de haro, Paris,
1882, qui ont montré que la clameur est bien antérieure à
Rollon.
(1) • Leges sempitemas voluntate principum sancitas *. Ed.
LAIR, p. 171.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
273
légendaire, mais qui a bien l’air d'êlre sortie toute
entière de son imagination. Le roi Charles le Simple
envoie deux émissaires à sa fille Gisèle, celle ci les
cache ; les Normands les dénoncent et Rollon les
fait mettre à mort. De cet épisode ne retenons qu'un
mot des chefs normands: ils disent: « Itullonemeam
non cognovisse marilali lege »; plus loin, il est ques¬
tion de la mort de Gisèle. Par là, Dudon nous
avertit lui-même de l'invraisemblance du mariage
de Gisèle et de Rollon.
Cependant le duc Robert, qui sait que la paix est
menacée, entre en guerre avec le roi et demande
l'appui de Robert de Rouen, c'est à dire de Rollon ;
celui-ci le lui refuse. Ce qui arriva entre Charles et
Robert, Dudon ne le raconte pas, parce que cela est
rapporté ailleurs, c'est la bataille de Soissons (f). Il
y a évidemment là une réminiscence des luttes entre
Charles et Robert. Quant à Rollon, il aurait fait
recounaitre son fils Guillaume par les chefs nor¬
mands; Dacorum Britonumque principibus, puis il
aurait vécu un lustre encore, ne pouvant plus monter
à cheval, souvenir et explication du Ganger Rolf
de la Saga qui lui, ne peut aller à cheval sur les
petits chevaux norvégiens ou écossais parce que ses
jambes sont trop longues. Le chef normand rend
son âme au Christ : autre invraisemblance, si on
admet le récit d’Adémar de Chabannes.
Essayons maintenant de nous représenter sans le
secours de Dudou, ce qui s’est passé en Normandie
(1) Annales de Flodoard, p. 13.
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ETUDE CRITIQUE
de 9H à la mort de Rollou. Demandons-nous aussi
à quelle date mourut Rollon, ce que Dudon ne nous
dit pas d’une façon exacte et ceci montre encore
qu’il n’a pas de renseignement personnel en dehors
de Flodoard qui ne mentionne pas celte mort.
Les événements du règne de Rollon, de 911 à 923,
nous sont inconnus. Avant 919, les Annales de
Flodoard nous font défaut ; de 919 à 923, Flodoard
ne parle pas des Normands. Peut être ceux-ci se
tenaient-ils tranquilles à ce moment là ? 11 se peut
que ce soit la guerre entre Charles le Simple et les
grands vassaux révoltés qui ait été l'occasion de
leur rentrée en campagne.
En 922, les grands, laïques et ecclésiastiques, réu
nis à Reims, élisent roi Robert, duc de France (1).
Ce fut le point de départ de la guerre. Flodoard et
Richer nous racontent la bataille de Soissons, où
Robert périt. Les grands s’adressèrent alors à Raoul,
duc de Bourgogne, dont ils firent un roi, et Charles
ht appel aux Normands. Un certain nombre de
Normands de la Seine se joignant aux Normands
de la Loire vinrent sur les bords de l’Oise pour
porter secours à Charles. Raoul les arrêta ; pour
les punir d’avoir ravagé le Beauvaisis, il franchit
l’Epte et entra en Normandie, la dévasta par le 1er
et le feu. Les Normands, à leur tour, envahirent
de nouveau les territoires au delà de l’Oise, on leur
envoya de nombreuses ambassades; ils promirent
enfin la paix à Séulfe, archevêque de Reims et à
(1) Eckel, op. cil., p. 119.
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SUR DUDON PE SAINT-QUENTIN
275
Herbert, comte de Vermandois, si on voulait leur
laisser le pays au delà de la Seine (1). Probablement
aussi on leur donna de l’argent, car, en 924, on leva
un impôt spécial (2) ; puis le roi leur abandonna le
Bessin et le Maine (3).
En 925, les Normands de Rouen (Nortmanni de
Rodomo ), rompant la paix, envahissent le Beauvaisis,
ravagent l’Amiénois, brûlent Amiens, s’avancent
jusqu'à Noyou où ils sont repoussés par la garnison
du château et la population des faubourgs (4). Pen¬
dant ce temps-là les Bajocasses (5) ravagent le pays
normand au delà de la Seine, c’est-à-dire le pays
entre la Seine et la Dive, limite de la Normandie
de 911 à 924; les Bajocasses ne veuleut donc pas
reconnaître la domination normande (G). Puis les
(1) Flodoard, Annales , p. 17.
(2) Ibid., p. 19.
(3) Ibid., p. 24.
(4) Ibid., p. 30.
(5) M. Eckel, op. cit., p. 77, n. 4, se demande s’il ne faudrait
pas corriger Bajoccnses par Belvacenses. Mais le récit de
Flodoard est des plus clairs : les Bajocasses envahissent le
pays des Normands, ultra Sequanam, nu delà de la Seine,
c’est-à-dire, situé, pour lui, Flodoard qui est à Reims, à
l’ouest de la Seine, tandis que les Parisiens et Hugues enva¬
hissent le pays, cis Sequanam, en deçà de la Seine, c’est-à-
dire, comme le contexte l’indique, le diocèse de Rouen.
(6) Qu’est-ce que ces Bajocasses ? Les savants, qui tiennent
pour la continuité de l’élément saxon à Bayeux du III e au
XI e siècle, diront : des Saxons. On pourrait, en s'appuyant sur
un rapprochement avec le texte de Guillanme de Jumièges,
qui nous montre Hagrold, chef Scandinave, s’établissant dans
ces pays sous Guillaume Longue-Epée, dire que c’étaient les
Normands établis à Bayeux, qui s’opposeraient ainsi aux
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276
ETUDE CRITIQUE
Parisiens se mettent de la partie et avec les fidèles de
Hugues, fils de Robert, et les garnisons de quelques
châteaux, ils envahissent la partie du pays de Rouen
qui se trouve en deçà de la Seine, la ravagent,
brûlant les villages, enlevant les troupeaux el tuant
quelques habitants. Les Normands qui ont envahi
le Beauvaisis, se décident alors à rentrer chez eux.
Mais la même année, Herbert, à la tête de troupes
franques des pays maritimes, avec les contingents
de l’église de Reims et Arnoul de Flandre, attaque
la partie orientale de la Normandie; il vient assiéger
Eu, et Rollon est obligé d'envoyer de Rouen mille
hommes pour renforcer la garnison de la place.
Les Francs franchissent le retranchement exté¬
rieur, ils arrivent jusqu’à la muraille, s’emparent de
la place, en massacrent la garnison et mettent le feu
au château. Quelques Normands s’échappent et se
réfugient dans une lie voisine. Les Francs s’en
emparent après un certain temps ; au moment où ils
vont être pris, les Normands essaient de s’échapper
à la nage, quelques-uns sont égorgés en arrivant à
la rive, d'autres, criblés de flèches (1).
Ici se pose la question de savoir quand est mort
Rollon. Certainement Richer, en lisant ce récit dans
Normands de Rouen : Nortmanni de Rodomo, dont parle
Flodoard plus haut. Peut-être Flodoard dit-il Dajocenses, les gens
du Bessin, comme il dit plus loin, Parisii , les gens de Paris.
(1) Flodoard: Annales, p. 31. Remarquons que Flodoard, si
laconique d'habitude, donne, sur cet événement, des détails
précis, ce qui s’explique, puisque les contingents de l’église
de Reims font partie de l'expédition.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
277
Flodoard, auquel il dut beaucoup, il le dit lui-même,
a cru que Rollon avait été tué à Eu, car il a intitulé le
chapitre qu’il consacre à la prise de cette ville : Rollo-
nis pyralœ intérims ; puis il a raconté la mort de
Rollon en une ligne : « Oppidoque potili , Ilollonem
or.ulis effusis, suggillant ». Il a ensuite barré ces mots
sur son manuscrit (1). Sans doute il avait lu d’abord
distraitement le texte de Flodoard, et il en avait con¬
clu que Rollon était au siège d’Eu et que tous les
Normands qui s’y trouvaient ayant été égorgés, Rol¬
lon avait aussi trouvé la mort dans ce siège. Richer,
en relisant Flodoard, s’aperçut que le texte ne disait
pas que Rollon était à Eu, mais qu’il y avait envoyé
des renforts, et il biffa ce passage sans modifier le
titre du chapitre.
Mais quand est mort Rollon ? Dudon ne donne
pas de date. Les Annales lllicenses( 2) et la Chronique de
Rouen le font mourir en 917 (3), Hugues de Fleury et
la Chronique de Tours en 922(4), Aubri des Trois-
Fontaines eu 928 (3). Sauf la dernière, toutes ces
dates sont manifestement fausses ; car Rollon vivait
encore en 928. Flodoard note qu’en 927, Charles eut,
à Eu, une entrevue avec les Normands, à laquelle
(i| Ed. S. H. F., I, 06.
(2) S. H. F., V. p. 155.
(3) H. F., IX, 88.
(4) C’est du moins la date que l'on peut tirer de ce rensei¬
gnement que Rollon serait mort dans la XII* année de son
gouvernement. H. F., IX, 51.
(5) H. F., IX, 65.
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ETUDE CRITIQUE
Herbert étant présent, le fils de Rollon prêta l’hom¬
mage à Charles (1).
En 928, Flodoard nous dit que Rollon tient en
gage le fils d’Herbert et il ne veut pas le rendre à
son père avant que celui-ci ne se soit recommandé
et n’ait prêté l’hommage au roi Charles |2). Rollon
restait donc fidèle au Carolingien et Dudon est exact
sur ce point. Mais on n’entend plus parler de lui
dans la suite. Quant au lustre qui, suivant Dudon,
s’écoule entre le moment où Rollon a fait recon¬
naître son fils et la date exacte de la mort, il est
probable qu’il faut l’expliquer par les deux serments
que Guillaume a prêtés, l'un en 927 à Charles,
l’autre en 933 à Raoul. Dudon travaille toujours
d'après Flodoard et il ignore comme nous, Flodoard
ne l’ayant pas dit, la date exacte de la mort de
Rollon, dont on peut dire seulement qu'elle est
postérieure à 928.
*
(1) Flodoard, Annales, p. 39. Si nous nous rappelons que
selon Dudon, après avoir présenté Guillaume, fils de Popa,
aux chefs normands, Rollon aurait encore vécu un lustre,
cinq ans, il est évident que nous tenons l'explication de la
date 917 des Annales Uticenses; le rédacteurs compté un
lustre à partir de 912. M. Lair, lui, concluait que Rollon était
mort en 932, un lustre après 927. Ed. Dudon, pp. 173-174.
(2) Annale s, p. 41.
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SUR DUDON DE SAIXT-QUEXTIN
279
LE TROISIÈME LIVRE
GUILLAUME LONGUE-ÉPÉE
La révolte des Bretons. — Après des pièces de vers
où s'exercent la science métrique et la verve latine
du doyen, Dudon, revenant à la prose, annonce en
uu prologue l'objet de son nouveau livre et, dès les
premiers mots, il montre en quel esprit il va le
traiter : Guillaume Longue Epée est comparé aux
martyrs, c’est le Normand chrétien. Et tout de suite
aussi nous voyons quelle a été la principale source
où l’auteur a puisé son inspiration, la Complainte
de la mort de Longue-Epée.
Les premiers paragraphes ne méritent pas de
nous retenir longtemps. Dudon répète, sans rien
ajouter de bien nouveau, ce qu'il a dit au livre 11
des origines de Guillaume Longue Epée; pâtre üaco,
maire Francigena ; ceci fait penser à l’opposition que
met précisément la Complainte entre le père païen
et la mère chrétienne du second duc normand.
Dudon remplace païen par Dams, chrétienne par
franque, et voilà même probablement l’origine de
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280
ÉTUDE CRITIQUE
l’histoire de Popa. Dudon, sachant que la mère de
Guillaume était chrétienne, s'est imaginé qu’elle
était franque ; remarquons-le bien, c’est une sup¬
position que tout historien eût faite à sa place ;
or, la mère de Guillaume était vraisemblablement
écossaise, comme nous l'avons vu ; niais Dudon fait
naître le duc à Rouen : ce qui est en contradiction
avec le renseignement précis de la Complainte qu’il
est né outre mer, Dudon ajoute queRollon l’a confié
à Bothon pour le faire baptiser. Qui est-ce Bothon ?
Est ce le même personnage dont se sont emparés les
Bajocasses lors de la campagne de Rollon dans le
Bessin ? C’est un nom franc et il se pourrait fort bien
d’ailleurs que le jeune Guillaume, baptisé, ait été
confié à un Franc chrétien de préférence à un Nor¬
mand d’un christianisme récent et douteux.
Le chanoine trace ensuite du prince un portrait
très séduisant, tant au point de vue physique que
moral ; nous sommes démunis de tout moyen de
contrôle. Et après une apostrophe à Guillaume, tou¬
jours inspirée de la Complainte, il nous raconte de
nouveau, mais plus longuement, son association au
pouvoir. Ce lui est surtout un prétexte pour faire
intervenir en cette cérémonie les comtes Bérenger
et Alain avec tous les chefs bretons et normands ;
il veut ainsi bien mettre en lumière ce fait que la
Bretagne et la Normandie auraient été confondues
sous la même domination. Alors que dans le livre II
il faisait la distinction entre la Normandie donnée
en toute propriété, in alodo et in fundo, et la Bre¬
tagne, qui était donnée à Rollon comme terre à
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 281
piller, de qua posset vivere , il confond ici volontaire¬
ment les deux pays et il répétera constamment cette
confusion.
Cette reprise d’événements déjà racontés peut
s’expliquer par le désir de faire une œuvre de lon¬
gue haleine digne des ré ompenses ducales, mais
le bon chroniqueur tire-t-il simplement à la ligne?
Ne serait-ce pas à la prière des ducs qu’il arrange¬
rait cette histoire pour affirmer leurs droits sur la
Bretagne? Il se pourrait bien que le livre III ait été
composé longtemps après le livreII et à un moment
où le duc Richard II avait précisément des préten¬
tions sur la Bretagne. Quant à sa façon de présenter
les choses, elle est manifestement fausse et M. de la
Borderie l’a très bien montré (1).
Au reste, voici le récit de Dudon : les Bretons se
révoltent, ils envoient des émissaires au duc pour
déclarer qu’ils ne le serviront plus. Guillaume con¬
voque les grands; Bernard, son secrétaire, Bothon,
chef de la milice, racontent pour justifier la pré¬
tention des ducs normands toute l’histoire de Rollon.
Guillaume alors se décide à envahir la Bretagne;
il franchit le Couesnon (2). Ce fleuve était bien la
limite de la Normandie au temps de Dudon, mais
non pas au début du règne de Guillaume. Les Bre¬
tons se cachent, Guillaume occupe toute la terre
(1) Op. cit., t. H, pp. 373-383 et app., Les fables de Dudon de
Saint-Quentm, pp. 496-504.
(2) P. 185. Lair a imprimé • ivitque super fluvium Coysnon,
Britonum (sic) dominaturus ». Il me semble qu'il faut lire
ivitque super fluvium Coysnon Britonum, dominaturus.
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282
ÉTUDE CRITIQUE
des Bretons, terram Dritonum. Puis il rentre à Rouen
et les Bretons se révoltent et s’emparent du Bessin.
Guillaume revient avec son armée, leur livre bataille,
tue leurs chefs, dévaste leur pays. Alors Bérenger
et Alain se décident à se soumettre. Alain abdique
et se retire eu Bretagne auprès d’Athelstan.
Pourquoi Dudon représente-t-il toujours la Bre¬
tagne par ces deux chefs, Alain et Bérenger ? C’est
qu’il les trouve tous deux dans Flodoard. C’est aussi
à Flodoard qu’il a pris ce détail, qu'Alain s’était
réfugié auprès d’Allielstan, mais ce qu'il ne dit pas
et ne sait pas, c’est qu'Alain était un enfant lorsqu’il
se réfugia à la cour de son parrain Atbelstan, qui
n’était pas encore roi et qu'il y a été mené par son
père, Matuédoi, comte de Polier (I). On voit combien
Alain était alors hors d’état de se révolter contre le
duc normand Guillaume, d’autant plus qu’il partit
vraisemblablement en 919, ou auparavant, à une
date où Guillaume n'était pas duc (2).
M. Lair a entrepris de justifier Dudon en le
rapprochant de Flodoard (3). Nous ne perdrons pas
(1) Dont le nom ne se trouve pas dans Flodoard, mais se
trouve dans la Chronique de Nantes , éd. Merlet, p. 82.
(2) Ceci a échappé à Licquet, op. cil., 1,107, qui accepte
sur ce point le récit de Dudon.
(3) « Qui au reste, dit-il, n’est pas plus impeccable que les
auteurs de son temps « et à qui il reproche de n’avoir rien
dit du départ d'Alain Ilarbetorte et de Matuédoi. Mais il se
peut que ces événements se soient passés avant le début
même des Annales , qu’ils soient de 918 ; puis, Flodoard, s’il
est exact, est laconique. M. Lair, qui reproche à Flodoard son
inexactitude, place en 927 l'hommage d'Alain et de Bérenger
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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN
283
notre temps à réfuter toute sa spécieuse argumen¬
tation ; on ne pourrait lui donner raison que sur un
point : il est certain que les Normands de la Loire
ne furent pas les seuls à ravager la Bretagne et que
les Normands de la Seine y ont eu leur part, mais
quant à sa prétention de confirmer Dudon par Flo-
doard, nous allons voir ce qu’il en est. Il n’y a qu’à
confronter le texte de Dudon avec les Annales sèches
et précises de Flodoard pour faire éclater la fausseté
du récit de l’apologiste des ducs. Dès le début de son
œuvre, 919, Flodoard nous représente les Normands
comme maîtres de la Bretagne, omnem Britanniam in
Cornu Gallice, in ora scilicet maritima sitam (t), il veut
dire évidemment par là la Bretagne française par
opposition à la Bretagne qu’il n’était pas encore
d'usage d’appeler l’Angleterre ou la Grande Breta
gne(2). En 921, le comte Robert abandonne aux Nor¬
mands cette Bretagne qu’ils ont ravagée et le comté
de Nantes (3). Dix ans après, les Bretons se soulè¬
vent et, aux fêtes de la Saint-Michel, ils tuent tous
à Guillaume, alors qu’à cette date Alain était en Angleterre
(éd. de Dudon, pp. 68-70).
(t) Ed. Lauer, p. 1.
(2) Cette explication qui n‘a jamais été donnée me parait
bien rendre le sens exact de Brilannia chez Flodoard, elle est
la Bretagne qui est en Gaute, à la corne de ta Gaule ; qui est
une presqu’île, in ora maritima, et le terme omnem exclut
l'hypothèse qu'il faille traduire par Cornouaille. Toutefois
M. Lauer hésite entre la Bretagne et la Cornouaille et parait
plutôt admettre la Cornouaille: voir la table de son édition.
(3) Annales, p. 6.
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284
ÉTUDE CRITIQUE
les vikings qui demeuraient parmi eux et d'abord
leur chef nommé Flestan (1).
Ici nous pouvons peut être trouver ailleurs des
détails complémentaires Racontant le soulèvement
des Bretons contre les Normands, le vieil historien
de la Bretagne, Pierre Le Baud (2), qui emploie des
annales (des chroniques annaux pour s’exprimer
comme lui), malheureusement perdues aujourd’hui,
relate ainsi une bataille qui aurait eu lieu à Caen :
« Adonc, dit-il, ceux qui en la région estoient de-
mourez s’assemblèrent et armèrent, et leurs occu¬
pants assaillis chassèrent par terre et par mer.
Pourquoi il est à savoir que Juhaél, le comte de
Rennes, fils de Berenger, duquel a esté parlé devant,
assembla exercite de Bretons et entreprint les dé¬
bouter du pais. Si les assaillit à Kan par bataille et
premier Flestan leur duc, qui, avecques grant puis
sance desdits Normans, vint fièrement contre les
Bretons, espérant les vaincre comme aux temps
devant, mais ledit Flestan fut navré dès le commen¬
cement de l’estrif et cheut mort entre les siens.
Lesquels donc, parcelle adventure destituez d’espé¬
rance et de victoire, fuirent au rivage de la mer où
ils avoient plusieurs nefs ancrées, mais avant qu’ils
peussent entrer dedans, ils furent ratteints par les
(1) Annales , p. 50.
(2) Pierre Le Baud a composé, entre 1498 et 1505, une
Histoire de Bretagne qu'il dédia à la reine Anne. D'Hozier
t'édita en 1638, à Paris, en un volume in-folio, aujourd’hui fort
rare.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
285
Bretons qui s’en vengèrent cruellement, car les uns
navrez de plusieurs plaies mortelles se précipitèrent
dedans la mer salée, et les autres les Bretons dé-
tranclièrent sur les bords de leurs navires. Et tant
que, de merveilleuse multitude desdits Normands
qui s’étoient assemblez contre Juliaêl Berenger, n’eu
demoura que peu en vie que les Bretons gardèrent
pour en avoir rançon (1) ».
11 y a là un récit très détaillé, tel que nous en
voudrions avoir pour beaucoup d'autres événements
de la même époque : il semble que 1’hislorien du
XV e siècle ait eu sous les yeux quelque chronique
qu'il a visiblement traduite, suivant un procédé qui
lui était familier (2). Il n'aurait pas imaginé, tiré de
son cru des détails si précis et très vraisemblables,
sur le lieu de la bataille et ses péripéties.
Mais, pour comprendre tout l'intérêt de ce pas¬
sage, pour pouvoir en faire la critique, il faut bien
se pénétrer de la situation respective des Bretons et
des Normands dans cette région de la Basse-Nor¬
mandie au X e siècle.
Eu 867, Charles le Chauve céda à Salomon le
(1) Histoire de Bretagne, p. 132.
(2) « Pierre Le Baud a le plus souvent traduit littéralement et
abrégé quelquefois les principaux passages des annales et
chroniques qu’il découvrit au cours de ses investigations
dans les archives bretonnes... Quand on considère avec quelle
exactitude il a reproduit les œuvres que nous connaissons
d’ailleurs, on est tenté d'accorder à ses traductions d’annales
perdues une confiance approchante de celle qu'on aurait pour
les originaux eux-mêmes ». R. Merlet, La Chronique de
Nantes, XII.
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286
ETUDE CRITIQUE
comté de Coutances avec toutes ses dépendances (1).
Jusqu'où s'étendait la domination bretonne ? Peut-on
en tracer précisément les limiles ? Evidemment, la
cession du comté de Coutances comprenait, entraî¬
nait celle de l’Avrancliin, car, en 872, la Translation
de saint l.omer parle du pagus Abrincadinus comme
d’un pays appartenant à Salomon (2). Mais en outre
il semble que la pénétration bretonne ait dépassé
les limites du comté de Coutances, et que, profitant
de la décomposition de l’Empire, les Bretons aient
poussé jusqu’à l’Orne, jusqu’à la Dive même. Que de
noms de lieux, en Basse Normandie, rappellent l’éta¬
blissement des Bretons ! Dans le Bessin, c’est Bret¬
teville sur-Bordel ; sur la Sirande, Bretteville-l’Or-
gueilleuse;Bretteville sur Odon,aux portes de Caen ;
Bretteville-sur-Laize, au delà de Caen ; Bretteville-
Rabel, au delà de la Laize, et, sur la Dive même,
Bretteville-sur-Dive (3). On dirait que des colonies
bretonnes, peut-être des postes, ont été placés sur
tous les cours d’eau, depuis la Vire jusqu’à la Dive,
surveillant tous les passages. Il semble que tout ce
pays ait subi pendant près d’un siècle la domination
bretonne. En 86G, le concile de Soissons, adressant
au pape un appel contre les Bretons, leur reprochait
(1) Ann. Bertiniani, éd. Waitz, pp. 87, 88.
(2) Mamllon, Acla, SS. Ord. Benedicli. Paris, 1680, 9 vol.
in-folio, Sæc. IV, pars 2, p. 216.
(3) Notons encore des hameaux : Bretteville, commune de
Blav, canton de Trêvières ; Bretteville, commune de Crouav,
même canton ; un autre à Sainte-Honorine-du-Fay, canton
d’Evrecy.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
287
d'avoir usurpé les biens de presque toutes les églises
de la Neustrie (I).
C’est peut être l’invasion bretonne qui a détruit
l'Otlinga Saxonia, cette division administrative dont
on ne trouve plus aucune mention après 836 (2).
Sans avoir été (ormellement livrés aux Bretons
comme le Cotentin et l'Avranchin, on peut admet¬
tre que le Dessin et l'Hiémois sont.de fait, tombés
sous leur domination. La Dive était vraisemblable¬
ment, de 911 à 924, la limite des possessions du duc
normand de Rouen.
Mais la domination bretonne dans ces régions a
été ruinée précisément par d’autres bandes nor¬
mandes qui, depuis 919, ont envahi toute la Breta¬
gne et contraint à l’exil les chefs bretons Matuédoi
et son fils Alain Barbetorte, le petit fils d'Alain le
Grand.
En 921, Raoul, le roi rival de Charles le Simple,
qui n'a pu triompher des Normands de la Seine, et
a dû leur payer un tribut, sur leur demande répétée
d’une extension au delà de la Seine, leur abandonne
le Bessin et le Maine (3). Peut-être l'occupation du
Maine n’a t-clle pas été effective? L’occupation du
Bessin par les Normands de la Seine n'a pas été non
plus opérée immédiatement: en 923, les Bajocasses
ravagent le pays entre la Seine et la Dive. Lorsqu’en
(1) Dom Morice, Preuves de l’Histoire de Bretagne, Guin-
gamp, 1835, t. I, col. 321-323.
(2) Voir II. Prentout, op. cil., p. 74.
(3) Flodoard. Annales , éd. La ueh, p. 25.
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288
ETUDE CRITIQUE
927, Guillaume, fils de Rollon, prêtait hommage à
Charles, sans doute il n’était pas encore réellement
maître du Bessin, mais il a pu entreprendre cette
conquête entre 927 et 931.
Telle était la situation lorsque éclata, en 931, la
révolte des Bretons contre les Normands, révolte
constatée en quatre lignes par Flodoard. Le récit
de Le Baud est vraisemblable. Juhaêl, comte de
Rennes, rassemble une armée ; il marche contre les
Normands et contre leur chef Flestan ou Félécan,
qui pourrait être un lieutenant de Guillaume Longue-
Epée. Il les assaille à Caen, sur les bords de l'Orne,
où ceux-ci se trouvaient rassemblés à portée de leur
flotte. Félécan marche au-devant des Bretons, est
tué au commencement de la bataille (Bretteville-
sur-Odon rappelle peut-être un camp breton à une
lieue de Caen?) Les Bretons repoussent les Nor¬
mands « jusqu’au rivage de la mer salée », jusqu’à
Ouistreham, où était leur flotte, et leur infligent là
une seconde défaite, en tuant un grand nombre au
moment où ils vont se rembarquer. Cette défaite du
général normand aura été suivie d’un soulèvement
général, celui de la Saint-Michel 931, rapporté par
Flodoard, qui s'étendit à tout le pays breton et aux
pays soumis jusqu’alors aux Bretons et envahis par
les Normands (1).
(1) « Interea Brittones, qui remanserant Nordmannis in
Cornu Galliæ subditi consurgentes ad versus eos qui se obti-
nuerant, in ipsis sollemniis sancti Michaelis omnes interemisse
dicuntur qui inter eos morabantur Nordmannos, ceeso primum
duce illorum nomine Felecan *.
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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN
-289
« Et de cette victoire, dit encore Le Baud, qui
semble développer Flodoard, survint autre misère
aux autres Normans, qui au pais estoient demourez,
car les Bretons qui avoient yaincu Fleslan priudrent
audace d'envahir le demourant et s'espandireut par
la région ; et, selon les clironicques annaux, le jour
de Saint Michel, en l’an de Notre-Seigneur 931,
occirent tous les Normans qu'ils peurent trouver en
Bretagne après Flestan, leur duc. Après laquelle
occision, le surplus desdits Normans qui eschappè-
rent efîrayés par le péril de leurs compagnons, se
retraïrent ès forts qu’ils tenoient, et par l'aide d'au¬
tres Normans qu’ils mandèrent quérir en Neustrie,
les deflendirent contre les Bretons ».
On peut parfaitement admettre que tous les Nor¬
mands n’ont pas été chassés, ni exterminés; leurs
bandes ont pu regagner ces forts naturels qu’ils
avaient i> occuper. On peut reconnaître encore au¬
jourd'hui certains de ces forts, la péninsule du Hom,
par exemple, en face de Thury-Harcourt, sur les
bords de l’Orne, qui rappelle évidemment leur pré¬
sence ( Holm , lie), et qui est si admirablement faite
pour enfermer un camp de ces Normands qui lui
auront laissé son nom. Plus loin, en remontant le
même fleuve, les rochers de la Houle (en Scandinave
holl ), en face de Clécy, rappellent un autre poste,
un autre fort normand (1).
(I) N'est-ce pas encore un camp normand que ces levées
de terre circulaires qui se trouvent à Clermont-en-Àuge et
que nous a signalées le docteur Moutier?
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ETl ! DE CRITIQUE
Pendant ce temps, Incon, avec les Normands de
la Loire, envahissait la Bretagne et en chassait une
partie des habitants (1).
Guillaume Longue Epée a pu ensuite envoyer une
armée de secours à des postes normands, réoccuper
tout ce pays, et même pousser des conquêtes jus¬
qu’au Couesnon.
Aussi, quoi qu’en dise Dudon, Rollon n’a jamais été
mattre de la Bretagne. Elle était indépendante en
911 avec Wrmaêlon. Le cartufaire de Redon permet
de constater qu'en 913 Rudalt, comte de Vannes,
Maluédoi, comte de Poher, s'inclinaient encore
devant son autorité (2). En 914, elle est envahie par
les bandes d’Obtor(Ottar)etdeHroald,quila ravagent
jusqu’en 913, date à laquelle ils partent pour l’An¬
gleterre (3). En 919, elle est saccagée par les Nor¬
mands de la Loire, elle leur est cédée en 921 et se
révolte en 931. 11 est probable qu’à ce moment là les
Normands de la Seine, ayant reçu le Bessin en 924,
se trouvaul ainsi sur les confins de la Bretagne qui
comprenait alors les diocèses d'Avranches et de
Coutances, ont subi les contre coups de cette révolte.
Que cette révolte se soit étendue jusqu’au Bessin
normand, qu’une armée ait été battue par les popu
(1) Flodoard, Annales, p. 51.
(2) Cartulaire de Redon, n°» 276 et 279 et de la Borderie,
Histoire'de Bretagne, t. II, pp. 348 et 498.
(3) Chronique Anglo-Saxonne, II, 79. Boald a-t-il été con¬
fondu par Dudon avec Rollon ? Et cette confusion serait-elle
légitime ? Il ne serait pas impossible que Rollon, maître de la
Normandie, ait tenté quelque expédition en Bretagne, en 914,
puis en Angleterre en 915.
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SUR DlIDON DE SAINT-QUENTIN
•291
lations soulevées à Caen et rejetée à la mer, que
l’armée normande ait eu du mal à se maintenir et
ait dû demander des renforts, tout cela est vrai¬
semblable, et c'est à la suite d’une campagne
victorieuse que Guillaume aura reçu du roi Raoul
la terra Brilonum, l'Avranchin et le Cotentin en 933.
Sprota. — Dudon parle ensuite, avec la discrétion
qui convient à un écrivain de cour, de la passion de
Guillaume pour une femme très noble, très belle,
pourvue de toutes les vertus. Guillaume de Jumièges
la nomme Sprota.ee qui devieutSprote dans Benoît,
Cyproete dans Philippe Mousket; c’est sans doute, a
dit M. Lair, un butin de l’expédition de Bretagne (l).
Quel caractère eut cette union ? Dudon ne le dit
pas formellement ; il semble indiquer que le prince
voulait avoir des héritiers ; connexuit se jure conser-
vandœ successionis, les bâtards avaient d’ailleurs
droit à la succession chez les Scandinaves ; par une
pièce de vers, le bon chanoine rassure le duc sur le
caractère de cette union. Guillaume de Jumièges dit
qu’il l’épousa more danico (2), ce qui indiquerait un
mariage non chrétien, mais si Sprota est bretonne,
elle est chrétienne. Guillaume l’étant aussi, il serait
absurde de soutenir qu’il ait épousé, suivant la mode
Scandinave et païenne, une femme chrétienne. Il
s’agirait donc d’une concubine d'origine bretonne,
(1) Ed. de Dudon, p. 185, n. a.
(2) Ed. Marx, p. 33.
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ETUDE CRITIQUE
comme le dit simplement Flodoard (I), ainsi que
Raoul Glaber (2). Cette Sprota, d’ailleurs, épousa plus
tard un autre chef normand dontelle eutRaoul d'Ivri,
l’ami et l’inspirateur de Dudon, ce qui légitime la
discrétion de celui ci.
Guillaume, suivant Dudon, aurait ensuite con¬
tracté amitié avec Hugues et Herbert. Ceci est encore
un emprunt à Flodoard. mais avec la défiguralion
qui est propre à Dudon.
Dès 924, les Normands avaient fait la paix avec
les Francs par l’intermédiaire de Hugues et de
Herbert (3), en 923, Hugues conclut la paix avec les
Normands (4), enfin en 928, en même temps qu’Her-
bert, il fait amitié avec eux (3). Or, Dudon, avec son
mépris habituel de la chronologie, place cet événe¬
ment après la guerre de Bretagne qui eut lieu de 931
à 933.
La révolte de Rioul. — Dudon raconte ensuite la
révolte d’un chef normand, Rioul. Trois questions se
posent à ce propos : la première est celle de l'origine
de ce chef, Guillaume de Jumièges ne donne aucune
indication; Orderic Vital dit laconiquement: rc Tune
Cruillelmus Longa Spalha Ililhulfum Ebroïcensem, in
(1) Annales, p. 8(5.
(2) Ed. Prou, p. 88.
(3) Flodoard, Annales, p. 24.
(4) Ibid., p. 32.
(5) Ibid., p. 41.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
293
loco qui Pralum belli dicitur, vieil (1) ». Waee dit
que Rioul :
Quens fil de Costenlin entre Vire e la mer (2) ;
Le Prévost pense que l’on pourrait concilier les deux
renseignements. Evreux serait le lieu d’origine, le
Cotentin, le pays soumis à l'autorité de Rioul. Il
ajoute : « Nous pensons que la rapidité avec laquelle
Hioulle se porta jusque sous les murs de Rouen, in¬
dique une expédition partie de très près de là, et
par conséquent de l'Evreciu plutôt que du Coten¬
tin. Soit d’ailleurs que nous adoptions la date de
933 ou celle de 933 ; dans le premier cas, la révolte
du Cotentin n’était pas possible, puisque c'est l'an¬
née même où il tut cédé ; dans le second, Rioulfe
aurait eu bien peu de temps pour la préparer et il
aurait toujours fallu traverser de vastes contrées,
plus anciennement soumises aux hommes du Nord,
qui seraient nécessairement deveuues le théâtre de
la guerre. » Quelle que soit la valeur de ces objec¬
tions, il faut remarquer: 1° que Rioul et ses conju¬
rés réclament la terre jusqu’à la Risle, ce qui semble
indiquer qu'ils sont au delà de ce cours d’eau par
rapport à Rouen. Or, Evreux n’est pas au-delà de la
Risle par rapport à Rouen, mais en deçà. Le plus
probable est que ni Orderic Vital, ni VVace, ne sa¬
vent rien de Rioul autrement que par Dudon qu'ils
essaient d’interpréter. La Risle suggère Evreux à
(1) Ed. S. H. F., I, p. 162, n. 3.
(2) Ed. Andhesex, I, p. 88. v. 1376.
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*Jl
ETUDE CRITIQUE
Orderic, Wace comprend que Rioul demandait le
pays jusqu’à la Risle et place ce chef en Cotentin.
Aucun autre texte n'est relatif à ce chef. Mais
G. Paris a justement remarqué qu’il y avait un lien
entre le soulèvement de Rioul et l'assassinat de
Guillaume Longue-Epée. Il suppose qu'il y a eu, en
dehors de la Complainte latine sur la mort de Guil¬
laume Longue Epée, une Chanson de la Vengeance
de llioul (1). Or, ce personnage de Rioul se retrouve
en effet dans une chanson de geste, Fierabras, d'ail¬
leurs très postérieure ; Rioul n’y joue aucun rôle
qui puisse nous éclairer sur sou passé historique
au X e siècle. Il y figure au même litre que d'autres
personnages épiques : Ogier le Danois, Rolland ;
mais il y est qualifié de Riol du Mans (2). Il ne
serait pas impossible que la Chanson ait conservé
le souvenir d’un Rioul du Mans, personnage histo¬
rique. Toutefois, il serait imprudent de fonder quoi
que ce soit sur une mention de ce genre. Mais, si
on se rappelle qu’en 924, le roi Raoul donna le
Maine à Rollon, que, dans la suite, avant le règne de
Guillaume le Conquérant, on ne voit point que les
Normands aient occupé le Maine, on peut se deman¬
der si le Maine n’a pas échappé aux Normands par
suite de la révolte de Rioul. Si on objecte que Du-
don l'eût dit, nous répondrons que Dudon écrit
quatre-vingts ans après les événements, qu'il n’est
(1) Romania, XVII, 1888, 276.
(2) Fierabras, éd. Guessard. Les Anciens Poètes de la
France, Paris, 1860, 10 vol. in-16, t. IV, p. 154.
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SCR DCDON DE SAINT-QCEXTIN
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pas Normand, qu’il est mal informé et que d’ail¬
leurs, écrivant pour les ducs, il devait dissimuler
leur échec. Il n'a laissé subsister de Rioul que le
souvenir de la victoire du duc au Pré de la Bataille.
Mais le fait que cette victoire a été gagnée sous les
murs de Rouen indique bien que la révolte a d’abord
triomphé.
Vient ensuite la question de date. Aucun texte n’en
donne; Orderic Vital,au récit de la bataille, ajoute:
<« Arnulfut Flandriee satrapa ipsum posl VIII antios,
XVI 0 kal. januarii Guilhelmum occidit », et Dudon dit
que Guillaume a appris, le jour de la bataille, la
naissance de son fils Richard, auquel il donne dix
ans à la mort de son père. Le Prévost tire de là deux
dates différentes, 933 et 933. Eu réalité, la mort de
Guillaume Longue Epée n'a pas eu lieu en 943, mais
le 17 décembre 942; huit ans avant donnent : 934.
On peut entendre que Richard était dans sa dixiéme
année à la fin de 942. La bataille du Pré pourrait
avoir eu lieu à la fin de 933 ou au commencement
de 934.
La cause de la révolte? Selon Dudon, il n'y en a
qu'une. Guillaume Longue Epée se laisse gouverner
par ses amis francs (1). N’oublions pas aussi que
Dudon donne à Guillaume Longue-Epée, fils de Popa,
une parenté franque; Guillaume serait le neveu de
Bernard de Sentis. Ce que veulent les chefs nor¬
mands, c’est écarter du pouvoir les parents francs
de leur duc. Ce que leur promet Guillaume au mo-
(1) Francigenas amicos acquirit sibi. Ed. Lair, p. 187.
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ÉTUDE CRITIQUE
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meut ou il semble disposé à subir leurs conditions,
c’est d’éloigner cette parenté pour se mettre dans
la main des chefs normands, suivre tous leurs con¬
seils, épouser toutes leurs querelles (1). Mais la
révolte n’a-t-elle eu pour cause que l'inimitié des
Francs et des Normands, le mépris des Normands
pour un chef chrétien et francisé ? Il se pourrait
qu'il y ait eu d'autres motifs.
A travers le récit toujours si obscur du chanoine,
daus les quelques traits de lumière qui filtrent
parmi les discours qu'il prête aux antagonistes, et
par lesquels il prétend indiquer leurs sentiments,
on voit que les chefs veulent deveniraussi puissants
que leur duc, qu’à cet effet ils veulent obtenir de lui
des cessions de territoires considérables, le pays
jusqu’à la Risle. Acculé, le duc leur promet le
pays jusqu’à la Seine. Ils ont voulu redevenir les
égaux du duc, dit M. Karl von Ainira (2), æqualis
potestalis, comme le disaient les compagnons de
Rollon à Hasting et aux envoj'és de Renaud du
Maine. Au cours du même développement, les chefs
normands déclarent que, grâce à cette cession,
Guillaume aura moins de soldats. Il est de toute
évidence qu’en tout temps, à une perle de territoire
correspond une perte en hommes et, par conséquent,
une diminution de force militaire. On est en droit de
se demander si les ducs normands, soit Guillaume
I-ongue-Epée, soit Rollou avant de mourir, n’avaient
(1J Francigenas amicos acquirit sibi. Ed. Lair, p. 187.
(2) Art. cil., p. 266.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
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pas introduit dans le nouvel État le régime féodal
avec les obligations militaires qu'il comportait, et
si ce u’est pas là la cause du soulèvement des chefs
normands. M. Karl von Amira l’a nié, parce que
Dudon n’en parle pas et prête à la révolte d’autres
causes (1). La raison n’est pas péremptoire ; il y a
tant de choses dont Dudon ne parle pas et dont il
aurait dû parler I Certes, on chercherait en vain dans
Dudon, en effet, un texte d’où il résulterait claire¬
ment que le régime féodal a été implanté par les
ducs normands, Rollon, Guillaume ou Richard I» r .
Et pourtant, il est certain que les barons normands,
avant la conquête de l’Angleterre, tenaient les fiefs
du duc et devaient le service militaire. Cela a été
mis en évidence par Brünner (2), Pollock et Mail-
land (3), M. Flach (4) et M. Haskins (5). Celui-ci
prouve par des textes que ce régime existait dès
le temps de Richard le Bon. Est-ce le duc qui l’a
introduit ? \1. Haskins a, en outre, montré que ce
(t) Art. cil., p. 266.
(2) Entstehung der Schivurgerichte, Berlin, 1871, in-8°, p.,
131, n. 3.
(3) The Hislory of English Une, Cambridge, 2 vol., in-8,
1898, 2 e éd. I, 70-72.
14) M. Flach, op. cit., III, 88, dit que l'Etat féodal s’est cons¬
titué premièrement en Normandie et il en donne justement
pour preuve ce fait que les deux pays étrangers où la féodalité a
été le plus fortement organisée dès le XI- siècle, sont ceux-là
même où elle l’a été par les Normands, 1 Angleterre et les
Deux-Siciles.
(5) Knighl Service in the Eleventh Century, dans [ English
Hislorical Review, octobre 1907, p. 636-049.
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ETUDE CRITIQUE
service avait eu en Normandie une précision singu¬
lière ; chaque fiel doit, selon son importance, un
nombre déterminé de chevaliers, presque toujours
cinq ou un multiple de cinq. C'est à cette organisa¬
tion, d’ailleurs, qu'est due la force numérique et
aussi la force d'organisation de l’armée normande
lors de la conquête de l’Angleterre.
Evidemment le régime féodal a été emprunté par
les conquérants à l'empire franc. Rollon ne pouvait
songer à introduire de son pays d’origine le régime
féodal en Normandie puisque jamais ce régime n’a
existé en Norvège (1). On ne saurait oublier toutefois
que le roi Harald Harfagr’ qui régnait au IX 8 siècle,
celui-là même qui exila Rollon, établit dans chaque
territoire un Iarl, un Skatkonung, un chef d'impôt
qui devait rendre la justice, lever les contributions
et fournir GO guerriers. A ces larls étaient subor¬
donnés d’autres chefs qui commandaient 20 guer¬
riers (2). Voilà une organisation militaire précise.
Rollon l’aura-t-il établie en Normandie? On objec¬
tera, on a déjà objecté qu’il serait bien invrai¬
semblable que les chefs normands aient établi en
Normandie un régime analogue à celui qu’ils vou¬
laient fuir (3) Il me semble qu’il y a lieu de distin¬
guer. Harald Harfagr' a mis la main sur les terres
communales si importantes en Norvège, il a exigé
(1) La Norvège , Kristiania, 1900, in-8°, p. 321.
(2) Meitzen, Siedelung und agrarwesen der Westgermanen
und Ostgermanen, Berlin, 1895, 3 vol. in-8° et un atlas,
t. II, p. 521.
(3) Lagouelle, op. cil., p. 80.
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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN
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l’impôt. Il a, d’autre part, transformé les iarls en
fonctionnaires, il en a fait quelque chose d'analogue
à ce qu’étaient, dans l'empire franc, les comtes, à ce
que furent, sous les Capétiens, les baillis. Il n'y a
dans tout cela rien qui constitue un régime féodal.
Rollon, sans doute, ne veut pas se soumettre aux
ordres du roi. 11 en fut de même de beaucoup
d’autres qui ne voulurent pas, de iarls indépendants,
de rois qu’ils étaient, devenir des fonctionnaires et
se firent rois de mer. Mais Rollon arrivé en Nor
mandie n'aura-t-il pas pu exiger de ses comtes à qui
la charte de Charles le Simple dit que la terre fut
donnée en même temps qu'à lui, qu’ils vinssent à
l'armée avec une quantité déterminée de guer¬
riers (I) ? Si on admet, comme nous l’avons vu, que
chacun de ces comtes avait reçu une terre, il y eut
là bientôt tous les éléments du fief. Qu’on exige de
ce chef l’hommage et la foi, ou d’autres services de
cour et de justice, et on aura tout le régime féodal.
Il ne serait pas impossible que Guillaume ait achevé
l’œuvre de son père et provoqué aiusi la révolte
de Rioul ; il se pourrait encore que tout ceci se soit
fait insensiblement et qu'un jour l'humeur indé¬
pendante des Normands ait voulu secouer le joug
d’obligations trop strictes (2). Mais il n'y a là que
(1 Rollon ne serait pas le premier qui aurait soumis les
autres à une règle qu’il trouvait détestable pour lui-même.
Remarquons bien, d’ailleurs, que ce n’est pas l'autorité donnée
aux iarls qui a été la cause du départ de Rollon.
(2) De même sous Richard II, ce même esprit d’indépen¬
dance excite la révolte des paysans. Ils veulent jouir libre-
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ÉTUDE CRITIQUE
des hypothèses plausibles et nous ne voulons rien
affirmer. Peut-êlre n'y eut il là qu’uue lutte de l’élé¬
ment Scandinave épris d'égalité contre l’élément
franc (1). Peut-être cet épisode symbolise-t-il la lutte
de l'élément païen contre le Normand christianisé.
N’oublions pas que Guillaume, tombant sous les
coups du fils de Rioul, comme nous le verrons plus
tard, est qualifié par la Complainte de martyr chré¬
tien.
Avec un corps de trois cents jeunes gens choisis
qui ont prêté serment de fidélité en frappant leurs
armes les unes contre les autres, Guillaume triomphe
des révoltés au Pré de la Bataille. Il se peut que
Dudon suive ici une tradition locale. On aura pu lui
désigner à Rouen ce pralum belli ; dans une prairie
voisine du Mont Riboudet, on montrait il y a un
siècle au nord-ouest de Rouen ce Pré de la Bataille (2).
Ces Trecenti viri (3) nous paraissent analogues aux
ment des forêts et des eaux. (Guillaume de Jumièges, éd.
Maux, p. 73), ils étaient, en effet, habitués en Norvège à jouir
librement des biens communaux, almende , Meitzen, op. cil.,
p. 523.
(1) Sur ce sentiment d'égalité et d'indépendance chez les
Normands, voir Allen, Histoire du Danemark , Copenhague,
1878, 2 vol. 10 - 8 ", tr. fr., I, 35. Riant, Les Scandinaves en
Terre Sainte, Paris, 18Ü5, in- 8 °, p. 24. Stebnstrup, B. S. A.,
X, p. 322 et passim. Prentout, op. cil. p. 205 et passim.
(2) Abbé Cochet, Répertoire archéologique du département
de la Seine-Inférieure, Paris, 1871, in-4°, p. 374.
(3) » Qui unanimes ante ilium venerunt, judicium fæderis
fideique, et adjutorium more Dacorum facienles, tela, mutuæ
voluntatis pacto, una concusserunt ». Dudon, p. 190. Voir
M. Flach, op. cit., III, 438.
N’y a-t-il pas dans les Trecenti viri, une nouvelle réminis-
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SUD DlIDON DE SAINT-QUENTIN
301
bersekers Scandinaves et ce serment prêté au bruit
des armes, c’est le vaynalak Scandinave (1).
Guillaume, victorieux, apprend la nouvelle de la
naissance de son (Ils à Fécamp, et il envoie l'évêque
de Bayeux, Henri, le baptiser (2).
Dudon nous représente alors, avec son exagéra¬
tion habituelle, Guillaume comme le plus puissant
des princes. Personne n'ose lutter contre lui et les
Danois, les Flamands, les Anglais, les Irlandais lui
obéissent (3) ! Ceci est destiné à préparer le récit
des unions que va contracter la nouvelle famille
ducale avec les grandes familles féodales franques.
Les mariages. — Guillaume, au cours d’une chasse
dans la forêt de Lyous, reçoit la visite de Hugues le
Grand, de Herbert, de Guillaume Tête d’Etoupe,
comte de Poitiers. Celui-ci lui demande la main de
sa sœur, et, après quelques railleries sur les Poite¬
vins, écho de quelque chanson de geste (rappelons-
nous le rôle d’Ebles à Chartres), le duc la lui accorde.
cence de la Saga d'Harald Harfagr’ où le roi Hak part pour le
Vestfold avec 300 hommes, Heimskringla , I, p. 25.
(1) Ces assemblées en armes ont donné lieu dans les colo¬
nies Scandinaves de la Grande-Bretagne, à une division admi¬
nistrative, le wapenlake.
(2) Il semble y avoir eu en effet un évêque de ce nom au
X* siècle. Abbé Laffetay, Histoire du diocèse de Bayetuc,
XVII • et XVIII• siècles , 1855, in-8», p. LXXXIX.
(3) Rappelons qu'au livre précédent, nous avons montré
qu’il est assez vraisemblable que des Normands de Nor¬
mandie ont secouru Athelstan contre la coalition qui s’était
formée contre lui, et ont pris part à la bataille de Brunau-
burh (937.’.
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302
ETUDE CRITIQUE
Enfin Herbert, sur le conseil de Hugues, donne égale¬
ment sa fille à Guillaume.
Deux questions se posent à propos de ce double
mariage : authenticité du fait et date.
Il semble qu’il n'y ait pas lieu aujourd'hui de
révoquer eu doute les deux mariages princiers.
Guillaume de Jumièges qui, sur quelques points,
précise Dudon, répète ici son récit et donne le nom
de la sœur de Guillaume Longue-Epée, Gerloc (I).
Ce récit trouve une autre confirmation dans Adémar
de Chabannes, chroniqueur poitevin (2) qui, à vrai
dire, fait épouser à la fille de Rollon, filiam Rosi
Rolomagensis qu'il appelle Adèle, Ebles, père de Guil¬
laume Tête d'Etoupe. Une petite difficulté se présente
donc au sujet du nom de la princesse. Wace, dans le
Roman de Rou, l’appelle Elborc (3). Andresen a dit
qu 'Elborc était une mauvaise lecture pour Gerloc [ 4).
Un diplôme de Lothaire nomme Adèle comme femme
de Guillaume Tête d’Etoupe (3): ce qui rend sus¬
pect le témoignage des deux écrivains normands à
M. Lauer (6). Mais on peut expliquer cette diver
gence : Gerloc ou Ælborc est un nom étranger (7),
Adèle est le nom chrétien, francisé.
(1) Ed. Marx, p. 35,
(2) Ed. Chavanon, PAris, 1897, in-8», p. 143.
(3) Ed. Andresen, v. 1584, t. I, p. 96.
(4) Ibid., I, 226.
(51 Besly, Histoire des comtes de Poitou, Niort-Paris, 1846,
p. 282.
(6) Louis IV d'Outremer, p. 80, n. 2.
(7) Il est très vraisemblable que Gerloc ou Ælborc est née
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
303
La possibilité d’un mariage entre Guillaume et la
fille d’Herbert a été niée par M. d’Arbois de Jubain-
ville : Herbert, dit-il, a eu deux Hiles, l'une qui (ut
mariée, en 934,à Arnoulde Flandre,l’autre Ledgarde,
qui (ut mariée à Thibaut de Champagne. Celle-ci
ne peut avoirépousé Thibaut de Champagne qu’après
la mort de Guillaume Longue Epée, en 943. Mais
alors, comment Hugues, né de ce mariage entre
Thibaut et Leutgarde, peut-il être archevêque de
Bourges en 930? Comment Eudes, leur autre fils,
peut-il porter, dès 930, le titre de comte (1)? M. Lot
a réfuté cette argumentation. Il montre que la charte
où se trouve cette souscription est de 933(2), re
marque que l’on ne sait pas à quelle date un prince
pouvait porter le titre de comte; quant à la souscrip¬
tion de Hugues, elle a été apposée après coup.
Kalckstein avait supposé que Guillaume avait ré¬
pudié Lieutgarde ou Liégeard vers 940 (3;: cette
supposition paraît inutile à M. Lot (4). Le récit de
Raoul Glaber d’après lequel Thibaut, assassin de
Guillaume Longue-Epée, aurait demandé, après la
mort du duc, la main de sa veuve è son frère (3). est
purement romanesque.
en Angleterre ou en Ecosse, outre-mer, comme son frère
Guillaume.
(1) Histoire de» Comtes de Champagne , Paris, 1859, 7 vol.
in-8°, I, p. 130, n. 2.
(2) Cette charte se trouve dans le Cartulaire de Saint-Père
de Chartres y I, 49.
(3) Op. cit., p. 214, n. 3.
(4) Etudes sur le règne de Hugues Capct ., Paris, 1903,
in-8°, p. 398, n. 2.
(5) Ed. Prou, p. 88.
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301
ETUDE CRITIQUE
Les deux mariages étant authentiques, reste à en
déterminer la date. M Lair la place après 935. C'est
à cette date seulement, dit il, qu'Herbert et Hugues
ont pu se rencontrer avec Guillaume Longue Epée
et Guillaume Tête d'Etoupe (I). M. Lauer trouve que
c'est trop préciser (2). Mais nous avons un diplôme
du temps du roi Raoul, qui mourut le 14 jan¬
vier 936, où la femme du comte Guillaume sous¬
crit à une donation faite au monastère de Saint-
Cyprien (3) Ce mariage est donc bien de 935. Quant
au second mariage, il fut plutôt une remise d’otage
pour garantir une alliance et on ne peut en fixer
la date.
Guillaume et Louis d'Outremer
La suite du livre 111 peut se résumer eu cinq
points : participation de Guillaume au retour de
Louis d'Outremer j rôle de Guillaume comme inter¬
médiaire entre le roi de Germanie et le roi Louis ;
occupation de Montreuil; travaux à Jumièges, et
mort du duc.
Notous-le tout d'abord ; quand on y regarde de
près, tous ces points, sauf en ce qui concerne
Montreuil, sont le développement des strophes de la
Complainte de la mort de Guillaume Longue Épée ;
dévouement de Guillaume à Louis, monastère de
(1) Ed. de Dudon, p. 192, n. c.
(2) Op. cit,, p. 80, n. 2.
(3) Richard, Histoire des comtes de Poitou, I, p. 76, n. 2.
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Sl'H UL'DO.V DE SAlNT-QfEXTIX 305
Jumièges, mort de Guillaume, tout cela se retrouve
dans la Complainte. S’il fallait en croire Dudon,
Atlielstan aurait demandé l’intervention de Guil¬
laume Longue-Epée pour rétablir son neveu Louis
d'Outremer sur le trône de France et il lui aurait
également demandé de recevoir en grâce Alain de
Bretagne (1).
Richer et Flodoard racontant le retour de Louis
d’Outremer, ne mentionnent même pas la part qu’y
aurait eue Longue-Epée ; mais, suivant Flodoard,
ici plus particulièrement laconique à cause de son
voyage à Rome, il y aurait eu simplement réunion
des grands; ceux-ci, après un discours de Hugues,
duc de France, décidèrent d’envoyer une ambas¬
sade auprès d’Athelstan (2).
Orderic Vital représente les choses comme Dudon.
Le Prévost, éditeur d’Orderic, pense que son auteur
a été trompé par le doyen, qui aura confondu Guil¬
laume, archevêque de Sens, qui fit partie de l’am¬
bassade avec Longue-Epée (3) : erreur volontaire
et que M. Freeman attribue au désir qu'avaient
les historiens normands d’exalter leur duc (4). En
somme, Dudon a très habilement mêlé deux choses :
(1) Kalcksteix, o/ï. cif., p. 195, admet comme vraisem¬
blable cette intervention ; Guillaume aurait été fidèle à Charles
le Simple, et il aurait aidé Louis dans l'espoir de trouver
contre les païens dominant dans le duché un appui dans la
Francia occidenlalis. Tout ceci est purement conjecturnl et ne
concorde guère avec les faits établis.
(2) Annales, p. 63.
(3) T. II, p. 361, n. 1.
(4) Freeman, pp. cil., I. 223.
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ETUDE OHITIUIE
3t*i
le retour en Bretagne d’Alain Barbetorte et celui de
Louis d'Outremer. Il rapporte les deux faits en une
seule phrase. Lair explique par cette confusion
l’erreur de Dudon. D’ailleurs, ce que dit Flodoard
du retour d’Alain Barbetorte est, quoi qu’en pense
M. Lair(l), en contradiction avec Dudon. Flodoard,
en effet, dit bien qu’Alain Barbetorte est rentré par
la force dans ses états. M. Lair veut en vain distin¬
guer deux choses : le retour des Bretons en 936,
qui aurait pu avoir lieu avec le consentement de
Guillaume, et la guerre contre le duc en 937. Or, il
y a là un seul et même fait, le recouvrement de la
Bretagne sur les Normands, fait confirmé par la
Chronique de Nantes (21. Alain conquit même au-delà
de la Loire les pays de Mauge, Tliiffaulges et Iler-
bauges (3). En somme, nous ne savons rien de la
participation de Guillaume au retour de Louis ou à
celui d’Alain.
Guillaume et le roi de Germanie. — Il se passe un
lustre, pour employer la vague façon de compter qui
est propre à notre auteur, et Guillaume entre en
rapports avec un roi de Germanie que Dudon appelle
Henri. Guillaume joue ici le rôle d’intermédiaire
entre les deux rois de France et de Germanie, Henri
ayant été son allié et ne voulant contracter amitié
(1) Ed. de Dudon, p. 193, n. c.
(2) Ed. Merlet. pp. 88, 89, 91, 93, 98.
(3) /rf., p. 96.
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SIH Dl'DON DE SAIXT-QIEXTIX
307
avec Louis que par l'intermédiaire de Guillaume
Longue-Epée.
Une première difficulté se présente : Henri 1 er
était mort en 936; c’est Otton qui régnait à l’avène¬
ment de Louis, c’est lui qui fut constamment solli¬
cité par les deux partis qui se disputaient alors le
pouvoir : celui du roi Louis et celui du duc Hugues
le Grand. A vrai dire, un frère d’Otton, Henri, lui
suscita des difficultés au début de son règne, mais
il n'y a aucune preuve que ce prince ait jamais eu
le moindre rapport avec Guillaume. Dudon parle
bien d’un roi de Germanie, regem Transrhcnanum.
Peut être a-t-il fait une confusion avec l’empereur
contemporain Henri 11, 1024-1039? Etrange erreur;
mais il faut toujours penser pour comprendre Du¬
don à la date de la rédaction de son ouvrage.
Une telle erreur nous avertit déjà de nous défier
du récit du chanoine. Nous devons, en ellet, nous
demander si Guillaume était à même de jouer ce
rôle d'intermédiaire que lui prête Dudon entre Louis
et le roi de Germanie; il semble bien avoir été
occupé alors par la lutte contre les Bretons. Flodoard
dit que les Normands avaient envahi le pays voisin
« terrain conliguam sibi pervaserant » et que les Bre¬
tons furent plusieurs fois victorieux eu 937 (1). En
939, c'est avec Arnoul de Flandre, son autre voisin,
que Guillaume est en lutte; il a dévasté et incendié
certaines villes de celui-ci el, pour ce fait, il a été
excommunié par les évêques qui se trouvaient avec
(1) Flodoard, Anna/es, p. 68.
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:juk
KTl'DE CIIITIQI'F.
le roi. Louis IV n’est nullement en bons termes avec
Guillaume; il marche contre lui; et les évêques, ses
partisans, excommunient le duc normand (1). Il
faut bien voir qu’il y a à ce moment-là une révolte
générale des grands, comme Dudon le dit; mais
que Guillaume fait partie de ces grands révoltés. Le
roi n'a pour appui que son oncle Alhelstan dont la
flotte vient ravager la côte des Morins (le Boulon¬
nais); les grands, Hugues et Herbert, Arnoul et Guil¬
laume de Normandie se sont au contraire tournés
vers Otton le Grand (2).
A la fin de939, Hugues et Herbert ont une nouvelle
entrevue avec Otton ; mais Guillaume Longue Epée
n’y figure pas. Peut-être était il occupé ailleurs ?
Rappelons-nous ce que Flodoard nous dit d'une
victoire des Bretons sur les Normands cette année-là.
Ceux-ci furent alors chassés de Bretagne par la
bataille deTrans, (3). Richer raconte bien qu'en 940
Guillaume, piralarum du-r, envoya des députés au
(1) Ibid., p. 71. M. Lair, Essai sur la vie et la mort de
Guillaume Longue-Epée p. 32, nie cette excommunication,
Guillaume Longue-Epée, un si saint homme, excommunié ! Il y
a pourtant ici un texte formel de Flodoard : Ludowicus... pergit
contra Hugonem, filium Rotberti et WillelmumSordmannorum
principem. Qui quoniam villas nuper Arnulfi comitis quasdam
praedis inecudiisque vas laverai, excommunicatur ab episcopis
qui erant cum rege ». M. Lair veut rattacher qui à Hugo ;
cela ne soutient pas l’examen.
(2) Flodoard, Annales, p. 73.
(3) (llle-et-Vilaine, nrr. de Saint-Malo, canton de Pleine-
Fouques), dont les Bretons ont longtemps célébré l'anniver¬
saire, le l nr août. Chr. de Nantes, éd. Merlet, p. 91.
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sun nu don de saint-Quentin
309
roi pour l'assurer de sa fidélité, lui dire qu’il se
porterait partout où il lui plairait et lui engager sa
foi envers et contre tous (1). Mais on sait comment
Richer et Dudon travestissent l’histoire ; Dudon nous
laisse ignorer que Guillaume a été jusqu’ici l'un de
ces grands en perpétuelle révolte contre le roi, l’un
de ceux qui se tournent vers Otton. 11 ne garde que
le souvenir de l'entrevue entre Louis et Guillaume
en 940 (2), qui eut lieu dans le pays d'Amiens. 11
nous donne une indication précise et place cette
entrevue ad Bdionis montera (3). Mais cette entrevue
de 940, il la confond avec une autre entrevue qui
eut lieu en 942, car il raconte ensuite que Guillaume
conduisit Louis à Rouen ; or, cette réception de
Louis IV dans la capitale normande n’a eu lieu que
deux ans après: « Willelmus regem Ludouicum rega-
liter in Itodomo suscepit (4) ».
Dudon a les meilleures raisons pour confondre les
deux entrevues de Guillaume et de Louis de 940 et
de 942, c’est que, dans l’intervalle, ce chef qui vient
de se faire confirmer la possession de la Normandie
a pris part avec Hugues le Grand et Herbert à
l’expédition contre Reims (o) ; c'est qu’il a assisté
(1) Ed. Waitz, p. -49.
(*2) Rapportée par Ktodoard, Annales, p. 75.
(3) Boisemont (Seine-Inférieure), suivant M. I,ai a (Ed. de
Dudon, p. 194, n. a ; ou plutôt Montbaiüon (Aisne, arr. de Châ¬
teau-Thierry, canton de Condé-en-Brie, commune de Baulne),
suivant M. Lauer (Louis IV, p. 79, n. 4).
(4) Ftodoard, Annales , p. 84.
(5) Ibid., p. 76 et Hisl. eccl. Rem-, M. G. SS. XIII, 581.
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310
ETUDE CRITIQUE
au premier siège de Laon. Tout ce que l'on peut
admettre, c'est qu'à la fin de 941, Guillaume se dé¬
tachait peut-être des coalisés pour se rapprocher de
Louis. Il les a abandonnés pendant le siège de Laon,
mais il ne rompt pas encore avec eux. Hugues et
Herbert, Guillaume et Arnoul ont encore, à la fin de
941, une conférence à la suite de laquelle Herbert
va au delà du Rhin trouver le roi Otton (1). Mais en
942, Guillaume reçoit Louis à Rouen et il est remar¬
quable qu'en même temps Guillaume de Poitiers,
son beau-frère, les Bretons avec leurs chefs viennent
également vers le roi. II semble qu’une scission se
soit faite parmi les grands. Hugues le Grand et
Herbert restent fidèles à Oltou ; Guillaume et son
beau-frère et aussi les Bretons se rapprochent de
Louis. Quant à la présence de Guillaume Tète
d’Etoupe et des princes bretons, Dudon n’en parle
pas ; il s'en garde bien ; ce serait diminuer le rôle
du duc normand que Dudon veut faire passer pour
le seul sauveur de la monarchie. Mais la présence
des chefs bretons est mentionnée par Flodoard.
C'est en 942 et dans ces conditions que se produit
l'intervention du roi de Germanie en faveur de
Louis. S’il fallait en croire Dudon, ce serait Guil¬
laume qui l’aurait préparée. Dudon raconte ici une
très longue histoire : Guillaume envoie un messager,
Tetger, à Henri. Celui-ci lui renvoie en échange le
duc Conon qu’il gardera comme otage pendant que
Guillaume mènera Louis auprès d’Otton. Guillaume
(I) ytmi., p. Kl.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
311
pour éprouver la foi du chef allemand, se montre
disposé à l'envoyer auprès des Danois de Bayeux.
Conon accepte (i). Guillaume l'emmène avec lui.
Ils se rendent dans le pays de Laon où Herbert et
Hugues les attendent, puis auprès d'Henri qui fait
bon accueil à Guillaume, venu en avant-garde avec
500 cavaliers ; mais les Lorrains et les Saxons se
moquent du duc. Grâce à sa connaissance du danois,
Guillaume comprend leurs railleries, « per Daciscam
linguam, q\m dicebant subsannantes intelligendo subau
dit. » il dissimule sa colère, mais les soldats nor-
(I) N’y aurait-il pas là le souvenir d une armée danoise
campée à Bayeux, sur la frontière bretonne? On y a quelque¬
fois vu une survivance d'une colonie saxonne, des Saxonet
Bajocassini , de l 'Otlinga Saxon ta. Mais l'Otlinga Saxonia ne
parait plus dans aucun texte postérieur à 8G0.
Conon dit : Mille me quovis etiam Dacis luæ dilioni subditis ;
on l'envoie donc dans une ville danoise, disons normande.
Plus loin, p. ‘221, Dudon nous dit que Guillaume envoya son
lils Richard à Bayeux pour y apprendre le danois, et Guillaume
de Jumièges le répète (Ed. Marx, p. 40). • Quem confettim
paler Bajocas mittens, Bothoni militiæ suæprincipi nutriendum
tradidit, ut ibi lingua eruditus Dan ica , suis exterisque homi-
nibus sciret aperte dare responsa ». Pourquoi le duc pensait-il
que son fils apprendrait mieux le danois à Bayeux ? Dudon
l'indique: Richard est conflé à Bothon, le chef de l’armée;
militiæ pnncipi. Bayeux a été une ville frontière pour le
duché de 024 à 933; il a fallu maintenir ensuite une armée
dans le pays contre les Bretons et contre les Normands de
Bretagne. C’est au milieu des guerriers que Richard apprendra
le danois et que Conon est envoyé. Il se pourrait aussi que
la survivance de la langue germanique dans le pays des
Saxonet Bajocassini ait contribué au maintien de la langue
norraine. Mais nous croyons que la véritable explication de
cette persistance de la langue danoise à Bayeux est dans
l'existence à Bayeux d'une armée normande.
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312
ETUDE CRITIQUE
mands veulent enfoncer les portes de la demeure où
se trouve Henri. Conon ne peut les apaiser. Guil¬
laume lui remet sa magnifique épée qui en imposera
aux Normands, puis l’entrevue a lieu. Guillaume
force Henri à venir au devant de Louis. Au cours de
cette entrevue, le duc est interpellé en danois par
Hermann duc de Saxe, car Hermann a appris le
danois, ayant été prisonnier sur les frontières du
Danemark.
Où eut lieu cette entrevue? Dudon dit: à Veuscgus
super Mosam. Lappenberg traduit par Vouziers (t).
Lair dit quec'est le monastèrede Voyse-sur-Meuse (2).
Dümmler suit Lappenberg. Kalckstein hésite (3) ;
mais, remarque M. Lauer (i), il y a un diplôme
d’Otton du 17 novembre 942 (5)'daté de Vuegesata -,
c’est Visé, diocèse de Liège,à mi-chemin entre Liège
et Maêstricht, en plein pays carolingien. L’entrevue
de novembre 942 est donc historique.
Mais que faut-il croire des détails donnés par
Dudon ? Dans la mission de Tetger au roi de Germa¬
nie, n’y a-t-il pas une déformation de la mission du
comte Roger de Laon qui chargé d’une ambassade
de Louis vers Guillaume, mourut auprès de celui-ci,
détail que Dudon trouvait dans Flodoard (6) ?
(1) Op. cil ., Il, 25.
(2) Ed. de Dudon, p. 196, n. a.
(3) Op. cil., 224, n. 1.
(4) Op. cil., p. 83, n. 5.
(5) M. G., Dipl., I, 135.
(6) Annales, p. 84.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
313
Conon joue le rôle d’otage d’Otton auprès de
Guillaume. (Nous savons que des otages furent remis
à Olton). Qu’est-ce que Conon ? Dudon l’appelle plus
loin ducem Saxonum ; mais il n'y a pas de duc de
Saxe à cette époque, c'est le roi de Germanie qui
est duc de Saxe ; Olton a confié l'administration de
la Saxe à Hermann Billung et à Géro. Ne serait-ce
pas Conrad le Sage, Kurzbold. qui vainquit le duc
lorrain, Gislebert (1) ? Dümmler le fait comte de
Niederlahngen ; c’est probablement un personnage
à demi légendaire. M. Lauer suppose que ce serait
le fameux duc de Francouie, Conrad II le Houx,
939 955 (2). Enfin, n’oublions pas qu’au temps où
écrivait Dudon, Conrad 11 de Franconie succéda à
Henri 11.
Quant au rôle de Guillaume, seul Ricber le rap¬
porte, mais d’une manière différente. Pendant l’en¬
trevue des deux rois, Guillaume a été laissé à la
porte du palais, soit à dessein, soit par hasard,
« consilio incertum anfortuitu ». Il attend longtemps,
puis, comme on ne l'appelle pas, il force les portes.
Il aperçoit alors sur le lit royal Otlou à la place
d’bonneur, au côté le plus élevé, le roi Louis à
l’extrémité la plus basse, Hugues et Arnoul étaient
sur deux sièges. Guillaume, ne supportant pas l’in
jure qui avait été faite au roi Louis, lui ordonne
de se lever. Guillaume s’asseoit et dit qu'il ne con¬
vient pas que le roi soit dans une situation inférieure.
(1) M. G. SS., XVI, 144. Le continuateur de Rêginon , M. G.,
SS., I., 618, l'appelle Chuonradus.
(2) Op. cil., p. 82, n. 5.
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314
ÉTUDE CRITIQUE
Otlon se lève, cède la place au roi. Guillaume
s’asseoit près de Louis, le roi à la place supérieure,
Guillaume plus bas. Ottou, appuyé sur uu béton,
dissimule sa colère ; il se hâte de mettre lin à la
délibération et sort (1). Tout ce récit de Riclier
a pour but de nous expliquer la mort de Guillaume
Longue-Epée qui serait due au ressentiment d'Otton.
Rapproché de celui de Dudon, le récit de Riclier,
pose une question intéressante et délicate. Quelle
est la source où les deux auteurs ont puisé ces
détails. Sans doute les détails diflèrent : chez Dudon,
ce sont les partisans de Guillaume qui lorcent la
porte du palais royal ; dans Richer, c’est Guillaume
lui-même. Les deux récits attribuent au prince Nor¬
mand un rûie important: seulement Dudon, apolo¬
giste des ducs, fait de Guillaume l’honune qui tient
tous les fils de la politique et Riclier affirme qu’il a
été laissé à l’écart de la conférence, d’où sa colère
épique. Si le récit de Dudon était isolé, on invo
querait une tradition locale transmise par Raoul
d'Ivry. Mais il a manifestement avec celui de Richer
une source commune. Ce ne peut être une chro¬
nique contemporaine; les détails mêmes de ces
deux récits n’ont rien de la sécheresse des Aunales ;
il faut donc qu'il y ait eu une chanson de geste qui
racontait les exploits de Guillaume, un chant plus
complet que la Complainte latine de la mort de Guil¬
laume Longue-Epée, un chaut qui développait la
strophe de celte Complainte :
il) Ed. W’AITZ, pp. 54-55.
•v
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S ni DL'DON DE SAINT-QUENTIN
315
Hic audacer olim regcm Hehulowicum
sibi fecit seniorem regmturum
ut cum eo superaret liostem suuni
regnarelgue région more ; (1)
et cette remarque nous amène à étudier une autre
question depuis longtemps posée, les rapports de
Guillaume Longue-Epée avec la chanson de gestes
intitulée le Coronemenl Loois.
Guillaume Longue-Epée et le Coronement Looïs. —
La troisième branche du Coronement Ij>ois raconte
la lutte de Guillaume, fils d’Aimeri de Narbonne,
contre les conjurés qui veulent empêcher, à la mort
de Charlemagne, le couronnement de Louis le Dé
honnaire. Arneïs d’Orléans a réclamé la lieutenance ;
Louis refusant de la prendre, Charles y a consenti.
Mais Guillaume qui est allé à la chasse survient, il
est mis au courant de ce qui se passe, pénètre dans
la chapelle, rompt la presse des barons, s’avance
vers Arneïs et le tue d'un coup de poing, puis il
saisit la couronne sur l'autel et la pose sur le front
de l'héritier légitime en lui jurant de toujours la
défendre. Le vieil empereur en verse des larmes de
joie.
« Sire Guiltelmes, 'granz merciz en criez
Vostre lignages a le mien esalcié ».
ft) Ed. Lait: n. p.
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316
ETUDE CRITIQUE
Après avoir tué Arneïs, Guillaume
Veit la corone qui desus l’altel siet :
Li cuens la prent senz point de l'atargier
Vient a l’enfant, si li assiet el cbief :
o Tenez, bels sire, el nom del rei del ciel,
Qui te doint force d’estre buens justiciers (1) ».
Guillaume fait donc roi, Louis, l’héritier légitime,
en dépit des barons.
Que la troisième branche du Coronement Loois ait
pu avoir pour base historique le régne de Louis
d’Outremer, cette idée a été d’abord soutenue
par Paulin Paris. II voyait déjà dans Guillaume
Longue-Epée l'un des personnages qui ont pu
concourir à former le Guillaume d'Orange de
nos chansons (2;. Cette idée a été aussi admise
par Jonckbloet, dans sou édition de Guillaume
d'Orange (3). Sur la foi des iiistoriens qui, eux-
mêmes, s’en rapportaient à Dudon, il admettait que
Guillaume Longue Epée avait concouru à faire
monter sur le trône Louis IV, rappelé d’Angleterre.
(Nous avons vu que rien n’était moins certain que
celte collaboration).
Mais P. Paris et Jonckbloet étaient bien obligés de
reconnaître que la fidélité de Guillaume Longue-
Epée à l’égard de Louis d’Outremer avait été très
intermittente et qu’il avait, en somme, figuré bientôt
(1) Ed. Langlois. ( Soc . Ane. Texl.), Paris, 1888, in-8°,
v. 142, sqq.
(2) Les Manuscrits français, lit, 120.
(3) La Haye, 1854, 2 vol. in-8", t. II, p. 94.
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SLR DUDO.N Ut SAINT-QUENTIN
:ii7
dans le camp ennemi avec Hugues le Grand et
Herbert. Aussi les deux romanistes se trouvèrent-ils
d’accord pour admettre que si « la poésie populaire
a confondu quelquefois le Guillaume d'Orange de
nos chansons, personnage très complexe, avec
Guillaume Longue-Epée, duc de Normandie », cela
devait être par l’intermédiaire du comte Guillaume
de Poitiers (1) M. Léon Gautier a accepté le système
de l'origine historique du Coronement I.odis (2), mais
il s'est refusé à admettre que Guillaume Longue-
Epée ait pu entrer pour quelque chose dans la for¬
mation du personnage d’un Guillaume, fidèle servi¬
teur de la monarchie ; il a fait remarquer que le
duc de Normandie n’a guère joué ce rôle. « Nous
avons encore beaucoup plus de peine à comprendre
qu’on ait fait entrer dans la galerie des hommes
illustres qui, sous le nom de Guillaume, ont enrichi
notre légende épique, le fils et successeur de Rollon,
Guillaume I er , dit Longue Epée, duc de Normandie
en 927. Il est vrai qu’en 936, il fit bon accueil à
Louis IV d’Outremer, qu’il voulut le conduire à Laon
et assister à son couronnement, et l'ou a pu, d'après
| 1) JoNCKBLOET, op. Cil., II, 96.
(2) Léon Gautier. Les Epopées Françaises , Paris, 1865-66,
4 vol. in-8r, 111, 73. Un autre savant hollandais, M. ! riz Y,
Recherhes sur l'histoire et ta littérature de l'Espagne, 2 éd.,
Il, 26, avait même entrepris d’établir l’origine normande d’un
certain nombre de chansons de geste et en particulier du
Coronement Loois : il renonça à son système dans la troisième
édition de son œuvre, sur les observations de G. Paris,
Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1865, in-8°, p. 82 et
de Léon Gautier.
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ETUDE CRITIQUE
318
ce seul épisode de sa vie, supposer qu’il lui le type
de cet admirable Guillaume du Couronement Looys...
Mais tout d’abord le rôle historique du duc de Nor¬
mandie a été beaucoup moins considérable et beau¬
coup moins actif que le rôle légendaire de notre
héros dans le (ait même de ce couronnement d'un
jeune roi faible et menacé ». (Nous irons même plus
loin que Léon Gautier et dirons que du rôle de Guil¬
laume dans l’avènement de Louis IV on ne sait rien).
n Puis, Guillaume Longue Epée n’a pas tardé à se
brouiller avec Louis IV ; en 939, ou le voit, malgré
les excommunications de l'Eglise, entrer contre le
roi dans une ligue à la tète de laquelle sont avec lui
Hugues le Grand et le comte Héribert. En 940, même
rébellion. Voyons-nous rien de pareil dans la légende
de Guillaume? Et croit-on que le peuple, qui méprise
tous les changements d'opinion (??) ait pu (aire une
popularité profonde et durable à ce Normand qui a,
tour à tour, détendu et attaqué la même royauté et le
même roi »... (1).
M. E. Langlois, lui, voit dans la troisième branche
du Coronemenl une réminiscence du rappel de
Louis IV par les grands barons, desluttes de Louis IV
contre ses barons. « Notre poème, dit-il..., nous
montre un Guillaume d’Aquitaine défendant Louis
contre les usurpations du duc de Normandie. 11 est
vrai que le trouvère appelle ce duc de Normandie
Richard et non Guillaume, mais cette objection est
sans valeur, car Richard le Vieux ou le Roux est le
(1) Op. cil., IV, 93.
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SL R Dl'DOX DK S.UNT-Ol'ENTIN
319
nom épique des ducs de Normandie au moyeu
âge (1) ». Mais il se formule à lui-même une objec¬
tion : « le principal ennemi du roi n'avait pas
été le duc de Normandie, mais Hugues de France.
Pourquoi donc, si notre chanson se réfère à ces
luttes, n'a-t-elle pa9 donné à ce dernier le rôle
qu'elle assigne au Normand ? Hugues triomphe
de la race carolingienne et sa victoire valut la cou -
ronne de France à son fils. C’était un de ses descen¬
dants qui occupait le trône lorsque les souvenirs de
celte triste époque vinrent se condenser dans notre
chanson. I)ès lors, la poésie ne pouvait lui faire
jouer un rôle criminel ».
A ces explications un peu subtiles, M. F. I.anglais
finit par en préférer une autre qui ne l'est pas
moins : la chanson aurait été chantée d'abord dans
une région où le héros était populaire, ce qui
expliquerait, en même temps, le lieu choisi pour
le théâtre des événements : Tours, qui se trouve
entre l’Aquitaine et la Normandie, sur la route
de Poitiers â Rouen ? M. E. Langlois relève encore
d’autres éléments historiques empruntés à l’his¬
toire des ducs de Normandie qui ont pu contri¬
buer à la formation du Coronemenl de Loois. Ce sont
les faits « qui se sont passés pendant que Richard
le Roux était duc de Normandie qui ont dù exciter
chez les Français une grande haine contre les Nor¬
mands et qui, à mon avis, ont eu une profonde
(1) Op. cil., p. LV.
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ETUDE CRITIQUE
iullueuce sur notre légende (I) ». M. E. Langlois
rappelle comment, après l’assassinat de Guillaume
Longue Epée, le roi de France fit venir le jeune
Richard à Laon et comment les Normands attachés
à leur prince firent le roi prisonnier. « Cette trahi¬
son, dit-il, dut inspirer aux partisans de la famille
carolingienne la haine que nous retrouvons dans
notre poème contre les Normands. Il semble même
que la légende ait gardé un double souvenir de ces
faits dans la captivité de Richard et dans le guet-
apens du duc de Normandie, qui se précipite sur
Guillaume, lorsque celui-ci, confiant dans la paix
qu’il a faite avec lui, vienlsans escorte à Rouen (2) ».
Le système étant admis, il est étonnant que les
romanistes n'aient pas fait un rapprochement de
plus entre l'histoire et la chanson. Comment n'ont-
ils pas vu dans certains épisodes de la chanson de
geste une réminiscence des incidents rapportés par
Dudon et Richer, lors de l’entrevue d'Otton et de
Guillaume? De même que dans le Couronnement,
Guillaume Fièrebrace vient mettre la couronne sur
la tête du jeune Louis, de même dans Richer, Guil¬
laume Longue-Epée veut forcer Otton à laisser la
première place au roi Louis, de même, dans Dudon,
le roi Henri (?) contraint par Guillaume, est amené
(I) Remarquons que si teduc de Normandie rappelle Richard
le Houx dans la légende, il ne s'appelle jamais ainsi dans
les textes historiques. On comprend d'ailleurs fort bien qu'un
duc normand reçoive ce nom de Roux, les Normands pou¬
vaient avoir fréquemment ce type.
Ç2) Op. cil., p. LVI.
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suit UCDON DE SAIXT-UIENTIN 3SI
à se rendre au devant du roi Louis. Mais nous nous
garderons d’insister : car un critique récent a
démoli tout le système des rapprochements entre
les chansons de geste et les événements historiques ;
il s'est refusé à admettre que les chansons de geste
du XII» siècle fussent dérivées de cantilènes anté¬
rieures, proches des événements historiques et plus
conformes à ces événements. Pour lui, les chansons
de geste sont des romans épiques nés générale¬
ment auprès des cloîtres et des lieux de pèlerinage
renommés ou sur les routes de ces lieux de pèleri¬
nage ; ils sont l’œuvre, le produit combiné de la
science des clercs et de l’imagination des jongleurs
attachés à ces lieux de pèlerinage. Devant ce sys¬
tème, toutes les identifications historiques tombent.
M. Bédier détruit tous les rapprochements histo¬
riques tentés è propos du Couronnement Louis.
« Jamais, dit-il, Tours n’a été le théâtre d’événe¬
ments qui rappellent en quoi que ce soit les inci¬
dents du poème. Jamais, à Tours ni ailleurs, aucun
roi de France, qu’il s’appelât Louis ou autrement,
n'a été le prisonnier des moines d’un monastère.
Jamais aucun Guillaume n’est venu de Rome ni
d’ailleurs délivrer de captivité aucun roi de France.
Jamais aucun roi de France, prisonnier de vassaux
rebelles, n’a été tiré de prison par un combat livré
dans les rues d’une ville quelconque (1) ».
il n’a pas de mal à démontrer que s'il est un roi
carolingien qui ressemble peu au roi imbécile et
(1) Les Légendes épiques, Paris 1008-19-13, 4 vol. in-8", I, 247.
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ETUDE CRITIQUE
3K
couard du poème, c'est l'énergique Louis d'Ou-
tremer. Il cite le mot d'un historien repris par
M. Lauer : « Par lui eût été relevée la maison de
Charlemagne si elle eût pu l’être ». Il faut, en effet,
tout l'entrainement des théories acquises pour que
M. Lauer, qui a écrit ces lignes, ait souscrit après
MM. Jonckbloet, L. Gautier, Langlois et Willelms,
au rapprochement entre Louis IV et le Louis du
Couronnement.
AL Bédier raille les critiques qui voient tour à tour
dans Guillaume Longue-Epée et dans Guillaume
Tête d’Etoupe, comte de Poitiers, le Guillaume
épique. M. Willelms s’est demandé quel était le
Normand orgueilleux qui a prétendu à la couronne
de France. Il a répondu que ce ne pouvait être aucun
des fils de Richard le Vieux, mais que ce pouvait être
son père Guillaume, qui fut, à diverses reprises,
l'adversaire de Louis. Or, M. Lauer a démontré
qu'il avait, au contraire, soutenu Louis (en certaines
circonstances, du moins). «Ainsi, dit M. Bédier, le
même Guillaume Longue-Epée est, au gré des cri¬
tiques, le traître ou le personnage sympathique du
roman (1) ». M. Bédiera, ici, une occasion de plus de
railler « des constructions qui, de loin, semblaient
imposantes et harmonieuses. Dès qu’on approchait,
dès qu’on les considérait d'un regard clair, elles se
dissipaient en fumée, comme des palais de rêve (2) ».
Et de même, le travail de M. Jonckbloet et de ses
(1) Op. cit.y I, 251, n. 1.
(2) Ibid., p. 259.
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SL'H Dl'DO.V DE SAI.NT-ULENTIX 323
disciples qui ont produit successivement seize Guil¬
laume prototypes de Guillaume d'Orange [chacun
en admettant un certain nombre et rejetant les
autres), inspire sa verve ironique. « Comme en un
jeu de massacre, chaque critique s’est amusé à cul¬
buter trois Guillaumes, ou quatre ou cinq, tantôt le
Guillaume au nez postiche et tantôt le Guillaume
à la tète d’étoupe ; mais un autre redressait aussitôt
les fantoches obsliués, et parfois la même main
qui venait de renverser l’un des deux Fièrebrace
relevait pieusement l’autre (1) ». M. Bédier, lui,
les massacre lotis les seize, y compris Guillaume
Longue Epée. Pour lui, le couronnement de Louis
n’a ni cinq branches, ni quatre (2) ; il ne s’est pas
formé par l’amalgame de poèmes du nord et du
midi, n c’est un roman très simple et, pourrait-on
dire, trop simple. Deux personnages: un roi tout
jeune, faible et lâche, un vassal fidèle. Le vassal a
pris le roi sous sa tutelle et a promis qu’il le défen¬
drait loyalement envers et contre tous ; il tient sa
promesse et c’est tout le sujet. La faiblesse et la
lâcheté du roi en contraste avec les prouesses et le
dévouement du vassal, c’est la seule idée que le
poète veuille mettre en œuvre, et, pour y réussir, il
n’aura qu’à imaginer quelques incidents tels que le
(1) Op. cil., p. 261.
(2) Les critiques, depuis un travail de M. Lot, Guillaume de
Montreuil, dans la Rumania, XIX, p. 290, ont abandonné la
cinquième branche imaginée par Caston Paris.
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ETl'DE CRITIQI'E
321
dévouement du vassal s’y déploie sous des aspects
aussi variés que possible (1) ».
Mais M. Bédier admet que les chansons de geste
telles qu’elles nous sont parvenues, sont des rema¬
niements de chansons plus anciennes. Avec M. Jean
roy (2), il a entrepris la reconstitution d'un couron¬
nement de Louis plus ancien ; nous ne voyons pas
davantage la place que Guillaume Longue-Epée
aurait pu avoir dans ce remaniement. Notre conclu¬
sion provisoire est donc celle-ci : il n’y a entre le
Coronement Loois et l’histoire des ducs de Normandie
aucun point de contact historique.
Cependant nous retenons l’hypothèse de M. Bédier
que nos chansons de geste sont des remaniements ;
donc, tout en rejetant l'existence decantilcnes méro
vingiennesel carolingiennes d’où seraient sortis nos
poèmes par transformations successives, il faut bien
admettre qu'il a pu éclore une floraison épique anté¬
rieurement au X1I« et au XIII” siècle ; donc il aurait
pu y en avoir une au XI”, voire même au X e siècle ;
donc Dudon de Saint-Quentin et Richer, des œuvres
desquels on a remarqué depuis longtemps le carac
1ère épique (3', ont pu puiser à celte source ; donc
l’œuvre de Dudon, qui, comme je l’ai démontré,
n’est personnelle que dans l'arrangement, mais dont le
fond est tout entier fait d’emprunts, — le chanoine
(1) Dédier, I, p. 280.
(2) Eludes sut- te cycle de Guillaume au Court-Nez. Le Cou¬
ronnement de Louis, dans la Homania, XXV, 253, sqq.
(3) Pour Dudon, voir te passage de Dcmmler, que nous
avons cité dans notre Introduction.
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Sun DUDON DE SAINT-QUENTIN
345
prend son bien où il le trouve, — peut renfermer, à
côté d’emprunts aux Annales carolingiennes et des
Sagas Scandinaves, des emprunts aux données des
chansons de geste. Ainsi s’expliquent les innom¬
brables incidents de caractère légendaire qui se
retrouvent dans son œuvre et qui nous embarrassent
souvent. Celte hypothèse est d'autant plus plausible
que la Normandie encore Scandinave du X" et du
XI” siècle est un pays de légendes. « Dudon écrit,
disions nous déjà en 1911, chez un peuple jeune
encore, plein de poésie, amateur de chansons
héroïques, pays de Saga, disons le mot ».
La mort de Guillaume Longue-Epée a inspiré une
complainte eu vers latins ; M. Gaston Paris a sup¬
posé qu’elle avait, en outre, suscité une chanson de
geste, la Chanson de ta Vengeance de Itioul. Ne peut-
on imaginer qu’un incident de cette chanson était
la rébellion de Rioul contre Guillaume et son châti¬
ment, qu’un autre racontait la conduite deGuillaume
Longue-Epée protégeant son roi contre les préten¬
tions du roi allemand? Là auraient puisé Dudon et
Richer. Ne peut on aussi désigner le lieu où s'est
élaborée cette légende? M. Bédier ne nous a-t-il
pas mis lui même sur la voie en nous invitant à
le chercher près d'un sanctuaire où les fêtes reli¬
gieuses et des foires attiraient les pèlerins ( 1). N’a-l-il
pas indiqué lui même Fécamp à propos de Richard
le Vieux? N'a t il pas fait remarquer très justement
que Fécamp est un lieu de pèlerinage à cause de la
\1) Ibid.. I, 405 et iiassim.
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3Î6
ETUDE CRITIQUE
très précieuse relique que coulieut l'abbaye, le Pré¬
cieux Sang? (I) N'a-t-il pas démontré que Richard
est tnélé à ces légendes. « Si les jongleurs, dit il (2),
ont introduit Richard de Normandie dans les chan¬
sons de geste, c'est qu'ils connaissaient ces légendes,
du moins les plus anciennes; c’est qu'ils avaient
visité l’abbaye de Fécamp ».
Qu’il nous soit permis d'insister sur l'importance
de Fécamp dans l’historiographie de la Normandie
et dans l'histoire littéraire. Fécamp, c'est le Saint-
Denis des ducs de Normandie. Son abbaye est aux
duc$ ce que la célèbre abbaye de l’ile de France
était aux rois de France. Les rois sont élevés à
Saint-Denis, les ducs à Fécamp. C'est là qu’est né
Richard 1°', qu’il a été élevé (3). C'est aussi le lieu
de sépulture des ducs. Richard 1" y meurt. Richard II
y est inhumé. Un fils de Richard II, Guillaume, y
lut moine, ainsi qu'un fils de Richard III, Nicolas (4).
Cette abbaye ducale est, par la volonté des ducs,
abbaye bénédictine et clunisienne. Si au temps de
Richard I", Maieul a échoué dans son projet de
réforme, au temps de Richard H, Guillaume de
Saint Bénigne a réussi dans l’œuvre de réformation
de l’abbaye, en l’an 1001. Du temps même de Dudon
l'abbaye est donc devenue un foyer de renaissance.
Or, l'abbaye ducale était à la fin du XII” siècle,
(1) Voir sur ce point Leroux de Lincy, op. cit.
(2) Ibid., t. IV, 15.
(3) Dudon, éd. Lair, p. 2!8
(4) Guillaume de Jumièges. éd. Marx. pp. 88 et 99.
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SUR DIDON DE SAItiT-Ol'ENTIN
327
comme le montre une charte, le siège d'une con¬
frérie de jongleurs, et il est formellement dit dans
cette charte que cette confrérie existait déjà au
temps du duc Richard I er , qu’elle dura tout le temps
du duc Richard 11 (1). « La fraarie , dit M. Bédier,
tlorissait donc à la belle époque des chansons de
geste et, s’il fallait en croire la tradition du mo¬
nastère, elle remonterait au temps même du duc
Richard (2) ».« Certes, ajoute M. Bédier, ce trait est
légendaire ». Cela ne veut pas dire qu'il est inexact.
S’il y eut, comme le dit formellement la charte
rédigée par Raoul d'Argences, abbé de 1188 à 1219,
une fraarie reconstituée sous Henri de Sully, abbé
de 1139 à 1188, fraarie qui avait disparu après la
mort du roi Henri (sans doute pendant les troubles
du roi Etienne), on ne voit pas pourquoi cette fraarie
n’aurait pas existé au XI e siècle, à tout le moins,
pourquoi quelque poète n'y aurait pas chanté les
ducs.
Dudon connaît Fécamp : c’est de toutes les villes
de Normandie celle qu'il cite le plus souvent dans
son œuvre (3). M. Lauer a remarqué que l’abbaye
de Fécamp, très riche en manuscrits, contenait un
manuscrit des Annales de Flodoard (4). N’est-ce pas
(1) Texte latin d'après un vidimut du XV* siècle, publié par
M. Leroux de Lincy, op. cit., p. 378.
(2) Bédier, IV, 18.
(3) 11 est remarquable qu'il connaît fort peu les villes nor¬
mandes ; on énumérerait très vile celles qui sont citées dans
son œuvre : Pont-de-l'Arche, Bayeux, Evreux ; c'est à peu
près tout.
(4) Mélanges de l’Ecole de Rome, 1898, p. 507.
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328
KTUDE CRITIQUE
là que Dudon, au milieu des moines, aura composé
son œuvre, amalgamant les renseignements fournis
par les Annales et les données des chansons de
geste du temps, chansons qui malheureusement ne
nous sont pas parvenues ? Cette conjecture explique¬
rait le caractère épique de l’œuvre qui a frappé depuis
longtemps ceux qui l’ont étudiée avec soin. Dudon
n’a-t il pas utilisé des sources poétiques, des récits
de trouvères ? Si Dudon et lticher, comme l'admet
M. Lauer (1) et comme je le crois de plus en plus,
ont une source commune, une chanson normande
quelconque, il se pourrait que nos deux chroni¬
queurs épiques y aient précisément puisé les deux
faits qui se trouvent en commun dans leur récit :
le fait que Guillaume n’a pas été admis à la confé¬
rence royale et le mécontentement que ses soldats
et lui en out éprouvé.
Le baptême du fils de Lothaire. — Au retour de
cette entrevue de Visé, Louis, suivant Dudon, appre¬
nant la naissance de son fils, a demandé à Guillaume
d’en être le parrain. Ceci ne se trouve que dans
les sources normandes. M. Lair lui-même a de la
peine il l'affirmer : « Lothaire était né l’année pré¬
cédente ; ce n’est donc pas à ce moment-là que
Louis IV a pu apprendre sa naissance ». « Il est tou¬
tefois peu probable, ajoute-t-il, qu’il soit complè¬
tement inexact et il est permis de supposer que la
cérémonie du baptême n'avait pas immédiatement
(IJ Op. cil,, p. 84, il. t.
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SIR DUDON DE SAINT-gl'ENTlSi
349
suivi la naissance de l'enfant (1). J’ajoute qu'il est
également permis d’en douter. Il parait même
impossible, Lothaire étant né en 941, que Louis
d’Outremer ait pris pour parrain Guillaume Longue-
Epée, avec qui il ne se réconcilia qu’eu 942, mais
Dudon a brouillé habilement la chronologie.
M. Lot a admis la réalité de ce parrainage (2).
Pourtant, il serait bien invraisemblable, comme le
remarque M. Lauer (3), que le jeune Lothaire fût resté
un an sans être baptisé, ce qui était contraire aux
habitudes du temps (4) et aux prescriptions des
Capitulaires de Charlemagne (3). Ajoutons qu'il est
bien étonnant que Flodoard n’ait rien dit du parrai¬
nage de Guillaume Longue-Epée, alors qu’il men¬
tionne celui de Hugues le Grand. Dudon n’a-t-il pas
voulu expliquer ainsi l’assassinat de Guillaume
Longue-Epée par la jalousie des grands ?
S'il faut en croire Dudon, Guillaume aurait ensuite
fait son entrée à Laon, précédé par le chœur des
évêques ; il aurait été reçu en grande pompe par le
clergé de cette ville. Ce détail du chœur des évêques
est intéressant à relever parce qu'il est une preuve
de plus que Dudon avait lu Fludoard ; il ne fait, eu
elfet, par un procédé qui lui est familier, que trans-
(1) Ed. Dudon, p. 198, n. b.
(2) Les Derniers Carolingiens, Lothaire, Louis V, Charles de
Lorraine, Paris, 1891, in-8°, p. 10, n. 1.
(3) Louis IV, p. 107, n. 4.
(4) Flodoard, Annales, p. 134, au sujet de la mort d’Henri, (Ils
de Louis.
(5) M. (î. Capital., I, 159.
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ETUDE CRITIQUE
porter à Guillaume ce que l'annaliste rémois dit de
Louis : celui-ci, à son retour de l'entrevue avec Otton,
est reçu par les évêques du diocèse de Reims (1).
Guillaume serait ensuite revenu à Rouen, où il
aurait fait une entrée triomphale. Son apologiste
nous dit uu mot de son administration, mais si
vague, qu'il défie tout commentaire, puisqu’il se
borne à cette affirmation que le duc maintint les lois
et le droit et les décrets de son père qui avaient
été négligés en son absence.
Guillaume et l'abbaye de Jumièges. — Le chanoine
de Saint Quentin s’étend ensuite longuement sur
la restauration de Jumièges. Cette abbaye fondée
eu 654 par saint Philibert, avait été incendiée par
les Normands, le 24 mai 841. Peut-être l'abbaye
dut-elle subir une nouvelle destruction en 851 ? (2)
A l'approche des Normands, les moines s’étaient
réfugiés à Haspres, au diocèse de Cambrai avec les
reliques de saint Achard et de saint Hugues (3).
La congrégation semble avoir vécu quelque temps
encore ; car en 862, Charles le Chauve ratifie un
échange conclu par l'abbé Josselin (4). Mais une
réorganisation était sans doute nécessaire, ou bien
le monastère avait subi une nouvelle destruction
qui fut, cette fois, totale ; car Guillaume de Jumièges
(1) o Revertente rege, Remensis dioceseos episcopi ad eutn
veniunt », Ann., p. 86.
(2) Vogel, op. cit., pp. 85 et 133.
(3) Gesta episcoporum Catneracensium, M. G. SS., VU, 461.
(4) H. F. VIII, 571.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
331
donne des détails sur la refondation de l’abbaye
qu’il place après le prétendu baptême de Lothaire.
En ce temps, il arriva que deux moines nommés
Baudouin et Gondouin, venus du territoire de Cam¬
brai, d’une ville qui est appelée Hespera, Haspres,
entrés daus la vaste solitude de ce lieu, se mirent
à défricher les terres abandonnées (1). Le duc
Guillaume venant chasser dans ce lieu les rencon¬
tra. Des serfs étaient groupés autour des moines,
un cloître fut élevé. Pendant ce temps, Gerloc.sœur
de Guillaume, lui envoya de Poitiers douze moines
avec l’abbé Martin appelé du monastère de Saint-
Cyprien de Poiliers (2). Le duc les reçut avec grand
(1) Disent les Annales de Jumièges (nu Regina 553, part. 2 :
au Vatican), qu’il est intéressant de rapprocher de Guillaume
de Jumièges, comme le remarque M. Ch. H. Haskins dans
son compte rendu critique de l'édition de Guillaume de
Jumièges de M. Marx ( English Hist. Revietv, XXXI, p. 150).
Les Annales de Jumièges semblent dire que les moines
Baudouin et Gondouin qui refondent l’abbaye, avaient jadis
appartenu à l’abbave : ils étaient jeunes quand ils étaient
partis pour Haspres, vieux quand ils revinrent. S’ils étaient
moines à l'abbaye en 851, ce doit être bien avant 942 qu'ils
en sont revenus. Il est évident qu'il y avait déjà un certain
nombre d’années qu’ils s’étaient établis sur les ruines de
Jumièges, c’est peut-être lorsque Rollon eut assuré à la Nor¬
mandie une tranquillité relative, qu’ils sont revenus ; Guillaume
Longue-Epée n’a donc fait que continuer un établissement
déjà existant. L'Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pici're de
Jumièges, éd. par l'abbé Loth, Rouen (S. H. N), 1882, 3 vol.,
in-8°, place la visite de Guillaume en 928 ce qui est bien plus
admissible que la date de940 que donne Mabillon, Annales,...
III, 448.
(2) Voir Ord. Vital, éd. Le Prévost, II, p. 8 et p. 361, n. 2;
Robert de Torigny, éd. Delisle, I, 16, II, 192. Sackur, Die
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332
ÉTUDE CRITIQUE
honneur à Rouen et les conduisit, escortés de trou¬
pes, à Jumièges. Il leur livra le pays avec tout le
territoire qu’il racheta des alleutiers à prix d’or et
s’obligea par un vœu à se laire moine. Le duc eût
accompli son vœu, si l’abl)é ne s’y était opposé avec
énergie, lui faisant remarquer que son Qls Richard
était encore un petit enfant, et qu'à cause de sa fai¬
blesse, le pays normand, patria, pouvait être troublé.
Cependant Guillaume emporte un babil monastique,
la cuculle, qu’il enferme dans un écrin, dont il sus¬
pend à sa ceinture la clef d’argent, puis il regagne
Rouen, supportant difficilement la défense de l'abbé.
Là, il réunit tous les chefs normands et bretons,
leur expose son état d'àme et exprime son désir
d’abdiquer. Les chefs stupéfaits, demandent « pour¬
quoi il les abandonne et à qui il confie le comman¬
dement ». Le duc leur répond : « J’ai un fils nommé
Richard. Je vous demande, si vous avez quelque
affection pour moi, de le reconnaître comme duc à
ma place, afin que vous me laissiez libre d'accomplir
ce que j'ai promis à Dieu. » Ils y consentent, il
fait venir de Fécamp son fils Richard, lui fait prêter
serment de fidélité, par tout le duché normand et
Cluniacenscr in ihrer kirchlichen und allgemeingeschichllichen
wirksamkeit bis tur mille des clften Jahrunderts , Halle, 1894.
‘2 vol. in-8°, dit, (t. I, p. 82), qu’il ne sait pas d’où venait cet
abbé Martin, mais qu'il venait, selon toute vraisemblance,
d’un des monastères réformés par Eudes de Clunv ; car il
est protégé par des amis de Cluny. Après avoir réformé
Jumièges, il avait réformé Saint-Jean-d'Angely en 932. Richard,
nj). cil., 82. 84, 85, 9G.
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SIR DUDON l)E SAINT-QUENTIN 333
breton et le confie à Bothon, chef de la milice, afin
qu'instruit dans la laügue danoise, il pût parler avec
ses hommes. Dudon n’a fait que résumer une tra¬
dition (ou des Annales ) que Guillaume de Jumièges
a plus longuement utilisée (1). il ajoute que Guil¬
laume engagea une conversation avec l'abbé Martin
sur la Trinité et sur les trois ordres de la société :
religieux, écclésiastique et laïque. Ce pourrait être
le développement d’une des strophes de la Com¬
plainte :
Idem dodus Trinitatis unitatem
a Mnrtino, unitatis Trinitatem
tria unum alijue unum trio esse
monasterium fundavit (2)
Dudon a aussi développé une autre strophe de la
Complainte où le duc est représenté comme voulant
entrer à Jumièges pour y vivre de la vie monas¬
tique. Et, en même temps, il a expliqué comment le
mari de Lieutgarde, sans attendre de l'union de
cette princesse un héritier, associa son fils Richard
à la couronne : c’est que le prince voulait ainsi se
donner le moyen de se retirer plus tard dans un
cloître. Celte reconnaissance a-t-elle eu lieu ? On
comprend, en tout cas, que Dudon l'ait affirmée
pour justifier la légitimité des droits de Richard,
fils d'une concubine.
(1) Ed. Marx, pp. 39-40.
(2) Ed. Lauer, p. 320.
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ETUDE CRITIQUE
331
Montreuil. — Dudon, au lieu de nous raconter ce
qui, chronologiquement, a suivi presque immédia¬
tement le retour de Guillaume en son duché après
l’entrevue de 942 avec Otton et Louis, c’est à-dire la
mort du duc, revieut en arrière et nous raconte
l’affaire de Montreuil, qui est bien antérieure, puis¬
qu'elle est de 939.
Montreuil-sur-Mer était alors une ville impor¬
tante par son commerce et le produit de ses douanes.
Lecomte Ilélouin se maintenait difficilement entre
ses trois puissants voisins : Arnoul, Hugues et le
duc de Normandie. Montreuil constituait sur la
Canche une petite principauté picarde entre le Ter-
nois, le Boulonnais et le Ponthieu.
« Arnoul gagna, selon Richer, un des gardiens de
la place, qui s’appelait Robert, par des promesses et
en lui faisant dépeindre la domination normande
comme imminente s’il ne lui livrait la ville. Il put
ainsi pénétrer de nuit dans Montreuil, grâce à la
trahison de Robert qui avait fait ouvrir une des
portes de la place. Les trésors d’Hélouin furent pris,
sa femme et ses bis emmenés en captivité, furent
envoyés au roi Athelstan. Quant à Hélouin, il parvint
à s’échapper à la faveur d’un déguisement (1) ».
Dudon de Saint-Quentin assure que Guillaume est
venu en personne au secours d'Arnoul. Flodoarddit
simplement qu’Hélouin a repris la ville avec une
troupe de Normands (2), et Richer, que Guillaume
(1) Lacer, op, cif., p. 38.
(2) Annales, p. 72.
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SIR Dl’DO.N DE SAINT-QUENTIN 335
lui a accordé des secourset confié des troupes « auxi-
liumannuit acmilitum copiant eicommiltit (1) ».
M. Lair ajoute : « Il parait, par le récit de Flo-
doard et celui de Riclier, que la place de Montreuil
fut remise en bon état (2) ». Cela est vraisemblable,
mais il n'en est pas question dans Richer et Flo-
doard. D’après Richer le siège fut difficile. Hélouin,
s’empara des soldats d'Arnoul, en tua une partie, en
réserva uneautre pour les échanger contre sa femme
et ses enfants (3). Ajoutons qu’Arnoul essaya de
reprendre celte place, ce que ne dit pas Dudon.
Flodoard y fait allusion eu une phrase brève.
La mort de Guillaume Longue-Epée
La mort de Guillaume Longue-Epée nous est ra¬
contée par Dudon après un nouvel éloge du duc qui
n’est pas seulement d'un apologiste, mais d'un his¬
torien désireux d'expliquer les événements, car
pour Dudon, la seule cause de l’assassinat du duc
est la jalousie des grands et, en particulier, celle
d’Arnoul. Le comte de Flandre, goutteux et désirant
la paix, envoie une ambassade au duc de Norman¬
die, il lui demande un armistice et pendant cet
armistice une entrevue. Guillaume consulte les
grands, il accorde une suspension d'armes de trois
mois et se rend au plaid projeté, après avoir convo-
(1) Ed. Waitz, p. 46.
(2) Ed. Dudon, p. 205, n. a.
(3) Ed. Waitz, ibid et Flodoard, Annale», p. 72.
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que les contingents normands et bretons. Arnoul
est à Corbie prés d'Amiens, il envoie à Guillaume
un message fixant le rendez-vous à Picquigny,
dans une lie de la Somme. Guillaume s'y rend
avec douze chevaliers seulement. L'entrevue est
longue. Guillaume réconcilie Arnoul avec Hélouin,
puis il s’embarque seul ; une autre barque emmène
ses douze compagnons. Mais alors, de l'autre rive,
Eric, Galzo, Robert et Rioul le rappellent et au
moment où la barque du duc revient seule, ils se
jettent sur lui et le tuent.
Tel est le récit de Dudon, récit assez laconique,
si on en relire les discours que le doyen prèle à
Arnoul. Tout y est parfaitement vraisemblable. Il
est en parfait accord avec ce que dit Flodoard qui,
en trois lignes précises, déclare qu'Arnoul, par ja¬
lousie, fit tuer le duc des Normands. Il est également
conforme à la donnée de la Complainte qui attribue
également le meurtre à Arnoul, mais parait dire
qu’il n’y eut que deux meurtriers. Flodoard semble
même croire qu'il n’y en eut qu’un, puisqu'il racon¬
tera plus tard qu’IIélouin a fait mettre à mort le
meurtrier de Guillaume et a envoyé sa main coupée
aux Rouennais (t).
Il est intéressant de comparer le récit de Dudon
avec ceux des autres écrivains. On peut laisser de
côté celui de Guillaume de Jumièges (2) répétition
exacte de celui de Dudon. Mais un historien franc,
(1) Annales, p. 89.
(2) Ed. Marx. p. 43.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
337
d’ailleurs peu exact, Raoul Glaber, racoute cet évé¬
nement d'une façon très différente : Thibaut le
Tricheur s’est entendu avec Arnoul pour assassiner
Guillaume, le duc de Rouen. Il l’a convoqué à une
entrevue sur la Seine; après l'entrevue, c’est lui qui
rappelle Guillaume. Celui-ci revient seul, défendant
qu'on le suive et, dès qu'il met le pied sur la rive,
Thibaut lui tranche la tète (1). Pourquoi a t on
attribué ce meurtre à Thibaut? Sans doute, à cause
de sa mauvaise réputation. Peut-être aura-t-on rap¬
proché du nom de Bauce, le meurtrier, le nom de
Thibaut (2) ?
Un écrivain anglo normand du XII» siècle, Guil¬
laume de Malmesbury, indique aussi les bords de la
Seine comme le lieu de la rencontre. Le meurtrier,
dans son récit, est Bauce le Court, qui venge Rioul
et le (ils de celui ci, Anquelil, victime de Guillaume
Longue-Épée (3) : « L'an 944, Guillaume, fils de
Rollon, duc de Normandie, fut assassiné, par ruse,
en France, ce qui, d’après les anciens, n’aurait pas
été fait sans motif (4). Rioul, un des grands de la na¬
tion normande, étant venu à combattre Guillaume,
je ne sais pour quelle cause (preuve que Guillaume
de Malmesbury n’a pas lu Dudon), l’attaqua de plu¬
sieurs manières. Son fils Anquetil, pour plaire au
(1) Ed. Prou, p. 87.
(2) Laukr, Louis IV , p. 279, n. i.
(3) De gestis regum anglorutn , éd. Stubbs, R. S., London,
2 vol. in-S", I, 160.
(4) Quod non immerito factum majores tradunt.
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338
ÉTUDE CRITIQUE
comte, osa braver la nature au point qu'il combattit
sou père dans un combat singulier et le livra au
pouvoir du comte, confiant dans le serment de
celui-ci qu’il ne serait fait à Rioul d’autre mal que
de 1’enchaiuer. Mais toujours la méchanceté est la
cause du malheur. Peu de temps après, saisissant
quelque occasion, le comte envoya Anquetil à Pavie,
portant une lettre au duc d’Italie ordonnant sa mort.
Anquetil, accomplissant son voyage, fut reçu magni¬
fiquement. Le duc, ouvrant les lettres de Guillaume,
fut fort étonné qu’on lui ordonnât de tuer un che¬
valier aussi insigne, mais, comme on ne désobéit
pas à un comte aussi puissant, il fit assaillir Anque¬
til, déjà sorti de la ville, par mille chevaliers ; celui-
ci résista vigoureusement avec ses bons chevaliers
normands ; mais il succomba enfin et n'eut point la
mort d'un lâche. Seul de l’un et l’autre parti sub¬
sista le Normand Bauce (Balzo), Hauzon, homme de
petite taille, mais d’un courage immense, que l’on
appelait par ironie le Court. Seul il assiégea la cité,
seul avec son glaive, il effraya les habitants : ce qui
ne paraîtra pas extraordinaire à ceux qui savent ce
que peut l’audace d’un homme fort et le peu que
valent au combat les gens du pays. A son retour, il
se plaignit au roi de France de la perfidie de son
maître ; car la renommée rapportait que Rioul avait
eu les yeux crevés. Pourquoi Guillaume fut appelé
en jugement à Paris et décapité par Bauzon, sous le
prétexte d'une entrevue au milieu de la Seine. »
Evidemment, nous avons ici le souvenir d’une
légende où entraient Rioul, Bauce, Anquetil. Rioul
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SUR DUDON DE SAINT-Ql’ENTIN
339
avait eu les yeux crevés; Bauce vengeait Anquetil
et Rioul. Cette légende devait avoir trouvé sa (orme
dans une chanson , car Wace semble en avoir eu
connaissance; il y fait allusion :
A jugleurs oi en m'eflance chanter
Que Willeame jadis tisl Osmunt essorber
E al cunte Riuf les dous oilz crevez,
E Anquetil le pruz flst par enging tuer,
E Baute d'Espaigne o un escu garder;
Ne sai nient de ceo, n’en puist rien truver,
Quant jeo n’en ai garant, n’en voil nient cunter (1)
A la chanson Wace a pris le rôle de Balces : c’est
Bauces qui rappelle Guillaume.
Sire duc, ceo dit Balces, rclurnez à nus ca!
Laissiez passer voz humes, li batel revuendra.
C’est lui qui frappe le duc.
Balces leva l’espee que suz ses pels porta,
Tel l'en duna el chief que tut l’escervela.
Les autres conjurés ne jouent qu’un rôle secondaire.
Li altres treis feriient, e li dus trébucha (2).
Il est remarquable que Wace qui paraît rejeter la
légende en ce qui concerne le châtiment des coin
pagnons de Rioul lui emprunte cependant le rôle
de Bauce dans l’assassinat. Ne serait ce pas qu’une
complainte relative à Rioul circulait en Normandie
(1) Roman de Rou, éd. ANDRESEN, I, p. 88, v. 1361 à 1367.
(2) Ibid., I, p. 110, v. 1972.
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3i0
ETUDE CRITIQUE
(sans être normande peut-être) et que les historiens
normands, favorables aux ducs, n’avaient pas voulu
l'adopter ?
Plus prudeut que Wace, Dudon a bien donné les
noms de quatre conjurés, mais n’a pas dit un mot
qui pût permettre de deviner quel rôle ils jouaient,
quelle vengeance ils exerçaient; c’est qu’il s’inspire
des Annales franques; il faut toujours en revenir
là. Avec Flodoard, il désigne Arnoul comme le seul
fauteur de l'assassinat; et pourtant, il est remar¬
quable que Dudon lui même conserve la trace de la
part que les conjurés normands ont eue à la mort
de Guillaume. Le roi de France reproche à Arnoul
l'assassinat de Guillaume. « Une fausse renommée,
répondent les partisans du comte de Flandre, t'a rap¬
porté qu’Aruoul notre seigneur a contribué à la mort
injuste du duc Guillaume, mais il veut se justifier
devant toi et les tiens par l’épreuve du feu. Ce sont
des nobles que Guillaume a accablés de maux qui
ont résolu sa perte ,1) ».
Il est donc évident que Dudon connaît déjà la
version d’une participation des conjurés normands,
et il la met dans la bouche du traître Arnoul comme
une excuse. Il se peut d’ailleurs que la Flandre ait
été le refuge des mécontents normands ; les deux
versions ne sont pas inconciliables.
Philippe Mousket, au XIII® siècle, fond dans sa
chronique la légende de Rioul et le récit de Raoul
Glaber ; le meurtre a lieu en présence du roi à
(1) Ed. L.UR, p. 228.
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SUR DUDON RE SAINT-QUENTIN 341
Picquigny, en « Iislet de Sainne » (1). C’est Arnoul
qui rappelle Guillaume et Bauce qui le tue (2).
Au XIV 8 siècle, Jacques Meier, dans ses Commen¬
tant sire Annales rerum Flamlricarum (3) raconte
l'entrevue de Picquigny. Bauce le Court devient
Baudouin le Court, llalduinus curtus ; ses compa¬
gnons, sont Ridoul, Eric, Robert, Kioulf (4). Jacques
Meier se fait, en outre, l'écho d’une tradition d’après
laquelle ce serait Louis qui aurait fait périr Guil¬
laume. Il a aussi conservé l’épitaphe de llalduinus
Balzo cognomine Brevis, mort en 975, où, chose
curieuse, il est fait mention du siège de Pavie et de
la mort de Guillaume Longue-Epée.
Or Baudouin est un personnage historique ; c'est
Baudouin Balzo, cousin germain d’Arnoul et cousin
d’Arnoul II, qui fut tuteur de ce prince (965). Et
Bauce est aussi le héros d’un roman, d'un poème
encore inédit, « Anseïs, fils de Girbert » (5).
L'origine de ce Baudouin nous est connue par
les Annales Blandinienses. C’est le fils du comte
Raoul de Gouy, qu’on appelle dans l'épopée Raoul
de Cambrai, ce qui n'est pas tout à fait inexact,
(1) Fusion géographique des deux légendes.
(2) Ed. Reiffenberg, I, 83. On y retouve aussi une réminis¬
cence de la légende rapportée par Guillaume de Malmesbury.
Et puis tout seus assist Pavic.
(3) Anvers, 1561, in-folio, p. 17.
(4) Ridulfus, Ericus, Robertus, Chiulfus. Ce ne sont pas
tout à fait les mêmes noms que dans Dudon.
(5) Raoul de Camlo'ai (Société des anciens textes), Paris,
1882, in-8°, p. XX.
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312
ÉTUDE CRITIQUE
puisque Gouy était situé dans le pagus Cameracensis,
au milieu d'une région forestière, l’Arrouaise. Ce
comte Raoul avait pris part, à côté d’Herbert de
Vermandois, aux luttes contre les Normands(923) (1).
Il mourut en 926. Dans le poème de Raoul de Cam¬
brai, à la mort du comte de Vermandois, Herbert
dispute aux quatre fils de celui ci l'héritage. Ce
Raoul est le héros du poème de Raoul de Cambrai
et son fils Baudouin est aussi le héros d’un poème
aujourd'hui perdu. Ainsi les poèmes relatifs à Raoul
de Cambrai et à Baudouin Bauce, son fils, sont venus
de bonne heure contaminer le récit historique.
Mais un autre poème de la vengeance de Rioul
se retrouve dans les sources normandes ; il apparaît
nettement dans Guillaume de Malmesbury ; Wace,
s’il n’a pas voulu s’en rapporter aux jongleurs, l’a
connu et peut être très vraisemblablement avant
lui, Dudon l'a connu aussi et lui a pris le nom des
quatre meurtriers de Guillaume Longue-Epée.
Maintenant, le duc a t-il été assassiné par quatre
conjurés? La Complainte latine, qui est la source
la plus sûre avec Flodoard, n’en indique que
deux « duo punitores » dont elle ne donne pas les
noms.
Le seul point certain, c’est qu’Arnoul a été,
sinon l’auteur direct, au moins l’inspirateur de
cette mort. Des vengeances privées ont pu aussi y
trouver satisfaction, mais c’est là un élément légen¬
daire et nous nous trouvons en présence de deux
fl) Flodoard, Annales, pp. 15-16.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 343
groupes de légendes que l’on peut voir reparaître
l'un et l’autre dans l'histoire.
Guillaume, raconte Dudon, lut enterré à Notre-
Dame de Rouen, l’église cathédrale. On y montre
encore son tombeau. Dudon, ainsi que Guillaume de
Jumièges, dit qu’il est mort en l’an DCCCCXL1II,
XVI kalendas januarii.
Wace écrit :
Noef cens e seisante ans, et sis acumplizerent
Puis que Jhesu nasquit, si cum li clerc cunterent
Quant li dus fut ocis e Normant l’enterrerent (î).
Guillaume de Malmesbury dit 944 (2). La date de 943
a été généralement acceptée par les historiens (3)
qui ont cru la trouver dans Flodoard (4) ; ils n’ont
pas remarqué que Flodoard avait placé cet événe¬
ment au début de l’année 943, et que la date du
jour est donnée par Dudon: XVI kalendas januarii
est le 17 décembre et par conséquent se place en
942. D’après certains autres manuscrits de Dudon,
(1) Ed. Andresen, v. 2010-2012, I, p. 112.
(2) Gesla regum anglomm , I. 160-161.
(3) Luchaire, Histoire de France de Lavisse, t. II, p. 53.
(4) Si Orderic Vital, (II, p. 9), les Annales Uliccnscs , les
Annales Cadomenses, (M. G. SS., XXVI, 498 et 499), disent 942,
les Annales Hotomagenses (M. G. SS., XXVI, 498), disent 943,
16 kal. jan., les Annales Gemeticenses (Ibid., 499), 943 ; les
Annales du Mont-Saint-Michel (Labhk, Bib. nov., I, 348), les
Annales Lindisfarnenses (M. G. SS., XIX, 507), les Annales
Fiscannenses (M. G. SS, XVI, 482), les Annales Sancti Quintini
Viromandensis (Ibid., XVI, 508) disent 943.
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ETUDE CRITIQUE
344
il faudrait lire 13 kalendas, ce qui ferait le 20 dé¬
cembre. Mais l’anniversaire de la mort de Guillaume
était célébré à Fécamp le 17 décembre. D’autre
part, les manuscrits de Rouen, Londres et Cam¬
bridge donnent XVI Ical, donc le 16 décembre (1).
Ainsi Guillaume Longue Epée est mort le 17 ou le
20 décembre 942 (2).
(1) Ainsi qu’un Obituaire de Jumièges, H. F., XXIII, 422.
(2) C'est, sans cloute comme le remarque M. Lauer, op.
cit., p. 88, n. I, par suite d’un lapsus que M. Lair, dans son
Etude sur la vie et la mort de Guillaume Longue-Epée, p. 43,
donne la date du 16 janvier 943.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
345
LE QUATRIÈME LIVRE
RICHARD l £ "
On a été quelquefois tenté d’accorder plus de
crédit à la partie du De moribus relative au duc
Richard qu'au reste de l’ouvrage. Il semble, à pre¬
mière vue, que Dudon, plus proche ici des événe¬
ments, mérite plus de confiance. Mais qu’on y
regarde de près, on s’apercevra qu’il faut examiner
ses récits avec une critique toujours défiante. Con
temporain, Dudon ne l’est pas encore. Il entre en
relations avec Richard I« r vers 994, c’est à-dire à
la fin du règne, plus d'un demi-siècle après l’avè¬
nement du duc ; les survivants des temps si troublés
qui suivirent cet avènement étaient des vieillards
quand Richard I er connut Dudon. Au fond, un
examen attentif de ce livre nous mènera encore à
des constatations identiques à celles déjà faites sur
les livres précédents: Dudon a écrit d’après Flo-
doard, et quand Flodoard lui fera défaut après
l'année 966, il n’y aura plus rien que de vague
dans les récits du chanoine. Chose remarquable et
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346
ETUDE CRITIQUE
qui a pourtant échappé à l'attention de la critique:
si Dudon représentait véritablement une tradition
orale, s’il était, comme on l’a répété d’après lui, un
écho précieux de Raoul d’ivri, il nous eût abon¬
damment renseignés sur les dernières années du
règne, il nous en eût parlé plus longuement que
des premières plus lointaines et pour lesquelles
cette tradition s'eflaçait. Or, c’est tout le contraire
qui se produit: il est extrêmement prolixe sur les
vingt-trois premières années du règne (§§ 66 à 125),
pour les années 942 à 965 où Flodoard lui sert de
guide, mais il est très bref sur les trente dernières
années du règne, seulement cinq paragraphes, (§§ 125
à 129), et combien vides I
Au reste, analysons son oeuvre, et rapprochons-la
constamment du texte des Annales: nous étudie¬
rons successivement les premières années du règne,
l’invasion allemande de 946, la lutte contre Thibaut
de Chartres, les dernières années du règne et les
rapports avec l'Eglise.
Les premières années du règne, la minorité,
la réaction païenne
Dudon, après une invocation aux neuf Muses,
pour les prier de l’aider à célébrer la gloire du
fameux duc et marquis Richard, après quelques
préfaces en vers adressées à l’archevêque de Rouen,
Robert, et une nouvelle préface en prose, après
toutes ces préparations qui ne nous apprennent rien,
nous redit ce qu’il a dit au livre précédent de l’ori-
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
347
ginede Richard, de sa naissance à Fécamp, de son
baptême par les soins de l’évêque Henri de Bayeux
et de Botlion, chef de la maison ducale. Le chanoine
de Saint Quentin a pu ici recueillir quelques traits
d’une tradition fécampoise. Il nous rappelle com¬
ment le jeune prince a été amené à Quevilly, villa
ducale où son père lui a fait prêter serment par les
grands, comment il l’a fait élever à Bayeux plutôt
qu’à Rouen où on oubliait la langue norraine ( 1 ). Le
fait est vraisemblable et montre qu'à Rouen, ville
marchande, plus proche de l’Ile de France, les Nor¬
mands se sont francisés assez vite. A Bayeux, l’usage
de la langue norraine aura pu se maintenir au mi¬
lieu de l’armée dont nous allons voir bientôt appa¬
raître le chef Hagrold. Guillaume a fait élever
Richard I» r au milieu de ses soldats pour s’assurer
de leur fidélité, rien de plus naturel. 11 se pourrait
aussi qu’à cause de ses démêlés avec le comte
Arnoul, il n’ait point trouvé son fils en sûreté sur
la frontière de l’est, dans ce pays de Caux, où il
pouvait être enlevé par un raid de la cavalerie fla¬
mande. Dudon nous montre le duc passant les fêtes
de Pâques et de la Pentecôte à Bayeux et y faisant
reconnaître son fils par les grands, Bretons et Nor¬
mands ; en ce qui concerne les Bretons, nous avons
déjà montré que c'était une imposture; mais que
Guillaume ait pris la précautionde faire reconnaître
(f) Il est confirmé par Adémar de Chabannes, éd. Cha-
vanon, p. 148: Genlilem linguam obmittens, lalino sermonc
an me facta est.
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m
ETUDE CRITIQUE
son fils comme son successeur éventuel par les
chefs normands des pays de l'Ouest, du Bessin, du
Cotentin, de l'Avranchin, plus récemment réunis à
l’état normand, cela n'a rien que de vraisemblable.
Après avoir fait l’éloge de toutes les vertus de ce
prince (qui avait de huit à dix ans à la mort de son
père), il nous dit comment il fut accepté comme duc
par les chefs normands lors delà mort de Guillaume,
et il ne manque pas de faire prendre rang parmi
eux à Alain et à Bérenger de Bretagne. Cependant,
le roi Louis IV, apprenant la mort de Guillaume,
accourt à Rouen. Les Rouennais l’accueillent bien,
parce qu’ils pensent qu’il va venger la mort de leur
duc. Le roi se fait amener le jeune prince et le
garde auprès de lui. Alors les gens de la ville et des
faubourgs s’assemblent et se rendent à la demeure
des grands. La ville est bientôt en armes. Le roi
demande la raison de cette agitation et, sur les
conseils de Bernard, chef de l’armée, il se présente
au peuple, portant le jeune duc Richard dans ses
bras, puis il tient conseil avec les grands et, sur leur
avis, il donue à Richard la terre qu’il devait possé¬
der à titre héréditaire. Il réclame ensuite la per¬
sonne du jeune duc pour l'instruire à sa cour. Les
grands y consentent et le roi l'emmène à Evreux,
puis revient à Rouen ; il promet aux chefs normands
de marcher sur Arras pour punir Arnoul. Celui ci,
cependant, a envoyé des émissaires au roi, il se dis¬
culpe de la mort de Guillaume et l’engage à se
méfier des Normands. Le roi Louis se décide à gar¬
der Richard ; mais le précepteur du jeune prince,
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
3i9
Osmond, essaie de l'emmener pendant que le roi
est à la chasse ; il ne réussit qu’à provoquer la
colère du roi. Osmond fait demander aux Normands
et aux Bretons des prières pour leur duc, et, un
beau jour, l'emmène à Coucy en le faisant passer
pour mort, puis l'y laissant en sûreté, il va trouver
Bernard de Senlis; celui ci prévient à son tour
Hugues le Grand qui promet son appui.
Louis se rapproche d’Arnoul ; sur les conseils de
celui-ci, le roi appelle le duc Hugues à sa cour et il
lui offre de partager la Normandie : le roi aura le
pays jusqu’à la Seine, Hugues, le pays au delà. Pour
réaliser ce dessein, ils entreront aussitôt en cam¬
pagne ; le roi marchera sur Rouen, Hugues sur
Bayeux. Mais Bernard de Senlis avertit les Nor¬
mands. Le roi ravage le pays de Caux, les Normands
lui ouvrent les portes de Rouen et lui remontrent
qu’il a eu bien tort d’augmenter les forces de son
rival, Hugues, en lui donnant le Cotentin et le Bes-
sin, c’est-à-dire 20.000 bons soldats. Le roi se laisse
persuader et ordonne à Hugues d’arrêter sa marche.
Louis est un instant maître de la Normandie que les
guerriers francs ravagent. Les Normands appellent
alors au secours de leur duc, le roi de Danemark,
Hagrold, qui débarque aux Salines de Corbon où
le rejoignent les Cotenlinois et les Bajocasses. Les
Normands, rusés, engagent Louis à les défendre, il
arrive à Rouen avec Hélouin, puis de là va à la
rencontre d’Hagrold sur les bords de la Dive. Les
Cotentinois et les Bajocasses passent la Dive ; au
cours d’une entrevue avec les Normands où le roi
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350
ÉTUDE CRITIQUE
se montre avec le comte Hélouin, une bataille s’en¬
gage; Louis IV est obligé de s’enfuir, mais est fait
prisonnier par Hagrold ; les Normands anéantissent
l’armée franque.
Le roi gagne Rouen, mais c'est pour tomber entre
les mains de Bernard le Danois. La reine Gerberge
apprenant la captivité de Louis, appelle à son secours
le roi Henri et son frère Otton. Ceux ci refusent leur
concours et Hagrold reste maître de Rouen. La
reine Gerberge réussit à provoquer une entrevue
à Saint Clair-sur-Epte entre le duc Hugues, le roi
et les Normands. La Normandie est rendue solen¬
nellement à Richard qui ne devra aucun service,
les Normands et les Bretons reconnaissent Richard
comme duc.
Voyons maintenant ce que nous pouvons tirer de
Flodoard pour comparer ses laconiques données
avec le récit de Dudon: Louis donne, dans un pre¬
mier voyage à Rouen, la terre de Normandie à
Richard. Le prince est trop jeune pour faire hom¬
mage, ce sont les chefs normands qui le prêtent (1),
les uns à Richard, les autres au duc Hugues, ce
qui nous montre que Hugues a disputé la Normandie
à son roi. On a vu là une habileté des Normands
qui ont ainsi empêché la Normandie d’être absorbée
par le roi ou le duc en les opposant l’un à l'autre.
Nous avons dit qu’Hugues pouvait réclamer des
droits sur le pays au delà de la Seine, la Transsé-
quanie sur laquelle avaient régné ses ancêtres.
(1) Voir le livre H, pp. 221, 235-23B.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
351
Louis est ensuite occupé par la succession d’Her¬
bert de Vermandoisetla lutte contre l’archevêque de
Reims. Pendant qu'il est retenu au siège de Mouzon,
la guerre s'engage entre Hugues et les Normands :
Hugo dux Francorum crebras agit cum Nordmannis, gui
pagani advenerant, vel ad paganismum reverlebanlur,
congressiones ; a guibus peditum ipsius christianorum
multitudo interimitur (I).
Tous ces mots demandent à être pesés. Hugues,
appelé peut-être par certains chefs normands, a
occupé une partie de la Normandie, mais il est
entré en lutte avec de nouveaux venus, Nordmanni
gui pagani advenerant, ou avec les Normands revenus
au paganisme et il perd une multitude de fantassins
dans ce combat. Nous avons déjà noté l’arrivée de
nouveaux vikings à cette époque. Dudon ne nous
en parlera que plus tard ; ce sont pour lui les Nor¬
mands d’Harold, roi de Danemark, mais Guillaume
de Jumièges, qui ne copie pas toujours Dudon, et
qui semble quelquefois utiliser une autre source,
place cet événement plus tôt (2). On peut dire que
l’émigration normande continue ; elle s’accompagne
en outre, par le fait des nouveaux venus, d’un retour
au paganisme. Nous avons noté la conversion peu
sincère de Rollon ; Guillaume, chrétien, est mal vu
des païens : de là est peut être sortie la révolte de
Rioul ; on reprochait à Guillaume d'êlre un francisé.
(1) Annales , p. 88.
(2) Au livre III relatif à Guillaume Longue-Epée au temps de
l'affaire de Montreuil. Ed. Marx, p. 41.
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352
ETl'DE (.HITIUI E
Le duc mort, la réaction païenne éclate ; il semble
que les Normands païens aient été un instant maîtres
de tout le pays à l'ouest de la Seine; peut-être y
eut il une révolte du corps d'armée de Bayeux après
le départ de Louis? Car Hugues semble avoir subi
quelque échec à la tête des Normands chrétiens (1) ;
il réussit cependant, grâce à ces Normands chré¬
tiens, à s’emparer d’Evreux (2). La réaction païenne
ne s’est pas étendue seulement sur la rive gauche
de la Seine, elle a atteint Rouen; son chef ici est un
Normand dont Flodoard nous donne le nom, Tur-
moud, qui a forcé le jeune duc lui-même à revenir
au paganisme. Louis doit se rendre à Rouen pour
arrêter ce mouvement (3). Ce Turmoud a préparé
aussi des embûches contre le roi, il a tenté de lui
enlever le duché, il avait pour appui le chef vikiug
Selric (4), un roi païen, un chef viking.
(1) « A quibus pedilum ipsius christianorum muUiludo intc-
rimitur ».
(2) « At ipsc, nonnullit quoque Normannorum interfcctis
cclcrisquc aclis in fugam, caslrum Ebroicas , faventibus sibi
qui touchant illud Nordmannorum christianis, oblinet ».
(3) • Ludowicus Hodnmum répétons Turmodum Nordmannum
qui, ad idolalriam gcntilemque ritum recersus, ad hæc ctiam
/ilium Willelmi aliosque cogebat rcgi que insidiabatur ».
(4) a Simul cum Sctricn, rcgc pagano, congressus, cum eis
intcremit ». J'ai essayé d’identifier ce Setrie, je n'ai pu y par¬
venir, il ne peut s'agir de Sigtrygg Cam, qui attAque Dublin
en 901 (Colmnowood, op. cit., p. 139), puisque suivant
Richer, Setrie est tué en 943, ni de Sigtrygg O lvar, roi des
Gaill Iilancs et Noirs d'Irlande puisqu'il mourut en 927.
(Ulstcr Annales, cf. Collingwood, p. 131), ni même sans
doute de Sigtryggr Snarfare dont le Landnama-boc fait un
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SUR MJD0N DE SAINT-QUENTIN
353
C’est ce combat entre Setric et Turmoud que
Richer nous raconte beaucoup plus longuement (1).
Notons quelques divergences avec le récit de Flo-
doard. Turmoud est représenté comme un général
de Setric, dux. Flodoard le représente comme un
Normand de Normandie, un renégat retourné au
paganisme. M. Lauer croit au caractère légendaire
du récit de Richer. A l’appui de cette thèse, il invo
que certains détails : le nombre des combattants,
l'incident du buisson derrière lequel se cachent les
Normands, les grands coups échangés (Louis enlève
d’un coup d'épée la tête et l’épaule d'un chef nor¬
mand, il est lui-même blessé). Il pense que le récit
de Richer doit être rapproché d'un fragment de
poème retrouvé en Belgique dans une reliure, poème
que l’on a intitulé Isambart et llormond , et qui aurait
pour sujet la lutte d'un roi Louis contre les Nor
mands, la fameuse victoire de Saucourt, en Vimeu.
Or, selon M. Lauer, le héros de ce fragment ne serait
pas Louis III, mais bien Louis IV d’Outremer.
M. Lot n’admet pas cette hypothèse ; il croit que
Richer, ici, comme il lui arrive souvent, ne fait que
développer, amplifier Flodoard, en tirant des déve¬
loppements de son cru, de son imagination (2).
contemporain de Harald Harfagr', 863-933 (Origines Islandicæ,
I, pp. 36 et 203.
(1) Ed. Waitz, p. 57. Voir Lauer, Louis IV d'Outremer, app.
II, p. 272 et Louis IV d’Outremer et le fragment d’Isembard
et Gormond, dans la Romania, 1897 (XXVII), p. 168.
(2) Gormond et Isembard, Recherches sur les fondements
historiques de cette épopée, dans la Romania, XXVII, pp. 3-4.
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ÉTUDE CRITIQUE
Peut être Riclier a-t-il connu une chanson de geste
analogue à celle de Bruxelles et s'en est-il servi en y
remplaçant les noms d’Isembart et de Gormond par
ceux de Setric et de Turmoud qu’il trouvait dans
Flodoard ?
Après ce combat, Louis remet Rouen à Hélouin
de Montreuil : Erluino liodomum committil : choix
habile, étant donnée l’inimitié d'Hélouin et d’Arnoul
de Flandre, et il retourne à Compiègne ( 1).
A Compiègne, le roi se réconcilia avec les fils
d'Herbert par l'intermédiaire de Hugues et il fit
sans doute avec celui-ci un accord relatif à la
Normandie, car c’est alors que le duc lui laissa
Evreux (2). Le roi tomba ensuite malade chez son
allié, à Paris.
Dudon rapporte la réconciliation d’Arnoul et de
Louis ; mais ce qu’il ne dit pas, c'est la lutte entre
Arnoul et Hélouin que nous avons déjà rapportée,
que Flodoard (3) et Riclier (4) racontent en termes
identiques, lutte dans laquelle le meurtrier de
Guillaume Longue-Epée trouva la mort. Le rap¬
prochement entre Louis et Arnoul a été l'œuvre
de Hugues (3). Cette réconciliation eut lieu eu
943 ; elle fut complétée l’année suivante par celle
(t) Flodoard, Annales, p. 88.
(2) « Item rex Litdawicus Rodomum profeclus Ebroicas ah
Hugone duce recepit ».
(3) Annales, p. 89.
(4) Ed. Waitz, p. 59.
(5) « Idemvero Hugo Arnulfum ctim regc pacificavil cui rex
infensus cral ob necem Willelmi ».
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
355
d’Hélouin et d’Arnoul (1). En somme, la trame du
récit de Dudon est dans Flodoard.
Venons maintenant au récit de la captivité et de
la fuite de Richard. Que Louis d’Outremer ait em¬
mené le jeune duc Richard à sa cour, cela est très
vraisemblable ; il ne faisait qu'exercer comme suze¬
rain son droit de garde, ce qui prouve bien que la
Normandie était un fief de la couronne (2). Quant
à l’évasion du jeune duc, il y a lieu de remarquer
que Guillaume de Juinièges, tout eu suivant une
version très proche de celle de Dudon, donne des
détails qui ne sont pas pris dans cet auteur. Lors
de la querelle avec Osmond, le roi appelle le jeune
duc revenant de la chasse, « merelricis filium »\ il le
menace, s’il ne renonce à ces passe-temps, de lui
faire briser les jarrets; il ordonne de le garder avec
de grandes précautions. Osmond s’entend avec Ives
de Bellème; il cache Richard dans une botte de
foin (3). Le personnage d'Osmond n’existe que dans
les sources normandes, il présente un certain in¬
térêt. Alors que l'on n’a aucune preuve de l’exis¬
tence d’autres chefs normands nommés par Dudon :
Anslec, Bernardet Bothon, Osmond figure dans une
charte du duc Richard pour les moines de l’abbaye
de Saint-Denis (4). Ives, nommé par Guillaume de
(1) • Ludowicus rex , pace facta inter Erluinum et Arnul-
fum castrum Ambianensium eidem Herluino dédit ».
(2) Voir au livre II notre discussion intitulée : La Nor¬
mandie est-elle un grand fief de la couronne ?
(3) Ed. Marx, p. 49.
(4) H. F., IX, 731.
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356 ÉTUDE CRITIQUE
Jumièges comme ayant aidé Osmond, est vraisem¬
blablement la tige de la maison de Belléme ; il
aurait reçu cette importante principauté en récom¬
pense de ses services. Orderic Vital l'appelle arba¬
létrier du roi, regis balistarium (1). Ceci donne de la
vraisemblance au récit de Dudon et de Guillaume
de Jumièges, encore que quelques détails en puissent
paraître légendaires; ils peuvent être sortis d'une
chanson de geste où Guillaume de Jumièges aurait
puisé plus de détails. Il se peut d’ailleurs aussi bien
qu'ils soient sortis de l'imagination des deux auteurs.
Ajoutons toutefois que Flodoard apporte une confir¬
mation indirecte du fait, puisqu’à la date de 94a,
il nous dit que Bernard de Sentis enleva la chasse
royale, chasseurs, chiens, chevaux (2). Ne serait-ce
pas au cours de ce coup de main préparé peut-être
avec certaines complicités, que Bernard de Senlis se
serait emparé de la personne du jeune duc?
On peut en somme se représenter ainsi les choses :
Louis a enlevé Richard pour exercer le droit de
garde, en attendant sa majorité, il administre le
duché directement, car il est fréquemment à Rouen:
en 943 au début de l'année, il y revient pour châ
tier la révolte de Turmoud. En 944 il se récon¬
cilie avec Arnoul et les deux princes envahissent la
Normandie. Les Normands sont vaincus à Arques.
Hugues, pendant ce temps, assiège Bayeux (3) ; c'est
(1) Orderic Vital, S. II. F., Ut, p. 89.
(2) Annales , p. 96.
(3) Id., p. 95.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 357
le partage dont Dudon parle si longuement. Mais le
roi et le duc se fâchent; le roi ordonne au duc d’a¬
bandonner le siège de cette place, il entre lui-même
à Bayeux. Un conflit éclate au sujet de cette ville et
de celle d’Evreux (1). En 945, Louis est à Rouen au
moment de la naissance de son fils ; il est si bien le
maître du duché qu’il emmène un contingeut de
Normands en Vermandois (2). Cependant Hugues,
qui avait d’abord reçu en 943 le serment de fidé¬
lité d’une partie des chefs normands, qui en 944
avait fait la paix avec eux, qui avait cru pouvoir,
cette même année, soumettre une partie du pays,
est en 94a en lutte avec les Normands : ceux-ci enva¬
hissent son territoire, mais il les arrête par une im¬
portante victoire (3). Tandis que le vrai maître de la
Normandie, Louis, en est chassé par Hagrold qui com¬
mande à Bayeux et l’attire en un guet-apens à Dive.
Flodoard montre bien que c’est par l'intermédiaire
de Hugues que la paix fut conclue ; le roi renonça
à toute autorité sur la Normandie; il dut en outre
remettre en otage l’un de ses fils. Les Normands en
réclamaient deux, Gerberge n’en envoya qu’un qui
fut accompagné par l’évêque Guy de Soissons (4).
En somme, Flodoard est encore là la source prin¬
cipale que Dudon a développée d'une façon intelli¬
gente, en essayant d’expliquer les événements et en
(1) Annales, p. 95.
(2) Ibid., p. 96.
(3) « Non modica c«de », Ibid-, p. 97.
(4) Ibid., p. 99.
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358
ETUDE CRITIQUE
mettant en relief l’attachement des Normands à leur
dynastie (ce qui ne pouvait manquer de flatter les
ducs et Richard 1°' lui même) ; en plaçant aussi en
lumière l’habileté des Normands qui auraient su
opposer Hugues à Louis pour sauvegarder leur indé¬
pendance, ce qui au reste est vraisemblable.
Mais il y a deux points où Dudon et Flodoard
diffèrent. Dudon ne dit rien de la réaction païenne
et Scandinave que Flodoard a bien marquée et qui
correspond peut-être à l’arrivée d’un nouveau groupe
de vikings,commandé parTurmoud etSetric. Richer,
au contraire, semble avoir développé ce point, peut
être en s'inspirant de chansons de geste relatives à la
bataille de Saucourt. Mais on comprend très bien que
ces deux auteurs ayant tous deux pris pour base le
récit de Flodoard, l’un ait insisté sur celle réaction
païenne, l'autre l'ait supprimée. Pour Richer, les
Normands sont des pirates ; piratarum dus, dit il de
leur duc ; il insiste tout naturellement sur ces com¬
bats au reste glorieux pour la dynastie carolingienne.
Pour Dudon, au contraire, il y avait intérêt à sup¬
primer cette réaction païenne qui a pu gagner
jusqu'au duc Richard 1 er . Le duc, très chrétien,
très francisé, le réformateur de Fécamp et son fils,
le pieux Richard II, auraient été très peu flattés du
rappel de ces incidents. Quand on nous dit qu’on ne
voit pas que l’histoire de Dudon ait été défigurée
par des soucis d'apologie (1), c'est qu'on n'entre pas
dans le détail.
(i) Walberg, op. cil.
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SUR Dl'DON DE SAINT-tiUENTIN 359
Hagrold. — Dudon diffère encore de Flodoard sur
un point important ; il s'agit de l’intervention de
l’armée bajocasse. Pour Flodoard, Harold est sim¬
plement un chef qui commande à Bayeux, « llagrol-
dus gui Bajocis praerat » ; pour Dudon, c’est un roi
de Danemark. Il a fait volontaireineut et volontiers
cette confusion qui avait un double avantage :
1° Renforcer ce qu’il avait dit de l’origine quasi
royale et danoise de Rollou en montrant un roi de
Danemark venant au secours de son successeur ;
2° Être agréable au duc contemporain Richard II,
qui venait de conclure une alliance avec le Dane¬
mark.
Pour M. Steenstrup (t), et d'ailleurs pour d’autres
historiens (2), Hagrold, qui entra en lutte avec
I.ouis d’Outremer, est le roi de Danemark, Harald
Blaatand.
Examinons les sources : Dudon de Saint Quentin
raconte que les grands de Normandie envoient une
ambassade à Hagrold, roi de Dacie; celui-ci, par
(1) Etudes préliminaires, B. S. A., X, p. 293.
(2) Licquet, Histoire de Normandie, I, 130 ; Toutefois
Freeman, Hislory <>/ thc Norman Conques t, I, p. 210, n. 1,
émet des doutes. Il est à remarquer qu'Ai-LEN, Histoire du
Danemark , I, p. 03, emploie une forme dubitative: « Les
Normands de Neustrie étant pressés par le roi de France, qui
s’était môme emparé par ruse de leur duc, Harald, avec une
grande flotte, doit avoir porté secours à ses compatriotes.
Plus certaines sont ses relations avec la Norvège ». M. Col-
lingwood, op. cil., p. 140, dit que même si la flotte d'Harald
est allée en Normandie en 945, il n'y a aucun témoignage
qu elle ait touché la côte anglaise.
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360
ETUDE CRITIQUE
amour pour son parent Richard, reçoit honorable¬
ment les envoyés ; il fait construire une flotte et
vient débarquer aux Salines de Corbon, à l’embou¬
chure de la Dive.
Guillaume de Jumièges qui, comme tous les
auteurs normands, a copié Dudon en essayant de
l’expliquer, raconte que Hérold, roi des Danois, a
été expulsé de son royaume par son fils Suénon
(Svend), il s’est rendu en Normandie en suppliant
avec 60 navires. Le duc Guillaume Longue-Epée l’a
fort bien reçu, lui a donné le comté de Cotentin
pour s’y ravitailler jusqu’à ce qu’il rentrât dans son
royaume (1). Lorsque Bernard le Danois, quelques
années plus tard, craint que Louis d'Outremer et le
duc Hugues n’oppriment les Normands, il envoie
des émissaires à Hérold, qui se trouvait alors à
Cherbourg ; à cet appel, les gens de Bayeux et du
Cotentin devront venir par terre, Hérold, avec sa
flotte, les suivra par mer. Il arrive eu effet à l’es¬
tuaire de la Dive (2) où a lieu le combat contre Louis.
Mais, dans les sources franques contemporaines,
nous ne trouvons aucun de ces détails, il est seule¬
ment question d’un Ilagrold qui commandait à
Bayeux (3).
Chose très remarquable, Saxo Grammaticus, qui
raconte l’histoire d’Harald Blaatand, qui connaît les
ducs Richard 1" et Richard II, qui raconte les
(1) Lib. III, c. 9. Ed. Marx, p. *1.
(2) Ibid., liv. IV, c. 7, p. 53.
(3) Flodoard, Annales, 98, et Richer, éd. Waitz, p. 63.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
361
démêlés de Harald avec Svend, ignore absolument
sa fuite en France (1) ; il parle bien des expéditions
d'Harald vers l’est (2), mais non vers l’ouest, vers la
Gaule.
Il est donc très probable qu’Hagrold n'est pas
Harald Blaatand; le silence de Saxo serait vraiment
ici trop surprenant. Si Dudon avait été bien ren¬
seigné, il aurait parlé, lui le premier, des démêlés
avec Svend, iln’en souffle mot; il ne dit pas Harald,
mais Hagrold, qu’il a pris comme toujours à Flo-
doard. C'est Guillaume de Jumièges qui, comme de
coutume, expliquant le texte de Dudon, a rapproché
cet événement de la légende d’Harald Blaatand.
Mais Svend, ou n’était pas né, ou n’était encore
qu’un enfant en 942 ; il n’avait pu expulser son père
à cette date (3).
(1) Ed. Hôlder, pp. 331-332.
(2) Ed. Hôlder, pp. 3*22-323. « C’est un procédé tout à fait
arbitraire, comme le fait remarquer Beauvois : Revue histo¬
rique , t. IV, p. 427, que de substituer le terme d'Occident à
celui d’Orient ». On a fait grand état en Danemark, pendant
les polémiques de 1911,d'une inscription runique relative à
Harald, mais je ne vois pas qu'il y soit question de son expé¬
dition en France. Voir le texte et la traduction : du Chaillu,
The Viking âge , t. I, p. 184.
(3) Munch, t. I, 21» partie, p. 213. Un célèbre savant danois,
Suhm, répondant à des questions que lui avait posées un érudit
cherbourgeois, M. de Chantereyne, écrivait, en 1766, que
Svend n'avait pu chasser Harald en 942, pour cette simple
raison « qu’il n’était pas encore né. Svend était petit, parvulus,
en 965. Comment pouvait-il chasser son père avant 943? II
mourut en 1014 !.... La vérité est que Harald ne fut chassé par
son fils qu’en 980 ! » Dans Depping : Histoire des expéditions
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362 ETUDE CRITIQUE
M. Beauvois, relevanl l'épithète de Nordmannus,
qui est accolée au nom du chef qui commande à
Bayeux selon Flodoard, épithète qui, pour lui, veut
dire Norvégien, voit dans Hagrold « Harald Gràfeld,
prince norvégien, fils d’Erik Blodœxe, dont la sœur
Aaluf avait épousé Thori, frère de Ganger Rolf et ser¬
vait de trait d’union entre la famille royale de Nor¬
vège et celle de Rollon. La Saga d’Hakou le Bon
recueillie par Snorré Sturleson et la Saga d’Egil
Skallagrimsson nous apprennent précisément que
les fils d'Erik Blodœxe, après la mort de leur père,
avaient quitté le Northumberland, s'étaient emparés
des Orcades et des Shetland, et avaient passé l'été
en course à l’ouest, nestrmking, ce qui peut s'entendre
de courses en Gaule (1)». Remarquons que cet Harald
Gràfeld serait un cousin de Rollon et de ses descen¬
dants. Or, précisément, c'est à ce titre que Dudon
veut qu’il soit intervenu en faveur de Richard.
Guillaume de Jumièges l'interprétant aura fait faci¬
lement une confusion avec Harald Blaatand, dont la
légende sera venue contaminer l'histoire (2).
Quant à Flodoard et à Richer ils n’avaient vu
en lui que le chef qui commande à Bayeux. Harald
Gràfeld s'était-il établi dans ce pays oii l'autorité
des comtes de Rouen était précaire ? Son parent
Rollon le lui avait-il cédé à titre de vassal en 924 ?
maritimes des Xormands , 2 e édition, p. 432, on trouvera toutes
les consultations de Schlegel, Sun» et Mallet sur ce petit
point d’histoire.
(1) Beauvois, ltevue historique, t. IV, p. 428.
(1) Lauer, op. cit., p. 289.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
363
On peut faire toutes ces hypothèses ou même ne
voir simplement dans Hagrold qu’un chef normand
établi à Bayeux, commandant dans l’ouest, dans ce
pays à demi indépendant des comtes de Rouen.
Grâfeld est le chef d’une armée réunie à Bayeux
pour contenir les Bretons ; il était nécessaire de
maintenir la conquête dans le pays où les Nor
mands avaient en 931 subi un rude échec, pays
qui n’avait été cédé qu'en 933. C’est cette armée qui
est venue de Bayeux sur les bords de la Dive où elle
a remporté la victoire des Salins de Corbon à cinq
lieues de la mer (1) ; elle n’était donc point venue
par mer.
Raoul La Tourte. — Louis a si bien exercé le
droit de garde sur la personne du jeune duc qu’il a
en même temps confié l'administration du fief nor¬
mand à un bailli, Raoul La Tourte, Rodulfus nominc
Torta. Voilà encore une des énigmes de Dudou, ou
(1) M. R. N. Sauvage dans son excellente thèse, L'Abbaye
de Saint-Martin de Troarn au diocèse de Bayeux des origines
au XVI• siècle, publiée dans les Mémoires de la Société des
Antiquaires de Normandie, t. XXXIV, Caen, 1911, in-4°, p. 249,
a supérieurement traité la question de l’emplacement de la
bataille, et démontré contre M. 4. Lai R, contre l'abbé de
la Rue, Nouveaux essais historiques, t. U, pp. 22-23, et surtout
contre M. F. Dunot de Saint-Maclou, Recherches sur le lieu
où s'est livré le combat de la Dite en 945 (Mém. Soc. Antiq.
Norm., t. XXVI, 1869, p. 718 et suivantes) que la bataille de
la Dive avait eu lieu à Corbon, canton de Cambreiner, tout
proche du confluent de la Vie et de la Dive, et non à Varaville
comme le voulaient ces auteurs. Nous ne pouvons que ren¬
voyer à sa péremptoire démonstration.
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364
ÉTUDE CRITIQUE
plus exactement de l’histoire des ducs de Norman¬
die, car il n’est pas le seul à l'avoir posée ; l’histoire
de Rodulfus Torta se trouve aussi dans Guillaume
de Jumièges, elle s’y trouve même plus détaillée et
présentée d’une façon un peu différente, du moins
à une autre place du développement de l’histoire
de Richard I er . Dudou ne nous parle de Raoul
La Tourte qu’au moment où Richard 1" le contraint
à quitter la Normandie, mais il dit très clairement
lui-même qu'il joue un rôle depuis la mort de Guil¬
laume : Eo namque temporc erat quidam Rodulfus ,
cujus agnomen Torta cocabatur, qui lolius Northman-
niœ honorem, post morlem Willelmi, ahius céleris
comparibus sibi rindicabat, et res dominici juris inde-
center sibi usurpahat (1). » Cette phrase est très claire :
il y avait en ce temps un certain Raoul surnommé
La Tourte qui depuis la mort de Guillaume reven
diquait tout le fief de Normandie et usurpait les
droits seigneuriaux. Il ne peut s’agir là, évidem¬
ment, que d’un baillistre royal puisqu'il s’arroge
l’administration de tout le fief de Normandie, totius
Norlhmanuiœ honorem , qu'il revendique les droits
souverains et qu’il s'empare de l’administration de
la justice et de toutes les affaires et lève les impôts.
Guillaume de Jumièges dit formellement qu’il a
été placé là par le roi, qu’il est un agent du roi (2).
Qu'il l’ait été, cela résulte de la concordance for¬
melle de Dudon et de Guillaume de Jumièges et ici
(1) Ed. Lair, p. 248.
(2) Ed. Marx, p. 52.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
365
Guillaume de Jumièges est indépendant de Dudon ;
car il donne des détails précis qui ne sont pas dans
le De moribus (1) Guillaume le dit nettement : Ilex
praefecit ; et Dudon le dit indirectement puisqu’il
racoûte que c’est après la mort de Guillaume Longue
Epée, posl mortem Willelmi, que Raoul La Tourte a
commencé à jouer ce rôle. Qui a pu, après la mort
de Guillaume, nommer un baillistre pour admi¬
nistrer la Normandie en son absence, si ce n’est
Louis qui venait de réclamer le droit de garde du
duc en même temps qu’il lui reconnaissait la pos¬
session de la Normandie ?
M. Lot a vu en lui un agent du duc de France (2);
mais M. Lair (3) et M. Lauer (4) avaient compris
comme nous que c'était Louis qui avait nommé
Raoul. Seulement M. Lauer croit que la mission de
Raoul a commencé en 943, lorsque le roi quilla Rouen.
Dudon dit formellement: l’ost mortem Willelmi-,
et il parait bien plus naturel que ce soit à celte date
qu’ait commencé l’administration de Raoul Torta ;
elle a commencé dès les premiers jours de 943,
lorsque Louis IV eut reçu le serinent des chefs nor
mands.
(t) Guillaume de Jumièges est ici particulièrement précieux,
puisque Raoul La Tourte fit enlever à Jumièges une partie
des pierres qui servaient à sa reconstruction pour les trans¬
porter à Rouen. Ed. Marx, p. 52.
(2) Fidèles ou vassaux ? p. 188, n. 5.
(3) Ed. de Dudon, p. 92.
(4) Louis IV, p. 124.
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366
ETUDE CRITIQIE
Je ne comprends pas pourquoi Lappenberg (1) dit
qu’il est évident, d’après Guillaume de Jumièges,
que Raoul Torta n’était pas nu agent royal puisque
cet auteur dit formellement : Re.r prae/ecit (2) ; pas
davantage pourquoi Kalckstein suppose qu'il était
un frère de l’archevêque de Rouen (3). Je ne pous¬
serai pas le scepticisme jusqu'au point où vaM. Lauer :
« L'existence de Bernard le Danois, dit-il, est aussi
peu sûre que celle de Raoul La Tourte ». Il peut y
avoir des doutes sur l'existence de Bernard le Danois,
qui pour un Danois porte un nom bien franc, mais il
ne saurait y en avoir, me semble-t-il, sur celle de
Raoul La Tourte; les détails que donne Guillaume
de Jumièges sont ici précis. Seulement on peut sup
poser que Bernard le Danois aurait élé le comman¬
dant de l'armée normande à Rouen, tandis que Raoul
La Tourte était le bailli du roi. Quant à Hélouin
de Montreuil, en 943, il a battu Arnoul, a tué l’assas¬
sin de Guillaume Longue-Epée et a envoyé la main
coupée de l'assassin à Rouen (4). En 944, Louis le
réconcilie avec Arnoul et lui donne le château
d'Amiens (5) ; il ne vient en Normandie qu’en 9i5
avec l’armée du roi (6) ; il fait partie de cette armée
(1) Op. cil., II, p. 30 et trad. Thorpe, II, p. 29.
(2) Comme le fait remarquer M. Lauer (op. cil., p. 124, n. 5),
l’argument tiré de ce qu'Hélouin et Bernard le Danois étaient
plus influents à Rouen que Raoul La Tourte est peu concluant.
(3) Op. cil., p. 253, n. 1.
(4) Flodoard, Annales, p. 89.
(5) lit., p. 91.
(6) ld., p. 95.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
367
dans l'expédition en Vermandois (1) et il ne vient à
Rouen qu'avec Louis et, plus tard,avant le combat de
la Dive (2).
Ainsi nous concluons que Raoul La Tourte a été le
baillistre pour Louis IV. Avec la paix de 945, ses
fonctions cessèrent, Louis ayant vraisemblablement
renoncé à exercer tout droit sur la Normandie,
Dudon affirme même que la Normandie n’aurait plus
dù aucun service. Ce point mérite d’être examiné.
La Normandie et les Capétiens. — Nous avons
démontré que, d'après la concordance de tous les
textes, la Normandie, le pays créé par la cession
de Sainl-Clair-sur-Epte, était incontestablement un
fief de la couronne, qu’elle avait conservé ce carac¬
tère sous Rollon, sous Guillaume Longue-Epée.
C’était si bien un fief, que Louis IV devait le remet¬
tre à Richard à la mort de son père, en 942, et qu’il
exerçait le droit de garde pendant sa minorité, que
Raoul La Tourte exerçait les lonctions de baillistre
dans tout le fief, totius Northmannice honorem. Mais
la Normandie reste-t-elle un fief de la couronne sous
ce duc, après les événements du début du règne,
(1) Flodoard, Annales , p. 96.
(2) Id... p. 97. Avec M. Lot, je ne comprends pas pourquoi
M. Lair voit dans Raoul La Tourte un nom bien normand.
Dudon nous dit qu’il était le père de l’évêque de Paris. On a
discuté la question de savoir s’il s’agit de l'évêque Gautier.
M. Lacer suppose contre Kalckstein et Le Prévost que
Raoul La Tourte est le père d'Aubry, auprès duquel il se réfugia
en 946, lorsque Richard, revenu en Normandie, l’expulsa.
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368
ÉTUDE CRITIQUE
après l'abus que Louis IV a fait du droit de garde,
après la révolte des Normands, après l’échec subi
par le roi à la bataille de Dive (945), après qu'il a
été lait prisonnier, après qu’il n'a été délivré qu'en
vertu, sans doute, d’une nouvelle convention conclue
par l'intervention de Hugues le Grand? Nous ne le
croyons pas, nous ne soutenons pas ici de thèse, de
système, nous n’envisageons que les textes et les
laits. Raoul Lu Tourte qui a été, selon nous, bail-
listreau nom du roi, lut renvoyé par Richard, lors¬
que celui-ci eut recouvré sa liberté dans des circons¬
tances restées mystérieuses. Les Annales Iranques
sont muettes sur les années du gouvernement per¬
sonnel du jeune duc, Flodoard devient de plus en
plus laconique ; il ne mentionne Richard que deux
lois lors de son mariage avec Emma en 960 et
en 961, lorsqu'il essaie de troubler le plaid de Sois-
sons (1). Aucun texte ne permet de définir sa si¬
tuation exacte respectivement à Lotliaire. Aussi, ne
ierai-je pas difficulté d’admettre ce que dit Dudon
de Saint-Quentin, qui mérite créance quand il n’a
pas intérêt à altérer l’histoire, que Louis IV libéré
en 945 par l’intermédiaire du duc, avait renoncé à
exiger le service des Normands, et que le prince
normand avait transporté son hommage au duc de
Transséquanie, Hugues, dont au reste il épousa la
fille en 960 (2), mais dont il peut avoir été le
(1) Annales , p. 150.
(2) * Richardus filins Willelmi , Nordmannorum principis,
filiam Hugonis, Transequani quondam principis ducit uxo-
rem •. Id. p. 148.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
369
vassal depuis 945. Et ceci expliquerait parfaitement
que le duc de Normandie se soit retrouvé, eu 987,
sous les Capétiens, vassal de la couronne. Richard
aura facilement transporté au roi Hugues Capet, son
beau-frère, l'hommage qu’il avait prêté à Hugues le
Grand La Normandie a donc cessé d'étre un fief de
la couronne, mais pour devenir un fiel des Rober
tiens ou Capétiens et elle est aussi redevenue tout
naturellement un fief de la couronne à l'avènement
de Hugues Capet, en 987.
Remarquons, d'ailleurs, qu'il est tout naturel
qu’en présence de l’échec décisif subi en 945 par
le roi, Hugues qui intervint pour le faire remettre
en liberté ait été à même de se faire céder la Nor¬
mandie dont une bonne part avait été jadis partie
intégrante de cette Neustrie, de cetteTrausséquanie,
de ce pays entre Loire et Seine où les descendants
de Robert le Fort exerçaient leur autorité. La Nor¬
mandie rentrant en 945 dans l'orbite de la puissance
robertienne, cette puissance se trouvait singulière
ment accrue et on peut considérer cet événement
comme ayant préparé celui de 987. Que la Norman¬
die soit un fief de Hugues à partir de 945, et que le
duc Hugues y trouve un supplément de puissance
appréciable, cela ressort d'un texte de Flodoard qui
nous montre, en 948, Hugues rassemblant une armée
importante de Normands et faisant, avec cette armée,
le siège de Soissons (I). En 949, c'est encore avec
une armée composée non seulement de ses troupes,
(1) Annales, p. 117.
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ÉTl’DE CRITIQUE
niais aussi de Normands, qu’il envahit de nouveau
le Soissonnais (1). En 930, le fort de Braisnes, fief
de l’église de Rouen, a été envahi par Renaud de
Roucy (2). Hugues s'en plaint au roi, enfin il rend la
terre de Berneval à l’abbaye de Saint-Denis avec le
consentement de son seigneur, Hugues Capet (3). Or,
tout cela, non seulement Dudon le dissimule, mais
incidemment il le nie, car dans un de ces dialogues
qui lui sont si commodes pour représenter les
choses à sa manière, il fait tenir par Hugues lui-
même à Bernard de Sentis un discours où le duc
dit : Ricardus nec régi nec duci militât , nec ulli nisi
Deo obsequi praestat. Tenet sicuti rex monarchiam Nvrth-
manicic reginnis (4). Mais Dudon est contredit ici par
les faits formels que nous venons d’énumérer.
Au cours de l’entrevue dont nous parlions tout à
l’heure, Hugues le Grand aurait proposé le mariage
de sa fille Emma avec Richard ; en réalité, ce ma¬
riage ne put avoir lieu avant l’invasion allemande
de 946, comme le dit Dudon. Richard avait alors dix
ou onze ans ; ce mariage est de 960, après la mort
de Hugues le Grand, comme nous l’apprendra encore
Flodoard.
Dudon, peintre exact de la société féodale, fait tenir
à Hugues, en cette circonstance, un curieux discours
(1) * Hugo igilur, non modico tamsuorum quant Nordman-
norurn collecta exercitu, in pagurn Suessonicum venit ».
Annales, p. 125.
(2) A nnales, p. 128.
(3) H. F., IX, 731.
(4) Ed. Lair, p. 250.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 371
que devra méditer l’historien qui voudra nier l'exis¬
tence de la féodalité à cette époque. Hugues le
Grand dit aux deux chefs : « Ce n'est pas l’habitude
en France que chaque prince ou duc, qui ait une
armée si abondante, se mette dans cette condition
qu’il ne se soumette, soit par sa volonté, soit con¬
traint par la force, à quelque empereur, roi ou chef
(peut on mieux définir la féodalité ?) et s’il persé¬
vère dans cette audacieuse témérité qu’il ne se sou¬
mette à quelqu’un, il lui arrive toujours quelque
malheur. C’est pourquoi si le duc Richard veut se
soumettre à me servir, je lui donnerai ma fille « (f).
Bernard de Sentis y consent. Aussi Dudon, qui a
représenté un instant Richard comme un prince
indépendant, n'a pas osé soutenir cette erreur. En
réalité, la Normandie n’échappa à la vassalité des
Carolingiens que pour retomber dans celle des
Robertiens ou Capétiens.
La première invasion allemande en Normandie
(946). — S’il fallait en croire Dudon, l’alliance intime
de Richard et de Hugues, le mariage de Richard
avec la fille du puissant duc auraient excité la jalou¬
sie du comte de Flandre, Arnoul, l’ennemi irréconci¬
liable de la Normandie, et sur son conseil, Louis
d'Outremer aurait demandé l'appui du roi de Germa¬
nie Otton et lui abandonnant la Lorraine l’aurait
engagé à venir ravager Paris et la Normandie,
terre fertile. Tout cela est manifestement inexact ;
(1) Ed. Lair, p. 230.
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372
ETUDE CRITIQUE
ce D'est pas le mariage de Richard et d’Emma qui a
pu provoquer l’expédition allemande de 946, puis¬
que ce mariage n’eut lieu qu’en 960 ; ce n’est pas
Arnoul qui a poussé Louis à demander le secours
d’Otton, c’est la reine Gerberge, sœur d’Otton, qui
l’a appelé à son aide. Flodoard nous le dit formelle¬
ment (1), enfin Otton était surtout appelé contre
Hugues et non contre les Normands. Il est vrai que
le duché de Normandie était maintenant dans la
dépendance de Hugues le Grand et aussi que Ger¬
berge et Louis pouvaient désirer se venger des Nor¬
mands qui avaient tant humilié le roi.
L’expédition elle même nous est ainsi racontée
par Dudon : poussé par Arnoul, Otton réunit une
grande armée, se dirige sur Paris dont il ravage les
environs, mais il ne peut s'emparer de la ville pro
tégée par le fleuve et Arnoul l’engage à marcher sur
Rouen, lui promettant que dès qu’il se présentera,
les clefs de la ville lui seront apportées. Otton se
transporte sur l’Epte, il y attend vainement les clefs
de la ville. Arnoul lui conseille alors de menacer
Rouen par la vallée de l’Andelle ; le roi de Germa¬
nie envoie une avant-garde commandée par son
neveu. Celui-ci attaque la porte Beauvoisine, au nord
de Rouen ; le corps de Normands qu’il rencontre
près de la ville s'enfuit, les Saxons le poursuivent.
Mais arrivé près de la porte, le neveu du roi est
enveloppé par les Normands qui sautent sur les
Saxons comme des lions. Beaucoup de Saxons sont
(1) Annales, p. 101.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
373
tués dont le neveu du roi lui même, et les Normands
font un grand nombre de prisonniers. Les Saxons
emmènent le corps de leur chef. Alors Otlon, Louis
et Arnoul se préparent à attaquer la ville au nord ;
Otton veut interrompre les relations par bateau
entre les deux rives, mais la marée l'empêche
d’établir un pont de bateaux. Richard conclut alors
une trêve et Otton demande à aller visiter le
monastère de Saint Ouen avec ses généraux et les
évêques. Il y est autorisé. Otton propose de mettre
fin à la guerre en livrant Arnoul à Richard qui
aurait pu ainsi venger sou père. Cette proposition
n'est pas acceptée par les chefs de la coalition,
qui ne croient pas devoir pousser le siège. Arnoul
décampe secrètement la nuit suivante ; les Alle¬
mands se croyant attaqués par les Normands s’en¬
fuient. Ceux ci ont couru à leur poste, croyant à une
attaque de nuit. Au jour, ils voient leurs adversaires
en fuite. Richard veut attaquer, on l'en dissuade,
mais une partie de ses troupes poursuit les ennemis
jusqu’à la Itougemare qui aurait reçu ce nom d'un
combat qui y aurait été livré. Il y a un nouveau
combat dans la forêt de Maupertuis (1) ; enfin les
ennemis sont poursuivis jusqu’à Amiens par une
autre armée.
Pour contrôler le récit du chanoine de Saint-Quen¬
tin, nous avons plusieurs sources. D’abord, un récit
très clair dans les Annales de Flodoard qui consacre
(1) Maupertuis, partie de Lyons-ia-Forèt, canton de Lyons,
arrondissement des Andelys, département de l'Eure.
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ETUDE CRITIQUE
aussi à l'expédition normande quelques lignes iden¬
tiques dans YHistoria ecclesice Remensis (1), puis
trois chapitres de Riclier (2) et une courte men¬
tion des Gesta episcoporum Cameracensium (3) ; nous
avons, d’autre part, les sources allemandes : Widu-
kind (4), les Annales Einsidlenses, Mellicenses (3)
(ce ne sont que des mentions) et le continuateur
de Réginon (6); mais le récit de Widukind est le
seul important.
Flodoard rapporte qu'Otton a réuni une grande
armée, il emmène avec lui Conrad, le roi de la Gaule
cisalpine, la Bourgogne jurane. Louis se rend au-
devant d'eux et est reçu assez aimablement parles
coalisés, salis amicabililer (7). (Otton le protège, mais
le traite de haut). Les rois font d’abord le siège
de Laon, ils ne peuvent enlever la ville, ils s’em¬
parent ensuite de Reims, subissent un échec sous
Senlis ; ils traversent alors la Seine et ravagent le
pays et la terre des Normands, puis rentrent dans
leur pays (8).
(1) Ann., p. 103, et Hisl. eccl. Rem., IV, c. XXXII.
(2) Ed. Wajtz, pp. 66-68.
(3) M. G. SS., VII, 426-427.
(4) M. G. SS., III, p. 451-452.
(5) M. G. SS., Ul, 142, IX, 496.
(6) Id. I, 620.
(7) Et non de la façon la plus amicale, comme traduisent
Kopke et Dummler, Kaiser Otto der Grosse , Leipzig, 1876,
in-8", p. 151.
(8) La date du séjour à Reims, 19 septembre, est donnée par
un diplôme d’Otton, M. G., Dipl., Hanovre 1879-1881, in-4°,
I, 160.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
375
Richer donne un récit plus détaillé, mais chargé
de traits légendaires; il raconte comment Hugues
a fait eulever toutes les barques pour empêcher les
Allemands de franchir la Seine. Quelques jeunes
gens, par ruse, s’emparent des barques de Paris,
et l’armée allemande passe la Seine sur un pont
de bateaux. Hugues se retire à Orléans et les coa¬
lisés ravagent tout le pays jusqu’à la Loire, le
duc de France réunit une armée pour marcher
contre Arnoul. Richer ne parle poiut du siège de
Rouen.
Widukind donne la version allemande; le roi a
réuni son armée à Cambrai. A ses sommations,
Hugues répond par des paroles méprisantes pour
les Saxons ; il déclare que ce ne sont pas des sol¬
dats. Otton outré, répond qu’il amènera une telle
multitude de chapeaux de paille — l’armée aile
mande de ce temps était ainsi coiffée — que ni
Hugues, ni son père n'en ont jamais vu de telle et il
réunit trente deux légions (1). L’armée allemande
marche sur Laon, puis assiège Hugues dans Paris,
et Otton se rend en pèlerinage à Saint-Denis, il se
dirige sur Reims dont il s'empare; enfin, ayant
réuni un corps de soldats choisis, il marche sur
Rouen, la ville des Danois, Rnthun Dannrum urbem ;
mais la difficulté du pays, un hiver d'une âpreté
exceptionnelle s’annonçant, un grand désastre frappe
(1) C'est une armée de fantassins, comme le remarque
M. L. Reynaud, Les origines de l’influence française en Alle¬
magne, Paris, 1913, in-8°, t. I, p. 376.
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376 ÉTUDE CRITIQUE
son armée (1). Après trois mois de campagne, elle
rentra en Saxe.
Ce récit est embarrassé ; on se demande quelle
est celte plaie, plnga , quia affligé les troupes d’Otton.
Comment Widukind peut il dire que l'armée est ren¬
trée saine et sauve, les affaires non terminées, infecto
negotio, si elle n’a pas subi un échec ? Les autres
sources n’ajoutent rien d’essentiel ; les Gesta episco
porum Cameracensium constatent seulement la dévas¬
tation de tous les environs de Rouen. Le continua¬
teur de Réginon se borne à dire, après une mention
de l’attaque sur Rouen, que tous les grands du
royaume, sauf Hugues, avaient été soumis à leur
roi. Les autres sources ne dounent que des dates.
Les historiens allemands modernes ont essayé
de nier l’échec subi par Otton sous Rouen. Kalcks-
tein suppose que le mauvais temps et la fiu de la
durée du service dans l’armée allemande amenèrent
la fin de l’expédition (2). Dümmler remarque avec
raison toutes les invraisemblances du récit de
Dudon ; « il est évident, dit-il, que Louis IV n’a
pu céder la Lorraine en échange de l’interven¬
tion d’Otlon, puisqu’Otton possédait déjà le pays » ;
mais il considère comme romanesque le récit de la
défaite de l’armée germanique sous Rouen. « C’est,
(1) Sed difficultate locomm asperiorique hieme ingruente,
plaça eos quidem magna percusait, incolumi exercitu, infecto
negotio.
(2) Op. cit ., p. 259; Karl Lamprecht, Detitsche Geachichte,
Fribourg-en-Brisgau, 1904, in-8°, t. II, p. 446, résume rapide¬
ment la campagne et admet l’expédition contre Rouen.
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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN
377
dit-il, un conte de fées, produit de la vantardise
normande. Ce ne sont pas les pertes subies, mais la
mauvaise saison qui décide Otton à s’arrêter (1) ».
Chose singulière et qui prouve combien les histo¬
riens français sont impartiaux, M. Lauer ne croit
guère à un siège de Rouen et admet que toute l’his¬
toire racontée par Dudon est légendaire (2).
Il est évident que l’imagination de Dudon a pu
jouer son rôle dans son récit ; il en est très proba¬
blement ainsi de l'épisode de la visite d'Otton à
Saint-Ouen. Quand on conuait les procédés de com¬
position de Dudon, on est porté à croire qu'il a
transporté à Rouen et à l'abbaye de Saint-Ouen, ce
que Widukind a dit de Paris etde l’abbaye de Saint-
Denis. Pour d'autres faits, il n’est pas impossible
qu'il ait recueilli une tradition locale ; remarquons
qu’il y a des détails précis dans son récit. L’armée
(1) Forte h ungen, VI, 386 et Otto der Grotte, p. 153.
(2) Op. cit., p. 153. Faut-il rapprocher les combats sous
Rouen et les exploits des Normands de ceux racontés par la
Chronica de gestis consulum Andegarorum et se rapportant
à GeofTroi Grisegonelle ? Ces légendes ne peuvent avoir été
inspirées que par l’expédition allemande de 978 ; et la Chro-
nica n'a été rédigée qu'au XII* siècle. Dudon n'a donc pu s'en
inspirer. Lot, Geoffroi Gritegonelle dans l’épopée (Romania,
XIX, 377 tgg). On serait plutôt tenté de rapprocher la mort du
neveu d'Otton sous les murs de Rouen de celle du neveu de
Dulgion, roi de Hongrie, qui fut tué sous les murs de Cambrai
en 953 (Gestarpitcoporum Cameraeensium , M. G. SS., VII, 428).
Mais ces Getla n’ont été composés qu'en 1043 ; si on voulait
admettre que Dudon ait puisé à cette source, il faudrait
reporter au-delà de cette date la composition du De Moribus,
ce qui est bien difficile.
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ETUDE CRITIQUE
allemande venait du Nord.de la vallée de l’Audelle,
et opérait sur la rive droite; l’attaque de la porte
Beauvoisine est vraisemblable. 11 est incontestable
que l’armée d'Otton a làté Rouen ; toutes les sources,
même allemandes, sont d'accord là dessus.
Widukind dit que les corps qui prirent part à
cette expédition partirent de Reims; ils auraient
sans doute pu, de là, gaguer Beauvais, l'Epte, puis
la vallée de l'Andelle, et ayant été battus sous
Rouen, se replier eu toute bâte. Mais, à la vérité,
Flodoard ne représente pas la chose de cette ma¬
nière ; pour lui, l’expédition en Normandie a suivi
la tentative sur Paris qui a été elle-même précédée
de la prise de Reims (1). Or, Flodoard est parti¬
culièrement bien informé ici, puisqu’il s’agit de
l’église de Reims dont il est un des dignitaires.
En résumé, Widukind a essayé de dissimuler, par
la façon dont il narre les choses, un échec allemand
très réel, éprouvé non par un corps choisi, ce qui
serait déjà grave, mais par toute l’armée allemande
qui, après une vaine tentative sur Paris et des expé¬
ditions de pillage en Normandie a été battue par les
Normands sous Rouen et ramenée vivement jusqu'à
Amiens. L’expédition allemande fut d’ailleurs de
(1) De Paris l’armée allemande a pu marcher sur Rouen,
soit en suivant la vallée de ta Seine, soit, ce qui est bien plus
probable, puisqu’elle attaque Rouen par la porte Beauvoisine,
en se dirigeant d’abord sur Gisors, puis de là en descendant
sur Rouen par la vallée de l’Andelle. Les corps allemands qui
détachés de l’année de siège de Paris marchèrent sur Rouen,
en 1870, suivirent cette voie.
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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN 379
courte durée. Otton était à Reims le 19 septembre
et il était rentré à Francfort le 28 novembre (1).
Après avoir célébré avec emphase ce succès des
Normands, par une série de poésies qui ont une
certaine allure et qu’il adresse successivement à
Othon, à Arnoul, à Richard victorieux ; après une
sorte de litanie consacrée au duc normand, Dudon
raconte (§§ 101 et 102), le mariage d’Emma et de
Richard qu'Hugues le Grand, mourant, aurait de
nouveau recommandé ; il en profite pour nous repré¬
senter Richard comme ayant été une sorte de suc¬
cesseur du grand duc des Francs, puis il aborde le
récit de la lutte de Richard I er contre Thibaut de
Chartres.
La lutte de Richard 1 er contre Thibaut de Chartres.
— Le grand événement de l’histoire des ducs nor¬
mands à cette époque, c'est la guerre de Richard avec
Thibaut de Chartres et le roi Lothaire (§ 103).
Dudon attribue cette guerre à un motif futile, l’hos¬
tilité de Thibaut contre Richard 1 er qui a été, selon
lui, excitée par la haine qu’avait vouée Leutgarde à
son beau-fils, le duc de Normandie; au moins il le
laisse entendre, novercalibus furiis. « Cette explica¬
tion, dit M. Lot, est vraisemblable, mais elle est
incomplète (2) ». La vraie raison de la lutte entre
Thibaut le Tricheur et Richard doit être cherchée
(1) M. G., Dipl., I, 163.
(2) Lot, Les Derniers Carolingiens, p. 347.
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ETUDE CRITIQUE
ailleurs ; elle se trouve dans les événements de
Bretagne, mais nous savons quel silence Dudon
garde toujours sur ce pays. 11 a affirmé que la Bre¬
tagne était normande depuis 91t. Comment pour
rail il raconter ou les défaites des Normands ou
même leurs victoires, et leur conquête à cette
date ?
Quelle était alors la situation de la Bretagne ? Le
duc Alain Barbetorte qui était rentré dans le duché
au moment où Louis IV son compagnon d'exil à la
cour d'Athelstan rentrait en France et qui avait dû
lutter sans cesse contre les Normands, avait épousé
la soeur de Thibaut le Tricheur, comte de Chartres.
De ce mariage était né un fils, Drogon, qui était
encore en bas âge lorsqu'Alain mourut en 932.
Thibaut le Tricheur fut chargé par Alain lui-même
de la tutelle du jeune Drogon. Mais peut-être parce
qu’il possédait déjà des fiefs importants situés en
divers pays, le comte de Chartres ne crut pas pou¬
voir y ajouter l’administration de toute la Bretagne;
peut-être aussi ne se sentait-il pas de force à la
défendre contre les Normands ? 11 maria sa sœur,
la veuve d'Alain, à Foulque le Bon, comte d’Anjou,
lui confia la garde de Drogon et lui abandonna la
moitié des revenus de la ville de Nantes, de son
port, et la moitié de toute la Bretagne ; il conserva
pour lui le reste du duché (1). il y a des preuves
de ce partage ; uue charte confirmée par Thibaut
(1) DE LA Bordeiue, op. cit. } II, 420, sqq.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
381
et Foulque (1). A la mort de Drogon, assassiné
par Foulque, s’il laut en croire la Chronique Je
Nantes, Thibaut eut à compter avec les deux fils
bâtards d’Alain, Hoél et Guérech. Foulque et Thi
baut ne voulaient pas se dessaisir de riches revenus.
Le duc de Normandie en profita pour déclarer
la guerre aux Bretons et essayer de reconquérir
la Bretagne ; il envoya une flotte à Nantes. Avant
la mort de Foulque, avant 958 par conséquent, les
Nantais avaient repoussé la flotte normande (2).
De là sortit la lutte dans laquelle Richard I w se
trouva engagé contre Thibaut et que Dudon raconte
à sa manière.
Selon Dudon, Thibaut serait allé trouver Gerberge
et Lotiiaire, il représente Richard qui tient deux
duchés : Nortltmannicum Britonumque lenens rcgnum
quietus, comme un prince indépendant; il nesert per¬
sonne ; Nec Deo, nec ulli militât, famulatur et sertit.
Thibaut engage la reine à (aire venir Brunon, arche
vêque de Cologne, son frère, pour lui demander
conseil. Brunon vient dans le pays de Vermandois et
envoie un évéque à Richard pour l’inviter à une
entrevue. Richard se met en route. 11 se trouve dans
le pays de Beauvais, Brunon dans celui d’Amiens,
lorsque deux chevaliers de Thibaut viennent con¬
seiller à Richard de ne pas se rendre à cette invita¬
tion qui cache un piège. Leduc récompense les deux
chevaliers et rentre à Rouen; il envoie un messager
(1) Carlulaire de Landevennec, V, 561.
(2) Chronique de Nantes, éd. Merlet, 107,108.
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382
ÉTUDE CRITIQUE
pour avertir Brunon, celui ci demande que Richard
se rende sur les bords de l'Eple ; mais le duc répond
qu'il n’ira à aucun plaid (1).
M. Lair trouve la confirmation de ces faits dans
Flodoard qui nute des voyages de Brunon en France,
en 938 et en 939 ; c’est aussi par son intermédiaire,
qu'eut lieu, en 960, la réconciliation d'Olton avec
Hugues, fils de Hugues le Grand, avec Lotliaire ; il
parait naturel à M. Lair que Richard, qui faisait
partie de la famille de Hugues, ait été appelé à une
réunion de ce genre (2). M. Lot voit des difficultés à
ce rapprochement, surtout au sujet de la date. Bru¬
non est bien venu en France en 960, mais c’était
« pour assiéger Troyes et Dijon. Loin de pouvoir se
rendre à une entrevue en Amiénois, l’archevêque
fut aussitôt rappelé en Lorraine parla révolte de
Robert de Nainur et d’immou de Chévremont. L’an¬
née 939 conviendrait mieux (3) ». 11 y eut une entre¬
vue à Compiègne, Richard aurait pu y être appelé,
mais cette conférence a-t elle eu le caractère perfide
que lui prête Dudon ? « C’est, dit Sl. Lot, plus que
douteux et contraire à tout ce que nous savons du
caractère de Brunon ».
Il se peut, qu’en 960, Richard ait été appelé à une
entrevue qui n’aura pu avoir lieu à cause du départ
de Brunon pour la Lorraine. Sur ce fait historique,
Dudon aura brodé suivant son habitude. Tout son
(1| Dudon, éd. Lair, pp. 266-267.
(2) Ibid., n. a.
(3) Op. cit., p. 348.
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SUR DllDON DE SAINT-QUENTIN 383
livre tend à démontrer que les ducs normands ont
été les fidèles alliés de la monarchie, mais il faut
expliquer pourquoi ces légitimistes, comme dit
M. Lair, ont abandonné le parti carolingien pour
les Capétiens. 11 faut donc faire ressortir les torts
des Carolingiens, ou, quand ils n’en ont pas, leur
en prêter. Mais surtout, l’histoire de Dudon a un
point de départ dans Flodoard et tout ce récit n’a
pas d’autre objet que de nous dissimuler un échec
subi par Richard, en 961, au moment de la confé
rence de Soissons. Lothaire a tenu un plaid royal,
placilum regale, h Soissons; Richard, fils de Guil¬
laume le Normand, dit Flodoard, essaya de l'inter¬
rompre ; il en fut empêché par quelques fidèles du
roi, et quelques-uns des siens ayant été tués, il fut
mis en fuite (1). Ainsi, ce n’est point Thibaut qui a
subi un échec, mais bien Richard. Sans doute le
duc, dès ce temps-là, vassal et allié des Robertiens,
est l’ennemi de I.othaire, successeur de Louis IV,
et il essaie d'empêcher celui-ci d’asseoir son autorité.
Le chanoine de Saint-Quentin, après un éloge de
Richard (§ 106), revient à la lutte avecThibaut (§ 107).
S’il faut l'en croire, l’échec des projets de Thibaut
aurait accru sa rage. Poussé par lui, Lothaire aurait
invité Richard à se rendre à un plaid sous prétexte
d’écraser Thibaut et de soumettre les Flamands.
Lothaire était sur les bords de l’Eaulne en compa¬
gnie des ennemis de Richard, Thibaut, Geoffroy
Grisegonelle, comte d’Anjou, qui venait de succéder
(1) Annales, p. 150.
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38 *
ETUDE CRITIQUE
en 960 à Foulque el Baudoin de Flandre, le fils
d'Arnoul. Mais l'avant garde de Richard fut attaquée
par les royaux, battit en retraite en apprenant l'arri¬
vée d’une armée. Richard essaya de défendre les
gués de la Dieppe, sauva des mains de l'ennemi un
de ses vassaux du nom de Gautier et rentra à Rouen.
Il se peut que nous ayons ici le récit arrangé du
combat dont Flodoard fait mention et dont Dudon,
s’appuyant sur la tradition locale, nous donnerait
le lieu.
Après un nouvel éloge de Richard, Dudon raconte
que Thibaut conseille alors à Lothaire d'attaquer
Evreux « Prends moi cette ville et je te soumettrai
toute la Normandie ». Evreux fut prise, repentino
con/liclu, et le roi la donna à Thibaut. Guillaume de
Jumièges ajoute que celte ville fut livrée par Gisle-
bert surnommé Mainel (1).
Dudon raconte ensuite que Richard réunit une
grande armée, marcha contre Thibaut, ravagea et
incendia le pays de Chartres et le Dunois ; mais
l'armée de Richard ayant été licenciée, Thibaut repa¬
rut sous les murs de Rouen qu’il attaqua par la rive
gauche, Richard traversa le fleuve et lui infligea une
sanglante défaite à Hermentruville (Saint-Sever). Le
récit de la déroute de Thibaut à Hermentruville est
(1) Ed. Marx, p. 61. Flodoard ne parle pas de la prise
d’Evreux. M. Lot, op. cil., p. 350, dit que chronologiquement,
ce siège d'Evreux doit se placer à la fin de 961 ou en 962 ; or,
pendant toute la fin de l’année 961, Lothaire est occupé en
Bourgogne, en 962 par le siège de Reims et les affaires de
Flandre où Arnoul II venait de succéder à Baudoin.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 386
des plus vraisemblables et les chiflres donnés par
Dudon n'ont rien d'exagéré (l'armée de Thibaut
compte 3.000 hommes dont 640 sont tués par les
Normands).Ici encore Flodoard nous sert à contrôler
Dudon. Les Annales notent à la date de 962 : Tetbal-
dus quidem cum Nortmannis con/ligens, rictus est
ab eis et juga delapsus eeasil (t).
Puis Dudon expose quelle fut la punition de Thi¬
baut ; son (Ils mourut et lu ville de Chartres fut
incendiée. « L’incendie de Chartres qui pouvait
sembler de prime abord une invention de l’histo¬
rien normand, nous est attestée par le NScrologe de
Notre Dame de Chartres (2) ».
Dudon raconte ensuite que Richard, pour lutter
contre ses ennemis, fit appel aux Danois. Guillaume
de Jumièges dit qu’il envoya des ambassadeurs à
Harold, roi de Danemark (3). En réalité, il se peut
fort bien, sans qu’il y ait eu entente entre les rois
de Danemark et les ducs de Normandie, que les
incursious des vikings continuant, Richard ait pris
à son service quelques unes de ces bandes qui,
Dudon lui même nous le dira plus loin, étaient
composées de gens de tous pays : Norlhguegi-
genit, Uirenses, Norvégiens, Danois d’Irlande (4).
(1) Annales, p. 153.
(2) Lot, op. cit., p. 351.
(3) Ed. Marx, p. 65.
(4) C’est ainsi que j'entends les Hirenses dont parle Dudon,
les Deiros dont parlent Hugues de Fleury et la Translalio
Sancti Maglorii copiant Dudon qui écrit de Ilirensibus. M. Lot,
{Les Derniers Carolingiens, p. 41 et p. 353, n. 2) a vu là des
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38fi
ÉTUDE CRITIQUE
Richard établit toutes ces troupes à Jeufosse, sur la
frontière de la Normandie, et leur ordonna de rava¬
ger le pays du roi et de Thibaut, mission dont les
vikings ne s’acquittèrent que trop bien. Les évêques
se réunirent alors et tinrent un concile ; ils char¬
gèrent l’évêque de Chartres de demander la paix.
Celui-ci envoya un moine à Richard (§ lia). Le récit
des négociations est long, Dudon s’y complaît ; il se
peut qu’il ait ici quelques renseignements person¬
nels, ce lui est surtout un prétexte à composer
de nombreux discours. Richard posa comme condi¬
tion de la paix la reddition d’Evreux (§ 116). Thi¬
baut vint à Rouen (§ 117) et la paix fut conclue.
Mais il fallait aussi faire la paix avec le roi. Des
évêques, des palatins se réunirent en face de Jeu
fosse. Richard était favorable à l’idée de conclure la
paix; mais comment la faire accepter à toutes ses
bandes de Norvégiens, de Danois, etc. ? Une nou¬
velle entrevue eut lieu à Saint-Clair sur-Epte, où la
paix fut conclue. Quant aux vikings, après quelques
ravages, les uns reçurent le baptême, les autres,
ayant pris des guides dans le Cotentin, se dirigèrent
vers les côtes d’Espagne, où ils vainquirent les
Arabes.
Nous n’avons guère le moyen de contrôler le récit
si étendu, mais plus pleiu de rhétorique que de
gens du pays de Deira (nord de l'Angleterre). Mais en 1898, il
est revenu sur cette opinion : (Gormond et Isembard, dans
la Uomania , XXVII, p. 19). Avec Kalckstein, op. rit., p. 307,
n. 2, nous croyons qu'il s’agit de Danois d'Irlande.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 387
faits, du chanoiue de Saint-Quentin. Nous avons vu
ce que l’on pouvait tirer de Guillaume de Jumièges
qui rapporte en quelques lignes ce que Dudon a dit
en de nombreuses pages; il y a là, évidemment, uu
résumé et non une source indépendante (1). Il en
estde même de Hugues de Fleury (2). Flodoard, vieil¬
lissant, devient de plus en plus lacouique ; ses
Annales s’arrêtent à la date de 966, ne donnent que
de brèves indications qui, d'ailleurs, confirment
Dudon La Chronique de Sainte-Magloire de Caris
donne quelques détails (3). Enfin, en ce qui concerne
le départ des vikings, le récit de Dudon, remar-
quons-le, reçoit une confirmation indirecte des
sources arabes qui relatent en 966 une expédition
des Normands à Lisbonne (4), en Galice, puis à
(1) Ed. Marx, p. 66.
(2) M. G. SS., IX, 384.
(3) Mabillon, Annales onlinis S. Benedicti. III, app. p. 719.
(4) Dozy, Recherches sur l'histoire et la littérature de
l'Espagne pendant le moyen âge, II, 286-300. Dudon raconte que
lorsque les Normands dépouillèrent les morts sur le champ do
bataille, ils trouvèrent que certaines parties des cadavres des
noirs (nigellorum Æthiopumque) étaient blanches comme de
la neige. « Je voudrais bien savoir, ajoute Dudon, comment
les dialecticiens expliqueront ce fait, puisqu'ils prétendent que
la couleur noire est inhérente à la peau de l’Ethiopien et qu’elle
ne change jamais ». « Il est clair, dit Dozy, qu'il s'agit ici de
Maures et non de Galiciens. Dans les Sagas du Nord, les
Sarrasins portent le nom de Blamenn , hommes noirs , car on
s'imaginait dans la Scandinavie que tous les Sarrazins étaient
des nègres. En dépouillant les morts sur le champ de bataille,
les Danois durent donc être bien étonnés en voyant que,
malgré le teint basané de leurs mains et de leurs visages, les
Maures avaient la peau aussi blanche qu’eux ».
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388
ETUDE CRITIQUE
Cordoue. Nous pouvons en somme souscrire au
jugement de M. Lot qu'il n'y a aucune raison de
révoquer en doute le récit de Dudon ; que tous
ces événements n’ont rien qui puisse exciter notre
méfiance pour le fond. Mais M. Lot ajoute que, bien
entendu, il faut toujours faire la part de la flatterie
prodiguée par Dudon aux ducs de Normandie.
« C'est ainsi, dit-il, qu'il exagère la répugnance des
Danois païens à la conclusion de la paix pour faire
briller par contraste la modération et les sentiments
pacifiques de Richard ». Ici, remarquons que le
duc a bien pu éprouver quelque difficulté à faire
accepter la paix aux Normands païens venus du
dehors; il a fallu fournir un autre aliment à leur
activité ; et c'est seulement en juin 966 que leur
présence en Espagne est constatée.
Or, quelle est la date de la paix? Dudon, confor¬
mément à son habitude de négliger la chronblogie,
ne le dit pas ; il nous dit seulement que la paix de
Saint-Clair-sur-Epte a eu lieu aux ides de mai. Une
charte de Richard I» r du 18 mars 968 fait allusion à
un grand plaid des Francs et des Normands qui a
été tenu à Gisors ; il se peut que la paix ait été
conclue dans celte ville plutôt qu’à Saint-Clair.
Quant à la date, il ne saurait y avoir de doute:
juin ou juillet 965 (1). Il se sera donc écoulé quelque
temps avant que Richard ait pu se débarrasser de
ses dangereux alliés.
(IJ Voir l'appendice IV.
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SIR DUDON DE SAINT-QUENTIN
389
La dernière partie du règne de Richard I sr
( 965 - 996 ).
La paix de Saint-Clair-sur Epte ou, plus exacte¬
ment peut-être, de Gisors, marque une séparation
très nette dans l’iiistoire du règne de Richard I er .
Les années de début, années pénibles, tourmentées,
où le duc est environné d'ennemis, sont terminées.
A l'ombre de la protection des Robertiens, puis par
sa force de résistance naturelle, aidée des ressources
tirées du réservoir d’hommes qu’étaient la Scandi¬
navie et ses nombreuses colonies, la Normandie a
vécu. Son existence est désormais assurée et rien ne
pourra plus la menacer. La date de 963 ne marque
pas seulement une date dans l'histoire de Richard ;
elle en marque une aussi dans l’existence du duché ;
c’est la fin de la période de formation. Richard 1« et
ses successeurs, jusqu’à la minorité de Guillaume,
ne verront plus contester l’existence de l'Etat Nor¬
mand. Le duc est dans la force de l'âge ; l’expé¬
rience l’a mûri de bonne heure. Il est sans doute
le véritable fondateur de la Normandie ; pendant
les trente et une années de règne qui lui restent
encore à courir, il consolidera définitivement l'œu¬
vre de ses prédécesseurs et achèvera d'organiser le
duché.
De cette œuvre, malheureusement, Dudon ne nous
dit rien. Ce dernier tiers du X” siècle est une époque
d’indigence extraordinaire pour la littérature histo-
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390 ÉTUDE CRITIQUE
rique. M. Lot le constate pour la France (1). Flo-
doard n'est plus. Rictier ne nous donne quelques
renseignements qu'à partir de 970. Pas un diplôme
de 968 à 973 et pour ainsi dire, pas d’annales. Pour
la Normandie, nous ne sommes pas plus favorisés.
Dudon, qui a été si prolixe jusqu’alors, devient tout
à coup bref. Est-ce lassitude ou serait-ce que Dudon
qui en réalité a puisé le plus clair de son inspiration
dans les Annales contemporaines, quoi qu'en ait pensé
M. Lair, cesse d’être intéressant dès qu’elles lui font
défaut? Guillaume de Jumièges continue de le copier
ou de l'analyser avec quelqu’esprit critique parfois
et Wace le traduit en l'amplifiant, mais ces auteurs
ne constituent pas des sources indépendantes.
La famille de Richard. — Dudon nous rapporte
d'abord la mort d’Emma. Richard envoie des dépu¬
tés à Hugues afin qu'il fasse rapporter son douaire par
des serviteurs. Ce détail est intéressant ; il montre la
persistance du droit romain, la persistance singulière
du régime dotal dans cette province. De ces biens
Richard fait distribution aux églises ; mais ensuite
le duc s'adonne à la volupté et il a des enfants natu¬
rels : Geolfroi, comte d'Eu et de Brionne (2), Guil¬
laume qui succéda à son neveu Gilbert, fils de
Geoffroi (3).
Dudon raconte ensuite les rapports de Richard
(1) Les demiers Carolingiens , p. 54.
(2) Orderic Vital, III, 340.
(3) Guillaume de Jumièges, éd. Marx, p. 155.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
391
avec Gonnor. Celle-ci est une Danoise. Dudon essaie
de faire croire à un mariage politique, il qualifie
Gonnor de femme de haute race (1) ; il la comble
d’autres éloges que Lair prend au sérieux (2), mais
qu'un auteur plus ancien et mieux informé avait
contesLés. Robert de Torigni, enelTet, a raconté le ro¬
man du duc Richard réfugié à Equemauville, dans la
forêt d’Arques, sous le toit d’un charbonnier dont il
convoite la femme; celle-ci par une ruse habile se fait
remplacer par sa sœur (3). Mais, très probablement,
Gonnor était bien une femme mariée, ce qui expli
querait la résistance de l’Eglise à son union avec le
duc. Il eut de cette femme cinq fils ; Guillaume
de Jumièges et Wace en nomment trois ; Richard,
Robert. Mauger. Richard, c’est le futur Richard II
(996-1026); Mauger, le comte de Corbeil (4); Robert,
l'archevêque de Rouen. Richard I» r , à la mort de
Hugues, archevêque de Rouen, en 989, voulut faire
de son fils un prélat, mais l'Eglise invoqua qu’il
était bâtard, que les lois de l'Eglise le rejetaient,
Richard aurait alors épousé Gonnor, qui ne semble
pas avoir été d’abord épousée more danico, et pour
cause, si son union était adultère, mais en 989 son
mari était mort sans doute et Richard put alors con¬
tracter l'union légitime dont parle Dudon. En 990,
(1) Superba stirpe progenita.
(2) Ed. de Dudon, p. 289, n. d.
(3) Interpolation à Guillaume de Jumièges : Ed. Marx et
Wace, Roman de Rou, éd. ANDRESEN, FI, p. 52.
(4) Guillaume de Jumièges, éd. Marx, p. 68.
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ETUDE CRITIQUE
Robert était archevêque et consacrait l’église de la
Trinité à Fécamp. Quant aux trois filles, ce sont
Emma, mariée à Ethelred, mère d'Edouard et
d'Alfred, union politique qui eut d’importantes con
séquences (1 ) ; Hadvise, mariée à Geoflroi de Bre¬
tagne, mère d’Alain et d’Eudes, et Mathilde, mariée
à Eudes, comte de Chartres. On voit que les grandes
familles féodales et royales s’unissaient à celles des
ducs de Normandie. Mais la dynastie avait été jus¬
qu’alors assurée par le concubinage.
Affaires de Flandre. — Le seul événement mili¬
taire que rapporte Dudon pendant les trente der
nières années du règne de Richard est sou interven¬
tion en Flandre. Le comte de Flandre, Aruoul,
raconte-t-il, refusa de rendre à Lotliaire le service
militaire. Le roi, appelant à lui une armée de Francs
et de Bourguignons, assiégea Arras et commença à
s’emparer de toutes les forteresses jusqu’à la Lys. Le
comte Arnoul demanda l'intervention de Richard
qui y consentit et réconcilia le roi et le comte.
A quelle date faut-il placer celte expédition?
Dudon ne le dit pas ; chronologiquement, elle vien¬
drait après 965. Or, Guillaume de Jumièges raconte
les mêmes faits, mais avec un changement impor¬
tant. Ce serait à Hugues Capet, devenu roi, qu’Ar-
nou] aurait refusé le service et nous nous trouve¬
rions là en présence d'un événement historique véri-
(1) Pfister, Etude sur le règne de Robert le Pieux , Paris,
1885, in-8", pp. 352-353.
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Sim DUD0N DE SAINT-QUENTIN
393
tablement intéressant: une difficulté sérieuse ren¬
contrée par la dynastie capétienne à son avènement
et levée par l’intervention du duc normand. Tous
les historiens belges ont rapporté cet événement,
mais il est évident qu’ils l’ont pris à la compilation
de Jacques de Meier au XVI 0 siècle. Celui-ci l’avait
lui-même emprunté à Guillaume de Jumièges et
aucune annale fiamande contemporaine ne parle de
cet événement. Or, il semble bien que Guillaume de
Jumièges l'a pris à Dudon en le déformant.
Celui-ci l’a-t-il puisé aux Annales flamandes contem¬
poraines ? Précisément, des Annales flamandes, les
Annales Elnonenses minores disent à la date de 966 :
« Lotliarius rex Atrebalum, Duacum, abbatiam S.
Amanili et omnein terrain usque Lis iiwailit. » Ces faits
auraient donc suivi la mort d’Arnoul 1", qui eut lieu
le 27 mars 965 |i). Il eut pour successeur son petit
fils, Arnoul II, qui eut pour tuteur Baudouin, sur¬
nommé Balzo(Bauces), qui fut le véritable régeutdu
pays. Richerdit que le roi rendit sa terre à Arnoul (2).
Cependant quelques années après, Lolhaire possé¬
dait encore plusieurs villes du comté (3).
M) La date nous est donnée par les Annales Blandinienses :
" Magnas Ar nul fus restaura tor bujus Blandiniensis cœnobii
obiit VI kal. aprilis • (27 mars 965). C'est par suite d'un lapsus
que M. Pirenne, Histoire de Belgique , t. I, p. 415, dit 964,
car dans la suite du récit, il donne bien la date de 965.
(2) * Cujas terrant Lotharius rex ingressus ftlio defuncti libé¬
ralité!' reddit eumquc cutn militibus jure sacramentorum sibi
anneclit ». Ed. Waitz, p. 93.
(3) Le 5 mai 967, il accordait deux diplômes à Baudouin et
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ÉTUDE CRITIQUE
Dudon a en somme connu à peu près la succes¬
sion des événements qu'ou peut ainsi restituer : à
la mort d'Arnoul 1 er , Lothaire s’empare de la Flan¬
dre, mais les affaires de Germanie et celles de Nor¬
mandie le forcent à abandonner sa conquête dont il
ne garde qu’une faible partie : c’est dans ce sens
que Dudon a pu faire intervenir Richard. Mais je
me demande si Dudon n'a pas fait là un dernier
emprunt à Flodoard qui, à celte date de 965, écrit :
« Arnulfo quoque principe decedenle, terrain illius rex
Lolharius ingreditur, et proceres ipsius provinlitt, me-
diante Boricone prœsule Laudunensi, eidem subiciuntur
régi (I) ». Par un procédé qui lui est familier, Dudon
aurait déformé les événements pour faire jouer un
râle au duc de Normandie. Richard aurait été subs¬
titué par lui à Roric.
On ne peut admettre avec M. Lair(2) qu’Arnoul II
ait refusé le service en 978 à Lothaire, lors de la
tentative de ce roi pour enlever la Lotharingie à
l’Allemagne ; celte hypothèse est sans fondement,
comme l’a démontré M. Lot (3). Et si Guillaume de
Arnoul dans Arras même (a) ; en 976, le roi est encore à
Douai (6). Quant à l'abbaye de Saint-Amand, loin de la res¬
tituer, il la vendit en juillet 968 à Hathier de Vérone (c).
(1) Annales , p. 156.
(2) Ed. Dudon, p. 294, n. a.
(3) Les Derniers Carolingiens, p. 93, n. 3. M. Lair s'appuyait
sur les Gesta episcoporum Cameracensium, mais M. Lot
(a) H. F. IX, 629, voir Lot, Les Derniers Carolingiens, p. 58.
(b) H. F.. IX, 640.
(c) Folclipi, Gesta abb. Lob., dans M. G. SS., IV, 69, Lot, op. ciL,
p. 47, n. 1
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SCR DUDON DE SAINT-QCENTIN
395
Jumièges (1) et Wace (2) attribuent à Hugues Capet
ce que Dudon dit de Lothaire, c’est peut-être par un
rapprochement et par une confusion avec l'événe¬
ment suivant raconté par cet auteur.
Richard et Albert de Vermandois. — Quelle part
le duc de Normandie, Richard I er , eut-il au change¬
ment de dynastie ? Nous n’en savons rien. Dudon
n’en parle pas. Guillaume de Jumièges nous dit que
Hugues Capet fut porté au trône, adminiculante ci
duce Hicardo (3). M. Lot dit : « La source de cette
assertion est inconnue. C’est probablement uue van
tardise de Normand (4) ». Il est certain cependant
que Richard I", étant donnés les liens qui l’avaient
uni aux Capétiens, a dù être plutôt favorable à leur
accession au trône. Richard était le vassal de Hugues
depuis les événements de sa minorité. Hugues, à qui
le roi avait délégué le ducalus Francice en 943, se con¬
sidère comme le vrai suzerain de la Normandie.
Richard n’a donc pu qu’aider Hugues Capet ; ses bon¬
nes relations avec le nouveau roi lui ont permis
d’écouter l’appel que lui adressa Albert de Verman¬
dois au commencement du règne de Hugues Capet et
montre que les Gesta ont copié le passage des Annales
Elnonenses minores relatif aux événements de 965 en le
reliant maladroitement à des événements de 978.
(1) Ed. Marx, p. 70.
(2) Roman de Rou , éd. àndresen, II, p. 56.
(3) Ed. Marx, p. 70.
(4) Etudes sur le règne de Hugues Capet et la fin du X• siècle,
p. 2, n. 1.
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ETl'DE CRITIQUE
que lui porta Dudon de Saint-Quentin (1). Chose
remarquable, celui-ci ne parle pas d’un autre service
rendu à Hugues par Richard, de son intervention
contre Eudes de Chartres, qui avait succédé à Thi¬
baut le Tricheur en 975 (événement qui, à vrai dire,
est placé par plusieurs sources en 999, c'est-à-dire
après la mort de Richard l OT ).
Les lacunes de Dudon. — Il y eut aussi, sous
Richard 1 er , une participation des Normands aux
affaires de Bretagne, dont Dudon ne parle pas. Il se
pourrait que le duc n'y ait eu aucune part person¬
nelle et qu’il s’agisse de bandes de pirates conti¬
nuant de courir le monde; encore une fois, les
invasions ne s’arrêtent ni en 911, ni en 965. Nous
avons vu qu’après la mort de Drogon, fils d’Alain
Barbetorte, les Nantais avaient reconnu comme
comtes deux bâtards de celui-ci, Hoêl et Guerech (2).
Des luttes s’engagèrent entre eux et Conan le Tort,
comte de Rennes, soutenu par Thibaut. Conan fit
assassiner Hoêl, puis entra en guerre avec les Nan¬
tais soutenus par les Angevins (3). Conan avait avec
lui des Normands (4). Le combat fut acharné et
Conan y fut blessé (5). Après la mort de Guérech,
vers 988, Conan, qui avait l’appui du comte de Char-
(1) Ed. Lair, p. 295.
(2) Chronique de Nantes, éd. Merlet, pp. 112-113.
(3) Chronique du Mont-Saint-Michel, éd. Labbc, Nova Biblio-
theca, Paris, 1657, 2 vol. in-folio, 1, 350.
(4) Ibid.
(5) Chronique de Nantes, 118-119.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
397
1res, s’empara de tout le duché et prit le titre de duc
en 990 (1). Mais, en 992, Foulque, mettant à profit
une absence de Conan, qui était occupé à l'extrémité
du Vannelais, dans le Bro Werec, rassembla une
armée d’Angevins, Manceaux et Poitevins et vint
mettre le siège devant Nantes. Conau accourut, il
avait encore avec lui des Normands. S'il faut en
croire Richer (2), il y eut une nouvelle bataille ; les
Bretons firent un grand, profond et large fossé (tac¬
tique normande) et ne présentèrent qu’un front de
lances, sur lequel l’armée ennemie vint se briser;
mais Conan fut tué et Foulque perdit beaucoup de
monde (27 juin 992).
Nous ne trouvons rieu de tout cela dans Dudon ;
ces Normands de Bretagne n'étaient peut être pas
des Normands du duché.
Dudon ne nous dit rien non plus des rapports
avec l'Angleterre, rapports commerciaux et poli¬
tiques. Or, nous avons un règlement du roi Ethel-
red II, promulgué en l’année 979, par lequel les
marchands de Rouen qui apportaient à Londres des
vins et du craspois sont exempts d'impôts (3). Ainsi,
dès le X» siècle, les Normands faisaient le transport
des vins de France en Angleterre; quant au craspois,
c’était une salaison alors très recherchée. Mais les
(1) Lot, op. cil., p. 165.
(2) Ed. Waitz, p. 167, sqq. Raoul Glaber en donne rempla¬
cement ( Conquiretum ) Conquereux (Loire-Inférieure), arron¬
dissement de Saint-Nazaire, canton de Guéméné.
(3) De Fréville, Histoire du commerce de Rouen, Paris,
Rouen, 2 vol. in-8°, 1857, I, p. 90.
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398
ÉTUDE CRITIQUE
rapports entre Richard et Ethelred n’ont pas tou¬
jours été amicaux. L’Angleterre reprochait aux
Normands de donner asile aux flottes danoises dans
leurs expéditions contre l’Angleterre, voire même de
se joindre à eux. Il fallut l'intervention du pape
Jean XV pour faire accepter une entente aux deux
adversaires (991 ) ; en présence d’un légat du pape,
Richard et ses enfants d’une part, un évêque et deux
comtes anglais de l'autre, jurèrent la paix à Rouen ;
les deux princes s’engagèrent à ne pas donner asile
â leurs ennemis respectifs ni même à leurs natio¬
naux sans un passeport signé d’eux. La convention
ne fut pas observée et les Danois continuèrent à
piller l’Angleterre et à trouver un refuge en Nor¬
mandie (1).
Cependant, à l’intérieur, Richard faisait régner
l'ordre, s’il faut en croire le témoignage de Raoul
Glaber qui nous dit qu'aucun vol n’était toléré au
temps des ducs Guillaume et Richard et que ceux-ci
se constituaient les protecteurs des pauvres, des
indigents, des pèlerins (2).
Ainsi, malgré la pénurie des sources, il apparaît
que le régne de Richard est plus intéressant en sa
seconde partie qu'on ne pourrait le supposer d’après
Dudon. Cet insupportable bavard, qui délaye en
d’interminables discours les donuées des Annales,
(1) Guillaume de Malmesbury, Gesla regum angUnitm, I,
191-199, Jaffé, Regesla ponlificum romanorum, Leipzig, 2" éd.
1885, n n 3810, t. I, p. 487, Freeman, The Nonnan Cotiquest,
1, 293, 313, 314.
(2) Ed. PROU, p. 20.
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SUR DUDON DF, SAINT-OUENTIN 399
a complètement négligé quelques points importants
de l’activité de Richard.
Quand Flodoard lui manque, Dudon est d’une
indigence complète. On pourrait dire qu'il s’arrête
à la môme date que Flodoard, 966, puisqu’il ne
nous raconte après la guerre contre Thibaut, termi¬
née à l’été de 965, que l'affaire de Flandre, mars 965,
et la participation de Richard dans le démêlé entre
Hugues et Albert de Verinandois, démêlé qu'il
connaissait personnellement pour y avoir joué le
rôle d'ambassadeur de ce dernier prince, enfin la
mort et les funérailles du duc Richard, auxquelles
il semble bien qu’il ait assisté.
En examinant le paragraphe consacré par Dudon
aux munificences de Richard R r à l’égard des
églises, nous allons constater aussi combien le cha¬
noine de Saint-Quentin, qui, sur ce point, semble¬
rait devoir être particulièrement bien renseigné, est
encore incomplet
Richard I" r et l’Eglise. — Cet homme d'église
ne nous renseigne que sur quatre points de l’œu¬
vre de Richard I er : le développement de l’église
Notre-Dame de Rouen ; la reslauration, dans les
faubourgs de Rouen, de l'église Saint-Pierre et
Saint-Ouen, c'est à dire de l'abbaye de Saint-Ouen ;
la construction d’une église au Mont Saint Michel
et l'introduction des moines dans cette abbaye ;
enfin les grands travaux entrepris il Fécamp. Il est
très remarquable que les trois premiers points sont
indiqués chacun en une phrase laconique, tandis
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100
ETUDE CRITIQUE
qu’il consacre un très long développement à la
reconstruction de l’abbaye de Fécamp, preuve évi¬
dente que les connaissances du chanoine de Saint-
Quentin sur tout ce qui concerne la Normandie
étaient extrêmement pauvres, sauf précisément en
ce qui tenait à l’abbaye de Fécamp, où, très pro
bablement, il a dû venir à différentes reprises.
L'église de Notre-Dame de Rouen remonterait,
s’il faut en croire dom Pommeraye, à saint Mellon ;
nous savons qu'elle existait déjà au temps de
saint Victrice (1) ; mais saint Romain l’augmenta
considérablement en 623 ; peut être a t elle soullert
des premières invasions normandes ? 11 est impos¬
sible de retrouver quelques traces des construc¬
tions de Richard P’ dans l'édifice actuel (2).
Quant à l’église Saint-Pierre et Saint-Ouen, il ne
s’agit évidemment ni de Saint-Pierre le-Cbûtel, ni
de Saint Pierre le Portier, mais de la grande abbaye
élevée sous Dagobert par saint Ouen sous le vocable
de Saint-Pierre et qui prit plus tard de son fonda¬
teur, le nom de Saint-Ouen. Le cloître avait été
brûlé le 14 mai 841, lors de la première invasion des
Normands à Rouen sous Oscar (3); on voit que la
restauration n’a été entreprise que plus de cent ans
(1) Vacandard, Vie de saint Ouen , évêque de Rouen , Paris,
1902, in-8", p. 95.
(2) Voir Allinne et Loisel, La cathédrale de Rouen avant
t'incendie de 1-200 , Rouen, 1901, in-8°, p. 15.
(3) Et non en 312, comme le dit dom Pommeraye, Histoire
de l'Abbaye de Saint-Ouen de Rouen, Rouen, 1662, in-folio,
p. 117.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN' iOl
après par Richard I er , ce qui montre combien a été
lente l’œuvre de restauration de l'église normande.
Il ne reste rien de cette église du X e siècle ; ou sait
que, dans son ensemble, la basilique actuelle est des
XIV e et XV e siècles; les parties romanes qui sub¬
sistent, une absidiole et des fondations de piliers,
dateraient du XI e siècle (1046 112(1) (1). Y a t-il eu
reconstruction ou restauration ? La phrase de Dudon
n’est pas claire ; en tout cas, il y eut certainement
renouvellement de la vie monastique, car Robert de
Torigni nous donne le nom du premier abbé après
la restauration, Hildebert (2). En outre Richard I er
fit faire une nouvelle châsse, enrichie d'or et de
pierreries pour renfermer les reliques de saint Ouen.
Au saint il donna Saint Martin en Hiémois (3).
Le monastère du Mont-Saint Michel avait été
fondé en 709 ; Guillaume Longue-Epée, qui réunit
le pays vois; Il â la Normandie, lui a-t-il fait quelques
donations 7 (4) Richard l ot dut, en tout cas, opérer la
réforme du monastère, où les religieux menaient
(1) Enlart, Rouen, Paris, 1906, in-4", p. 60.
(2) Traité sur les ordres monastiques et les abbayes nor¬
mandes (De immutatione), à la suite de la Chronique, éd.
L. Dblisle, Paris, 1873, 2 vol. in-8°, II, 193.
(3) Vacandard, op. cit., pp. 310-312. Voir la charte de
Richard II qui fait allusion a cette donation dans Pommeraye,
op. cit., p. 401.
(4) Comme le dit Goût, Le Mont Saint-Michel, Paris, 1910,
2 vol. in-8°, t. I, p. 102, qui attribue à Guillaume Longue-
Epée le don de Moidrey, Carnet, Marigny, etc., mais malheu¬
reusement ne cite pas ses sources.
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.102
ETUDE CRITIQUE
une vie dissipée (1). Malheureusement, le chanoine
de Saint-Quentin ne donne aucun détail ; et pour¬
tant il y avait lieu de rattacher cette introduction
des moines dans l’abbaye de la marche brito-nor-
mande au mouvement général de réforme.
Il semble bien en elïet que Richard l" r a adhéré au
grand mouvement de réforme monastique qui est
parti de Cluny et qui s’est répandu en courants
secondaires dans la Lorraine et la Flandre. Cette
œuvre, Rollon ne l’a pas tentée, ce n’était pas ce
demi-païeu qui pouvait réformer le clergé ; l'action
de Guillaume à Juinièges a été sans leudemain (2),
mais sous Richard I er , la Réforme a été introduite
au Mont-SaintMichel par Mainard, abbé de Saint-
Wandrille où il avait, pendant cinq ans, exercé ses
fonctions (3). Mainard venait de Gand. C’est un
disciple de Gérard de Broigne. En Flandre, comme
eu Normandie, au sortir des invasions normandes,
la décadence des monastères était profonde (4) et
c’est de l’aristocratie qu’était sorti le réformateur.
Gérard de Broigne appartenaità une des familles les
plus illustres de la Lotharingie; il a visité Saint-
Denis où il s’instruisit aux écoles, il y prononça ses
(1) Voir le Carlulaire de l'abbaye, ms. 210 de la bibliothèque
d'Avranchcs, cité par Goût, op. cil., 1, 101.
(2) Sackur, op. cit., II, 42.
(3) Chronica Sancli Michaeli* , dans Labbe, Nov. liibl ., 1,
p. 313; et à la suite de la Chronique de Robert de Torigni ,
éd. L. Delisle, II, 231.
(4) Pirenke, Histoire de Belgique, t. I, p. 75. Voir Sackur,
op. cit., I, p. 121, sqq.
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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN
403
vœux, puis fonda un monastère à Broigne près Na-
mur et prit le titre d’abbé en 923. Il a voulu réfor¬
mer l’Eglise lorraine, restaurer la règle bénédictine ;
il fut appelé par le comte Régnier de Hainaut et
Gilbert de Lorraine, puis en Flandre par Arnoul
le Vieux pour propager la Réforme; son action s’est
fait sentir à Saint-Pierre et Saint Bavon de Gand, à
Saint-Amand et Saint-Berlin; il a fondé un nombre
considérable de couvents.
A Gand, jadis, avaient été transportées les reliques
de saint Wandrille qui avaient d'abord trouvé refuge
à Boulogne (1). Saint Wandrille avait été délaissé
depuis les invasions normandes. La restauration fut
commencée en 961 et les reliques revinrent de
Gand (2). Pourquoi Richard transporta t-il Mainard
de Saint Wandrille au Mont Saint Michel? (3) Vrai¬
semblablement, il attachait une grande importance
à instaurer l'influence normande dans cette marche
de Bretagne où elle avait été jusqu’alors assez faible.
Peut être aussi pensait il que l’oeuvre de réforme,
commencée à Saint-Wandrille par Mainard, y serait
(1) Lot, Eludes critiques sur l’abbaijc de Saint-Wandrille,
p. XL.
(2) De immutatione, à la suite de la Chronique de Iloberl de
Torigni, II, 194; Inlroductio monachorum et miracula insi-
gniora Sancti Michaelis dans les Curieuses Recherches (le Dont
Le Roy éditées dans les Mémoires de. la Société des Anti¬
quaires, XXIX, 1877, p. 868. S’il fallait en croire un récit de
Robert de Torigni (I, 22-24), les reliques de saint Mauxe et
de saint Vénérand y auraient été apportées en 964.
(3) Sackur, op. cil., Il, 44 suppose que Richard I fr voulait
mettre Mainard à la tête de toutes les abbayes normandes (?)
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*01
ETUDE CRITIQUE
continuée avec succès, en quoi il se trompait, car
les trois abbés qui succédèrent à Mainard ne firent
que du mal et le monastère ne se releva qu'avec
Richard 11 (1).
De l’intervention de Richard I er au Mont-Saint-
Michel, nous avons une preuve irréfragable dans un
dipléme de Lolhaire de 966 (2), qui montre qu’à l'œu¬
vre de réformation se sont associés le pape Jean XIII
et l'archevêque de Rouen, Hugues (3). Les clercs
séculiers qui n’avaient pas voulu se soumettre à
la règle bénédictine, furent remplacés par des
moines. Le duc, qui, s'il faut en croire l’auteur des
Curieuses Recherches sur le fiant Saint-Michel , serait
venu fréquemment à l’abbaye (4), lit de grands dons
à l’église et des travaux furent commencés (5). Mai¬
nard eut le temps d’achever son œuvre au Mont-
Saint-Michel, car il ne mourut qu’en 991 (6). Son
(1) Lot, Eludes critiques, p. XLV.
(2) Halphen, Recueil des actes de Lolhaire et de Louis V ,
Paris, 1908, in-4°. p. 53.
(3) M. Lot, Eludes sur le règne de Hugues Capet , p. 228,
n. 1, déclare cet acte suspect, mais la date (7 février 966) lui
paraissait inadmissible parce qu’il croyait que la paix avec
Lolhaire n'avait eu lieu qu’en juin 966, or, nous démontrerons
qu’elle a eu lieu en juin 965. M. Halphen, tout en montrant
que l'acte est interpolé, le reconnaît comme bon.
(4) Op. cil ., p. 868.
(5) Robert de Torigni, op. cil., I, p. 26, Orderic Vital, op.
cil., Il, 9, Sackur, op. cil., II, p. 43. Voir encore Dom IIüynes,
Histoire générale du Mont Saint-Michel, Rouen, 1872 (S. H. N.),
2 vol. in-8°, I, 55, dont le récit manque ici comme partout de
critique.
(6) Mabillon, Annales Ordinis Sancti Benedicti, Paris, 1707,
6 vol. in-folio, IV, p. 75. Goût, t. I, p. 104.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
405
œuvre fut continuée par son neveu qui reconstitua
le domaine.
Dudon raconte ensuite les travaux entrepris à
Fécamp ; il décrit avec un certain charme le site
même, description que l'on trouvera plus étendue
dans Baudri de Bourgueil. En ce qui concerne les
travaux, le fait est confirmé par une charte de Ro¬
bert le Pieux, de 1006 (1), par Raoul Glaher qui
nous parle du riche monastère élevé par Richard (2).
La consécration de cet édifice eut lieu solennelle¬
ment au mois de juin 990 (3), en présence du duc,
des comtes Guillaume et Godefroi, de son frère
Raoul, de l'archevêque Robert, des évêques Raoul
de Bayeux, Hugues deCoutances, Gératid d'Evreux,
Roger de Lisieux et Norgod d’Avranches. Le duc
avait donné à l’abbaye le revenu de douze paroisses
environnantes : Vittelleur, Paluel, Saint-Riquier-
ès-Plain, Ingouville-ès Plain, Saint-Valery-en-Caux,
Veules, etc. (4). Il y plaça d’abord douze cha¬
noines pour y célébrer l'office divin (S). Mais ces
chanoines ne répondirent pas à ses espérances et le
duc Richard fit appel à Mayeul, abbé de Cluny ; il
(1) Gallia Christiana , XI, instr., C. 8.
(2) Ed. Prou, p. 40, Guillaume de Malmesbury, parlant dos
travaux de Richard II à Fécamp, dit • Cœnobium Fiscannense
quod pater inchoaverat ».
(3) 989 , selon le Chronicon Sancti Slephani Cadomensis, dans
Duchesse, Normanniæ Script ores, p. 1017 ; date qu’a adoptée
Sackur, op. cit., II, p. 44.
(4) Mabillon, Annales ., IV, p. 62.
(5) Gallia christiana, XI, c. 202 et Leroux de Lincy, op. cit.,
p. 6.
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40f>
ETUDE CRITIQUE
voulait l’établir dans le monastère de Fécamp pour
y introduire la réforme clunisienne ; Mayeul ne
voulut se mettre à l’œuvre que si Richard lui accor¬
dait le droit de pasnage dans toutes les forêts de la
Normandie. Le duc s’y refusa et Mayeul rentra en
Bourgogne, où il représenta les Normands comme
des barbares (1).
Ainsi, la réforme clunisienne ne pénétra en Nor
mandie que sous Richard II, avec Guillaume de
Saint Bénigne, de Dijon ; mais elle avait été pré¬
parée par la réforme de Gérard de Broigne partie de
Gand. Dudon de Saint-Quentin ne nous laisse rien
soupçonner de ces faits si intéressants. Peut être
même ne nous a-t il pas indiqué toutes les fonda¬
tions de Richard I sr (2) ; ne faut-il pas lui attribuer
Saint Taurin d’Evreux qui, d’après son nécrologe,
le reconnaît comme son restaurateur (3) ? Jumièges.
qui aurait eu à souffrir de l'administration de Raoul
La Tourte (4), aurait reçu plus tard du duc la moitié
du territoire de Heurteauville (b).
(1) Liber de revelalione, œdificatione et auctontale tnonas-
terii Fiscanneusis dans Migne, Pair. lat. CXLl , c. 848 et Vila
S. Maioli, nbbatis Cluniacensis dans MabilLON, ^4cfa SS,
ordinis Benedicti , Paris, 1668-1701, 9 vol. in-folio, Sæc. V,
§ 40, p. 776 ; Leroux de Lincy, op cit., p. 6 ; Pfister, Eludes
sur le règne de Robert le Pieux, p. 309; Sackur, op. cit., Il, p. 45.
(2) Bôhmer, Kirchc und Slaat in England und in der Nor¬
mandie in XI und XII Jahrunderl, Leipzig, 1899, in-8» p. 6.
dit que la réforme a été aussi introduite à Saint-Ouen.
(3) Mabillon, Annales...., IV, 105. Mais Robert de Torigni,
De immutalione, éd. L. Delisle, II, p. 194, nomme Richard II.
(4) Histoire de l’abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges,
t. 1,133.
(5) Ibid. p. 139. Il faudrait pour préciser la date de ce don
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SIR DUDON DE SAIXT-OUENT1N
407
Les invasions normandes dans celte région avaient
duré près d’un siècle, 820 911 ; même après l’éta¬
blissement de Rollon et son baptême, elles avaient
été suivies de retours au paganisme, dont les mani¬
festations se succédèrent pendant près d’un demi-
siècle encore avec Rollon lui même, avec Rioul, Tur-
moud et Ilagrold. Richard I er ne put lutter contre le
paganisme qu’après que son pouvoir se fut affermi ;
en ce qui concerne le clergé régulier, nous avons cons¬
taté les débuts de son action en 960, mais ses luttes
contre Thibaut ont pour conséquence une nouvelle
invasion païenne suivie de nouveaux baptêmes. On
sait combien était superficielle la vie chrétienne
chez ces nouveaux convertis. Ces cent cinquante an¬
nées de troubles n’avaient pas eu seulement pour
conséquence la destruction de certains monastères:
Fécamp, Jumièges, Saint-Ouen ; l’abandon de cer¬
tains autres: Fontenelle, dont les moines émigrent
à Boulogne (1); les translations de reliques; le
clergé de Bayeux au IX» siècle fuit avec celui de
l’église de Dol en emportant des reliques de saint
Regnobert (2). Les Francs étaient peut être aussi
redoutables que les Normands, s'il faut en croire
un récit de la translation des reliques de saint
Evroul et de saint Ansbert. Ces reliques auraient été
et (Je ceux que Y Histoire de l’Abbaye royale, p. 134, attribue
au comte Bernard — peut-être Bernard le Danois — au prêtre
Marmon. une édition critique des diplômes de Richard I er et
de Richard II que nous attendons de la science de M. Lot.
(1) Lot, op. cil., xxxvn.
(2) Translatio corporum bealorutn Regnobcrti el Zetionit,
Luc d’AcHERY, Spicilegium, Paris, 1675, 13 vol. in 8", XII, 600.
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408
ETUDE CRITIQUE
enlevées par les officiers de Hugues le Grand lors de
la campagne de celui-ci, en 945, contre Bayeux. Son
chancelier Hélouin el Raoul de Dragi, pendant le
passage de l’armée du duc, s’emparent des reliques
de saint Evroul, de saint* Evremond et de saint
Ansberl et les transportent en Orléanais (1). Etait ce
pour les soustraire aux pillages des Normands ? On
ne sera pas surpris que Dudon, souvent assez sévère
pour les Carolingiens, mais très respectueux des
Capétiens qui régnaient lorsqu'il écrivit son œuvre,
n’ait point rappelé cette histoire.
Pour le clergé séculier, les invasions ont eu d’au
1res conséquences : destruction d'une partie du clergé
décimé par la haine d’Hasting et de ses bandes,
démoralisation de ceux qui survivaient, barbarie des
clercs de race normande. Orderic Vital trace de ce
clergé un portraitpeu flatteur que l’on chercherait en
vain dans Dudon. Parlant de l’abbé Foulques de Guer-
nauville qui avait eu, d’une noble compagne, huit
fils et deux filles, il remarque qu’ « eu Neuslrie, la
chasteté des clercs avait tellement disparu que non
seulement les prêtres, mais encore les évêq ues avaient
ouvertement des concubines et se glorifiaient du
grand nombre de leurs fils et de leurs filles. Cet
abus existait au temps des néophytes qui avaient été
baptisés avec Rollon et qui plus instruits aux armes
qu'aux lettres envahirent violemment le pays. Enfin
(1) De Translationc SS. Ebrulfi , abbatis Uticensis et Ansberli
monaçhi in cœnobium Rasbacemc , MABILLON, Acta SS.,
Ordinis Bcnedicti, Sœc-, V. p. 226.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 409
des prêtres de la race des Normands, de stirpe Daco-
rum, fort peu instruits, portaient les armes et déte¬
naient les paroisses comme des fiefs laïcs (I) ».
Guillaume de Saint-Bénigne trouvait à peine un clerc
qui sût psalmodier eu Normandie (2).
Qu'ont fait les ducs pour remédier à cet état de
choses ? Les ducs disposaient à leur gré de l’arche¬
vêché. A Roueu, il semble que leur intervention
n'ait pas été des plus heureuses, ce qui explique que
Dudon n'en ait point parlé. Le clergé normand était
entre leurs mains (3). Guillaume donna l’archevêché
à un moine de Saint-Denis, Hugues (4); il eut pour
successeur Robert, fils de Richard et de Gounor, que
le duc leur imposa et que les chanoines ne vou¬
laient pas accepter tout d’abord. Ce fut un très
mauvais prélat ; devenu comte d'Evreux, il épousa
llerlève et en eut trois enfants (3). Cet archevêque
était le grand protecteur du chanoine de Saint-
Quentin qui lui a dédié, dans sa préface et au cours
de son œuvre, nombre de poésies. A prélat de cour,
chanoine de cour: Dudon avait les meilleures raisons
(1) Orderic Vital, 11,397.
(2) Vita S. Willelmi dans Mabillon, op. cit., Sæc. VI, pars. I,
p. 327.
(3) Pfister, op. cit., p. 187.
(4) Analccta archiepicoporum Rolonuigrnsium dans Mabil-
LON, A note cia. éd. in-8", II, 437 et Historia archiepicoporum
Rolhomagensium dans dom Martène, Vcterum scriptorum
colteclio, Paris, 1700, in-8°, p. 239.
(5) Orderic Vital, II, 30 et 365 et dom Pommeraye, Histoire
des archevêques de Rouen, p. 239.
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ETl'DE CRITJOIE
410
pour ne pas s’étendre sur l’œuvre religieuse de
Richard 1".
Le duc qui semble, depuis 942, avoir disposé de
l'archevêché de Rouen avait-il le même droit sur
les autres évêchés ? Il n’est même pas sûr qu’au
début du moins, comme le remarque justement
M. Imbart de la Tour, il ait pu intervenir dans les
élections épiscopales (1). Il semble même qu'en
certains diocèses toute vie régulière ait été suspen¬
due jusqu’au temps de Richard l 01 sous lequel on voit
se reconstituer les évêchés. Il semble qu’il y ail eu
partout restauration de la hiérarchie ; à Sées, les
listes épiscopales présentent uue lacune de 910à 986 ;
mais l’évêque Azo se trouve, en 990, à la dédicace de
Fécamp (2). A Lisieux, la lacune s’étend de 832 à
990, un évêque de Lisieux assiste également à cette
dédicace (3). Il y a une lacune à Avranches de 862 à
990 ; Norgod, uu Scandinave, sans doute, assiste à
la même dédicace (4). Il semble que l’évêché de
Coutances-Saint Lo, ait été transféré à Rouen ;
les corps de Saint Lo et de Saint-Frémond y avaient
été transportés dans l’église de Saint-Sauveur, que
Rollon aurait donnée à l’évêque. Cinq évêques rési¬
dèrent à Rouen : Théoderic, Herbert, Algeronde,
Gilbert, Hugues (6). Eu était il de même pour l'évê-
(1) Les élections épiscopales dans l'église de France du IX* au
Xlb siècle, Paris, 1890, in-8°, p. 247.
(2) Gatlia christiana , XI, c. 679.
(3) Id., c. 765.
(4) ld., c. 474.
(5) Gallia christiana, XI, c. 868, Farin, Histoire de la ville de
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 411
ché d’Avranches ? En 966 le Mont-Saint-Michel,
dans la charte de Lothaire I er , est représenté comme
faisaut partie du diocèse de Rouen. Sans doute,
ces diocèses n’ont repris leur vie propre que sous
Richard 1 er . A Bayeux, il y eut une interruption d’un
demi-siècle jusqu’à Henri qui baptisa Richard I or .
Résidait il à Bayeux ? Il semble, à lire Dudon, qu'il
ail baptisé le jeune prince à Fécamp. Un ordre régu¬
lier parait s’être mieux maintenu dans les évêchés de
Haute Normandie.l'évêqued’Evreux,Guichard,sous¬
crit à un acte pour Saint-Père de Chartres en 954 (1).
Géraud assiste, en 990, à la dédicace de Fécamp (2).
Faisons encore mentiou d'une restitution de
Richard à Saint Denis. « Pendant l'assemblée de
Gisors, Gozlin, abbé de Saint-Denis, avait réclamé
à Richard le domaine de Berneval comme apparte¬
nant à l’abbaye, en vertu de la donation de Guillaume
Longue Epée et de Robert (Rollon), grand-père de
Richard. Le duc de Normandie avait accueilli favo¬
rablement la demande de Gozlin, sur le conseil
de son seigneur Hugues, de son frère Raoul, comte
d’Ivry, et d’Osmout, sans doute son ancien gou¬
verneur. Néanmoins, il remit à plus tard l’examen
Rouen, Rouen, 2” éd., 1731, 6° partie, p. 2. L’église Saint-Sau¬
veur prit le nom de Saint-Lo. Toustain de Billy, Histoire
ecclésiastique du diocèse de Coutanccs, êd. par F. Dolbet,
Rouen, 1874, in-8‘> (S. H. N.), t. t, p. 05. Ajoutons que Gonnot-
aurait songé à rebâtir la cathédrale, Galtia christiana, XI,
c. 217.
(1) Gallia christiana, XI, c. 570.
(2) Id.
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ETUDE CRITIQUE
412
des titres de l’abbaye de Saint-Denis et conseilla
à Gozlin de venir le retrouver à Rouen. Gozlin se
rendit donc un dimanche à Rouen, et là, en présence
du duc, de sa femme Emma, et des seigneurs nor¬
mands, i! prouva que le domaine de Ëerneval avait
été injustement ravi à l’abbaye de Saint-Denis par
l’évêque Aillemond. En conséquence, Richard se
rendit à Berneval, accompagné d'une suite nom¬
breuse de grands de France et de Normandie, et, le
18 mars 9(58, restitua ce domaine à l’abbaye de Saint-
Denis (1) ».
La féodalité normande. — Dudon ne nous a pas
parlé non plus de la constitution de la féodalité
normande. Or, nous avons vu apparaître, sous le
régne de Richard l” r , les chefs des grandes fa
milles : par exemple, la maison de Bellême avec Yves
de Bellême, qui pourrait bien être le complice d’Os
mont dans l’évasion de Richard l» r . Cette maison se
constitue sur la frontière avec le château de Bellême,
celui de Domfront élevé avec la permission du duc
Richard et peut être celui d’Alençon. Sur ce terri¬
toire des rives de la Sarthe, de la Mayenne et de la
Varenue, il y eut donc constitution d’une maison
importante qui devait devenir pour la Normandie un
redoutable adversaire (2). En outre, la famille de
Richard allait être l’origine d’une féodalité apanagée
(1) Lot, Les Derniers Carolingiens, p. 57.
(2) Stapleton, Magni Jtotuli scaccarii Kormanniec sub
regibus angliœ, Londres, 1840, 2 vol. in-8,1, p. lxxi.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN il 3
avec les fils légitimes et naturels du duc, à Evreux,
à Brionne, etc.
La mort de Richard I er . — Tombé malade à Bayeux
en 996, le duc se fit transporter à Fécamp. Sur la date
de la mort, on a eu quelquefois des doutes ; on a dit
que Richard I er aurait vécu jusqu'en 1002, mais la
date de 996 est formellement donnée par Dudon de
Saint Quentin (1) et Guillaume de Jumièges (2). Or le
témoignage de Dudon est parfaitement acceptable
sur ce point, car il a pu être renseigné par Raoul
d'ivry et, très vraisemblablement d’ailleurs, il a
assisté aux funérailles du duc.
Après un nouvel éloge du duc Richard, le cha¬
noine de Saint-Quentin nous raconte sa fin édifiante,
comment il avait choisi Fécamp pour le lieu de sa
sépulture, comment il désigna à Raoul d'ivry son
fils Richard pour lui succéder. Le récit des funé¬
railles est vraiment une belle page latine. Le cha¬
noine parle-t-il en oculaire témoin ? Peut être se
trouvait-il alors dans cette abbaye de Fécamp qui
lui était si chère ? Peut être ses bonnes relations
avec la famille ducale le firent elles inviter à ces
funérailles? Il dépeint admirablement, — car si on
peut lui refuser la créance historique, on ne saurait
lui contester un véritable talent littéraire, — le cor¬
tège funèbre, la douleur et l’empressement de la
population, les lamentations des veuves, des vierges,
(1) Ed. Lair, p. 299.
(2) Ed. Marx, p. 72.
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ÉTUDE CRITIQUE
414
des épouses s’arrachant les cheveux, se frappant la
poitrine, les cris des chevaliers, les psalmodies des
prêtres ; tout cela constitue un tableau saisissant.
On se demande parfois en lisant cette page si l'ima¬
gination très vive du chanoine n'en a pas fait tous
les frais, ou bien plutôt s’il n’a pas rendu au contraire
d’une façon très imagée et très pénétrante ce qu’il
pourrait y avoir encore de sauvage dans ces hurle¬
ments des femmes normandes pleurant la mort du
chef, si bien qu’on pense involontairement, en reli¬
sant ces belles phrases latines, à la marche funèbre
du Crépuscule des Dieux.
Telles sont, hélas ! les impressions mélangées
et contradictoires que nous laisse Dudon. On ne peut
jamais se laisser aller à croire à sa sincérité, tant on
a constaté d’inexactitudes en son œuvre, et pourtant
cet homme fort intelligent est un peintre assez exact,
bien que trop flatteur, des mœurs de cette première
société normande.
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Sim DUDON PE SAINT-QUENTIN
115
LES INSTITUTIONS ET LES MŒURS
DANS DUDON
U y a lieu de se demander si le plus inexact des
historiens, — encore est-il à peine permis de lui
donner ce nom — ne pourrait pas conserver une
certaine vérité dans la peinture des mœurs et des
institutions. Nous avons, à dillérentes reprises, insisté
sur quelques traits exacts relevés au cours de notre
discussion critique, car nous avons rendu justice au
vieux rhétoriqueur. Il est peut-être nécessaire de
grouper ici dans un court tableau d'ensemble les
traits épars que la critique des faits ne nous a pas
permis jusqu’ici de rassembler. Déjà M. Lair, dans
un chapitre intitulé Dudon peintre des mœurs , avait
essayé de mettre en lumière l’exactitude d'un écri¬
vain dont il s'était (ait l’éditeur et l’apologiste. Ou
ne saurait cependant suivre M. Lair dans tous ses
développements ; il a esquissé un tableau des causes
des succès des invasions normandes, succès dont il
trouve la cause dans le déplorable état de la société
carolingienne de ce temps : qu’on y prenne garde,
ceci est un pur hors-d’œuvre, car M. Lair qui se fait
ici, non seulement l’apologiste de Dudon, mais celui
des Carolingiens, s’appuie sur les Capitulaires et non
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116
ETUDE CRITIQUE
sur le chanoine de Sainl-Quenlin et nous n’avons pas
à discuter ici la question de l’activité législative
des descendants de Charlemagne ; il est assez vain,
d’ailleurs, de se demander ce que valait cette acti¬
vité si elle n'était pas suivie d’eflet ; qu’impor¬
tent des lois qui ne sont pas respectées, des capitu¬
laires qui ne sont pas appliqués ? Au temps de la
décadence carolingienne, comme en d’autres épo¬
ques, ce n'étaient point les lois qui faisaient défaut,
mais la volonté ou la force et la constance néces¬
saires pour les mettre à exécution.
Or, ce que nous trouvons dans Dudon, nous l’avons
déjà remarqué, ce n’est point le portrait des Caro¬
lingiens ; il n'avait pas à le tracer dans son récit
extrêmement vague ; on ne sait trop sous quel prince
se déroulent les événements racontés aux deux pre-
mieps livres dont la chronologie nous échappe.
Louis IV ne joue pas un rôle sympathique dans les
deux derniers livres, et on ne saurait encore le repro¬
cher à Dudon, puisqu’aussi bien il est conforme,
dans ses graudes lignes, aux données de Flodoard.
On l’a déjà dit : le chanoine de Saint Quentin
devait être plus porté à l'indulgence pour les Capé¬
tiens qui sont les rois de son temps. Il s'efforce
d’ailleurs, dans son apologie, de représenter les ducs
normands comme les loyaux serviteurs de la monar¬
chie ; mais il est un peintre très fidèle de la société
féodale ; il l'a peinte en termes précis, quand on sait
le comprendre, soit qu’il indique les liens qui unis¬
sent le nouveau chef d’Etat, Rollon, à la monarchie
carolingienne, soit qu’il montre l’obligation pour
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
417
Richard d'avoir un seigneur et de se mettre dans la
dépendance de Hugues. Il a une idée très précise de
la nécessité, sinon légale, du moins de lait, où est
tout seigneur d’entrer dans la hiérarchie léodale ;
mais il a aussi compris que les Normands ne con¬
naissaient pas le mécanisme de cette société, qu’il
fallait le leur expliquer ; de là la peinture si vivante
de la prestation d’hommage à Saint Clair sur-Epte ;
de là les discours de Hugues le Grand aux seigneurs
normands pendant la minorité de Richard. Que le
régime léodal ait été importé par les Normands,
cela ne se peut soutenir, puisqu’ils ne le connais¬
saient pas dans leur pays d'origine, mais avec la
remarquable facilité d'adaptation qui caractérise la
race, — et ceci est une remarque de portée générale,
— les ducs auront compris de bonne heure les avan¬
tages de ce régime, peut-être lui auront-ils dohné
plus de précision qu’il n'eu avait dans le reste de
la Gaule, en imposant à leurs vassaux directs des
obligations militaires précises quant au nombre
d'hommes d’armes à fournir, analogues à celles
qu'Harald Harfagr' avait imposées en Norvège à
chaque Skatkonung (1). Peut-être ainsi provoquè¬
rent-ils quelque révolte? Car Dudon semble avoir
bien vu que les Normands apportaient dans celte
société nouvelle pour eux des habitudes d’égalité et
(1) Sur cette question, voir le livre II, pp. 296-300. Nous
rassemblons ici les traits épars dans Dudon sur tes institu¬
tions, mais pour les questions déjà traitées, nous renvoyons
aux livres précédents.
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ETUDE CRITIQUE
d’indépendance qui, en effet, étaient propres aux
peuples du Nord et demeurent à l’heure actuelle chez
les Norvégiens ; de là la parole qu'il met dans la
bouche des soldats de Rollon : « Nous sommes des
égaux » ; réminiscence peut-être, chez cet homme qui
a pris à toutes les sources, d'un vers d'Abbon. Mais
il a bien vu que le chef de l’armée normande consul¬
tait ses lieutenants en toutes choses ; de là ces
assemblées des grands qui précèdent chaque acte
important. Jamais la succession ducale n’est réglée
sans une consultation de ce genre, sans une presta¬
tion d'hommage, une reconnaissance effectuée du
vivant même du duc Lorsque Guillaume songe à
abdiquer, il (ait un discours à ses trois secrétaires,
Bernard, Bothon et Anslech pour leur montrer la
nécessité d’assurer sa succession ; il désigne son
héritier, dont'Dudon a bien soin de ne pas rappeler
l’origine irrégulière, et les barons prêtent le ser¬
ment au jeuue Richard et se recommandent à lui :
« Sacramento verte fidei, manibus volonlarie datis corn-
mendaverunt se illi (1) ». La même cérémonie avait eu
lieu quand Rollon, accablé par l'àge et la (aligue,
avait convoqué les grands, <( convocalis Uacorum llri-
lonumque principibus » etavaitdonné toute sa terre :
« omnem lerram suit ditionis » à Guillaume, fils de
Popa, et les avait liés à son fils par le serinent et la
remise des mains (2).
(1) Ed. Lair, p. 22t.
(2) Ibid., p. 173. Algue, inter mnnus Willelms adolescent!*
maints suas mittentes principes colligavit illi conjuralionis
sacramento.
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SUR DUDON DE SAIM-OUENTIN 419
Les grands avaient ils d'autres droits? Y avait il
dans le duché primitif une assemblée de sages qui
ferait penser au witenagemot anglo-saxon? ou une
assemblée plus large, plus démocratique qui rappel¬
lerait le ihing norvégien, Valthing islandais? Dudon
ne ditrien qui permette une affirmation quelconque.
En tout cas, dans l'état normand, le régime féodal
devait peu à peu transformer de telles assemblées
en une cour analogue à celle des rois. C'est elle sans
doute que Dudon a vue en action sous Richard II et
qu’il a peut-être transportée dans le passé. Rollon
a convoqué les premiers des Danois, avant de signer
la paix de Saiut-Clair-sur-Epte (1). Richard I" faitde
même avant celui de 965 (2) ; les grands ont été
consultés sur la législation donnée par Rollon (3) ;
les principes s’opposent au projet de Guillaume d’ab¬
diquer (4). Ils interviennent dans tous les actes de
la famille ducale qui peuvent engager l'état nor¬
mand : Guillaume ne veut pas donner sa sœur
Gerloc au comte de Poitiers avant d'avoir consulté
ses fidèles (5). Ceux-ci persuadent à Richard d’épouser
Gonnor (6). S’il fallait en croire Dudon, ils auraient
même été consultés sur l’union de Rollon avec Gisèle.
En dehors de cette cour, on constate l’existence
(1) Ed. Lair, p. 166.
(4) Id., pp. 282-283.
(3) Id ., p. 171. Voir notre livre II, p. 272.
(4) Id., p. 202.
(5) ■ Consultu mcorum fidelium » p. 192.
(6) Id., p. 289.
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ETUDE CRITIQUE
420
d'un chef de la milice, chef aussi de la maison
ducale, Bollion (1) ; de grands officiers : Bernard,
Botlion et Anslech sont appelés secrétaires du duc (2),
il est question d'un chambrier, camerarius, lors de la
mort de Guillaume Longue-Epée (3) Mais, ici encore,
nous devons faire cette remarque que Dudou a peut-
être voulu représenter plutôt ce qui existait au
temps où il écrivait sous Richard II, que ce qui
existait réellement sous les ducs dont il retraçait
l'histoire.
Dudou dissimule mal que la dynastie normande
se perpétue par le concubinage et que les chefs
normands pratiquaient encore sans doute une sorte
de polygamie. Toutefois, la monarchie normande,
si l’on peut s’exprimer ainsi, est héréditaire. Si
Rollon, d'après le seul Guillaume de Jumièges,
semble avoir été élu au sort à sa première arrivée à
Rouen (4), dans la suite, chaque chef a désigné son
héritier. La couronne ducale appartient elle de droit
au fils ainé? Il semble que ce qui importe, c'est la
désignation paternelle : quand Richard I" meurt,
Raoul d'ivry lui demande quel sera son successeur ;
le duc désigne celui qui porte le même nom que lui.
Quant aux puînés, ils tiendront, après serinent et
(1) * Princeps militiœ noslræ ». Id., p. 181. • Princeps
domus », p. 183.
(2) Id., p. 220.
(3) Id., p. 208.
(4) Ed. Marx, p. 21. « Sorte eligentes, g mon sibi doniinum
militiæque su/c principem, pacta ci fidelitate, preficiunt ».
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SLR DUDON DE SAINT-QUENTIN
«I
hommage prêtés à leur frère, une terre qui assurera
leur existence (1).
Le chef de l'état normand est appelé par Dudon,
duc, marquis, comte. Ce sont des titres que le prince
normand prend dans ses actes, indifféremment ou
simultanément,au temps de Richard i or ouRichard II,
même encore de Guillaume-le Conquérant (2). Il est
incontestablement un comte, cornes, une sorte de suc¬
cesseur des comtes carolingiens ; il est un mar¬
quis, marcliio (3) ; les historiens allemands ont dit
qu’il était le chef d’un état fondé pour protéger la
Francia contre les Normands et les Bretons (4) ; il
est aussi un duc. Ce nom l’emportera. Dudon, en
l'employant de préférence, a peut-être contribué à le
faire entrer en usage. En somme, le De moribus nous
apprend peu de choses des institutions ; elles ne
devaient nécessairement tenir qu’une place res¬
treinte dans le roman historique forgé par le Doyen.
(1) « Qui fungilttr meo nomine, vestri cousilii auclorilate dux
et cornes, h œresque erit hæreditatis nies.... lllis mei filii Ricardi
sacra ment o vertu fidci fidelibus effectis, tnanibus illorum ejus
manibus vice cordis datis, largietur terrain quant dénions tra¬
cera tibi, qtia vivere honorifive /tossint ». Eil. Laik, p. 297.
M. GÉNESTAL, Le parage normand, p. 3, voit dans ce texte
line première manifestation du droit d'aînesse appliqué à la
succession ducale et aussi du parage normand. Sans doute,
niais Richard II ne devient duc qu'en vertu de la désignation
de son père et du consentement tacite des grands.
(2) Flach, Les origines de l’ancienne France , I, 170, n. 1,
remarque que Dudon emploie ces titres indifféremment et
qu'ils n'avaient point encore de signification précise.
(3) Voir H. F., IX, 731.
(4) Dummler, op. cil., Karl von Amira, op. cil.
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ETUDE CRITIQUE
122
Sans doute aussi les premiers linéaments de cette
société restèrent assez imprécis.
Il ne faudrait donc pas exagérer les louanges que
mérite Dudon commepeintredes mœurs normandes;
on trouve bien en son livre quelques traits qui
peignent les ruses des vikings ; l'exploit légendaire
d’Hastiug à l.una, le camp tracé par Rollon dont
l'accès est laissé à dessein ouvert, les attaques noc¬
turnes du camp ennemi devant Chartres au son de
la trompette ; rappelons nous surtout les cadavres
dépouillés des animaux du troupeau de l’armée lors
de la retraite de Lèves, trait où se retrouvent la
férocité et la ruse sauvage des Normands.
Mais Dudon a bien compris aussi que ces païens
ne sont pas des barbares, qu’ils ont le goût de la
richesse, qu'ils ont un certain art, qu’ils appor¬
tent une certaine recherche dans la décoration de
leurs épées (1). Voyez la description de l’épée offerte
par lloilon à Athelstan, de l’épée présentée par
(1) Sur l'art Scandinave, voir Worsaae, De Danskes Cttltur,
tracl. Morillot, extr. des Mémoires des Antiquaires du Nord,
1878-79, p. 101 ; Montelius, La civilisation des Normands
avant l’émigration, dans le Congrès du Millénaire Nonnand
t. Il, p. 590, sqq, et Catalogue du Musée de Stockholm.
Quelques épées décrites et reproduites dans les deux
ouvrages du grand antiquaire suédois sont à rapprocher des
descriptions de Dudon, notamment au tome II du Congrès du
Millénaire, p. 595, la figure 2 qui représente une poignée
d’épée: fer et argent du IX* et X* siècle ; figure 12, p. 603 qui
représente une poignée d’épée : fer, bronze doré, argent, gre¬
nats, fabriquée en Suède au VI* siècle ; fig. 14, poignée fer,
bronze doré; et, surtout fig. 17, p. 607, une poignée fer, bronze
et de grenats, ornée de verroterie cloisonnée.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
423
Conon aux soldats de Guillaume Longue-Epée, des
riches cortèges qui entourent les princesses lors des
mariages ; il a saisi le goût si vif des ducs pour la
chasse dans les grandes forêts, forêt de Lyons par
exemple : goût qui devait persister chez les rois
anglo-normands (1 ).
Mais il ne faut pas demander davantage au cha¬
noine ; il n’a pas mis en présence les deux sociétés
franque et normande ; il ne nous a pas montré leur
pénétration réciproque, il ne nous a parlé qu’en
termes extrêmement vagues de la législation (2) ; les
sources ne lui en disaient rien, il n’a rien apporté
de son cru et comme nous n'avons point et qu’il n’y
a peut-être jamais eu de chartes de Rollon et de
Guillaume, que celles de Richard l» r sont bien peu
nombreuses, il faut renoncer à faire un tableau
complet des institutions de l’état normand, de la
société normande, avant le règne de Guillaume-le-
Conquérant (3). Il se peut d'ailleurs que cette société
ait été encore bien inorganique, que la force y ait
eu plus de poids que la loi.
Maintenant faut-il, comme M. Lair, louer Dudon
de n’avoir point imité la sécheresse des Annales de
(t) Pp. 192, 248.
(2) Sur la législation, voir notre livre II, pp. 260-272.
(3) C'est ce qu'a très bien compris et dit M. Haskins, qui
déclare que l'on ne peut guère décrire les institutions de la
Normandie qu'à la date de la conquête de l'Angleterre, ou
tout au plus un demi-siècle auparavant. Kormandy under
William the Conqueror dans The American Hislorical Bevietv ,
XIV, april 1909, p. 455.
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m
ETUDE CRITIQUE
son temps ? Il est excessif de dire qu'il abonde en
renseignements curieux (1) ; et le peu qu’il apporte
sur les moeurs ne compense guère son inexactitude
lonciére dans le récit des événements. Il faut bien
convenir, au terme de cette longue discussion criti¬
que, qu’il ne nous donne que bien peu de faits
certains et nouveaux sur l’histoire des premiers
ducs normands.
(1) Comme le dit M. Lair, p. 94.
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SLR DUDON DE SAINT-QUENTIN
425
CONCLUSION
Nous avons dans notre introduction, marqué le
caractère de l’œuvre de Dudon, œuvre commandée
parles ducs, payée par le don de deux bénéfices:
c’est un panégyrique, disait déjà Orderic Vital (1) ;
nous avons aussi remarqué que l’on ne saurait
perdre de vue que cette œuvre a été écrite sous
Richard II, en un temps de prospérité et de réelle
puissance pour l'élat normand ; que, parti pris
apologétique ou erreur d'optique, le chanoine de
Saint-Quentin, qui n’est point Normand et n'a pas
de souvenirs personnels, est trop porté à représenter
cette puissance comme beaucoup plus ancienne
qu’elle ne l'est. La domination de la Normandie sur
la Bretagne, l’alliance avec le Danemark, sont cho¬
ses fort récentes. Dudon leur attribue une antiquité
déjà séculaire et leur prête des antécédents sans
fondement. Peut-être aussi faut-il songer à la date
de rédaction du De Moribus, pour expliquer certains
anachronismes.
L’œuvre de Dudon nous est apparue, nous l’avions
fait pressentir, comme un curieux amalgame d'em-
(1) Ed. S. H. F., II, 2.
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•126
ÉTUDE CRITIQUE
prunts aux sources annalisliques et aux traditions
orales. Les débuts du premier livre sur la Scandi¬
navie et les causes des invasions normandes, nous
ont révélé la lecture de Jornandès, de Paul Diacre,
de Paul Orose, mais aussi d'écrivains plus classi¬
ques, de Virgile, de Pline, par exemple. A-t-il lu
Ptolémée? cela reste douteux (1). N’oublions pas
d’ailleurs que nous ne pourrons jamais dresser la
liste complète de ses lectures, certains ouvrages de
lui connus ont pu disparaître.
Dans tous les livres de son œuvre, nous avons
trouvé surtout trace de la lecture des Annales.
M. Lair avait nié cette documentation. Il disait que
pour connaître les Annales carolingiennes, il eût
fallu à Dudon faire de longues recherches à Reims,
aux abbayes du Nord, de Saint-Vaast, de Saint-Ber-
tin. Il affirmait que le chanoine ne prit pas tant de
peine. Et pourtant le clergé du temps se déplace
volontiers; les principales abbayes aux bibliothè¬
ques desquelles Dudon pouvait puiser n’étaient pas
éloignées de Saint-Quentin. Flodoard alla à Rome
et on ne voudrait pas que le chanoine de Saint-
Quentin se soit rendu à Reims, à Saint-Vaast, h
Saint-Berlin, à Corbie! En Normandie, nous avons
eu l’occasion de marquer qu’il connaissait certaine¬
ment l’abbaye de Fécamp, le principal centre litté¬
raire du duché (2). Nous avons constaté partout les
(1) Voir l'appendice I.
(2) Dudon dans un de ses vers fait allusion aux écoles
normandes de son temps. N’oublions pas qu’il y eut sous
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 427
emprunts de Dudon aux annales carolingiennes,
Annales Btrliniani, Annales Vedastini, Chronique de
Réginon,de Folcuin)?),poème d’Abbon. Nous serions
portés à croire qu'il s’est inspiré de Widukind,
qui pourrait lui avoir suggéré le plan de son œuvre
et une partie des éléments du récit de la campagne
de 946. Mais surtout nous avons mis en lumière que
les Annales de Flodoard constituent sa principale
source. On ne saurait trop le répéter; c'est là qu'il
a trouvé le corps, la trame des trois derniers livres
de son ouvrage. Avant 919, début de ces Annales, il
brouille tout; après 966, date finale de Flodoard, il
oublie tout. Chose singulière, il ne sait guère du
règne de Richard R'', son contemporain, que ce que
Flodoard lui a appris.
Mais ce ne sont pas seulement les Annales que
l’historien des ducs allait chercher à l’abbaye, il y
recueillait peut être les traditions locales, les chan¬
sons de geste nées à l’ombre du cloître de ce sanc¬
tuaire renommé. En tout cas, il y a certes une
grande part à faire à la légende dans les sources où
a puisé Dudon. Tout le livre sur Hasting fourmille
d’épisodes légendaires : dans le livre sur Rollon,
sont légendaires les détails sur les batailles livrées
près de Chartres, à Lèves. Et ici, on peut toucher du
doigt l’origine de la légende puisqu’en ce qui con¬
cerne le rôle d’Ebles de Poitiers, Benoit de Saint-
More dit qu’il a connu des vers sur la fuite du
Richard II, une renaissance intellectuelle en même temps
qu’une réforme du clergé.
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128
ETUDE CRITIQUE
comte et sa retraite dans la maison d'un foulon.
Nous constatons donc l’existence d’une ancienne
chanson de geste aujourd’hui perdue, certainement
antérieure à Benoit de Saint More, c'est-à-dire au
temps d’Henri II d'Angleterre (1154-1187), mais aussi
vraisemblablement antérieure à la rédaction de
l'œuvre de Dudon de Saint-Quentin, puisque les
mêmes traits se retrouvent chez celui-ci. De même
paraissent bien légendaires tous les détails relatifs
à l’enlèvement de Richard l ot parOsmond ; il semble
que Guillaume de Jumièges ait utilisé une tradi¬
tion relative à cet enlèvement qui lui a fourni
d'autres détails (1). De même, nous l’avons vu, les
épisodes de l’entrevue du duo Guillaume avec le
roi Otton diffèrent dans Dudon et dans Richer, mais
ont un caractère épique et paraissent empruntés
à quelque chanson de geste qui racontait la mort de
Guillaume, la vengeance de Rioul et peut-être les
démêlés du duc avec Otton. Ainsi l’existence an¬
cienne de chansons de geste repose tantôt sur des
témoignages formels, tantôt sur une hypothèse très
plausible. M. Gaston Paris n'a t il pas supposé une
chanson de geste qui aurait eu pour point de départ
la mort de Guillaume Longue-Epée et qui se serait
appelée la Vengeance de llinul ? N’avons-nous pas une
complainte latine aujourd’hui bien connue, retrou¬
vée par MM. I,. Delisle et Gaston Paris, éditée par
M. Lair, la Complainte de la mort de Iluillaume Longue
Epée, complainte qui était primitivement peut-être
(1) Ed. Marx, p. 49.
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SÜK DUDON DE SAINT-QUENTIN 429
plus étendue qu’elle ne l'est aujourd'hui ? M. Lauer
n'a-t il pas conjecturé fort justement qu'elle avait
été la principale source du livre consacré par Dudon
à Guillaume Longue-Epée ? Et c'est une conviction
que nous partageons, en ajoutant, hien entendu,
que là comme partout, Dudon a eu pour première
base Flodoard, délayé, arrangé, déguisé et combiné
avec les données de la Complainte. Le duc très chré¬
tien, très pieux, très francisé que Dudon nous a
représenté, c’est la Complainte qui lui en fournit les
traits ; dans Flodoard, qui ne fait point de portraits,
les agissements de Guillaume sont d’un féodal.
Si cet événement tragique a inspiré cette Com
plainte, pourquoi d'autres événements aussi reten¬
tissants n’auraient-ils pas fourni d’autres chansons
en roman ou même en norois, surtout dans cette
terre normande qui a vu alors tant d’événements
extraordinaires et parmi cette population guerrière
d’imagination épique, qui avait ses scaldes et ses
Sagas (1) ?
N’oublions pas, en ellet, que la Normandie des
débuts du XI e siècle, si francisée qu’elle fût, pouvait
encore avoir conservé quelques souvenirs des Sagas,
quelques aptitudes épiques. La Normandie verra
(1) M. rtKDiF.u, op. cit., IV, p. 473, niant que nos chansons
de geste fussent des remaniements de cantilèncs mérovin¬
giennes, a fixé la date de formation de nos chansons au
XI e siècle. .1 imagine qu’il ne verrait pas d'objection à reculer
cette date pour une province telle que la Normandie qui est
dans des conditions toutes particulières jusqu'au X e siècle.
Ici la Saga a pu précéder et engendrer la chanson.
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130
ETUDE CRITIQUE
éclore dans le cours du même siècle la Chanson de
Roland (1). Sous Richard II, les scaldes, tels que
celui de saint Olaf, pouvaient encore se faire en¬
tendre à Fécamp ou à la cour des ducs. Raoul d'Ivry
pouvait être l’un d’eux et c’est peut-être lui qui a
chanté à Dudon quelque poème où celui-ci aura
pris de nombreux épisodes (2). Nous avons montré
que Dudon semble bien avoir connu la Saga d’Ha-
rald Harfagr’ ; il s’en écarte en ce qui concerne l’o¬
rigine de Rollon, mais au fond de son récit on trouve
encore la Saga défigurée, arrangée pour les besoins
de son apologie. Nous nous sommes même demandé
si cette Saga ne lui avait pas fourni certains épisodes
des rapports avec Athelstan et si dans le premier
livre Dudon n’était pas l’écho de certaine Saga où
figurait Hallstein, terreur de l'Eglise et des prêtres
chrétiens.
Aussi, Dümmleret M. Lauer avaient-ils raison de
trouver à l’œuvre du doyen un caractère épique;
nous avons montré les sources de cette épopée.
Dudon a utilisé les données des chansons de geste,
des traditions épiques de la Saga ; mais le fond de
l’œuvre est emprunté aux Annales, et c’est sur cette
(1) Voir BEdier, op. ci!., t. III, p. 430 et 452, renvoyant aux
travaux du D r Tavernier sur Turold.
(2) Ainsi se trouverait résolu le problème posé par le dire
de Dudon appelant Raoul d’Ivrv : relalor lolius operis. Si beau¬
coup de critiques, Lajr, Joret, se sont appuyés sur cette
référence pour attribuer une grande valeur historique à
l'œuvre de Dudon, nous, au contraire, nous dirons que nous
lui accordons le peu de crédit que mérite une œuvre inspirée
par les ducs et à demi légendaire.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN A31
trame qu'il a brodé les légendes. C’est ce que n’avait
point vu M. Lair et ce qu’aucun critique n’avait mis
en lumière. Ces Annales, d’ailleurs, Dudon les a
défigurées, arrangées, rapprochées par des combi¬
naisons chronologiques arbitraires. Il nous apparaît
comme un homme de lettres — ce qu’il était au
plus haut degré — qui prend de toutes mains, qui
élabore un roman historique avec des matériaux
empruntés à l’histoire et des matériaux empruntés
à la légende; la seule vérité de son roman est celle
des mœurs. Ajoutons que cet homme de lettres est
aussi uu écrivain politique qui écrit ad majorent,
ducum gloriam et qu’à ce point de vue son œuvre est
un chef-d’œuvre, mais non certes un chef-d'œuvre
historique.
Car, au point de vue historique, la valeur du De
Moribus est bien faible, pour toutes les raisons
mêmes que nous venons d’indiquer. Pourtant, nous
savons si peu de chose sur les premiers établisse
inenls des Normands, sur la fondation de la Nor¬
mandie et sur ses premiers ducs, que nous ne
devons pas regretter le temps considérable que nous
avons passé à étudier Dudon, non pas certes que
nous pensions, avecPalgrave, qu’il faille lui deman¬
der les faits que l’on ne trouverait pas ailleurs, mais
parce qu’il a été pour nous l’occasion d’étudier de
près, sans avoir la prétention de les résoudre tou¬
jours, tous les problèmes que pose cette fondation
du duché.
Ce sont les conclusions de cette étude critique que
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ETUDE CRITIQUE
432
nous voudrions maintenant résumer brièvement.
Parmi les causes historiques des invasions, Dudon
a nettement distingué la surpopulation des pays
Scandinaves; maison ne peut qu’entrevoir dans les
brouillards de son exposé trois autres causes : la
lutte religieuse des païens adorateurs de Tlior contre
le christianisme; la fondation des monarchies Scan¬
dinaves qui pousse à l'émigration tous les petits
chefs, et par dessus tout, et au début, la soif du
pillage.
Autour d'Hasting, il a cristallisé toute l’histoire
des premières invasions normandes; mais sa bio¬
graphie d’Hasting n’a que de bien vagues rapports
avec celle que l’étude des sources peut fournir.
Hasting est évidemment pour lui un héros légen¬
daire, le type du viking rusé et cruel, dévastateur
et ennemi du christianisme. N’est-il pas curieux que
la Saga nous fournisse des indications sur un Hall¬
stein, fils d'un prêtre de Thor, qui partit avec Bjôrn
des pays Scandinaves pour les pays de l'ouest, à la
même époque que l'Hasting des Annales franques?
Rollon est aussi un chef norvégien; c’est le Gan-
ger Holf de la Saga défigurée par Dudon, qui dis
tingue malaisément les Norvégiens des Danois, et,
pour des raisons de lettré, incline à faire du chef un
Danois, un üace, uu Aiviot. Guillaume de Jumièges
avait déjà dénoncé la flatterie de cette origine.
Tout ce que Dudou dit des premières campagnes
de Ilollon ne peut être contrôlé, ou, plus exactement,
est emprunté aux Annales et concerne d'autres
chefs, Hériold, Godfrid, Sigfrid. Dans l’histoire,
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 133
Rollon apparaît à peine sous les murs de Chartres ;
sans doute il a aussi conduit les expéditions en
Bourgogne qui ont précédé et suivi cette bataille.
Au traité de Saint-Clair-sur-Epte, il ne reçut pas
la main de Gisèle, ce qui, au reste, importe peu ; et
avec M. Deville, avec M. Pfister, nous affirmons qu'il
ne reçut pas toute la Normandie, comme le dit
Dudon, mais seulement la Haute Normandie. La
Bretagne, ou, plus exactement, les pays occupés par
les Bretons, dans la Basse Normandie actuelle, lui
furent donnés à ravager. Quant à la Normandie, il
la tint, comme un fief, du roi Charles le Simple.
Seulement, et c’est ce qui explique les divergences
des historiens, la Normandie n'est pas restée un fief
de la couronne. A la suite de l’échec subi, en 945, par
Louis d'Outremer, elle ne fut plus qu’un fief des Ro-
bertiens ; elle redevint, en 987, un fief de la couronne.
La conversion des Normands a suivi le traité : elle
ne semble décidément pas, quoiqu’en dise Dudon,
avoir été l'œuvre de Francon, mais bien celle de
Guitton, archevêque de Rouen et d’Hervé, arche¬
vêque de Reims. Cette conversion fut, au reste, pré¬
caire. Rollon lui même, encore que Dudon se garde
bien de le dire, mourut sans doute en païen. Des
dernières années de son régne, le chanoine de Saint
Quentin ne nous dit rien ; il faut recourir aux
Annales pour savoir qu’il reçut, en 924, le Bessin et
le Maine, pour connaître ses campagnes contre ses
voisins; nous ne savons exactement la date de sa
mort que nous pouvons seulement placer entre
928 et 933.
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ÉTUDE CRITIQUE
434
Rollon demeure, grâce à Dudon,le législateur des
Normands et le fondateur de la colonie. Les phrases
bien vagues, bien obscures de son apologiste nous
permettent d'entrevoir qu'il distribua des comtés
à ses lieutenants, des terres à ses soldats, qu’il fit
régner l'ordre et qu'il apporta certaines dispositions
législatives empruntées aux lois norvégiennes de
Frode.
Dudon, avec quelque exagération, fait de son
fils, Guillaume Longue-Epée, un martyr chrétien :
certes, il était chrétien et plus francisé que son
père; il a, sans doute, au début de son gouvernement
lutté contre les Bretons de la Basse-Normandie;
l’un de ses lieutenants, peut-être, fut tué à Caen,
en 931, mais en 933, à la suite de nouvelles cam
pagnes dans cette région, il reçut l’Avranchin et le
Cotentin et ainsi s’acheva la Normandie, oeuvre de
l'histoire. L'année suivante, il eut à lutter contre
une révolte des chefs normands, première manifes¬
tation de l’indépendance Scandinave et de la réaction
païenne: c’est la révolte de Rioul. Dudon ne nous
permet pas de dire exactement d’où elle partit ; du
Cotentin où de l'Evrecin, disent les commentateurs,
nous dirions plus volontiers, sans l’affirmer, du
Maine, on peut supposer, — c’est une hypothèse —
que cette révolte lui aurait fait perdre une province
donnée à son père en 924. La répression, après la
victoire du Pré de la Bataille, fut sans doute san¬
glante et créa des ressentiments durables.
Guillaume affirme cependant son autorité, il
épouse la fille du comte de Vermandois; peut-être
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
435
n’y a-t-il là qu'une remise d’otage? 11 marie sa
sœur au comte de Poitiers. A-t-il joué un rôle lors
du retour de Louis d’Outremer? Certes, pas le rôle
prépondérant que lui prêle Dudon ; et de même il
est tout à fait faux, comme l’a lait notre auteur, de
lui attribuer le rôle de défenseur de la monarchie.
11 a, au contraire, fait partie des coalitions des
grands contre le roi et ne s’est réconcilié que tardi¬
vement avec lui. 11 mourut peu après, victime de
la jalousie d’Arnoul de Flandre qui employa sans
doute contre lui les rancunes des vaincus de la
révolte de Rioul.
Sa mort, 17 décembre 942, marqua le début d’une
ère critique pour le nouvel état. Louis IV essaya,
non de s’en emparer, au moins d’user de tous ses
droits de roi et de suzerain pour mettre la main sur
la garde du jeune prince et confier l’administration
du duché à un baillistre royal, Raoul la Tourte ;
il rencontra une vive résistance de la part des
Normands, accompagnée d’une nouvelle réaction
païenne avec Turmoud, de l’arrivée de nouvelles
bandes avec Sétric; il triompha de l’obstacle en
quelque bataille, toutefois il crut un instant plus
habile de partager le duché avec Hugues le Grand ;
mais il s'embarrassa dans ses propres ruses et se
heurta à l’armée normande de Bayeux commandée
par Hagrold. 11 faut absolument rejeter l’idée qu'il
y ait eu là une armée commandée par le roi de
Danemark, Harald ; il s’agit de l’armée normande
des confins de Bretagne. Elle vainquit Louis à la
bataille de Dive (945). Cependant le jeune Richard
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436
ÉTUDE CRITIQUE
s'était dérobé à la tutelle du roi qui dut renoncer à
la suzeraineté de la Normandie et l'abandonner à
Hugues le Grand.
A partir de celte date, la Normandie entre tout à
fait dans la vassalité des Robertiens. Elle va par¬
tager le sort des états de Hugues. Quand Otton
envahit la Francia occidentalis en 946 pour y rétablir
l'autorité de Louis IV et faire sentir la protection
germanique, ce n'est pas à l’appel d’Arnoul, comme
le dit Dudon, mais à celui de la reine Gerberge qu'il
se rend. Ce n’est pas la Normandie qu’il vise, mais
les états de Hugues. 11 n’est pas surprenant pour¬
tant que son intervention se soit terminée par une
tentative d’ailleurs manquée contre la capitale de
l'état normand.
Richard I er épouse la fille de Hugues le Grand,
Emma. Il est l’adversaire du roi Lothaire ; en même
temps, son intervention en Bretagne le met aux
prises avec Thibaut de Chartres. De là de nouvelles
luttes, un nouvel appel aux vikings, enfin des négo¬
ciations et une paix dont Dudon ne donne pas la date,
mais que nous pouvons placer en 965 et non en 966,
comme on l’avait fait jusqu'alors.
Dudon ne s’étend guère sur les dernières années
de Richard, les plus intéressantes sans doute ; c’est
que Flodoard, ici, lui fait défaut. Il ne nous dit que
peu de chose du rôle politique de Richard, de son
activité pourtant très réelle pour réformer les mo
nastères et ne nous dit rien de la réorganisation de
l’église séculière normande où, à vrai dire, l'inter¬
vention ducale ne fut pas toujours heureuse, ce qui
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
437
explique assez son silence, car c’est par là qu’il faut
terminer : Dudon rhétoriqueur, homme de lettres,
apologiste des ducs, est aussi un chanoine de cour,
un protégé de l'archevêque Robert, dont il ne saurait
médire.
Plus tard peut-être un recueil des chartes de Ri¬
chard I« r permettra t il d’écrire une histoire plus
complète de ce duc (1), sans doute le vrai fondateur
de l’Etat normand, mais l’objet du présent livre
était simplement l’étude critique de Dudon. Nous
n’avons négligé aucun des problèmes qu’elle posait,
mais nous devions nous y borner. A chacun sa tâche.
(4) Nous attendons ce recueil de M. Lot, qui le prépare
depuis longtemps. Voir H. I'rentout, La Normandie, Collec¬
tion des Régions de la Renie de Synthèse. Paris, 1910, in-8",
p. 48.
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SUR Dl'nON DE SAINT-QUENTIN
439
APPENDICES
I. — Dudon savait-il le grec ?
Je disais prudemment en étudiant les sources
géographiques de Dudon, que si les AjiatÇoêioi se
trouvent dans Ptolémée, Dudon avait pu connaître
les Amaxobii parmi intermédiaire (1). Eu réalité, il
était assez facile de trouver cet intermédiaire et je
l’eusse découvert tout de suite, si, au lieu de recher¬
cher les sources auxquelles renvoyait le dictionnaire
d’Henry Estienue au mot A(u£o6ia{, j’eusse lu les
géographes classiques latins; comme il arrive par¬
fois, une recherche trop lointaine m’a écarté de
ce que je pouvais rencontrer immédiatement. Les
Amaxobii figurent dans deux écrivains latins : Pom-
ponius Mêla, De situ orbis (2), et Pline le Jeune,
Iiistoria naturalis (3) ; comme ici les Amaxobii sont
rapprochés des Trogodytœ que cite Dudon en les
appelant Tragoditœ — ils nous avaient également
embarrassé — Pline est évidemment la source où a
puisé notre auteur. On ne saurait donc s’appuyer
(1) Voir p. 35.
(2) Paris, 1843, in-8", p. 78.
(3) Ed. Teubner, IV, 12, 25.
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uo
ETl'DE CRITIQUE
sur la présence des Amaxobii dans le texte de Du-
don pour en inférer que celui ci avait lu Ptolémée et
que, partant, il savait le grec. Bien qu’il y ait des
mots grecs en assez grand nombre dans son œuvre,
M. Lair lui a dénié toute connaissance sérieuse de
cette langue 1). Mais il ne faudrait peut-être rien
affirmer. N’oublions pas que Dudon est contemporain
de Richard 11, que c'est de son temps et auprès de
lui qu’il a composé le De Moribus et qu’il y eut une
véritable renaissance ecclésiastique et littéraire
sous ce duc (2), que Richard 11 avait appelé en Nor¬
mandie des savants étrangers, des grecs, des moines
de l'Orient. » On vit des Grecs et des Arméniens
quitter leur pays.et aller illustrer la Normandie
par leur présence et leur savoir ». Au nombre des
moines du Sinaï qui venaient tous les ans recevoir à
Rouen les libéralités du duc Richard II fut le célèbre
saint Siméon qui savait cinq langues: l’égyptien,
le syriaque, l’arabe, le grec et le latin. On cite un
manuscrit grec, qui remonte au duc Richard II,
puisqu’ « il y est marqué qu’il fut fait en 1022 par
un moine nommé Hélie. Et ce qui fait croire que
ce copiste était normand ou qu’il écrivait en Nor
mandie, c’est que son manuscrit est enrichi de l’al¬
phabet des Norvégiens (3) ». Donc si la présence
(1) Ed. de Dudon, p. 22.
(2) Vita S. Willelmi, op. cil., et Pfister, op. cit., p. 6, n. 4.
(3) Histoire littéraire de la France , t. VII, p. 67 ; Lair,
<id. de Dudon, p. 15 ; Luchaire, Histoire de France de Lavisse ,
t. II, partie II, p. 186; Sackur, op. cil., II, p. 45. La venue
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 441
des Amaxobii dans le texte de Dudon ne permet pas
d’affirmer qu'il avait lu Ptoléméequi semble n’avoir
été connu de ses contemporaius que par des traduc¬
tions latines ou arabes (1); il n’en est pas moins
possible qu'il ait appris quelque chose de la langue
grecque à la cour de Richard II, auprès des savants
orientaux dont nous venons de parler. Quant aux
fautes qui se trouvent dans les mots grecs de ses
manuscrits, elles ne prouvent rien, pouvant être le
fait des copistes.
Peut-être Dudon savait-il le grec, dans la mesure
où le savait son contemporain Fulbert de Chartres,
dont l’abbé Clerval a dit justement : « Fulbert a dit
qu’il n'avait point eu de maître pour la lui appren¬
dre (la langue grecque), qu’il ne pouvait la déchif¬
frer et qu'il n’avait point fréquenté Homère, mais
seulement Virgile. Celle affirmation ne doit pas
cependant s’entendre dans un sens trop rigoureux.
N’avait-il pas été l’élève de Gerbert qui collection¬
nait avec amour les plus belles œuvres de la Grèce,
et en particulier des discours de Démosthène? N’é¬
tait-il pas le contemporain et le voisin d'Héribrant
des savants grecs est rapportée par Raoul Glaber, éd. Prou,
p. 20, par les Miracula S. Wulframni, à la suite du Chronicon
Fontaneltense, dans te Spicilegium de Luc d’Acherv, éd.
in-folio, t. II, c. 286. Dans Migne, P. L., t. CXLI, on trouvo
une lettre de Fulbert de Chartres au duc, c. 210, qui ne parle
que d’une manière générale des bienfaits de Richard II à
l’église de Chartres.
(I) Abbé A. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge,
du V* au XII* siècle, Paris, 1805, in-8°, passim.
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ETUDE CRITIQUE
Ui
qui explique à Chartres les Aphorismes d’Hippocrate
et la Concorde d’Hippocrate, Galien et Sorin ? ce qui
n'était guère possible sans une certaine connais¬
sance du grec. Il en savait quelque chose et il en
a donné la preuve dans un de ses serinons où,
pour préciser certaines expressions de l’Evangile,
il renvoie au texte grec du Nouveau Testament. Mais,
apparemment, son savoir se bornait à la lecture des
caractères grecs, et à l’intelligence de quelques
mots dont il devinait le sens, à l'aide des vocabu
laires et des traductions des médecins grecs ou de
Boèce (1) ».
Dudon connut peut-être Chartres, les détails précis
sur le combat de Lèves tenderaient à le prouver.
Mais en tout cas, à Rouen, il rencontra des gens qui
savaient réellement le grec, et il aurait pu en ap¬
prendre davantage que Fulbert. Au reste, sa connais¬
sance du grec ne dépassa peut-être pas le niveau
qu’avait atteint Fulbert, et qui, d’ailleurs, était
peut-être plus élevé que celui ci ne voulait bien le
dire.
II. — L’origine champenoise d’Hasting(î)
D’où vient le récit de Raoul Glaber, d’après lequel
Hasting serait né à Trancault, près de Troyes eu
Champagne?
Raoul Glaber écrivait au milieu du XI 6 siècle, après
( I) Clerval, o p. cit., p. HO.
(2) Voir p. 85.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 113
Dudon de Saint-Quentin qui écrit vraisemblablement
dans le premier quart de ce siècle (au plus tard avant
1040). Le moine errant et très peu doué d’esprit
critique qu'était Glaber a donc pu connaître l’oeuvre
de Dudon. Reportons-nous d’ailleurs au texte du
chanoine de Saint Quentin, puisqu’après tout, c’est
celui qu’il importe de commenter. Nous lisons au
livre I, chapitre 3: « Igilur Daci nuneupantur a suis
Danai, vel Dani, glorianturque se ex Antenore proge-
nitos ; qui , quondam Troice finibus depopulatis, mediis
elapsus Achivis, Illyricos fines penetravit cum suis (1).
Supposons ce texte lu distraitement par un moine
cultivé, complètement dénué d'esprit critique, que
lui reste-t-il dans l’esprit? Les Normands sont
venus de Troie, ils ont pour chef Hasting. Faisons
un pas de plus; supposons que Raoul Glaber n’ait
pas yu le texte de Dudon, mais qu’il en ait entendu
parler (c'est une supposition que l'on a faite pour
Saxo Grammaticus qui n’aurait pas lu Dudon,
mais aurait entendu dire quelle origine il donnait
aux Danois). Raoul Glaber entend d’un moine moins
intelligent que lui qu'un chef pirate nommé Hasting
vient de Troyes. En latin, sans doute, il est impos¬
sible de confondre Troja et Trecassium , mais si la
tradition a été, comme nous le croyons, orale, la
confusion deviendrait possible. Raoul Glaber con¬
fond Troie avec Troyes en Champagne et bâtit son
histoire. N'a-t-on pas dit récemment et très joliment
prouvé qu’il y avait dans toutes les légendes de ce
(1) Ed. Lajr, p. 130.
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ETUDE CRITIQUE
Ul
temps là combinaison d’un élément savant et d'un
élément populaire, collaboration de clercs lettrés
avec le populaire illettré qui ne comprend qu'à
demi ce qu’on lui raconte et le déforme (I)? Nous
serions ici en présence d’un phénomène de ce genre.
On sent bien que cette hypothèse n'a quelque
chance de rencontrer la vérité que si Troyes se
disait Troies, Troyes comme Troie du Roman de Troies
dès le XI” siècle: c’est une question. Le Dictionnaire
topographique du département de l'Aube, de Th. Bou-
tiot et E. Socard (2), ne donne pas de forme fran
çaise pour Troyes avant le XIII 0 siècle, Triche, 1218
(ch. de l’hôtel Dieu le Comte), Troies, 1230 (ch. de
Thibault, IV, comte de Troyes. Mais Chrestien de
Troyes dans le Guillaume d’Angleterre, écrit :
Se tu fez feire ta besoingne
A Bar, à Provins ou à Troies, (3).
Or, Chrestien de Troyes vivait dans la seconde
moitié du XII e siècle Les documents français publiés
par M. A. Longnon, Documents relatifs au comte de
Champagne et de Ilrie, 1/72-/56/ (4), sont tous du
XIII e siècle ; on peut seulement remarquer qu’on
(1) Bédier, Les Légendes épiques, voir notamment au
tome IV, pp. 81-94, la discussion relative à la formation de la
légende de Gormond et Isembard autour de l’abbaye de Saint-
Riquier.
(2) Paris, 1874, in-4°, p. 164.
(3) V. 1986-1987 de l’édition \V EXDELIN Foerster, Halle,
1884-1894, 4 vol. in-8», IV, p. 316.
(4) Paris, 1901-1914, 3 vol. (Doc., In.).
“S
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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN 445
n’y relève jamais la forme Trèclie signalée par le
Dictionnaire topographique. Villeliardouin qui écrit
avant 1213, écrit Troies (1).
Mais, au reste, je n'attaclie aucune importance à
mon explication qui se heurte à une autre diffi¬
culté. Raoul Glaber a désigné le village où serait né
Hastiug, Tranquillus , que l’on a identifié avec Tran-
cault. 11 est doue plus probable qu’il a entendu
parler de quelque paysan champenois qui avait
rejoint une bande normande et dont la légende avait
fait un chef qu'il a confondu avec Hasting.
m. — Date de la bataille de Chartres
La Chronique de Sainte-Colombe de Sens contient
l’indication la plus complète: DCCCCXl, XIII calen-
das augusti, ce qui donnerait le 19 juillet (2). M. Lair
conjecture qu’il faut lire XII 0 Icalendas, c’est-à-dire
le 20 juillet, et le 20 juillet 911 tombait un ilimanche.
D’autres annales donnent la date de 911, ce sont
le Chronicon Halleacensc (3 , la Chronique de Saint-
Florent de Saumur (4), le Chronicon Bolomagense (H),
le Chronicon Besuense (G). D'autres donnent des ren¬
tl) Ed. N. de Wailly, Paris, 1872, 35, p. 22.
(2) II. F., IX, 40.
(3) Ibid., 8.
(4) Ibid., 55.
(5) Ibid., 87.
(6) Ibid., 20.
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446
ETUDE CRITIQUE
seignements vagues : l’Historia Francorum Seno-
nensis (1) dit « Ko tempore » ; l’Historia modernorum
regum Francorum après avoir raconté l’incendie de
Sainl-Benoit-sur Loire où l'église fut seule épargnée,
événement dont elle ne donne pas la date dit :
h Posl paucos (Unique dies u (2) ; l’une et l’autre vien¬
nent de rapporter les événements de Bourgogne, ce
qui confirme assez bien la date de 91t. Orderic
Vital, dans un passage de son Histoire ecclesiastique
donne la date: XIII 0 Kal. augusli in sabbatlo , mais
en rapprochant cet événement de la bataille de
Tonnerre (3). Ailleurs, il donne la date de l’an 900 :
« Anno ab incarnalione domini DCCCC 0 , Indiclione
tertio, Zentlebaldus rex filtum Arnulfi occidit, Tune
llollo Carnotum obsedit (4). » Orderic Vilal semble
avoir confondu la mort de Zwentibold arrivée en
l’an 900, avec celle de Louis l'Enfant, survenue en
l'an 911, ce qui est bien également la date de la
bataille de Chartres. Les Gesla Ambaziœ ne donnent
pas de date, mais rapprochent cette bataille de la
campagne d’Eric et de Barel dans la vallée de la
Loire o) ; la Chronique de Tours dit que la bataille
eut lieu la sixième année d’Arnoul et la quatrième
de Charles (6), ce qui donnerait 905 pour Arnoul
(1) M. G. SS., IX, 365, avec la date de mois et de jour.
(2) Ibid., 380.
(3) Ed. S. H. F., III, 143.
(4) Ibid., I , 160.
(5) Ed. Halphen et Poupardin, p. 23.
(6) H. F., IX, 48.
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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN U7
de Germanie et 900 ou 902 pour Charles le Simple,
suivant que l’on compte depuis son avènement con¬
jointement avec Eudes ou depuis la mort de celui-ci.
La Chronique i/'.l uhri des Trois Fontaines dit : XIIT>
Kal. augusti 906(1), les Annales Sancti (JuinUni Vero-
mandensis disent 908 (2). Au fond, ce qui importe,
c’est l’indication de la Chronique de Sainte Colombe de
Sens, qui donne une date complète. La bataille de
Chartres eut lieu le 20 juillet 911.
IV. — Date de la paix entre Lothaire
et Richard I"
A quelle date placer la paix entre le roi Lothaire
et Richard ? Leibnitz, Annales Imperii, la place
en 964, Auguste Le Prévost ( Itoman de Itou, I, 261,
n. 6) eu 968. « Tous deux négligent de donner des
références, et pour cause (3) ». M. Lot a cru pouvoir
la placer à la fin de juin ou juillet 966. Elle est auté-
rieure, selon lui, à un diplôme du roi Lothaire pour
la réformation de l'abbaye du Mont-Saint Michel,
émis sur la demande de Richard (4). Cet acte est du
7 février de la Xfl» année du règne de Lothaire (5).
Or, M. Lot croyait pouvoir affirmer qu’on avait des
(1) H. F., IX, 63.
(2) M. G. SS., XVI, 307.
|3) Les Derniers Carolingiens, p. 356, n. 2.
(4) Id., p. 354.
(5) Halphen, Recueil des actes de Lothaire et de Louis V, rois
de France, 954-987. Paris, 1908, in-4° (Doc. In.), p. 53.
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418
ETUDE CRITIQUE
preuves certaines que la chancellerie royale prenait
pour point de départ le commencement de l’année
955 et que cette année commençait à Pâques (1). La
douzième année de Lothaire comprenait donc le
mois de lévrier 967 ; la paix, étant antérieure, était de
juin 966. M. Lot renvoyait sur la façon de compter
les années de la chancellerie de Lothaire à une
démonstration que l’on trouverait dans la préface
du Catalogue des Actes de ce roi, qui était alors en
préparation. Mais au Catalogue, maintenant paru,
on voit qu’on a, sous les chanceliers Guy et Gezo,
compté les années du règne à partir du 12 novem¬
bre 954, date du couronnement (2). Or, Guy a été
chancelier du 11 décembre 954 au 7 novembre 956 ;
Gezo, du 9 février 958 au 13 avril 969 ; donc cet
acte a été rédigé par le chancelier Gezo (l’acte,
d’ailleurs, porte sa suscription, Gezo cancellarius),
donc il a compté les années à partir du 12 novem¬
bre 954 ; donc, le 7 février 966, on était dans la
douzième année de Lothaire, donc cet acte est du
7 février 966; donc la paix étant antérieure, est de
965 et non de 966.
Ajoutons qu’il y a un autre acte confirmatif, une
charte de Gautier, comte de Dreux, faisant donation
à l’abbaye de Saint-Père de Chartres, qui porte la
date suivante; Actum Ebroico comilatu publiée. Signum
Walterii comilis, liujus cartulte auctoris. S. Teodfredi
militis. S. llichardi ducis. — Anno ab incarnatione
(1) Op. cil., p. 355.
(2) P. XLVni.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN Ai U
Domini DCCCCLXV , iniiictione 17//», régnante Clo-
thario rege, anno XI 0 (1).
Kalckstein en availconclu qu’Evreux s’était rendu
à cette date à Richard, puisque l'acte est daté Ebroico
comitatu et que la paix était antérieure au 12 no¬
vembre 965, et que l'acte est daté de la onzième
année du règne de Lothaire (2). SI. Lot disait que
Ebroico comitatu n’impliquait pas la présence de
Lothaire à Evreux et déclarait que Kalckstein se
faisait illusion sur l’exactitude avec laquelle étaient
rédigés les diplômes des abbayes. Mais la concor¬
dance des deux diplômes est frappante. 11 n’y a au¬
cun doute qu'en 965 Richard était maitre d'Evreux.
Cependant, M. Lot ajoutait : « L’année 965 est la
seule où Lothaire n'a pu faire la paix avec le duc
de Normaudie. Nous avons vu que les négociations
commencées avaut le 15 mai durèrent jusqu’à la
fin de juin. Or, en 965, le roi employa la fin de
mars et le mois d’avril à une expédition en Flandre
et passa le mois de mai et de juin à Cologne, auprès
de son oncle l’empereur Otton I" (3) ».
Pour répondre à cette objection,, voyons en quel
mois aurait été conclue la paix de Saint Clair sur
Epte. Il y a d'abord eu un synode dont Üudon ne dit
pas le lieu de réunion ; il aurait eu lieu à Laon,
suivant Guillaume de Jumièges. On envoya à Richard
(t) Cartulaire de Saint-Père île Chartres, éd. Guérard,
Paris, 1840, 2 vol., I, p. 55.
(2) Op. cit., p. 314, n. 1.
(3) Ibid., p. 355.
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450
ETUDE CRITIQUE
l'évêque de Chartres, très probablement Vulfald,
évêque de 062 à 967. Celui-ci rapporta au roi et
aux évêques la réponse du duc. Puis Thibaut envoya
un moine à Richard. Thibaut, après six jours de ré¬
flexion vint à Rouen, embrassa Richard, enfin se
rendit à Évreux. L'entrevue de Jeufosse avec les
palatins et les évêques de France eut lieu au temps
des ides de mai, 15 mai.
Richard les exhorta à faire la paix dans un délai
de deux fois deux fois huit jours, soit trente deux
jours. Ajoutons neuf jours de réflexion que deman¬
dent les Danois. Cela fait en tout quarante et un
jours (1), la paix définitive eut donc lieu à la fin
de juin. Le roi Lothaire n’est venu qu’à la On du
plaid, il suffit donc qu'il soit arrivé à la fin de juin.
On peut remarquer que les premières négociations
ne comportent pas la participation du roi. Il n’est
pas à Laon au moment du concile, mais il y est
quand l’évêque revient.
Son expédition en Flandre est du mois d’avril. Il
était à Laon en mai, puis il repartit pour l’Alle¬
magne. Richard fait sa paix avec Thibaut, vers le
15 mai. Les négociations se placent du 15 mai à
la fin de juin. Or, Lothaire partit sans doute de
Cologne, après la grande assemblée du 2 juin (2).
11 pouvait donc être, fin juin, sur les bords de l’Epte.
(1) • Dis duobus bis diebus octo ». M. Lot calcule en tout
29 jours ; il comprend deux fois deux : quatre, et deux fois
huit : seize : 4 + 16 = 20.
(2) M. Lot, op. cit p. 50, note que les Carolingiens se sépa¬
rèrent peu après cette entrevue de la cour impériale.
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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN
451
Donc il a pu être à l'entrevue de Saint-Clair ou de
Gisors à la fin de juin, c. q. f. d. Donc si l’enlrevue
entre Thibaut et Richard avait eu lieu à Jeufosse en
mai, la paix définitive, à laquelle prit part Lothaire,
fut conclue à Gisors ou à Saiut-Clair, à la fin de
juin 965.
Ce qui a amené M. Lot à placer cet événement en
9C6, c’est que Dudon parle d’un lustre à peine pour
la durée de la guerre et que M. Lot calcule ce lustre
incomplet à partir de l’inceudie de Chartres qu'il
place au 5 août 962, 962 -f- 4 donne 966, mais Dudon
calcule ce lustre pour toute la durée de la guerre
qui commença en 960 après le mariage avec Emma,
et se termina ainsi en 965. C’est par suite d’une
faute d'impression que plus loin M. Lot place au
5 août 965 l’incendie de Chartres, puisque le Nécro¬
loge de Noire Dame de Chartres , sur lequel il s’appuie,
dit « Nonis augusti anno dominice incarnationis !)62, urhs
Carnotensis et ecclesia Sancte Marie succensa est (1) ».
Remarquons en terminant qu'il est tout à fait
impossible, les Normands apparaissant en juin 966 à
Lisbonnè, que la paix soit de juin 966. Elle est donc
bien de juin 965.
(1) Merlet et Lépinois, Cartulaire de Notre-Dame de
Chartres , III, p. 150.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
453
INDEX
Les noms d’auteurs sont en petites capitales, les noms
géographiques en italique, les autres en romain
:•>*-
A
Aaluf, sœur d’Erik Ulodæxe,
362.
Aarhus, 141.
Abbon, 171, 174, 175, 418.
Abbott (Wilbur), 61 n. 1, 65,
75, 76 et n. 4, 77, 79 n. 4, 84,
86, 87 n. 1 et 2, 95, 96 n. 3,
108.
Achard (saint), 330.
Adalbéron (Ascelin, évêque de
Laon), 17, 18 n. 1.
Adam de Brême, 36 n. 2,151.
Adèle, voir Gerloc, 302.
Adémar de Chabannes, 76 et
n. 2, 77, 258, 259, 273, 302,
347 n. 1.
Adhered, 79, 80.
Adrevald, auteur des Miracula
S. Benedicti, 64.
Ædwin de Northumberland,
270.
Afrique, 34, 55,
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Aillemond, 412.
Aimé du Mont-Cassin, 142.
Aimeri de Narbonne, 315.
Aimoin, 46, 71.
Alain de Bretagne, 204, 280,
282 et n. 3, 348.
Alain Barbetorte, 204, 205, 282
n. 3, 287, 305, 306, 380, 381,
396.
Alain le Grand, 287.
A lai ns, 35, 36 n. 1, 112.
Alanie, 34.
Ai.belda (chroniqueur espa¬
gnol), 54.
Albert de Vermandois, 13, 395,
399.
Alençon, 25, 412.
Alfred, roi d'Angleterre, 79, 80,
162, 270.
Alfred, fils d'Emma et d'Ethel-
red, 392.
Algeronde, évêque de Cou-
tan ces, 410.
Algésiras, 55.
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454
ÉTUDE CRITIQUE
Allemagne, 84, 116, 121, 405.
Allemands (les), 74 n. 1, 373,
375.
Allen, 359 n. 2.
Alstemus (voir Athelstan), 113,
162.
Amaxobii, 35, 439-441.
Amboise (Ambazia), 72, 106.
Ameltrude (sainte), 168 n. 2,
169.
Amiens, 275, 309, 336, 366, 373,
378, 381.
Amiénois, 220, 275, 382.
Amira (Karl von), 10, 37, 121,
226, 264 n. 1, 296, 297.
Andelle , 197, 372, 378.
Andresen, 302.
Angers, 64, 69, 106.
Angevins, 396, 397.
Anglais, 180, 301.
Angleterre, 58 n. 1, 68 (n. de la
p. 67), 78, 79 et n. 4, 80 n. 3,
96, 103 (s. de la n. 7 de la
p. 102), 107,113, 116,119,138,
140-142, 145, 156, 160-162,
167,169,179,181,182,183 n.l,
184, 270, 271, 283 (et s. de la
n. 3 de la p. 282), 290 et n. 3,
297 et n. 4, 298, 303 (s. de la
n. 7 de la p. 302), 316, 397,
398, 423 n. 3.
Angli, 161.
Anglo-Saxons, 161.
Angul, 45.
Anlaf, 162 n. 1.
Anquetil, 337-339.
Ansbert (saint), 407, 408.
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Anseis, 341.
Anslech, 355, 418, 420.
Anténor, 44, 46.
Applecross, 129.
Apuldra ( Appledorc), ville d’An¬
gleterre, 80.
Aquitaine, 259 n. 1.
Aquitains , 191, 319.
Arabes, 54, 386.
D'Arbois de Jubainville, 303.
Argentcuil, TJ, 186.
A rgœuvre-sur-Somme, 52, 78.
Ari, historien islandais, 141.
Arles, 55.
Arméniens, 440.
Arnéis d’Orléans, 315, 316.
Amoul, comte de Flandre (Ar-
nulfus), 201, 276, 295, 303,
307, 308, 310, 313, 334-338,
340-342,347-349, 354-356,366,
371-373, 375, 379, 384, 393,
394, 403, 435, 436.
Amoul II, 341, 384 n., 392,
393 et n. 3, 394.
Amoul, archevêque de Reims,
17.
Amoul, roi de Germanie, 79 et
n. 4, 446, 447.
Arques, 356, 391.
A rras , 348, 392, 393 et n. 3.
Arrouaise, 342.
As Dans, 170, 172.
Asie, 34.
Athelstan (Alstemus, Adalstein),
113, 140, 162, 163, 167, 180-
182 et n. 1, 282. 301 n. 3, 305,
308, 334, 380, 422, 430.
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SUR DlIDON DE SAINT-QUENTIN
455
Atle, iarl de Norvège, 85, 87 et
n. 1 et n. 2, 108.
Atticjny , 180.
Aubri des Trois-Fontaines,
61 n. 1.
Aubry, évêque de Paris, 367
n. 2.
Aud, fille de Ketil, 90.
Aure (l’) t 201 n. 4.
Atitun, 30, 185.
Auvergne, 188.
Auxerre , 72, 187.
Auxerrois, 196, 202.
Avranches (diocèse d’), 62 n. 5,
68, 200, 205, 290, 410, 411.
Avranches (comté d’), 176.
Avranchin (P) (pagus Abrinca-
dinus), 202, 220, 233, 286, 287,
291, 348, 434.
Avre (P), 201.
Azo, 410.
B
Baionis mont (voir Boisemont).
Bajocasses, 202 n. 1, 275 n. 5
et 6, 280, 287, 349.
Baléares (archipel des), 54.
Baltique (mer), 93, 114, 119,
268.
Bar , 444.
Baret, chef normand, 76, 446.
Baudri de Bourgueil. 405.
Balzo, Bauce, Bauzon, Haute
d’Espaigne, 336-339, 341, 342
(voir Baudouin-Balzo).
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Baudouin, moine à Jumièges,
331 et n. 1.
Baudouin-Balzo, comte de Flan¬
dre, 384, 393 et n. 3.
Baux (les), 265.
Bavière , 223.
Bayeux, 174-176, 179, 199, 201,
202 n. 1, 205,217,275 n. 6, 301,
311 et n. 1, 327 n. 3, 347, 349,
352, 356, 357, 359, 360, 362,
363, 407, -408, 411, 412, 435.
Bayeux (Notre-Dame), 261.
Beamfleote (Benfleet),ville d’An¬
gleterre, 79, 80.
Beauce , 190, 194.
Beaufroi, évêque de Bayeux,
175.
Beauvais , évêché, 50 n. 5, 378,
381.
Beauvaisis, 274-276.
Beauvois, 101 (s. de la n. 2 de
la p. 100), 121, 127, 361 n. 2,
362.
Béchin (Pierre), 241.
Bède le Vénérable, 161, 271.
Bellème , 356, 412.
Bédier, 31 n. 2, 321-325, 327,
429 n.. 430 n. 1, 444.
Belges , 191.
Belgique , 353.
Benoit (de Saint-More), 2, 101,
113 (s. de la n. 2 de la p. 112),
140, 143, 189, 195, 263 n. 2,
427, 428.
Bérenger (comte), 130,174, 176,
179, 183 n. 3.
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456
ETUDE CRITIQUE
Bérenger de Bretagne, 204, 280,
282. 284, 348.
Bernard, secrétaire du duc,
281, 355, 418, 420.
Bernard, chef de l'armée, 348.
Bernard le Danois, 350, 360,
366 et n. 2 , 407 (s. de la n. 5
de la p. 406).
Bernard de Senlis, 177, 295,
349, 356, 370, 371.
Bernard, roi d'Italie, 177.
Bemeval , 199, 370, 411, 412.
Berry, 188,194.
Berthe, 18.
Brssin, 153, 155, 174, 199-201,
275, 280, 282, 286, 288, 290,
348, 349, 433.
Betton, 187.
Bèze (rnonatère de), 76, 78,186.
Blanche (mer), 137.
Blois , 22, 61.
Biolan (O'Biolan), 129, 144.
Bjœrn Butter-Keg, chef norvé¬
gien, 101.
Bjœrn Iœrnside (Côte de Fer),
Berno , 20, 58 n. 1, 64 et n. 4,
66 n. 4, 88-97, 99-103 et s. de
la n. 7 de la p. 102, 104, 107,
108, 139, 432.
Boèce, 442.
Bohus, comté, 137.
Boisemont, 309 n. 3.
Bollandistes (Les), 71 n. 1,
76 et n. 4.
Boniface (saint), 258.
Bothon, 174, 176, 280, 281, 311
n. 1, 333, 347, 355,418, 420.
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Boulogne, 79 et n. 4, 403, 407.
Boulonnais (le), 308, 334.
Bouquet (Dom), 65.
Bourges , 188, 303.
Bourgogne, 22, 75-78, 106, 172,
185-187. 189, 192, 196, 274,
384 n. 1, 406, 433, 446.
Bourguébus, 156.
Bourguignons, 191, 194, 392.
Brabant (Firmin), 164.
Braisnes, 253 n. 2, 370.
Braquetuit , 157.
Bresle (la), 199, 201.
Bretagne, 22, 23, 62, 70, 71, 106,
177, 198, 200, 202 n. 3, 203-
205, ‘246, 280, 281, 283 et n. 2,
287, 290 et n. 3, 291, 292, 306,
311 n. 1, 380, 381, 396, 403,
425, 433, 435, 436.
Bretons (les), 68, 204, 267, 279,
281, 282, 284-286, 288-290,
306-308, 310, 311 n. 1, 347,
349, 351, 363, 381, 397, 425,
433, 434.
Brctteville-sur-Bordel, 286.
Bretleville-VOrgueilleuse, 286.
Bretteiille-sur-Odon, 286, 288.
Bretteville-sur-Laize, 286.
Bretteville-Babel, 286.
Bretteville-sur-Dive . 286.
Brionne, 390, 413.
Brissarthe, 67 n. 3, 68 (n. de la
p. 67), 70, 96, 103,105.
Broad-Fnjth, village d’Islande,
92.
Broigne, 403.
Bro-Werec, 70, 397.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
457
Bninanhuhr (bataille de), 181,
182 n. 1.
Brunner, 297.
Brunon, archevêque de Colo¬
gne, 381, 382.
Brussel, 210 et n. 2, 211 n. 1,
216, 223.
Bruxelles , 354.
Budinger, historien allemand,
117, 148.
Bugge (Alexander), professeur
à l’Université de Christiania,
85, 86, 95, 96 n. 3, 100, 108,
124-126, 137, 158, 159 n. 2,
202 n. 3.
Bugge (Sophus), 103.
Bulgion, roi de Hongrie, 377
n. 2.
C
Caen , 153, 284, 286, 288, 291,
434.
Calvados, 153.
Camargue, 55.
Cambrai, 251 n. 1, 330, 331,
375, 377 n. 2.
Cambridge (ms de), 344.
Canche (la), 334.
Capétiens ou Robertiens, 367,
369, 371, 382, 395, 408, 416,
436.
Carélie , 39.
Carloman, Karloman, 59 (n. 3
de la p. 58), 151.
Carolingiens, 230, 248, 265, 371,
382, 408, 416.
Carquebus , 156.
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Carnet, 401 n. 4.
Caux (pays de), 14, 21, 38, 158,
266, 347, 349.
Cuantereyne (de), 361 n. 3.
Charlemagne, 230, 315,322, 329,
416.
Charles, duc de Basse-Lorraine,
17.
Charles le Chauve, 58 n. 3, 68,
69, 72-74, 102, 106, 177, 200,
285, 330.
Charles le Simple, 22, 59 (n. 3
de la p. 58), 123, 197,198, 201,
203, 204, 206, 207, 213, 216,
219, 220, 226, 227, 230, 233,
238, 241 n. 3, 247, 251, 254,
273, 274, 277, 278, 287, 288,
299, 305 n. 1, 433, 446, 447.
Charles III, empereur, 59 (n. 3
de la p. 58), 165.
Chartres , 20, 30, 61, 179, 190-
192, 194, 195, 202, 250, 255,
301, 384, 386, 396, 422, 427,
433, 442, 445, 446, 451.
Chartres (comté de), 60-63, 106,
172.
— (abbaye de Saint-Père
de), 62, 63 n. 1.
— (évêque de), 450.
Chénon, 234, 244.
Cher (le), 72.
Cherbourg, 360.
Chérukl, 54 (n. 1 de la p. 53).
Chestcr , 80 n. 3, 96 n. 2.
Chrestien de Troyes, 444.
Christiania, 129, 137.
Clausson (Peder), 115.
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
458
ÉTUDE CRITIQUE
Clécy, 289.
Clermont-en-Argonne, 188.
Clermont-eti-Auvergne, 188.
Clerval (abbè), 441.
Clovis, 163.
Cluny (abbaye de), 188. 332
(s. de la u. 2 de la p. 331),
402, 405.
Cobleu tz, 165.
Collingwood, 79 n. 4, 80 n. 3,
96 n. 2, 145 n. 1, 156, 159
n. 2, 359 n. 2.
Cologne , 449, 450.
Compïègne , 69, 354, 382.
Conan le Tort, duc de Bretagne,
22, 396, 397.
Condé (llainaut), 167,168 o. 2.
Conon, 310, 311 n. 1, 312, 313,
423.
Conquereux , 397 n. 2.
Conrad, roi de la Bourgogne
jurane, 374.
Conrad le Sage, 313.
Conrad le Roux, duc de Fran-
conie, 313.
Conrad II, empereur. 313.
Constantin, roi d’Ecosse, 181.
Copenhague, 129.
Corbeil, 391.
Corbie (abbaye de), 29, 336,
426.
Corbon (salines de), 349, 360,
363 et n. 3.
Cor doue, 388.
Cornouailles (Cornu Gallia) 283
et n. 3.
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Corvey (abbaye de), 29.
Cotentin (le), 202, 220, 233, 287,
291, 293, 294, 348, 349, 360,
386, 434.
Cotentinois, 349.
Coucy, 349.
Couderc, 213.
Couesnon (le), 199, 281, 290.
Coutances (évêché de) 16, 62
n. 5, 65, 68, 200,290,
410.
— (comté), 176, 285.
Criqtiebœuf, 156.
Croissy (Cruztiacum), 251 et
n. 1.
D
Dacie, 34, 35,112, 113, 115, 133,
135, 359.
Daces (l)acigenæ), 44, 45, 83,
100, 149.
Dagobert, 400.
Dalccarlie , 266 n. 1.
Dalmate, 191.
Dan, 45.
Danai, 44, 45.
Danelag, 156.
Dani , 44, 46, 135, 147, 148, 150,
151.
Danaos, 45, 52, 432.
Danemark, 23. 39, 41, 88, 115,
118, 119, 133, ia5, 136, 140,
147, 151, 153, 156, 266 n. 1,
271 n. 1, 312, 349, 351, 359,
361 n. 2, 385, 425, 435.
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
459
Danois (les), 46, 72, 73, 83, 87,
88, 98, 111,115, 119, 125, 140,
141, 147, 150-152, 157, 159
n. 2, 162, 171, 190, 194, 301,
311, 360, 385, 387 n. 4, 388,
398, 418, 419, 432, 450.
Danois d’Irlande, Hirenses ,
Irenses , 385 et n. 4, 386-388,
451.
Danube (le), 34.
Daubeuf, 156.
Dehajnes (abbé), 52 (n. 3 de la
p. 51).
Deira (nord de l’Angleterre),
386 (s. de la n. 4 p. 385).
Deiros, 385.
Depping, 4, 38 n. 1, 65, 83, 116,
164, 240, 264 n. 3, 272 (s. de
la n. 3 de la p. 271), 361 n. 3.
Destrictios, 76.
Deux-Jumeaux (abbaye des), 16.
Deux-Siciles, 297 n. 4.
Deville, 200 (s. de la n. 3 de
la p. 199), 433.
Dieppe (la), 384.
De La Rue (abbé), 363 n. 1.
Delisle (Léopold), 428.
Démo8thène, 441.
Dietrich de Bern, 271.
Dijon. 186, 382, 406.
Dive (rivière), 62 et n. 5, 63 n. 1,
106, 201, 202 n. 1, 205, 275,
286, 287, 349, 357, 360, 363
et n. 3, 367, 368, 435.
Dol, 71, 205, 407.
Domfront, 412.
Dorstad, 163.
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Douai, 393 et n. 3.
Dozv, 317 n. 2, 387 n. 4.
Dreux, 189, 448.
Driault, 249 n. 2.
Drogon, 380, 381, 396.
Dublin, 181.
Duchesnk, 2, 20.
Dummleh (Ernest), 3, 8, 59 (n. 3
de la p. 58), 117,120, 133 n.l,
164, 221 n. 3, 252, 312, 313,
324 n. 2, 376, 430.
Dunois (le), 384.
Dunot de Sajnt-Maclou, 363
n. 3.
E
Eaulne (1’), 383.
Ebrehard, comte de Franco-
nie, 166.
Ebles le Manzer, comte de Poi¬
tiers, 185, 186, 194, 195, 301,
302, 427.
Ebroïn, 30.
Eccard, 82 n. 2.
Eckel, 10, 123, 193 n. 1, 251 et
n. 1, 254 n. 1, 275 n. 5.
Ecosse, 118, 128-130, 138, 142,
14-4, 145, 161, 181, 303 (s. de
la n. 7 de la p. 302).
Edouard, roi d’Angleterre, 161.
Edouard le Confesseur, 392.
Egil Skallagrimsson, 362.
Egikhard, 223.
Elbeuf, 156.
Elborc (voir Gerloc), 302.
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
m
ÉTUDE CRITIQUE
Emma, femme de Richard I er ,
368, 370, 379, 390, 412, 436,
451.
Emma, fille de Richard 1 er , 392.
Epie, 182 n. 1,199, 200,218 n. 1,
246, 372, 378, 382, 450.
Equemauville (forêt d'Arques),
391.
Eric, 336, 341, 446.
Eric Blodœxe, 362.
Erik, roi de Danemark, 265.
Ermenfroi, évêque de Beauvais,
50 n. 5.
Escaut, 163, 164.
Esmein, 209 (s. de la n. 2 de la
p. 208).
Espagne, 54, 57, 58 n. 1, 60, 62,
386, 388, 452.
Eslanglie, 162.
Ertienne (Henry), 36 n. 1, 439.
Ethelred II, roi d'Angleterre,
392, 397, 398.
Estrup, savant danois, 119.
Etampes, 189.
EÜiiopien, 387 n. 4.
Etienne, roi d’Angleterre, 327.
Eu, 201, 276, 277, 390.
Eudes de Cluny, 73, 332 (n. 2
de la p. 331).
Eudes, comte de Chartres, 18,
303, 396.
Eudes, roi de France, 52, 79,
188, 447.
Eudes de Bretagne, 392.
Eure, 201.
Europe, 34, 35.
Evrecin (!'), 293, 434.
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Evremond (saint), 408.
Evreux, 174, 179, 199. 293, 327
n. 3, 348, 352, 354, 357, 384 et
n. 1, 386, 406, 409, 413, 449,
450.
Evreux (évêché de), 411.
Evroul (saint), 407, 408.
F
Fabricius, historien danois, 121.
Falsterbo, 156.
Favre, 52 (n. 3 de la p. 51), 121,
175, 179 n. 1.
Faxe, ville de Danemark (Fas-
ges), 140 n. 3.
Fêcamp, 14, 30, 31, 301, 325-327,
332, 347, 358, 392, 399,
400, 413, 426, 430.
— (abhave de), 15, 29-31,
344, 358, 399, 400, 405 et n. 2.
406, 407, 410, 411, 413.
Félécan, Flestan, 205, 284, 288,
289.
Féroë (îles), 134, 271 et n. 1.
Fierabras, Fièrebrace, 294, 323.
Flach, 208, 209, 211 n. 1, 212
n. 1, 213, 215, 216 n. 1, 222,
224-226, 228, 229, 231-235, 241,
242, 24-4, 248 et n. 1, 249, 264
n. 2, 297 et n. 4, 300 n. 3, 421
n. 2.
Flamands, 301, 383.
Flandre, 198, 201, 204, 209, 276,
335,340,371,384 n , 392, 394.
399, 402, 403, 449. 450.
Fleury, 182 n. 1.
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
4G1
Flodoard, 2, 27, 28, 138, 162,
199-202 n. 2, 204, 205, 212-
215, 217, 218 n. 1, 219, 221,
224, 227, 229, 231, 233-236,243,
251, 255, 261, 274, 275 n. 5 et
il. 6 , 276 n. 1, 277, 278, 282 et
n. 1 et 3, 283, 288, 289, 292,
305-308 n. 1, 310, 312, 327,
329, 334-336, 340, 342,343, 345,
346, 351-359,361, 362, 368-370,
373, 374, 378, 382-384 et n.,
385, 387, 390, 394, 399, 416,
427, 429, 436.
Foggion (Bartoli), 173.
Folcuin, 164, 252, 427.
Fontanelle (abbaye de) ou de
Saint-Wandri lie, 15, 16, 155,
403 , 407.
Foulques, archevêque de
Reims, 175, 254.
Foulques de Guernauville, 408.
Foulques le Bon, comte d’An¬
jou, 380, 381, 384, 397.
Frambold, évêque de Chartres,
63 n. 1.
Franc (empire), 119.
France, royaume (Francia), 15,
47, 55, 57, 58 et n. 1, 60, 63,
100, 104, 113, 116, 119 n. 1,
121-123, 175, 189, 196, 208,
221, 248 n. 1, 249, 305, 306,
320, 321, 337, 338, 359 n. 2,
361 et n. 2, 371, 380, 382, 390,
397, 412, 450.
France (duc de), 375.
Francfort, 379.
Francia, 170, 184.
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Francia occidenlalis , 231, 305
n. 1, 436.
Francon (Franco), archevêque
de Rouen, 169, 185, 197-199,
205, 238, 250, 252, 253, 255,
259, 260, 262, 433.
Francon, évêque de Liège, 252
et n. 1 , 260.
Francon ie, 313.
Francs, 46, 58, 60, 116, 154,173,
191, 194, 197, 198, 218, 240,
250, 276, 292, 296, 379, 392,
407.
Francs de l'Est, 78.
Francs occidentaux, 167.
Frédéric II, empereur d’Alle¬
magne, 56.
Frédérune. 206.
Freeman, 7, 61 n. 1, 122, 241
n. 3, 247, 305, 359 n. 2.
Frémond (saint), 410.
Frise , 103 (s. de la n. 7 de la
p. 102), 164-166, 202, 207.
Frode, roi légendaire, 56, 268-
271, 434.
Fulbert de Chartres, 441 et (s.
de la n. de la p. 440), 4-42.
FultUi (abbaye de), 27, 165.
Fustel de Coulanges, 245,
247.
Fuzet (Mar), 253 .
G
Gaill Blancs et Noirs, 352 n. 4.
Galice, 54, 387.
Galiciens, 387 n. 4.
Galien, 4-42.
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
462
ETUDE CRITIQUE
Galles (pays de), 96 n. 2.
Gallois, 181.
Gand, 402. 406.
Garni (saint Pierre et saint Ba-
von, 403.
Gandalf, 112 n. 2.
Garin, Garins (voir Gurini).
Garonne, 184.
Gascogne, 248.
Gaular, pays de Norvège, 85.
Gaule (la), les Gaules (Valland),
30, 68 (n. de la p. 67), 72, 73,
96 n. 3, 97, 109, 114, 128, 148,
168 n. 1, 184, 239 n. 2, 361,
362, 417.
Gaulois (les), 72.
Gautier, archevêque de Sens,
193.
Gautier, comte de Dreux, 448.
Gautier, évêque de Paris, 367
n. 2.
Gautier, vassal de Richard I» r ,
384.
Gautier (Léon), 317 et n. 2,
318, 322.
Génestal, 421 n. 1.
GeofTroi de Bretagne, 22, 392.
GeolTroi, comte d’Eu et de
Brionne, 390.
GeofTroi Grisegonelle, comte
d'Anjou, 73, 74 et n. 1, 377
n. 2, 383.
Geoffroi Malaterra, 244 n. 2.
Gérard de Broigne, 402, 406.
Géraud, évêque d'Evreux, 405,
411.
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Gerberge, 350, 358, 372, 381,
436.
Gerbert, 441.
Gerloc, 179, 302 et n. 7, 331,
419.
Germanie, 35, 46, 150, 229-231,
258, 304, 306, 310, 312, 371.
394.
Germains, 148 n. 2, 230.
Géro, 313.
Gerran, 187, 196.
Gertrude (Sainte-), église, 169.
Gèles ou Goths, 35, 36, 39.
Gezo, 448.
Gilbert, fils de GeolTroi, 390.
Giraud de Barri, 75 (n. 3 de la
p. 74).
Girbert, 341.
Gisèle, 197, 198, 206, 207, 273,
419, 433.
Gislebert ou Gilbert, duc de
Lorraine, 313, 403.
Gislebert Mainel, 384.
Gislebert, évêque de Coutances,
410.
Gisors, 378 n. 1, 388, 389, 411,
450, 451.
Glasson, 242 (n. de la p. 241),
268 (s. de la n. de la p. 267).
Glommen, rivière de Norvège,
94.
Godfrid, Godfried, Gotfrid, 20,
98, 148 n. 2, 159, 165, 166,
185, 202, 207, 252, 261, 432.
Godefroi, comte, 405.
Gondouin, 331 et n. 1.
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
463
Gonnor, 391, 409, 419.
Gorm 'voir Gurim), 133, 135.
Gorm le Vieux, roi de Dane¬
mark, 41, 130.
Gormond l'Africain (Gurman-
dus), 74 et n. 2, 75 et n. 3 de
la p. 74, 354, 444.
Gotfrid, chef danois d’Angle¬
terre, 181.
Gotha, rivière, 137.
Gothie , 34, 35, 144.
Gousseaume, Goussiaume,Gou-
teaume, Jousseaume, Jous-
siaume, évêque de Chartres,
192, 193 n. 1.
Goût, 401.
Gouy, 342.
Gozlin, abbé de Saint-Denis,
411.
Grande-Bretagne, 159 n. 2, 283,
301 n. 1.
Grèce, 56, 441.
Grecs , 41, 44, 45, 151, 440.
Green, 80 n. 3, 122.
Grim, 113 s. de la n. 2 de la
p. 112).
Groix (île), 152.
Grosley, historien,’61 n. 1, 83.
Gualtelmus (voir Gousseaume).
Gudrum Illgirdsfü, déesse, 43.
Guérech, 381, 396.
Guichard, évêque d’Evreux, 411.
Guilhiermoz, 211 et n. 1, 213,
‘220, 221, 224, 226, 234, 235,
237.
Guillaume (comte), 405.
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Guillaume, archevêque de Sens,
305.
Guillaume d’Aquitaine, 318.
Guillaume de la Poule, 56.
Guillaume de Jumièges ou
Calcul, 1, 6, 7 n. 1, 13, 24, 25,
f>4 (n. de la p. 53), 57, 58 n. 1,
60, 61 et n. 1, 62-64, 66, 67
(n. 4 p. 66), 87-89, 97, 99-101,
102 n. 7,104, 116n.2,139,140,
143, 145, 168, 171, 175, 178,
189, 237, 252, 253 n. 2, 260,
275 n. 6, 291, 2J2, 302, 311
n. 1, 330, 331, 333, 336, 3V3,
351, 355, 356, 360-362, 364-3G6,
384, 385, 387, 390-395, 413,
420, 428, 432, 449.
Guillaume de Malmesbury,
142, 337, 341-343.
Guillaume d'Orange, 316, 317,
323.
Guillaume de Poitiers, 271.
Guillaume de Saint-Bénigne,
326, 406, 409.
Guillaume Tête d'Etoupe, comte
de Poitiers, 301, 302, 304, 310,
317, 322, 419.
Guillaume, fils de Richard II,
326.
Guillaume Fièrebrace, 320.
Guillauine-le-Conquérant, 16,
22, 202 n. 2, 265,270, 294, 421,
423.
Guillaume, fils de Richard I er ,
390.
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
ETUDE CRITIQUE
m
Guillaume Longue-Epée, 20, 24,
27, 29, 31, 47, 114, 130, 142-
144, 175, 178, 179, 182 n. 1,
199, 202 n. 2, 204, 205, 219-221,
226, 227, 232, 233, 235, 236,
ÎM8, 252, 258, 259, 261 n. 2,
273, 275 n. 6, 278 et n. 1, 279,
280-282 et n. 3, 288, 290-292,
291-297,300-302 et n. 7,303-305
et n. 1, 306-311 n. 1, 312-317,
320-325, 328-331 et n. 1, 332,
331-341, 347, 318, 351,354, 360,
361-367,383, 389, 398, 401, 402,
409, 411, 418-120, 423, 428, 429,
431.
Guillouard, 272 (s. de la n. 3
de la p. 271).
Guiraud, 263 (s. de la n. 2 de
la p. 262).
Guitton (comte de Senlis), 177
n. 5.
— (Witto), archevêque de
Rouen, 185, 252-257, 259 n. 3
et 4, 433.
Guizot, 6.
Gunard, Gonthard, Gunardhus,
archevêque de Rouen, 252,
253 et n. 1 et 2.
Gunborg, 39.
Gurim, Garin, Guirins, 112 et
n. 2,133, 135.
Gurin, 113 (s. de la n. 2 de la
p. 112).
Gurfol (château), en Grèce, 56.
Gurrnond, 113 (s. de la n. 2 de
la p. 112).
Gurvant, 70.
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Gutorm, 112 n. 2.
Guthrum d’Estanglie, 162, 180.
Guy, évêque de Soissons, 357.
— chancelier de Lothaire,
4-18.
Guv de Bazoches, chroni¬
queur, 61 n. 1.
Gxcent, 181.
H
Hadvise, 22, 392.
Hagrold, 275 n. 6, 317, 349, 350,
357, 359, 360, 361, 363, 407,
435.
Haimeri, 192.
Hainaut, 140, 164, 168.
Hak, 301 (s. de la n. 4 de la
p. 300).
llakon, 183 n. 1 et 3.
— le Bon, 362.
Hakon Griotgardsson, 86.
Halphen et Poupardln, 65, 73
n. 3 et 74 n. 1.
Hais, 165.
Ham, ville de Picardie, 50.
Hambye, 156.
Harald, 36.
Harald Rlaatand, roi de Dane¬
mark, 359 n. 2, 360, 361 et
n. 2 et 3, 435.
Harald Gràfeld, 362, 363.
Harald Hardraad, 56.
Harald Harfagr’ roi de Nor¬
vège, 41, 86, 90-93, 95, 99, 105
n. 1, 113, 114, 132, 136, 138,
141-143, 146, 182, 183 et n. 1
et 3, 298, 301 (s. de la n. 4 de
la p. 300), 417, 430.
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PRINCETON UNIVERSITY
SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
405
Harold, roi de Danemark, 352.
385.
Basions, Ch. H., Il n. 3, 297,
331, 423 n. 3.
Haspres , Hespera, 330, 331 et
n. 1.
Hasling ( Huaslen , Hæsten ,
Hallstein), 20, 29, 47, 48, 51,
52, 54 (n. de la p. 53), 57-01
et n. 1, 02-04 et n. 4, 05-07
08 (n. de la p. 07), G9-74 et
n. 1, 75-80 et n. 3, 81-89, 91,
92, 95-100, 103-109, 139 n. 1,
170, 171, 173, 184, 29G, 408,
422, 427, 430, 432, 442-445.
Hauk, dit Habrok, 183 n. 1.
Havre (le), 158, 200.
Heurlcauville, 400.
Hébrides (îles) (Suderœ), 90,
92, 93, 95, 90 n. 2, 99, 114,
119, 137, 138, 145 et n. 1, 159
n. 2, 161.
Helge, viking, 90, 92, 95.
— fils d'Ottar, 129, 144.
Hélie, 440.
Helmhold, auteur de la Chro-
nica Slavorutn, 82 n. 2, 152.
Hélouin de Montreuil, 334, 330,
349, 350, 354, 355, 306 et n. 2.
Hélouin, chancelier de Hugues,
408.
Henri, roi de Germanie d'après
Dudon, 28, 306, 310-312, 320,
350.
Henri I tr , roi de Germanie, 307.
Henri II, empereur, 307, 313.
Henri I« r , roi d'Angleterre, 153.
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Henri II, 428.
Henri, évêque de Bayeux, 301,
347, 411.
Henri de Sully, abbé de Fé-
camp, 327.
Henri, lils de Louis IV, 3*29.
Herbaugc, 306.
Herbert de Yerrnandois, 219,
229, 230, 275-277, 292, 301-304,
308, 311, 317, 318, 342, 351,
354.
Herbert, évêque de Coutances,
410.
Ilerfroi, 187.
Héribrant, 4-41.
Hériold, 103, 261, 432.
Herlève, 409.
Hermann, 312.
Hermann Billung, 313.
Hermentreville (Saint-Sever ,
faubourg de Rouen, rive
gauche de la Seine), 384.
Hérold, 360.
Hervé, archevêque de Reims,
254-257, 259 n. 3, 433.
Hesbage, 164, 165, 107.
Hethelulphe, 73, 106.
Hiémois (1’), 202 n. 2, 287.
Hongrie, 377 n. 2.
Hilda, 114, 142 n. 1.
Hildebert, 401.
Hippocrate, 442.
Homère, 4-41.
Hoël, comte de Bretagne, 381,
396.
Hordaland, pays de Norvège,
91, 94.
30
Original from
PRINCETON UNIVERSITY
m
ETUDE CRITIQUE
Horic, 163.
Houel, roi des Gallois de
l'Ouest, 181.
IlowORTH (sir Henry), 10, 61
n. I, 122, 254.
Ilroald, Hoald, 290et n. 3.
Hrod-wald-Ryg, 101.
Ilrolf au Long-Nez, 114.
Hugues (saint), 330.
Hugues, archevêque de Rouen,
404, 409.
Hugues, évêque de Coutances,
405, 410.
Hugues Capet, 13, 17, 214, 247,
369, 370, 382, 390, 392, 395,
396, 399, 411.
Hugues de Fleury, 58 n. 3, 68
n. de la p. 67, 74, 75 et n. de
la p. 74, 385 n. 4, 387.
Hugues le Grand, 219, 221, 222,
229-231, 236, 248 n. 1, 253 n. 1,
276, 292, 301-305, 307-311, 313,
317-319, 329, 334,349-351, 354,
356-358, 360, 368-372, 375, 376,
379, 382, 391, 395, 408, 417,
435, 436.
Humbel, 45.
Huntber (F), 182 n. 1.
llundée, chef viking (Hundeus),
81, 139 n. 1, 185, 254, 256,
258.
I
Iamlaland (pays de Suède), 90-
93.
Ibn Adiiari, historien arabe,
58 n. 1.
Ile de France, 16, 347.
Illyrie, 44.
1 MB ART DE LA TOUR, 245 n. 2.
249 n. 1, 410.
Immon, évêque de Noyon, 49-
51.
Immon de Chévremonl, 382.
Imandur-le-Blanc, 43.
Incon. chef normand, 205. 290.
Ionisvikings, 43.
Iona, 145.
Irlandais , 301.
Irlande, 138, 142, 352 n. 4.
Isambart ^sembard), 74 et n. 2,
353, 354, 444.
Isidore de Séville, 45.
Islandais, 42, 159 n. 2.
Islande, 86, 92, 95, 96 n. 2, 99.
105 n. 1, 107, 109, 119, 142.
Italie, 38, 56-58 n. 3, 143, 177,
231, 271, 338.
Ivar Boddi, 176 n. 3.
J
Jâmtland, voir Iamtaland.
Jean, archevêque de Rouen
(Johannes), 169, 252.
Jean IX, 255, 256.
Jean X, 256.
Jean XIII, 404.
Jean XV, 398.
Jeanroy, 324.
Jeufosse, 102. 190, 386, 450, 451.
Johannes (voir Jean), archevê¬
que de Rouen.
JONCKBLOET, 316, 322.
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SUK DUDON DE SAINT-QUENTIN
467
Joret, 132, 133, 154, 157, 430
n. 2.
Jornandès, 34-36, 41, 45, 426.
Josselin, abbé de Jumièges,
330.
Jouen (chanoine), 253 n 2.
Judith, épouse de Richard II,
22 .
Juhaël, comte de Rennes, 284,
285, 288.
Jumièges (abbaye de), 1, 168,
169, 199, 304, 305, 330, 331 et
n. 1 et 2, 333, 365 n. 1, 402,
406,407.
Junius, 83 n. 2 de la p. 82.
Jutland , 39, 159 n. 1.
K
Kadlin, fille de Rollon (Cathlin),
Catarina, 129. 144, 146, 179.
Kalckstkin (von), 9, 122 n. 1,
139 n. 1, 170 n. 1, 177, 193
n. 1, 203 n. 1, 221 n. 2, 303,
305 n. 1, 312, 366, 367 n. 2,
376, 386 (s. de la n. 4 de la
p. 385), 449.
Ketil Flatnefr, viking norvégien
(Catillus), 89-93, 95, 96 n. 3,
97, 99, 100, 103, 105, 107, 138
n. 2, 139.
Ketil, père de Rollon, 138.
Kicelen (monts), 90-93.
Kioulf, 341.
Kirkwall, 139.
Klingenmunster ( Palatinat),
Cluniacun monasterium, 254
n. 1.
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Krantz, 115.
Knut le Grand, roi de Dane¬
mark et d’Angleterre, 149.
Knut, roi de Danemark, 39.
Kurzbold (voir Conrad le Sage),
313.
L
La Borderie (A. de), historien,
69, 70 et n. 3, 71, 281.
La Croix Sainl-Leufroi (abbaye
de), 71 n. 1 et 3, 201.
Laferrière, 268 (s. de la n. de
la p. 267).
Lagouelle, 226, 232, 244, 246,
262 n. 2, 264 et n. 1, 265, 269
n. 2.
Lai R (Jules), 2, 3,9, 12. 16 n. 3,
18-20, 26, 34, 45, 46, 54 n. 5
de la p. 53, 68 n. de la p. 67,
82-84, 112 n. 2, 120, 123, 130
n. 2, 131, 133, 162, 165, 166,
168 et n. 2, 177 n. 5, 186 n. 1
et 2, 187 n. 1, 188-190, 193
n. 1, 215 n. 1, 232, 248, 278
n. 1, 281 n. 2, 282, 291, 304,
306, 308 n. 1, 309 n. 3, 312,
335, 344 n. 2, 363 n. 1, 365,
381, 383, 390, 391, 394 et n. 3,
415, 426, 428, 430 n. 2, 431,
440. 445.
Laize (la), 286.
Lakc cl Y sel la, 165.
Laland, 82 n. 2.
Langebeck, 84.
Landri, comte de Nevers, 18.
Langlois (Ernest), 318-320, 322.
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PRINCETON UNIVERSITY
468
ETUDE CRITIQUE
Lanquetuit, 157.
Laon, 17, 219, 236, 310, 311, 317,
320, 329, 374, 375, «9, 450.
Lapons, 36.
Lappenberg, 5, 7, 116, 162,
312, 366.
Latouche, 172 n. 1.
Lacer, 11, 139 n. 1, 177 n. 5,
213 n. 2, 220-222. 226, 236 et
n. 3, 283, 302, 304, 309 n. 3,
312, 313, 322, 327-329,344 n. 2,
353, 365, 366 et n. I, 367 n. 2,
377, 429, 430.
Launi (île), 170.
Le Daud (Pierre), 28* et n. 2,
285 n. 2, 288, 289.
Le Carpentier, 164.
Ledgarde, Lieutgarde,Liégeard,
303, 333, 379.
Le Hom, 289.
Leibnitz, 164, 447.
Le Mans, 172 n. 1, 177, 202 et
n. 1, 217.
Le Prévost (Augus(e) 4, 63
n. 1, 107 n. 1, 167, 293, 295,
305, 367 n. 2, 447.
Les Baux de Breteuil, 265.
Les Baux-Sain le-Croix-des -
Ventes, 265.
Les Damps, 30, 170.
Lèves (Eure-et-Loire), Leugas,
19, 30, 194 195, 422, 427, 442.
Licqüet, 3, 83, 116 n. 1, 161,
207, 252, 264 n. 3. 282 n. 2,
359.
Liège, 252, 260, 312.
Lieuvin (le), 201.
Limerick, ville d'Irlande, 129.
Limoges, 258.
Limousin (le), 76.
Lindesness (cap), 94.
Lisbonne, 387, 452.
Lisieux (diocèse de), 201, 410.
Lo (saint), 410.
Lobineau (doin), 203 n. 1, 207,
252.
Lodbrok (voir Ragnar).
Loir (le), 72.
Loire (Liger) fleuve, 22, 59, 62,
64. 69, 78, 106, 107, 152, 184,
190, 204, 205 et n. 1, 259 n. 1,
274, 283, 290, 306, 369, 446.
Londres, 56, 80.
— (ms. de), 344.
Longnon, 444.
Longs Boels (les), 265.
Lorraine. 230.231, 251,371,376,
382, 402.
Lorrains, 311.
Lot, 10, 15, 17 n. 1. 18 n. 1, 50
n. 5, 67 n. 3, 68, 74 n. 1 et 2,
102 n. 2, 154, 155, 173 n. 1.
211 n. 1, 212, 220, 223. 226,
242, 247 n. 2, 303, 323, 329,
353, 365, 367 n. 2, 379, 382,
384 n. 1, 385 n. 4, 388, 390,
394 et n. 3, 395, 404 n. 3, 447-
450 n. 1 et 2.
Lothaire I rr , empereur, 163.
Lotliaire, roi de France. 302,
328. 329, 331, 368. 379, 381-384
et n., 392-395, 404, 411, 436.
447-450.
Lothaire II de Germanie. 207.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
460
Lotharingie, 163. 394, 402.
Louis, abbé de Saint-Denis, 49.
Louis I er le Débonnaire, 29.
Louis l'Enfant, 446.
Louis III, 59 (n. 3 de la p. 58),
60, 73, 78, 81, 106, 353.
Louis IV d’Outremer, 21, 151,
204, 220-222,227, 231, 233-237,
304-310, 312-318, 320-322, 328-
330, 334, 348-355,357-360, 365,
367 , 368, 371-373, 376, 380,
383, 416, 433, 435, 436.
Louvain , 79 n. 4.
Louviers, 172, 173.
Lucain, 160.
Luria (ville d’Italie), 47, 48, 53,
55-57, 62, 63 n. 1, 74, 103 (s.
de la n. 7 de la p. 102), 422.
Lyons, 301, 423.
Lys (la), 392, 393.
Lyschander, 115.
M
Mabillox, 331 n. 1.
Madalbcrt, 188.
Madjous (nom Arabe des Nor¬
mands, 54, 58 n. I.
Maestricht, 312.
Maïeul (Mayeul), abbé de Cluny,
326. 405, 406.
Mainard, abbé de Saint-Wan-
drille, 402, 403 et n. 3, 404.
Maine, 172, 199, 202, 209, 275,
294, 296, 433, 434.
Maintenon, 189.
Malahulc, 130.
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Mallet, 362 (s. de la n. 3 de la
p. 361).
Man (île de), 96 n. 2.
Manassés, comte de Dijon, 193,
194.
Manceaux, 397.
Manche (la), 107, 182 n. 1.
Marbod, 168 n. 2.
Maresdans, 170.
Marigny, 401 n. 4.
Martin, abbé de Jumièges, 331,
332 n. 2 de la p. 331,333.
Marx, 57, 58 n. 1, 66, 67 n. 4
de la p. 66, 89, 253, 270 n. 2,
331 n. 1.
Mathilde, lille de Richard I rr ,
392.
Matuédoi, comte de Bretagne,
282 et n. 3, 287, 290.
Maugc, 306.
Mauger, 391.
Mauperluis, 373.
Maurer (Konrad), historien
allemand, 117.
Maures, 55, 387 n. 4.
Mauritanie, 57.
Mauxe (Saint), 403 n. 2.
Mayenne (la), 412.
Méditerranée, 54, 57, 63, 68 n.
de la p. 67, 103 (s. de la n. 7
de la p. 102), 105.
Meier (Jacques de), 341, 393.
Mercie, 79, 181.
Merlet (René), 11, 16 n. 2,193,
285 n. 2.
Metz, 251.
Meulan, 174.
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PRINCETON UNIVERSITY
470
ETUDE CRITIQUE
Meme, 163, 164.
Middlelon (Millon), ville d'An¬
gleterre, 79.
Moêre, comté de Norvège, 113,
137, 142, 146.
Mohammed (émir), 38 n. 1.
Moidrey , 401 n. 4.
Monod (Gabriel), 11 n. 3, 208
n. 2, 209.
Montbaillon, 309 n. 3.
Mont Cassin (abbaye de), 56.
Montkuus (Oscar), 153.
Monlfaucon , 188.
Montier (Edward), 11 n. 3.
Montreuil~sur-M.ee , 253, 304,
334, 335.
Mont Riboudet, 300.
Mont-Saint-Michel, 66, 67, 199,
261, 399, 401, 404, 411, 447.
Morice (Dom), 3, 161.
Morins (les), 308.
Mostr, île de Norvège, 91, 94.
Mouzon , 351.
Munch, 84, 85, 105 n. 1, 118,
144, 148, 159 n. 1, 168 n. 1,
264 n. 3.
N
Nachor (Nécour, ville du R if
marocain), 54.
Samur , 403.
Nànsen Gustafson, 124.
Sanies , 64. 202, 204, 380, 381,
397.
Nantais, 381, 396.
Neustrie, 64, 172, 182 n. 1, 236,
287, 289, 359 n. 2, 369. 408.
Nicolas, fds de Richard III, 326.
Nidjborg, petite fille de Rollon,
129, 144.
Niedcrlahngen, 313.
Nimègtie (Noviomagus), 52 n. 3
de la p. 51.
Nimes, 55.
Nivernais, 196, 251.
Aord (mer du), 94.
Norgod, évêque d’Avranches,
405, 410.
Normandie, 46, 62, 63 n. 1, 81,
89, 97, 101, 107, 109, 111, 114-
116,118-120, 122.128, 134-136,
140-143, 149 n. 2, 152,154, 156,
157, 159 n. 2, 167, 168 et n. 1,
175, 177, 181, 182 n. 1, 191,
197-205, 209, 212, 216, 218 n. 1,
222, 233, 235, 237, 240. 243,
246, 248 et n. 1, 249, 251, 255,
261, 280,317-320 n. 1,326,327,
331 n. 1,334,335, 337,349,351,
353-359 n. 2, 360, 364-367, 369,
371, 372, 378, 381, 385, 386,
388,389, 394, 395, 398, 400-402,
406, 412, 425, 426, 429, 431,
433, 434. 436, 440, 449.
Basse-Normandie, 202, 205, 286,
433, 434.
Haute-Normandie, 199,202, 411,
433.
Coutume de Normandie, 267.
Normands, 38, 44, 45, 52-54, 57,
59, 62, 64, 68, 69, 75, 80, 83,
85, 94, 96 n. 3, 100, 106, 111,
112, 121, 141, 143, 148, 149,
151, 152, 159 n. 2. 165, 169,
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
173-178, 179, 18-2 n. 1, 185-
188, 191-197, 199, 201, 202,
203 n. 1,201, 205, 212,215 n. 1,
216-218 n. 1, 219. 220. 225,
227, 232-234, 239 n. 2, 210, 241
et n. 3, 243, 248, 250, 251, 253-
255, 257, 260, 263, 265, 266 n.,
273-275 et n. 6, 276, 277, 283,
284, 287, 288-290, 292, 294,
296, 297 n. 4, 299, 301 n. 3,
306-308, 311 n. 1,312, 319,320,
325, 330, 338, 342, 343, 347-
353, 356-360, 363, 364, 368,
370, 372, 374, 377, 379, 380,
385, 387 et n. 4, 388, 396, 397,
406-409, 417, 421, 422, 431,433,
435, 443.
Xorman nei‘nr t 120, 124, 148.
Normanni, 148-151.
Norlhumberlaml, 182 n.l, 271,
362.
JS 'or thum brie, 181.
Norvège (Xorthwegia Nora), 38
n. I, 41-44, 88-90, 92. 93, 101,
114-416, 118,122, 125, ia>-137,
139, 140, 142, 143, 149, 152,
156, 160, 266 n. 1, 268, 269,
271, 298, 300 n. 2 de la p. 299,
359 n. 2, 362, 417.
Norvégiens , Xorici, Northgue-
gigenœ, 88, 96 n. 2, 99, 109,
111, 112, 115, 118, 119, 142,
148, 149 n. 2, 150, 152, 159 n.
1 et 2, 362, 385, 386, 418, 432,
4-40, 451.
Noyon, 47, 49-52, 57, 78, 106,
275.
471
Noyon Eglises de Saint-Médard
et de Saint-Eloi, 49.
O
O'Biolan (voir Biolan).
Océan, 107.
Œlwi, 86.
Œsterdal, rivière de Norvège,
94.
Ogier le Danois, 294.
Ohtor, viking, 290.
Oise, 47, 48, 51, 57, 107, 274.
Oissel (île d'), 102.
Olaf Guthfrisson, 181.
Olaf le Blanc, chef viking d’Ir¬
lande, 90, 93.
Olaf le Bouge, 181.
Olaf, roi suédois, 39.
Olaf (saint), 430.
Oman, 183 n. 3.
Orcades (îles) Orkneys, 93, 96
n. 2, 119, 137, 138, 142, 145
n. 1. 159 n. 2, 362.
Ordkric Vital, 4, 38, 130, 177,
292, 295, 305, 343 n. 4, 356,
408, 425, 446.
Orient, 45, 112.
Orléanais, 408.
Orléans, 375.
Orne (f ), 286, 288, 289.
Ohose (Paul), 34-36, 45, 426.
Oscar, chef viking, 66, 400.
Oslac, 101.
Osniond, 349, 355, 356, 411, 412,
428.
Osmont, 339.
Oslerbô , 156.
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ETUDE CRITIQUE
472
Ostrngol/is, ‘271.
Osvi, 146.
Ollinga Saxonia, ‘287, 311 n. 1.
Ottar, 129, 144, 290.
Otton I* r lo Grand, 28, 230, 307-
310,312-314, 320, 330,334, 350,
371-377 n. 2, 378, 379. 382,
428, 436, 449.
Ouen (saint), 400, 401.
Ouislreham, 288.
Owen, roi de Gwent, 181.
Oxen-Thor, 146.
P
Paër (saint), 205.
Paillard de Saint-Aiolan,
109 n. 1.
Palgrave, 5, 6, 109, 122, 431.
Pal ne l , 405.
Paris (Parisiiis), 16, 47-49, 74
n. 1, 75, 167, 174-176, 180,
181, 184, 185, 189, 193, 194,
338, 354, 367, 371, 372, 375,
377, 378 n. 1.
Paris, église Sainte-Geneviève,
51.
Paris (Gaston), 294 , 317, 323,
325, 428.
Paris (Paulin), 316.
Parisiens , 276.
Parisot, 79 n. 4, 164, 165, 251
n. 1.
Pascwiten, 70.
Paul Diacre, 39, 426.
Paul Émile, 207, 252.
Pavie, 338, 341.
Pedersœn (Absalon), 115.
Peigxé-Delacourt, 51 n. 3.
Pépin, d'Italie, 177.
Perche (le), 102.
Pertz, 54 n. de la p. 53.
Petersen, historien norvégien,
118.
Pfister (Chr.), 193 n. 1, 208
n. 2, 222 n. 4, 433.
Philippe Mousket, 177, 340.
Picquigny, 336, 341.
Philibert (saint), 330.
Pineau, 271 n. 1.
PlRENNE, 393 n. 1.
Pi se, 55.
Pitres, village de la vallée de
l'Andelle, 102.
Pleskow, ville de Russie, 56.
Pline le Jeune, 426, 439.
Plummer, 79 n. 4.
Poher (comté de), 282, 290.
Poinsignon, 139 n. 1.
Poitevins, 194, 301, 397.
Poitiers, 64, 179, 185, 186, 319,
331, 435.
Pollock et Maitlaxd, 297.
Pommeraye (dom), 400.
Pomponius Mêla, 439.
Ponthieu (le), 334.
Pont-de-l'Arche , 30, 170, 172,
173, 327 n. 3.
PONTANUS, 115.
Popa ou Poppa, 130, 176-178,
207, 278 n. 1, 280, 295, 418.
Porphyre, 36.
Portas Veneris, 55.
Poupardin, 65.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
473
Powell (York), 87, 95, 9G n. 2.
1(6 n. 1, 14(3.
Pré de la Bataille, 295, 300.
Prudence de Troyes, chroni¬
queur, 50, G3 n. 1, 190.
Prüm (monastère de), 105.
Prusse, 39,
Ptolémée, 35, 36, 426, 439-441,
Q
Quevilly, 347.
Quillebeuf, 156.
R
Radbod, 164, 165.
Raghnall, chef normand des
Orcades, 57.
Ragnar Lodbrok, 20, 66, 100,
101 , 102, 108.
Ragnard, vicomte d’Auxerre,
187.
Ragnold, comte du Maine (voir
Renaud).
Ragnvald, iarl de Moëre, 113,
137, 142, 146.
Rainaud, 188.
Ranrike, royaume Scandinave,
137.
Raoul d’Argences, 327.
Raoul, évêque de Bayeux, 408.
Raoul, de Bourgogne, 76, 258,
259 n. 1.
Raoul de Cambrai, 341, 342.
Raoul de Dragi, 408.
Raoul Glabkr, 82,85, 271,292,
303, 337, 340, 397 n. 2, 398,
405, 442-445.
Raoul de Gouy, 341, 342.
Raoul d’Ivry, 10 n. 3, 11 n. 1,
18, 24-26, 29, 124, 132, 133,
155, 272, 292, 314, 346, 404,
405, 4M, 413, 420,430.
Raoul La Tourte (Rodulfus
Torta), 237, 363-366 et n. 2,
367, 368, 406, 435.
Raoul, roi de France, 76, 77,
199, 200, 202, 220, 227, 233,
274, 278, 287, 291, 294, 304.
Ratbode, 72.
Rathier de Vérone, 393 n. 3.
Redon (cartulaire de), 69, 290.
Réginon, 27, 67, 68 et u., 70,
207, 252, 427.
Régnier au Long Col, de Hai-
naut, 164, 166, 167, 403.
Régnobert (saint), 407.
Reims, 17, 138, 274, 309, 374 et
n. 8, 375, 378, 379,
384 n., 426, 433.
— Archevêque, église, 218
n. l,254-256,259n.3,
276 et n. 1, 330, 351.
Renan, 110.
Renaud (Ragnoldus), comte du
Maine, 63, 170-174,
296.
Renaud de Roucy, 370.
Rennes , 22, 70 et n. 3, 176, 204,
284, 288.
— (Comté de), 396.
Reynaud, 375 n. 1.
Rhin, 163, 3(0.
31
tiz ed by GO Ogle
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ETUDE CRITIQUE
474
Richard I« r , duc de Normandie,
4, 10, 13-16, 19-22, 24, 27, 29,
30, 47, 114, 132, 204, 221, 222,
226, 233, 235-237, 247,248 n. 1,
295, 297, 311 n. 1, 320, 326,
327, 332, 333, 345, 347, 348,
351, 355, 356, 358, 360, 304,
367, 368, 370-373, 379, 381-
386, 388, 389-391, 394-396, 398-
408 (s. de la n. 5 de la p. 407),
409, 411413, 417, 418, 421,
423, 427, 428, 435, 436, 447,
448, 450.
Richard II, le Bon, duc de
Normandie, 1, 2, 14-16, 21,
23-25, 114, 136, 141, 204,
214, 246, 281, 297, 299 n. 2,
318, 322, 326, 327, 358-360,
391, 401 n. 3, 404, 405 n. 2,
406 n. 3, 419-421 et n. 1,
425, 430, 440, 441.
Richard III, 326.
Richard, duc de Bourgogne, 75,
76, 185-187, 191-194.
Richard Le Roux, 319, 320 n. 1.
— le Vieux, 322, 325, 326.
Richer, 2, 96 n. 3, 138, 139,
164, 191, 214, 239, 254, 274,
276, 305, 308, 309, 313, 314,
320, 325, 334, 335, 353, & r >4,
358, 362, 373, 375, 390, 393,
397, 428.
Richwin, Ricuin, 191.
Ridoul, 341.
Rioul, meurtrier de Guillaume,
336, 338, 340, 342.
Digitized by GouqIc
Rioul, rebelle, 202 n. 2, 292-
295, 299, 300, 325, 337, 338,
351, 407, 428, 434, 435.
Rioult de Neuville, 63 n. 1,
106.
Risle (la), 293, 294, 296.
Rivet (Rom), 6.
Robert le Fort, 68, 369.
Robert, meurtrier de Guil¬
laume, 336.
Robert de Montreuil, 334.
Robert de Namur, 382.
Robert de Torigny, 391, 401,
403 n. 2.
Robert Guiscard, 56.
Robert, duc de Normandie, 114.
Robert I er , marquis, duc de
France et roi, 186, 191-194,
198, 204, 236, 238, 250, 255,
273, 274, 276.
Robert II le Pieux, roi de
France, 17, 18, 21, 214, 247,
405.
Robert, archevêque de Rouen,
18, 346, 391, 392, 405, 409.
Robertiens (voir Capétiens), 389.
Roger I« r , roi de Sicile, 56.
Roger, comte de Laon, 229, 230,
312.
Roger, évêque de Lisieux, 405.
Roland, 294.
Rolland, 173.
Rollon, Ganger-Rolf, Gange-
Rolv, Ilrolf, Rodulfus, 20, 22,
23, 27, 29, 47, 61, 63, 67, 82,
86 , 88, 92, 97-99, 108, 111-114,
116-123, 125-129, 131-135, 137-
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
175
142,144-147, 150, 151,153,159
n. 1, 160-163, 166,167 et n. 2,
168 et n. 1,169,170, 173, 174,
177-182 et n. 1, 184, 185, 187,
189-191, 194,196-204, 206, 212,
215, 216, 218, 219, 221, 223,
226, 232, 233, 238, 238-241 et
n. 3, 242, 243 et n, 1, 245, 218,
250, 251, 254, 255, 259-263,
265-288 et n. 2, 270, 271 et
n. 1, 273,274,276, 277 et n. 4,
278, 280, 288, 290, 294, 296-
299, 302, 331 n. 1, 337, 351,
359, 362, 367, 402, 407 et n, 5,
408, 410, 4M, 416, 418-420,
422, 423, 427, 432, 433, 434.
Romain (Saint), 400.
Rome, 305, 321, 426.
Roos, 147,149.
Roric, évêque île Laon, 394.
Ross (comté de), 129.
Rosus (voir Rollon), 258, 302.
Rouen, 16, 19, 28, 66, 124, 125,
129,141, 142,150,169,170,185,
188-190, 197, 199, 200,204. 218,
235, 236, 270, 273, 275 et n. 6,
276, 280, 282, 287, 293, 300, 309,
310,319, 320, 330, 332, 337,347-
350,352, 354,356, 357, 362, 363,
365 et n. 1, 366 et n. 2, 367,
372, 375-377, 378 n..l, 381,
384, 386, 391, 398, 410-412,
420, 440, 442, 458.
Rouen, Province ecclésiastique,
200, 202, 205, 238.
— Diocèse, 275 n. 5, 411.
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Rouen, Archevêque, 253, 260,
410, 433.
— Notre-Dame, 199, 343,
399, 400.
— Eglise Saint-Sauveur,
410.
— Marchands, 397.
— Abbaye de Saint-Ouen,
373, 377, 399, 400.
— Porte Beauvoisine, 372,
378 n. 1, ms. de 344.
Rouennais, 125, 173, 336, 348.
Roumare, 270, 373.
Kudalt, 290.
Russie, 56, 119.
R'J (Danemark), 141.
Saint
Saint-Benoit - sur-Loire ( ab -
baye), 188, 446.
Saint-Berlin (abbaye de), 403,
426.
Saint-Clair-sur-Epte, 22, 128,
196-198, 205, 212, 218 n. 1,
221, 223, 224, 232, 237, 350,
367,386, 388,389, 417, 419, 433,
449-451.
Saint-Cyprien (abbaye de), de
Poitiers, 304, 331.
Saint-Denys (abbaye de), 49,
102, 199, 326, 355, 370, 375,
377, 402, 409, 411, 412.
Saint-Evroul (abbaye de), 25.
Saint-Florent, 64.
Saint- Germain - des - Prés (ab¬
baye de), 71 n. 1, 102, 201.
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476
ETUDE CRITIQUE
Saint-Jean-d’Angely, 332 (s. de
la n. 2 de la p. 331).
Saint-Lo , 176, 410.
Saint-Martin-en-Hièmois, 401.
Saint-Ouen (abbaye de), 199,
406 n. 2, 407.
Saint-Père de Chartres (abbaye
de), 411, 448.
Saint-Quentin, 13, 14, 29, 47,
49, 426.
Saint-Riquier (abbaye de), 74,
444.
Saint-Riquicr-cs-Plain , 405.
Saint-Taurin (abbaye de), 406.
Saint-Vaast (abbaye de), 27,
49, 52, 78, 426.
— (chapelle de), 168,
169.
Saint-Valéry-en-Caux, 405.
Saint-Wandrille (abbaye de),
(voir Fonteneile).
S
Sackur, 331 n. 2, 405 n. 3.
Salomon, roi de Bretagne, 68,
69, 176, 200, 285, 286.
Samégithie , 39.
Samson (Saint), 205.
Saône (la), 187.
Sarmates, 35, 36 n. 1.
Sarrazins, 55, 387 n. 4.
Sarthe (la), 412.
Saucourt en Yimeu, 353, 358.
Sauvage (abbé), 253.
Sauvage (R.-N.), 363.
Saxe, 312, 313, 376.
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Saxo Grammaticus, 39. 45, 56,
101. 140, 145, 268, 270, 271,
360, 361, 443.
Sax*ms (les), 73, 151, 154, 275
n. 6, 311, 372, 373, 375.
Saxones Rajneassini, 311 il. 1.
Scandinaves , 39-41, 117, 125,
157, 270, 271, 291.
Scandinavie, il. 84, 118, 125,
155, 265, 387 n. 4, 389, 426.
Scanie, 147,160.
Scanzia (Scandinavie), Scania,
34, 45, 113, 140, 147.
Sccobyrig ( Shoebury ), ville
d’Angleterre, 80.
Sghlegel, 362 (s. de la n. 3 de
la p. 361).
SCHŒNIKG, 115.
Scots, 181.
Scubilion (Saint), 205.
Sebar, évêque d’Evreux, 179.
Sébastien de Salamanque,
chroniqueur espagnol, 54.
Sées (évêché de), 410.
Seine (la), 29, 51, 57, 64, 66, 82.
102, 117, 152, 161, 167 n. 2,
168, 173, 174, 184, 187, 190,
199, 200 (s. n. 3 p. 199), 201,
253, 258, 271, 275 n. 5, 276,
283, 287, 290, 296, 337, 338,
341, 849, 351, 352, 369, 374.
Senier (Saint), 205.
Sentis, 177 et n. 5, 374.
Sois, 193, 194.
Setric, 352 et n. 4, 353, 354, 358,
435.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
477
Séulfe, archevêque de Reims,
274.
Shetland (îles), 362.
Shonen, 265.
Sicambre, 46.
Sicile , 56.
Siegfrid, Sigfrid, chef viking,
20, 98, 159 n. 2, 165, 166, 171,
174, 175, 184, 262, 432.
Sigtrygg Cam, 352 n. 4.
Sigtrygg O'Svar, 352 n. 4.
Sigtrygg Snarfare, 352, n. 4.
Sigurd, roi de Danemark, 115.
Simeon (Saint), 440.
Sinaï (le), 440.
Sion, 266 n. 1.
Siramle (la), 286.
SlSMONDI, 83.
Sithric, roi de Northumbrie, 181,
182 n. 1.
Sleswig, 159, n. 1.
Smôland, 147.
Snio, prince du Jutland, 39.
Snorré Sturlkson, 117, 119,
120, 141 n. 2, 362.
Sœnderjylland , 159 n. 1.
Sogn, pays de Norvège, 85, 86.
Soissons , 27, 273, 274, 286, 368.
369, 383.
Soissonnais, 370.
Somme (la), 75, 107, 336.
Sorel (Albert), 249 et n. 2.
Sorin, 442.
Spezzia (golfe de la), 55.
Sprota, 24, 235, 291, 292.
Stat (cap.), 91, 94, 95.
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Steenstrup, Johannes, 9, 10,
37, 38, 55, 56, 95, 100 n. 2,
102, 108, 119-122,124-132, 104,
140, 146, 148, 150, 151 n. 3,
153, 155, 157, 168 n. 1, 226,
232, 240, 262 n. 2, 264 et n. 2
et 3, 267-269 et n. 2, 359.
Stevenson, 80 .
Stokksegri Hasteinnsund, vil¬
lage d’Islande, 86.
Storm (Gustave), historien nor¬
végien, 9, 58 n. 3, 64 et n. 4,
75 n. 3 de la p. 74, 84, 85,
101 (s. de la n. 2 de la p. 100),
103, 104, 122, 129, 130 n. 2,
133 n. 1, 146, 151, 155, 156,
158, 264 n. 2.
Suderœ (voir Hébrides).
Suède , 41, 42, 93, 125, 147, 153,
156, 266 n. 1, 271 n. 1, 422
n. 1.
Suédois , Sueones, 43, 112, 119,
125, 147, 151, 152.
Suénon ou Svend Tvaeskeg, roi
de Danemark, 136, 360, 361.
Suèves (les), 73.
Suhm, historien danois, 84, 85,
87 n. 1., 95,115,162, 264 n. 3
361 n. 3.
Sydroc, chef viking, 102 et s.
de la n. 2 de la p. 101.
T
Tamivorth, 181.
Tanait, 46.
Tancrède de Hauteville, 38.
Tassilon, 223.
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478
ÉTUDE CRITIQUE
Tavernier (D r ), 430 n. 1.
Ternois (le), 334.
Tetger, 310, 312.
Thôoderic, évêque de Coutan-
ces, 410.
Théodoric, roi des Ostrogoths,
271.
Thibaut le Tricheur, comte de
Chartres. 61, 74, 303, 346,
379-381, 383-386, 396, 399, 404
n. 3, 407, 436, 448,450.
Thibaut IV, comte de Cham¬
pagne, 44-4.
Thierri, 185.
Thierry (Augustin), 83, 207
n. 1,264 n. 3.
Thiffaulges, 306.
Thor, dieu Scandinave, 41-44,
48,91, 98, 99, 108, 114, 432.
Thord, noble homme de Nor¬
vège, 101.
Thorgisl, 75 (n. de lap. 74).
Thori, frère de Ganger Rolf,
362.
Tbor-ness, village d'Islande, 92.
Thohpe, 5 n. 2, 117.
Thor-Wolf, 91, 92, 94, 95, 97,
99, 105.
Thuilleries (abbé des), 24.
Tbuil-Hébert , 157.
Thur, 135.
Thury-Harcourt , 289.
Tite-Live, 20.
Tolbiac , 163.
Tonnet're, 186, 446.
Torfæus, 115.
Tortaire ou Le Tourtier, 153.
Toumebus, 156.
Tours, 64, 319, 321.
Tragodites, 35, 36, 439.
Tranquillus{ Trancault), 83, 442.
Trans (bataille de), 308.
Transséquanie (la), 350,368, 369.
Tréguier, 70.
Trêves, 165.
Trigan, 161.
Troglodytes. 36, 439.
Troie, 44, 46, 443, 444.
Trotidheim, Trondihem, Tron-
dheim, ville de Norvège, 91,
93, 105 n. 1, 137, 139.
Trosly (concile de), 253, 259
n. 3.
Troyes, 83, 382, 442-444.
Tudual (saint), 70.
Turiau (saint), 71.
Turmoud, 352-354, 356, 358,
406, 435.
Turold, 430 n. 1.
Tyr, divinité Scandinave, 43.
U
Utrecht, 165.
V
Valland, voir la Gaule, 97 , 99,
128, 168 n. 1.
Val Trécor (abbaye du), 70.
Vannes, 290.
Varenne (la), 412.
Véland ou \Veland,chef viking,
98, 102.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
479
Vénérand (saint), 403 n. 2.
Venusinus, 115.
Ver ber ie, 102.
Ver g y (abbaye de), 75.
Vermandois x 13, 16, 22, 51,275,
342, 357, 367, 381, 434.
Vérone , 271.
Vertot, 203 n. 1.
Veslfold , 301 (s. de la n. 4 de
la p. 300).
Veules , 405.
Viborg, 39.
Victrice (saint), 400.
Vie (la), 363, n. 3.
Vigfusson (Godbrand), 95, 96
n. 2, 105 n. 1, 107, 128, 141
n. 2, 146, 168 n. 1.
Viken , pays riverain du Skagcr-
rack, 91, 93, 105 n. 1, 114,
137, 146, 271.
Vilaine , la (rivière), 69.
Ville tiARDOUix, 444.
Villemetz , Yillemer, 189, 190.
Villemeux, 189, 190, 193.
Viollet (Paul), 222 et n. 2,227,
232, 247.
Vire (la), 176, 286, 293.
Virgile, 46, 111, 160, 426, 441.
Visé , 312, 328.
Vittefleur, 405.
Vogel, 58 n. 1, 66, 70, 102. 103
(s. de la n. 7 de la p. 102),
124, 127, 162, 165, 175, 180,
188, 190.
Vossius, 13.
Vouziers, 312.
Voyze-sur-Meuse, 312.
Vuegasala , voir Visé.
Vulfald, évêque de Laon, 450.
Vurm, chef viking, 165.
Vurmond, 113 (s. de la n. 2 de
la p. 112).
W
Wace, 2, 101, 113 (s. de la u. 2
de la p. 112), 140, 143, 177,
178, 195, 263 n. 2, 273, 294,
302, 339, 340, 342, 343, 390,
391, 395.
Waitz, 3, 7, 28, 117, 120, 139
n. 1, 264 n. 1 et 3.
Walberg, professeur à l’Uni¬
versité de Lu ml. 86, 87 n. 1,
100, 125, 126, 132, 150, 151
n. 3.
Walcheren (île de), 140, 163.
Waldetrude (sainte), 168 n. 2.
NVandrille (saint), 403.
Wantehnus (voir Gouteaume),
192.
Wedmore, 162, 167 n. 2.
Wenncland , 39.
Wessex, 161.
Wcst-Gothie, 147.
Wicar, roi de Norvège, 44.
Widukind, chroniqueur, 27,28,
29, 147, 150, 151-, 374, 376,
377, 427.
WlLLELMS, 322.
Witto, voir Guitton.
Worsaae, 65, 84, 104, 119, 159
n. 1, 162, 264 n. 3.
Wrmaëlon, duc de Bretagne,
290.
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ETUDE CRITIQUE
Y Z
Yonne , 187. Zeuss, historien allemand, 117.
Yves de Bellême, 355, 412. Zwentibold, 446.
Yvetot, 266 et n.
*
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SIR DUDOX DE SAINT-QUENTIN
•481
ADDITIONS & CORRECTIONS
Page 11, avant dernière ligne, premiers normands,
lisez : premiers ducs normands.
Page 16, ligne 3. île de France, lisez : Ile-de-France.
Page 20, ligne 27, Biœrn, lisez : Bjœrn.
Page 24, ligne 24, abbé des Tuileries, lisez : abbé des
Thuileries.
Page 44, note 1, lisez : note 4 ; Roman de Reu, lisez :
Roman de Rou.
Page 49, note 2, dans les Annales de Saint-Quentin, Ibid.,
lisez : dans les Annales de Saint-Quentin M. G. SS.
Page 50, ligne 3, Prudent de Troyes, lisez : Prudence de
Troyes.
Page 51, note 3, ligne 2, les Normans dans le Noyonnais,
868, lisez : 1808.
Page 58, note 1, ligne 12, Die Normannen und das
Frankische, ajoutez : Reich.
Page 64, note b., Xéerologium ecclesiæ, beatæ, lisez :
Xéerologium ecclesiæ beatæ.
Page 77, note 1, depopulatus est, 891. —, lisez : depopu-
latus est. — 891.
Page 78, note 1, ligne 4, ne parlent pas, lisez : ne parle
pas.
Page 84, ligne 14, deux Hastings, lisez : deux Hasting.
Page 85, lignes 22 et 23, le nom d'Hasting est danois et
non norvégien, lisez : le nom d‘Hasting est norvégien et
non danois.
Page 86, ligne 3, Irlande, lisez : Islande.
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ETUDE CRITIQUE
482
Page 97, ligne 5, Bjœrn, le fils de Ketil, lisez : Bjœrn
Côte de Fer, le fils de Ketil.
Page 106, dernière ligne, le Nord, lisez : le Nord de la
France.
Page 125, ligne 28, Sund, lisez : Luml.
Page 137, ligne 20, Raurike, lisez : Ranrike.
Page 138, dernière ligne ,Islande, lisez : Irlande.
Page 141, note 3, Snorre Slurteson, lisez : Snorré Stur-
leson.
Page 142, ligne 12, Islande, lisez : Irlande.
Page 143, ligne 6, Benoit, lisez : Benoit.
Page 146, ligne 6, les Sagas, lisez : la Saga.
Page 156, ligne 2, ses Kritiske Ridrag, lisez : son Kritiske
Bidrag; ligne 20, Folsterbô, lisez : Falsterbô.
Page 179, ligne 11, ajouter la note qui suit : La Chroni¬
que de Saint-Etienne de Caen (Duchesne, Norm. script.
p. 1066) qui place en 913 le traité de Saint-Clair-sur-
Epte, dit que Rollon reçut en mariage Gisèle dont il n’eut
aucun fils, mais qu'ensuite il reçut en mariage Popa,
fille du comte de Senlis, dont il eut Guillaume. Mais ce
renseignement dérive évidemment de Iiudon, qui fait de
Bernard de Senlis, l'oncle de Richard I er , et il est en contra¬
diction avec une autre affirmation du même Dudon qui
place l'union avec Popa, avant le traité de Saint-Clair-
sur-Epte et fait de Popa une fille de Béranger, comte de
Bayeux.
Page 230, ligne 2, roi, lisez : roi ».
Page 242, ligne 4, la famille de Normandie, lisez: la
famille ducale de Normandie.
Page 244, ligne 2, a négligé le »ervit*um(2), lisez : a négligé
le servitium (2);
Page 248, ligne 14, dit : quels, lisez: dit quels.
Page 250, ligne 10, baptisa Rollon, le duc des Francs,
Robert.... lisez: baptisa Rollon; le duc des Francs,
Robert...
Page 264, note 3, ligne 1, Sulm, lisez : Suhm. Ajoutez
aux autorités citées par Steenstrup, Büdinger, art. cit.
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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN
483
Page 266, note 1, chaque paysan reçoit, lisez : chaque
paysan reçut:
Supprimez les guillemets avant : on procéda, à la ligne
suivante.
Page 276, note 6, Bajocenses , lisez: Bajocacenses.
Page 278, dernière ligne. Nous plaçons la mort de Rollon
après 928, sans rien préciser. M. Al. Bugge, Norges
Historié , I, p. 73, place sa mort en 931, mais sans apporter
aucune preuve à l’appui de cette date.
Page 290, note 3. Nous disions : » Roald a-t-il été confondu
par Dudon avec Rollon? Et cette confusion serait-elle
légitime? Il ne serait pas impossible que Rollon, maître
de la Normandie, ait tenté quelque expédition en Bre¬
tagne, en 914, puis en Angleterre, en 915 ». Cette hypo¬
thèse qui n’est qu’une hypothèse, aurait l'avantage d’ex¬
pliquer pourquoi Dudon fait de Rollon le conquérant de
la Bretagne. Remarquons que nous ne savons rien de
Rollon entre 912 et 923; on serait assez tenté de supposer
qu'il a employé ces années à une expédition en Bretagne,
puis en Angleterre. Il est d'ailleurs certain que les vikings
de Normandie continuèrent d’avoir des relations avec ces
deux pays. M. James-H. Tood, éditeur de la chronique
irlandaise intitulée: The War of the Gaedhil with t/te Gaill,
remarque p. xciv, n. 2, que la bande d’Ottar (Ohter) et de
Roald entra dans la bouche de la Severn, trouva un refuge
dans le sud du pays de Galles, puis en Irlande. Cette bande
venait d’Armorique, elle avait quitté la Grande-Bretagne
pour la Gaule, dix-neuf années auparavant, c'est-à-dire à
l’époque où la bande de Rollon a pu aller de Grande-Bre¬
tagne en Gaule ; enfin les sources qui font mourir Ottar
et Haglinall en Ecosse (Ibid., p. 35) ne sont pas sures.
Mais ailleurs M. James Todd identifie Roald avec le Ragnall
des sources irlandaises, qui fut tué en 921 (p. lxxxvï). Et
au reste il est plus probable que Rollon a consacré les
années qui suivirent 912 à l'établissement définitif de sa
bande en Normandie. Tout au plus pourrait-on supposer
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ETUDE CRITIQUE
484
qu'Ottar et Roalil ont appartenu à la troupe de Rollon et
n'ont pas voulu demeurer en Normandie ?
Page 294, ligne 14, Rolland, lisez: Roland.
Page 302, ligne 14, ajouter en note : à Ebles, père de
Guillaume Tète-d'Etoupe, que M. Richard, Histoire des
comtes du Poitou , appendice II, t. II, 460-466, a démontré
que Guillaume Tète-d'Etoupe avait bien épousé Adèle,
fille de Rollon.
Page 303, lignes 5 et 6, au lieu de Thibaut de Champagne,
lisez : Thibaut de Chartres.
Page 311, note 1. L'Otlinga Saxonia ne parait plus dans
aucun texte postérieur à 860 •. Le dernier acte certain où
il est question de l'Otlinga est de 853 : les Gesta A Idrici
(évêque du Mans, de 832 à 856) en font mention : mais en
860 dans une charte relative à Saint-Sylvin, village situé
près d'Airan, qui était incontestablement dans l'Otlinga,
il n’est plus question de ce nom. l’ai montré dans un
article de la Revue Historique, CVU, pp. 285-309, intitulé
Liltus Saxonicum, Saxones Rajncassini , Ollinya Saxonia ,
repris plus tard avec des additions dans le tome II du
Compte Rendu du Congrès de Rouen, qu’il ne saurait y
avoir identité entre ces trois expressions : le Littus Saxo-
nicum s'étendant de la mer du Nord au moins jusqu'à
l'estuaire de la Loire, (je ne ferai aucune difficulté à
l’étendre jusqu'à celui de la Gironde), les Saxones Uajo-
cassini se trouvant dans le Bessinau VI* siècle et l'Otlinga
Saxonia entre la Dive et l'Orne au IX* siècle. Je maintiens
ces conclusions.
Page 306, ligne 9, le retour des Bretons, lisez : le retour
«les princes bretons.
Page 314, ligne 11, ces détails, lisez : ces détails?
Page 328, titre du paragraphe, Le baptême du fils du
Lothaire, lisez : le baptême de Lothaire.
Page 317, note 2, ligne 3, recherhes, lisez : recherches.
Page 336, ligne 16, il est également, lisez : il est.
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SUR DUDON DF. SAINT-QUENTIN 485
Page 353, note 1, c’est ce combat entre Setric etTurmoud,
lisez : c’est ce combat contre Setric et Tunnoud.
Page 355, ligne 23, Anslec, lisez : Anslech.
Page 359, ligne 1, I)udon diflère encore de Flodoard,
lisez : Dudon s’écarte encore de Flodoard.
Page 384, note 1, à l’avant-dernière ligne, les affaires
de Flandre où Arnoul II venait de succéder à Baudouin,
lisez : et la Flandre « où Lothaire eut à régler un diffé¬
rend entre Arnoul de Flandre et un nepos homonyme ».
Page 395, ligne 15, Richard était le vassal de Hugues,
ajoutez : le Grand.
Page 397, ligne 12, Foulque, ajoutez : le Bon, comte
d'Anjou.
Page 406, ligne 15, ajoutez : M. Pignot, Histoire de
Cluny, I, 290-291, croit à tort que Maïeul demanda l’aboli¬
tion de ces droits. Comme le fait remarquer M. Pfister,
op. cil., p. 309, n. 7, il les demanda pour le monastère.
Page 408, ligne 16, M. L. Dkuidour, Essai sur l'histoire
de l’abbaye bénédictine de Sainl-Taurin d'Evreux , p. 29,
a très bien montré en s’appuyant sur la Charte de Richard
Cœur de Lion que c’est le duc Ricnard, fils du duc Guil¬
laume, c’est-à-dire Richard I er qui est le fondateur de
l'abbaye. D'ailleurs, comme il le fait remarquer, le Nécro¬
loge de Saint-Taurin, aujourd'hui perdu, mais dont Le
Brasseur nous a conservé un extrait, montre que Richard
le Vieux, Richardus Senex était qualifié de fondateur de
l’abbaye. M. Debidour considère (p. 38, n. 2), la mention
du De immutatione tic Robert de Torigni, qui attribue la
fondation à Richard II, comme une erreur.
Page 415, ligne 16, il n esquissé un tableau des causes
des succès des invasions normandes, succès dont il
trouve la cause dans le déplorable état, lisez : il a
esquissé un tableau des invasions normandes, il attribue
leur succès au déplorable état.
Page 455, colonne 1, l’Aure, lisez : \'Aure m , Auxerrois,
lisez : VAuxerrois.
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TABLE DES MATIÈRES
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PRÉFACE.vu
BIBLIOGRAPHIE.xvi
INTRODUCTION
L’Œuvre de Dudon. 1
Son importance. 1
Editions. 2
La Critique. 3
L'Auteur et le milieu . 13
Vie de Dudon. 13
Le milieu littéraire. 15
Adalbéron. 17
Caractères de l’Œuvre. 19
Composition et Sources de l’Œuvre . 24
Raoul d’Ivry. 24
Les Sources. 27
Une Source possible de Dudon : Widukind . . 28
Dudon et Fécamp. 30
LE PREMIER LIVRE DE DUDON
La Géographie et les Considérations générales . 33
Hasting. 47
Hasting et les invasions dans Dudon .... 48
Luna. 53
Le traité de paix avec un roi de France ... 57
Hasting dans Guillaume de Jumièges.... 60
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488
TABLE DES MATIÈRES
Biographie critique d’Hasting. G4
llasting et les Sources Angevines et Touran¬
gelles . 72
llasting et les Sources Bourguignonnes ... 75
Faits authentiques de la vie d'Hasting. — llasting
et les Sources Franques et Anglo-Saxonnes. 78
L’Origine d'Hasting et les Sagas. 82
LE DEUXIÈME LIVRE
llOLLON; Son Origine .111
Historique de la question.114
Discussion de l'argumentation de M. J. Steens-
trup.127
Discussion des Textes.132
Les autres Textes.138
Les autres Sources Islandaises.146
Les Questions secondaires. — L’Hypothèse de
l’Origine Suédoise.147
Dani, Normanni : le Texte de Widukind. . . 147
Quelques autres arguments : la pêche à la
haleine, les tombes de Groix, les noms de
lieu.152
Les Campagnes de Jiollon .100
Rollon en Angleterre.160
Rollon en Lotharingie.163
Rollon en Normandie.167
Bayeux et Evreux .. 174
Rollon et Athelstan.180
Rollon et les Invasions.184
Campagne de Bourgogne.185
La bataille de Chartres.191
Le Traité de Saint-Clair-sur-Eptc .196
Le territoire concédé.198
La Bretagne.203
La Normandie est-elle un grand lief de la cou¬
ronne ?.207
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TABLE DES MATIÈRES 189
La Conversion de Rollon et des Normands au Chris¬
tianisme .*250
L‘Établissement des Normands et la Législation de
Rollon .*260
Le partage des terres.26*2
Les lois de Rollon.266
Les dernières années et la mort de Rollon. . 27*2
LE TROISIÈME LIVRE
Guillaume Longue-Épée.279
La révolte des Bretons.279
Sprota.291
La révolte de Rioul.292
Les mariages.301
Guillaume et Louis d’Outremer .301
Guillaume et le roi de Germanie.306
Guillaume Longue-Épée et le Coronement Looïs. 315
Le baptême du fils de Louis.328
Guillaume et l’abbaye de Jumièges .... 330
La mort de Guillaume Longue-Épée .335
LE QUATRIÈME LIVRE
Richard I ïr .345
Les premières années du règne, la minorité, la
réaction païenne .346
Hagrold.359
Raoul La Tourte.363
La Normandie et les Capétiens.367
La première invasion allemande en Normandie
(946). 371
La lutte de Richard I rr contre Thibaut de Char¬
tres .379
La dernière partie du règne de Richard /" (965-990). 389
La famille de Richard.390
Affaires de Flandre.39*2
32
*
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TABLE DES MATIÈRES
490
Richard et Albert de Yermandois.395
Les lacunes de Dudon. 396
Richard I* r et l’Église . 400
La Féodalité Normande.412
La mort de Richard I er .413
LES INSTITUTIONS ET LES MŒURS DANS DUDON . . 415
CONCLUSION.425
APPENDICES.439
I. Dudon savait-il le grec?.439
II. L'origine champenoise d’Hastirig ... 4-42
III. Date de la bataille de Chartres.445
IV. Date do la paix entre Lothaire et Richard I er . 447
INDEX.453
ADDITIONS ET CORRECTIONS 4SI
14034. — lmp. G. Poisson et C”, rue Froide, 16 , Caen. — Tel. 0.30
■S
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